Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du Gouvernement, à RFI le 24 juillet 2003, sur le bilan de la session parlementaire, notamment le débat sur la réforme des retraites, et sur la coopération entre la France et le Maroc dans la lutte contre le terrorisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Fin de la session extraordinaire du Parlement le 24-25 juillet 2003

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

P. Ganz.- La session parlementaire va se terminer par un vote solennel à l'Assemblée et au Sénat sur ce texte, qui réforme les régimes des retraites en France. Après douze ans de débat, est-ce que c'est le point final du dossier retraite ?
- "Je crois qu'en tout cas, c'est une étape historique. Cette réforme des retraites est indispensable, on le sait depuis des années, les rapports se sont succédés. Ils se sont succédés d'ailleurs au même rythme que les reculs successifs de certaines équipes gouvernementales, durant ces quinze dernières années. Et ce que nous allons vivre, aujourd'hui, avec le vote solennel de ce texte à l'Assemblée nationale et au Sénat, c'est un moment important qui a suivi une année de débat, très approfondi, de dialogue social, de volonté politique, dans lequel le Premier ministre a clairement fixé la règle du jeu : préserver notre système de répartition, mais en même temps, tenir compte du fait que si un certain nombre de mesures n'étaient pas prises, le système risquait de s'effondrer sur lui-même, et ainsi de ne pas garantir la retraite des générations futures. Voilà l'enjeu. La décision est prise aujourd'hui. Il y aura sans doute dans les années qui viennent d'autres améliorations, rien n'est jamais figé. Mais aujourd'hui, une étape essentielle a été franchie."
Vous évoquez les débats, les discussions, négociations... On peut évoquer aussi les manifestations, les incompréhensions. Est-ce que le Gouvernement a manqué de sens de communication sur ce dossier ? On a eu l'impression que c'était la petite critique que faisait J. Chirac, le 14 juillet...
- "Je crois qu'on doit toujours expliqué et on peut toujours mieux expliqué, bien sûr. En même temps, j'ai le sentiment que l'essentiel a été compris par les Français et que ce que rappelait le président de la république, c'est qu'il ne faut pas s'arrêter là. Cette explication doit continuer de se faire dans les semaines, les mois et les années qui viennent, au fur et à mesure que les choses se font..."
On n'aurait pas éviter beaucoup de manifestations, s'il y en avait eu plus [inaud] des Français ?
- "Non, je crois qu'il était tout à fait légitime qu'il y ait un certain nombre de manifestations, je pense en particulier à celle du 13 mai qui a montré beaucoup d'inquiétude. Mais, dans la rue, le 13 mai, il y avait beaucoup de monde, après il y en a eu beaucoup moins. Et ceux qui étaient dans la rue le 13 mai, ils y étaient pour des raisons différentes, parce que pour certains, il s'agissait de demander quoiqu'il arrive, le recul total du projet. C'était e, gros la tendance conservatrice de la France, celle qui consiste à dire "l'avenir des enfants nous préoccupent moins que le nôtre, ils se débrouilleront quand ils seront grands, nous ce qu'on veut, c'est que par une augmentation des impôts, on maintienne le statu quo actuel". Et de l'autre côté, dans la rue, il y avait des gens qui disaient "nous, on veut bien la réforme des retraites, mais à condition que des améliorations soient mises en oeuvre"... Je pense en particulier à ce qu'à apporté la CFDT, par exemple, et qui a permis d'améliorer le projet par rapport à l'avant-projet gouvernemental."
Pour faire une image avec une phrase qui a beaucoup fait couler d'encre, il y a quelques temps, vous estimez que sur les dossiers sociaux, il y a une "vieille France" ?
- "Je ne sais pas si on oppose les vieux et puis les jeunes. Non, ce n'est pas cela, le sujet. Je crois qu'il y a en France une différence entre ceux qui sont plutôt conservateurs et ceux qui plutôt réformateurs. Et ce n'est pas pour moi péjoratif. Les conservateurs et les réformateurs n'ont pas le même regard sur l'avenir des générations futures. Pour les conservateurs, on est dans une logique de dire que quoi qu'il arrive, [il faut] maintenir le statu quo. Et pour maintenir le statu quo, on préfère augmenter les impôts, les cotisations sociales, augmenter le nombre de fonctionnaires, augmenter les dépenses publiques, plutôt que de faire des réformes de structures. Les réformateurs pensent l'inverse : ils pensent que quand on augmente les impôts, cela casse la croissance, quand on augmente les fonctionnaires, cela ne réduit pas les problèmes de chômage et que la dépense publique, si elle n'est pas maîtrisée, eh bien on a des déficits, ce qui n'est pas bon pour l'avenir."
Conservateurs et réformateurs sont autant à droite qu'à gauche ?
- "Oui, tout à fait. Les clivages traditionnels sont largement transcendés aujourd'hui. On l'a vu, par exemple, avec le ralliement spectaculaire d'un Rocard ou d'un Kouchner au projet des réformes des retraites..."
Ou avec le soutien, par exemple, aux accords de Matignon et de Nouméa, qui ont réglé le problème de la Nouvelle-Calédonie, du temps de la gauche, et qui sont aujourd'hui soutenu par l'actuelle majorité ?
- "Tout à fait."
Vous êtes chargé des Relations avec le Parlement. Est-ce que on a proposé aux députés et aux sénateurs trop de travail pendant cette année ?
"C'est un débat éternel et il est fondé. Il est légitime. On avait fait la cession unique pour imaginer, plutôt que deux cessions, la possibilité de mieux organiser le travail parlementaire. Et puis cela c'est traduit par plus de lois et donc, de ce point de vue, quelques difficultés, même si cela a des avantages, puisque désormais, le Parlement peut en permanence contrôler l'action gouvernementale... Que vous dire ?"
Est-ce que tout cela rend moins "dense" ? C'est le mot de M. Debré, le président de l'Assemblée nationale.
- "Sans doute, mais il faut alors que chacun prenne la mesure de cette difficulté : comment tenir tous les engagements pris devant les Français à bon rythme ? Comment soulager leur impatience ? Et, en même temps, sur un certain nombre de sujets, ne pas déposer des textes au Parlement ? Voilà la question."
Vous aviez cinq ans, encore quatre devant vous... Est-ce qu'il fallait proposer 55 textes aux parlementaires, la première année ?
- "Tous n'ont pas la même densité, la même longueur..."
Il fallait hiérarchiser ?
- "Sans doute, mais je crois qu'au-delà de cela, c'est aussi la durée de discussion des textes à laquelle il faut réfléchir. Après tout, le texte sur les retraites a donné lieu au dépôt de 8.000 amendements, dont on sait que du côté gauche de l'hémicycle, il y a eu tout de même beaucoup d'obstruction. On a passé, par exemple, 139 fois le même amendement..."
Vous avez été député d'opposition à une époque. C'est aussi des stratégies qui ont été adoptées par la droite quand elle était à l'opposition...
- "Bien sûr, vous avez raison, mais une fois que vous avez dit ça, vous n'avez pas réglé le problème !"
Alors, on change quoi ? Qu'est-ce qu'il faut changer ?
- "Je crois qu'il faut certainement, un jour ou l'autre, réfléchir à la manière de moderniser le fonctionnement de certaine de nos institutions, moderniser les conditions du débat au Parlement. Mais cela relève du règlement intérieur des assemblées et donc, c'est aux exécutifs des différentes assemblées d'y réfléchir."
Vous êtes en relation avec le Parlement. Est-ce que l'opposition joue bien son rôle en France ?
- "C'est un débat qui est difficile d'évoquer aussi rapidement aujourd'hui. Je crois que ce qui est important en politique et ce qui intéresse les gens, ce n'est pas la politique politicienne, c'est le fond. C'est quelles réponses de fond apporter aux grands problèmes de notre société. Et de ce point de vue, nous sommes nombreux à constater, même peut être à regretter que la gauche, et en particulier le PS, soit dans une logique aussi forte d'opposition systématique et, surtout, dans l'incapacité de faire des propositions alternatives. On l'a vu sur les retraites, on l'a vu sur la décentralisation, on l'a vu sur la réforme de l'Etat, on l'a vu sur la sécurité... Sur tous ces sujets, il n'y a jamais eu, depuis un an, de propositions constructives et c'est vrai que c'est dommage parce que l'on voit plutôt un F. Hollande courir derrière l'extrême gauche, essayer de la dépasser dans des registres un peu caricaturaux, plutôt que d'aller au fond des choses, et je crois que ce n'est pas très responsable."
Alors je voudrais que nous parlions de ce déplacement au Maroc de six membres du Gouvernement, dont vous. Que représente pour l'élu d'une ville de banlieue, Meaux, ville où il y a beaucoup de Marocains, ce voyage au Maroc ?
- "Beaucoup de choses... Mais avant d'aller tout suite sur Meaux, rappelons que ce voyage est une nouvelle occasion de marquer combien les liens d'amitié entre la France et le Maroc sont profonds, importants. Vous savez que le Maroc est le premier pays aidé par la France. Et il est vrai que dans le contexte tout particulier de la lutte contre le terrorisme, ce voyage revêt une importance particulière. Alors, vous interrogez l'élu de Meaux. Oui, bien sûr, le lien est très étroit. Nous avons beaucoup de Marocains ou de jeunes Français originaires par leur famille du Maroc, et c'est vrai que les liens sont nombreux, les échanges sont fréquents. J'ai moi-même bien souvent l'occasion de parler des questions d'intégration, par exemple avec l'ambassadeur du Maroc en France..."
Et ce genre de voyage peut tisser des liens ?
- "Oui, c'est une occasion de renforcer les liens, de discuter de tout cela. Et puis vous voyez très concrètement, j'ai au sein de mon conseil municipal, une jeune femme qui est Y. Belkacem, qui est un grande championne d'athlétisme, qui est originaire du Maroc et avec laquelle nous parlons beaucoup de toutes ces questions..."
On va parler de la lutte contre le terrorisme entre Français et Marocains. Il y a eu, il y a quelques jours, 10 personnes condamnées à mort au Maroc, en vertu de nouvelles lois antiterroristes. Est-ce que la lutte contre le terrorisme risque, dans certains pays, peut-être au Maroc, de retarder le processus en cours de démocratisation ?
- "Non, je crois que ce sont deux choses distinctes. Le processus de démocratisation est engagé et salué comme il se doit, car il est tout à fait remarquable. En même temps, ne nous y trompons pas, il n'est jamais écrit dans aucuns frontons d'aucune constitution que l'on puisse tolérer de quelque manière que ce soit, la violence, et notamment le terrorisme qui est aujourd'hui, sa forme la plus ignoble. Et dans ce domaine là, nous devons tous être mobilisés, sans faille avec la détermination la plus totale pour lutter contre le terrorisme."
Y compris par des condamnations à mort dans certains pays ?
- "Pour ce qui nous concerne, nous Français, nous sommes, vous le savez, aux côtés de tous les pays qui luttent contre le terrorisme. Et je veux dire sur ce point que l'un des thèmes importants de notre rencontre de travail, entre nos deux gouvernements, sera de parler de toute la manière de renforcer la coopération de la lutte contre le terrorisme."
Tous les moyens sont possibles ? Est-ce qu'il pourrait y avoir des échanges policiers, d'avantages d'informations ? Il y a des Marocains ou des Français d'origine marocaine qui participent à des actions...
- "C'est pour cela que dans ce domaine là, vous le savez, nos gouvernements sont en coopération très étroite. Le ministre de l'Intérieur français, N. Sarkozy, a des échanges très fréquents avec son homologue marocain. Et dans ces domaines, nous mettons tous les moyens possibles en commun pour travailler de manière efficace contre le terrorisme."
Vous venez de faire allusion à N. Sarkozy. Il est lui en Colombie. Il y a beaucoup de ministres qui sont hors de France en ce moment. Qui gouverne la France ?
- "Soyez tout à fait rassuré là-dessus ! La France est bien gouvernée ! En l'occurrence, il y aura quelques heures, durant lesquelles le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur seront absents. Et là ce sera F. Fillon, le numéro trois du Gouvernement, qui assurera cet intérim. Mais, vous savez, avec les nouvelles techniques de communication, tout cela se passe très bien."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 juillet 2003)