Discours de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur le bilan de l'action gouvernementale et les perspectives ouvertes à la gauche devant l'impopularité grandissante du gouvernement, à Paris le 11 octobre 2003.

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Circonstance : Conseil national du Parti socialiste à Paris le 11 octobre 2003

Texte intégral


Chers camarades,
Nous vivons sans doute un moment important de la législature.
La droite va mal, très mal, le pays aussi. Il l'exprime sous diverses formes. L'extrême droite garde un silence gourmand. Nos partenaires de gauche hésitent sur la conduite à tenir. Tout cela crée une exigence particulière pour les socialistes.
Il y a d'abord l'impopularité du gouvernement. Elle est due à la réalité de ses résultats comme à la nature de ses choix.
Ses résultats : c'est le zéro. Zéro pointé en matière de croissance. C'est la plus mauvaise année depuis 50 ans, il est vrai qu'il y en avait eu deux autres : 1974 et 1993, deux périodes où la droite était déjà aux responsabilités. Le temps où la France était en avance en termes de croissance par rapport à la " zone euro " est révolu. Nous sommes maintenant dans le peloton de queue et nous sommes sans doute entrés en récession.
Zéro aussi en termes d'emplois. Il y a même eu plus de destructions d'emplois dans l'année 2003 qu'il n'y a eu de créations, et le taux de chômage -quoi que dise François Fillon- sera supérieur à 10 % de la population active d'ici la fin de l'année.
Zéro en plus pour les déficits. Ils sont devenus historiques, considérables et portent directement atteinte au moral des Français qui ont compris depuis longtemps que les déficits d'aujourd'hui étaient les impôts de demain.
L'impopularité est due aussi, et surtout, à la nature des choix qui ont été faits depuis maintenant près de dix-huit mois.
Injustice dans les décisions, et je n'ai pas besoin d'être plus éloquent sur la fiscalité, sur la remise en cause des droits des chômeurs ou sur les risques d'une décentralisation qui, aujourd'hui, est celle de l'inégalité territoriale. Incohérence des politiques : la stratégie fondée sur la baisse des charges n'a donné que de l'emploi en moins et du chômage en plus.
Incohérence des politiques en matière de Sécurité sociale, où notre pays se prépare à emprunter pour financer les dépenses d'hier en matière sociale.
Imprévoyance également dans les choix, et notamment budgétaires, qui vont sans doute conduire la Commission européenne à sanctionner, à un moment ou à un autre, non pas la France mais le comportement du gouvernement.
Cette impopularité, que nous mesurons à divers indices et pas simplement les sondages, crée des difficultés au sein même de la majorité. Je ne parle pas de l'UDF. -François Bayou est devenu au moins un opposant de plus, au plan verbal pour le moment. Mais il y a des difficultés au sein de l'UMP.
Il y a cette surenchère des plus libéraux, il y a ces inquiétudes, et on peut les comprendre, de tous ceux qui ont joué de tous les corporatismes. Et le drame avec les corporatistes, c'est qu'ils finissent toujours par être rattrapés par les corporations. On le voit aujourd'hui avec les débitants de tabac, les restaurateurs, les anciens combattants, et bientôt les veuves, qui se mobilisent par rapport à telle ou telle décision.
Il y a aussi des difficultés au sein même du gouvernement, même si elles ne sont pas toujours les plus visibles : compétition entre ministres, difficulté pour tel ou tel autre de continuer sa tâche. Enfin, Il y a des doutes à la fois sur la présence du Premier ministre et sur l'absence du Président de la République.
Pour conjurer ces difficultés, la droite a cru engager une manuvre sur les 35 heures qui a servi finalement de révélateur. Elle a voulu mener une triple offensive :
Une offensive politique : jeter un rideau de fumée pour masquer les responsabilités réelles du gouvernement dans la situation économique et sociale.
Une offensive idéologique : elle a commencé sur la question des retraites, elle s'est poursuivie sur celle des jours fériés et continue encore avec la Réduction du Temps de Travail. Cette offensive idéologique, au nom d'une pseudo réhabilitation du travail consiste à convaincre les Français qu'ils sont eux-mêmes coupables de la situation que l'on connaît, pas simplement victimes du chômage, mais responsables eux-mêmes de leur sort personnel ; offensive idéologique qui consiste à convaincre qu'il faut maintenant travailler plus longtemps pour gagner moins.
Une offensive sociale sur les 35 heures. Elle paraît arrêtée au plan législatif, mais elle peut ressurgir par d'autres biais, et notamment à travers les accords d'entreprise sous couvert de démocratie sociale. C'est là que peuvent se négocier des accords remettant en cause les règles du temps de travail. Donc, soyons encore vigilants.
Mais, cette opération s'est retournée contre ses auteurs. Elle a fourni une opportunité pour les socialistes et elle a réhabilité l'idée même des 35 heures.
D'abord, les salariés se sont montrés attachés à la réforme. Plus de 70 % des bénéficiaires de la Réduction du Temps de Travail, selon un sondage d'hier, se prononcent pour le maintien des 35 heures. Tous les syndicats se sont mobilisés, y compris les plus réticents, pour les défendre. Et enfin, toute la gauche s'est engagée pour cet acquis social ; même l'extrême gauche est venue en renfort, ce qui ne manque pas de saveur si l'on se souvient des critiques qui nous étaient portées hier et des positions d'aujourd'hui. Voir Arlette Laguiller, Alain Krivine et Olivier Besancenot défendre les 35 heures, c'était finalement l'hommage aux 35 heures et au bilan de Lionel Jospin et de Martine Aubry là-dessus.
Cela ne durera que l'instant de cette campagne, mais ce sera difficile pour l'extrême gauche, si on y revient, de considérer quand même qu'entre nous, socialistes, et eux, UMP, ce serait la même chose. Parce que là, il y a eu une réforme qui est apparue comme un discriminant entre la gauche et la droite.
C'est donc un moment important pour le Parti socialiste.
Nous devons être capables de donner une traduction, un sens au mécontentement que nous percevons. Le risque, sinon, c'est le désarroi d'une bonne partie de la population. Nous devons fournir une alternative crédible pour chasser les menaces, et elles existent, du populisme et de l'extrémisme, et nous devons enfin offrir un débouché électoral dans la perspective des scrutins de l'année prochaine dont l'enjeu politique est désormais évident.
C'est pourquoi, au lendemain de notre Conseil national, nous formerons un comité de campagne pour les régionales, associant tous les chefs de file qui ont été désignés, la direction du Parti, toutes les sensibilités, pour que nous marquions bien combien cette campagne pour les régionales est une campagne majeure pour l'avenir de notre pays, puisque ce sera le signal de la reconquête.
Cette réponse dépend donc de nous. Et elle est décisive pour la gauche et la démocratie. Car, tout l'enjeu du scrutin de mars prochain sera de savoir si cette élection marque une nouvelle crise de la politique à travers la dispersion, l'abstention, la montée des populismes, ou au contraire le renouveau de la politique et de la gauche. Est-ce que le scrutin de mars est une réplique, sous d'autres formes de ce qui s'est passé depuis des années dans notre pays, ou au contraire, marque une rupture, c'est-à-dire la formation d'une gauche capable de revenir aux responsabilités sur un projet clair ?
Pour répondre à la question, nous devons nous-mêmes constituer, avec le Parti socialiste, une présence et une unité politique.
La présence d'abord sur le plan militant. Une campagne est lancée sur le gouvernement Raffarin et l'addition, une autre est engagée sur les 35 heures. Je demande que partout en France, et pendant les prochaines semaines, nous menions campagne sur le bilan du gouvernement comme sur la défense des acquis sociaux, parce que c'est cette campagne-là qui permettra de gagner la suivante.
Il faut donc un Parti visible, un Parti d'action et un Parti mobilisé.
Présence sur le plan parlementaire : Nos journées de Limoges, ont été particulièrement réussies. Nous avons forgé nos propositions sur le budget, sur l'emploi, nous avons adopté un texte en bureau national sur la santé et la Sécurité sociale. Nous sommes en capacité, sur chaque politique gouvernementale, d'ici à la fin de l'année, de fournir nous-mêmes l'alternative.
Présence du Parti sur le plan intellectuel. Nous avons à préparer un nouveau projet. Alain Bergougnioux, secrétaire national aux études, a déjà commencé à engager cette réflexion.
Nous devons aussi faire vivre toutes les commissions du Parti. Et enfin, nous avons hier, avec Jean Glavany, constitué une Université permanente de la laïcité.
Présence sur le plan électoral. Campagne des régionales est une campagne nationale. La campagne des régionales commence aujourd'hui avec la désignation de nos chefs de file. C'est la première étape de l'alternative. Je veux saluer la manière avec laquelle nous avons désigné ces chefs de file. Ce sont les militants, leurs votes et leur participation, car même lorsqu'il n'y avait qu'un seul candidat, et c'est arrivé dans bon nombre de régions, nous avons eu des taux de participation de nos adhérents à la désignation de nos chefs de file supérieurs à 60 ou 70 %.
Je veux aussi souligner la qualité avec laquelle les campagnes internes ont pu être menées pour les primaires entre nos candidats, et même si les résultats ont été parfois serrés, ils ont été acceptés par les uns et par les autres.
Nous avons maintenant à constituer nos listes. Je sais la difficulté de l'exercice. Les Premiers secrétaires fédéraux joueront leur rôle, les chefs de file également.
Je veux ici fixer de nouveau les principes, parce qu'ils sont essentiels :
Le premier principe, c'est de constituer des listes susceptibles de compter des candidats capables de gagner. Il faut gagner !
Le deuxième principe, c'est de tenir compte de la diversité de notre Parti. Et de ce point de vue, je serai vigilant, et ce sera vrai pour les élections régionales comme pour les élections européennes.
Le troisième principe, c'est le renouvellement. Nous avons un engagement de congrès : renouvellement d'un tiers des listes pour les élections à la proportionnelle.
Le dernier principe : nous avons une obligation de faire représenter toute la société sur nos listes. Et là aussi, nous connaissons les difficultés, mais nous connaissons également les exigences. Plus nos listes représenteront la société, plus les électeurs se reconnaîtront sur nos listes et donc c'est un engagement qu'il faut tenir.
Cet exercice de préparation de nos listes ne doit pas nous détourner de nos deux tâches essentielles, et je sais combien les fédérations sont toujours mobilisées par rapport à la préparation des désignations. La première, c'est l'élaboration du projet territorial dans chacune des régions. La deuxième, c'est la constitution de listes d'union.
Nous voulons un Parti présent, il nous faut un Parti unitaire. Je ne parle pas simplement de l'unité entre nous, je parle de la dynamique d'union que nous devons créer.
Tous les risques de la dispersion sont réunis, comme si rien n'avait été appris des défaites d'hier. Chacun prétend, de bonne foi, faire gagner la gauche en coupant néanmoins le moteur du rassemblement. Chacun dit que c'est à travers son propre résultat que la victoire sera possible.
L'union est toujours un combat, mais aujourd'hui c'est le combat pour l'union qu'il faut engager. Il va falloir faire preuve de pédagogie. Il va falloir faire preuve de force de conviction. Et il va falloir rappeler les devoirs essentiels de la gauche. Si nous ne le faisons pas, nous serons malgré notre bonne volonté, malgré nos appels, accusés par nos électeurs, par tous les électeurs de la gauche, de ne pas avoir réussi l'union dès le premier tour pour les élections régionales.
Le premier devoir, c'est le devoir de mémoire. La dispersion nourrit l'abstention, la dislocation de l'offre crée l'émiettement de la demande. Nous en avons l'expérience, scrutin après scrutin. Beaucoup crient, et à juste raison, au danger de l'extrême droite sans en tirer les leçons. C'est la clarté de l'offre politique, c'est la dynamique de l'alternative qui affaiblissent l'extrême droite. Et c'est l'émiettement, la dislocation des formations républicaines -et notamment progressistes- qui permettent aux extrêmes de s'engouffrer.
Le second devoir, c'est un devoir de cohérence. Il y a huit régions où la gauche est sortante, huit régions où toutes les familles de la gauche ont travaillé ensemble et présentent le même bilan. Dois-je ajouter que l'autonomie, parfois avancée ou proclamée, peut quand même susciter interrogation, alors même que les discussions sur le projet n'ont même pas commencé dans la plupart des régions ? Disons à nos partenaires, que nous respecterons leurs choix, mais que c'est d'abord sur un projet que nous devons savoir si nous pouvons nous rassembler ou s'il faut partir séparément. Le devoir de cohérence étant encore plus grand là où nous sommes sortants.
Le troisième devoir est un devoir de réussite. Le scrutin de mars s'inscrit politiquement dans un calendrier et vient deux ans après le choc de 2002 et trois ans avant les élections de 2007. Nous devons envoyer un double message : sanctionner le gouvernement, et de ce point de vue, le vote en est l'instrument. Et faire la pédagogie du vote, parce que ce qui menace aujourd'hui la gauche, c'est cette idée, cette illusion qu'il serait possible de faire la politique sans le vote, sans les partis, sans la démocratie ; cette idée qu'une bonne manifestation, qu'une bonne mobilisation suffiraient à basculer les conservatismes et les instruments du libéralisme. Nous savons bien qu'il faut un mouvement social, mais sans le vote, sans la démocratie, sans la participation civique, il n'y a pas d'issue à la situation politique que nous connaissons.
Cette pédagogie du vote est première. Le scrutin de mars doit envoyer aussi le message de l'alternative territoriale. Nous sommes dans l'opposition au plan national et nous y resterons sans doute jusqu'en 2007, et pour autant, nous revendiquons région par région, département par département, le pouvoir de changer la vie quotidienne de nos concitoyens. Sur les Services publics, sur les transports, sur l'éducation, sur le logement, sur l'écologie, là où on peut agir, on doit agir.
Et, il n'y a pas qu'une seule alternative, celle nationale, même si elle est essentielle. Il y a aussi, à l'échelle de nos territoires, des leviers à utiliser et des vies à changer.
Cette dynamique d'union, il faut l'imposer et ce sera le sens des forums de l'union que nous devons organiser. Car, j'ai cru comprendre qu'il y en aurait beaucoup, pas forcément des forums de l'union, à l'initiative de nos partenaires. Ces forums de l'union ont un triple objet. D'abord marquer l'offensive contre la politique de la droite, préparer le projet territorial, ensemble, avec les forces vives, et engager le rassemblement des toutes les forces de gauche dans la plupart des régions.
Voilà, d'abord, l'objet de notre Conseil national : riposte à la droite, lancement de la campagne régionale, appel à l'union de toute la gauche.
Mais nous avons à préparer la discussion et nos positions sur la future constitution européenne.
La constitution européenne, nous l'avons réclamée, nous l'avons voulue, nous l'avons même exigée. Ce fut un des thèmes de la campagne des Européennes de 1999 que je conduisais au nom du Parti. C'était le mot d'ordre : oui, il nous faut une Constitution européenne et la meilleure possible. Ce texte est en cours d'élaboration, la Convention a fourni les premiers éléments. Ces éléments sont soumis aujourd'hui à la conférence intergouvernementale et la négociation est engagée ; elle va durer plusieurs mois. C'est sur la base du texte final, et seulement sur ce texte-là, que nous aurons à donner notre réponse, sous une forme d'ailleurs que nous ignorons encore aujourd'hui. À ce jour, nous n'avons ni texte final, ni procédure de ratification.
Certes, le Premier ministre dit souhaiter un référendum. Il n'est pas le seul, nous l'avons tous dit, et notamment ici, chez les socialistes. Mais le Président de la République, comme sur bien d'autres sujets, ne dit rien, et il n'est pas sûr qu'il sortira de son silence avant longtemps.
Quelle est notre responsabilité ? Nous sommes liés par nos engagements européens de toujours et par nos décisions de Congrès. Un débat doit avoir lieu au sein du Parti. Il doit être conclu le moment venu par une consultation directe des militants. Le Bureau national, et c'était son devoir, avant la conférence intergouvernementale, a délibéré de la position des socialistes à ce stade. Il a relevé les avancées, les progrès du texte issu de la Convention, mais il a aussi pointé les limites et les risques.
Il a donc posé ses exigences : exigences institutionnelles, exigences politiques. Il a avancé des propositions, et notamment affirmé l'Europe que nous voulions. Nous avons sans doute réalisé le rêve des Européens de l'après-guerre. L'Europe est réunie, la grande Europe est faite, la paix est assurée, un espace est ouvert, des institutions sont aujourd'hui en place et seront réformées, la grande Europe est faite. Et pour autant, nous avons le devoir aujourd'hui de proposer un projet pour l'Europe, une nouvelle frontière pour l'Europe. Laquelle ? Celle, sans doute, d'une Europe d'avant-garde, plus solidaire, plus forte sur le plan politique, plus ferme à l'égard de la mondialisation libérale.
Cette Europe-là, nous la ferons, au départ, à quelques-uns, sans doute à travers l'accord franco-allemand, mais nous agrègerons d'autres pays qui veulent, avec nous, aller plus loin, aller plus vite sur l'économie, sur le social, sur la défense. Voilà le projet qu'il faut porter au sein de la grande Europe, voilà l'Europe que nous proposons à nos concitoyens, et pas simplement une architecture institutionnelle.
C'est à partir de cette volonté que nous avons nous-mêmes posé nos exigences. Le texte du Bureau national a été adopté par la majorité. Il est soumis à la discussion du Conseil national qui va se prononcer. Il y aura un débat dans le Parti tout au long des prochains mois, à mesure, d'ailleurs, que la conférence intergouvernementale elle-même continuera ses travaux. Et, au terme de ce processus, il y aura la consultation. Mais ne perdons pas notre temps, soyons offensifs dans le Parti pour mobiliser les militants sur la belle idée de l'Europe, offensifs à l'égard des citoyens qui doutent de l'Europe, et s'il y a doute sur l'Europe, s'il y a scepticisme à l'égard de l'Europe, ne pensons pas que c'est le parti socialiste qui en sera le réceptacle. N'imaginons pas que nous pourrions tirer profit de cet éloignement, de cette perte de sens, parce que chacun sait que les socialistes sont européens et chacun sait que nous avons besoin du levier européen pour avancer des positions fortes sur le social, l'économique et la maîtrise de la mondialisation libérale.
CONCLUSION
Je compte sur chacun pour comprendre l'enjeu dans la période que nous traversons. Nous avons nos débats, nos convictions, nos sensibilités. Mais, nous avons une obligation commune. Etre ensemble. Etre nous-mêmes. Etre convaincants. C'est la meilleure façon d'être socialiste.
Alors, chers camarades, soyons aussi offensifs au sein du mouvement socialiste européen.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 13 octobre 2003)
Chers camarades,
Nous avons tous considéré, les uns comme les autres, que la question de la constitution européenne était une affaire importante pour l'Europe elle-même, pour la place de la France et pour l'identité socialiste. Je respecte donc toutes les convictions qui se sont exprimées, et je ne doute pas qu'elles soient mues par un idéal européen, chacune d'entre elles.
Il y a d'ailleurs toujours eu, au sein du Parti socialiste, des sensibilités différentes sur l'Europe. Nous ne les découvrons pas aujourd'hui. Je n'ai pas besoin de remonter à loin, mais déjà dans les années 70, un débat avait lieu sur les conditions mêmes de la construction européenne. Dois-je évoquer les années 80 avec la question du système monétaire européen ? Puis Maastricht. Sur l'euro, il y a toujours eu au sein du Parti socialiste une partie de militants, de responsables qui considéraient que la construction européenne menaçait dans ses formes et ses contenus nos acquis et notre souveraineté économique et sociale. C'est encore vrai aujourd'hui, et je pense que cela fait partie de la diversité de notre Parti, de son histoire et sans doute de son identité.
Il y a un point néanmoins où nous nous retrouvons tous, où nous devrions nous retrouver tous. C'est sur l'Europe que nous voulons. Nous avons quand même cette grande satisfaction de voir la grande Europe s'accomplir. Nous l'avions souhaitée. Dois-je évoquer François Mitterrand dès le début des années 90 ? C'était le pari des fondateurs de l'Europe : rassembler l'Europe, unifier le continent, briser Yalta.
Nous avons là, avec la future Constitution, l'occasion d'élargir et d'approfondir. Faut-il encore se mettre d'accord sur les conditions.
Et en même temps, l'Europe que nous voulons tous, c'est une Europe d'avant-garde, une Europe qui soit capable d'être plus forte, plus démocratique, plus solidaire, de porter un objectif de cohésion sociale, de gouvernance économique. C'était tout l'enjeu de l'euro et de l'union monétaire. Je ne regrette pas le vote de Maastricht car oui, l'euro a déjà été un progrès. Insuffisant, à l'évidence. Il n'a pas produit la construction politique que nous imaginions, mais quand même ! Avons-nous à regretter qu'il y ait une monnaie unique ? Avons-nous à regretter aujourd'hui, et le gouvernement actuel encore moins que nous, qu'il puisse y avoir une monnaie protectrice ? Ce que nous avons à regretter, c'est que nous n'ayons pas été jusqu'au bout, et notamment à travers le gouvernement économique.
Nous avons encore beaucoup à faire pour cette Europe d'avant-garde formée des pays qui le voudront, car c'est ainsi que nous ferons l'Europe de la défense, c'est ainsi que nous ferons l'Europe fédérale. Tout partira sans doute du couple franco-allemand pour ensuite emmener ceux qui décideront d'aller plus vite et plus fort pour forger les instruments de la domination de la mondialisation libérale.
Voilà l'enjeu pour les socialistes. C'est cette perspective-là qu'il faut ouvrir. Au moment où il y a une étape qui s'achève, la grande Europe, il faut avancer un nouveau projet européen. Il peut nous rassembler tous.
J'en arrive à la Constitution. Nous n'avons jamais été, en tout cas pour ceux qui ont eu à choisir à un moment de faire avancer l'Europe, dans le " tout ou rien ". En l'occurrence, dans le " oui tout de suite ", alors même que nous ne connaissons pas le texte final, ou dans le " oui naturellement " parce que " sinon, ce serait pire ". Mais nous ne sommes pas non plus, en tout cas je ne le serai pas, sur le " non, forcément le non ". Et quand on me dit que c'est le " non en l'état ", et qu'on pose comme condition pour sortir du non une constituante... Mais qui va aujourd'hui accepter une constituante dès lors que la Convention, dans une certaine mesure, a été un élément novateur par rapport à ce qu'étaient les formules jusque là utilisées et qui relevaient d'une demande intergouvernementale ?
On nous dit : " Nous ne ferons pas l'Europe s'il n'y a pas la constituante. " Alors, nous n'aurons jamais de Constitution et rien ne pourra bouger dans les semaines ou les mois qui viennent. Pas davantage si on remet en cause les traités économiques et d'abord le Traité de Rome. Ce n'est pas nous qui les avons signés. Ils datent de plus de 50 ans. Et nous pensons que nous allons, nous, dans les semaines qui viennent, remettre en cause les fondements économiques de l'Europe ? Qui l'imagine ? Donc ceux qui disent non aujourd'hui, et je respecte ce choix, diront non jusqu'au bout, mais au moins qu'ils l'avouent.
Nous avons aujourd'hui, comme toujours dans la construction européenne, à faire un compromis, c'est-à-dire à demander des améliorations, c'est-à-dire à poser des exigences, parce que c'est ainsi que l'Europe avance. l'Europe n'avance pas sur la menace, le chantage à la crise ou la peur du passé. L'Europe avance sur des positions fermes, sur des convictions fortes, sur des projets mobilisateurs. C'est ainsi que toujours l'Europe a réussi à franchir des étapes nouvelles. Quelles sont pour nous les exigences essentielles ?
Nous voulons une Europe qui soit un instrument d'action par rapport à la mondialisation. Il n'y en aura pas d'autres. Si nous remettons en cause les fondements mêmes de la construction européenne, aussi attachés soyons-nous à l'identité nationale, pensons-nous que la France seule pourra dominer la mondialisation ? Nul ne le pense ici. Donc nous avons besoin de l'Europe. Nous avons aussi besoin de savoir, et c'est un point important que nous posons comme exigence, si les évolutions institutionnelles seront possibles. À l'avenir, nous ne pouvons pas accepter l'intangibilité de la Constitution. Et nous avons là à poser la nécessité de faire avancer l'Europe, car il y a aussi nécessité de bâtir l'Europe d'avant-garde.
Et l'autre série d'exigences précisément parce que nous sommes dans l'opposition et que nous avons vocation à revenir aux responsabilités, et c'est la seule question qui vaille, elle se résume ainsi : pourrons-nous dans l'Europe de demain mener notre politique en fonction de nos valeurs et en respectant nos traités ?
Pour nous, les points essentiels, c'est le service public, la laïcité, la cohésion sociale et l'exception culturelle. C'est sur ces bases-là que nous aurons à nous prononcer, le moment venu.
Nous avons deux attitudes possibles aujourd'hui : être spectateurs en ayant déjà dit oui ou en ayant déjà dit non, ou être combatifs. J'ai choisi, et j'espère que nous serons nombreux à le faire, d'être combatif. Combatifs pour défendre un idéal européen, combatifs par rapport aux autorités françaises dans la négociation qui s'ouvre, combatifs dans le mouvement socialiste européen. Car tout le monde dit qu'il va falloir discuter avec les socialistes européens, mais pour ceux qui ont eu cette chance de rencontrer les socialistes européens, il faudra s'y mettre à beaucoup si l'on veut, et ce sera nécessaire, capter une majorité sur nos positions. Je ne désespère pas, mais ce sera un combat autrement plus dur que d'être majoritaire au sein du seul parti socialiste français.
Notre message doit être le suivant : travaillons tous pour pouvoir voter une bonne Constitution, faisons en sorte que le texte issu de la Convention puisse être amélioré, portons des exigences et défendons-les. Mais il y a une chose que je sais, c'est qu'en aucune façon les élections régionales ne seront liées au débat sur la Constitution européenne. Je ne laisserai d'ailleurs pas croire une seule seconde que les électeurs qui se prononceront au mois de mars prochain le feront par rapport à la Constitution européenne. Et si nous-mêmes, nous intériorisons ce présupposé et que nous pensons que c'est sur la Constitution européenne qu'il faut se présenter aux élections régionales, bon courage pour les résultats !
Alors, chers camarades, menons le débat autant qu'il sera possible entre nous, socialistes, mais pour gagner les élections régionales, faisons la confrontation nécessaire avec la droite parce qu'il n'y en a pas d'autre.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 15 octobre 2003)