Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureuse d'être parmi vous, à Tel-Aviv, pour ma première visite officielle en Israël, pour ouvrir ce forum, "Regards croisés, Jugés et Préjugés, Perceptions mutuelles des Français et des Israéliens", voulu par Dominique de Villepin et par Sylvain Shalom. Je tiens à vous exprimer les regrets de Michel Barnier de ne pas être avec vous aujourd'hui, tant lui tient à coeur l'entreprise de relance de la relation franco-israélienne.
Cette relance avait été souhaitée par son prédécesseur et M. Shimon Pérès. Elle s'est notamment concrétisée par la création en juillet 2002 du Groupe de Haut Niveau franco-israélien présidé, pour la France, par le professeur David Khayat et, pour Israël, par Yehouda Lancry. Je les salue avec tout le respect et toute la reconnaissance que l'on doit à ces infatigables raccommodeurs de la relation entre nos deux pays.
La perception qu'ont nos deux peuples, l'un de l'autre, est inséparable de cette entreprise. Dans des pays démocratiques comme les nôtres, rien de durable, de solide et d'ambitieux n'est possible sans l'adhésion des opinions. C'est donc la question délicate, passionnelle et ambiguë de cette perception mutuelle qui est posée aux amis israéliens et français qui ont bien voulu se réunir aujourd'hui à Tel-Aviv.
Je souhaite remercier chaleureusement l'Université de Tel-Aviv, son président, M. Itamar Rabinovitch, que je salue, et vous-même, cher Elie Barnavi, d'avoir mené à bien avec Pierre Cohen-Tanugi cette entreprise audacieuse par bien des aspects. Le fait de voir réunis dans ces murs certains des intellectuels les plus éminents de nos deux pays pour analyser les rapports entre nos deux sociétés constitue un encouragement pour ceux qui, comme moi et d'autres membres du gouvernement, ne se satisfont pas de l'actuelle ambivalence.
Car la relation entre nos deux pays est rarement appréhendée à travers des critères objectifs. Les thèmes de vos tables rondes à venir sont là pour le rappeler. Si nos deux pays n'ont pas besoin de nos rencontres officielles pour se reconnaître et se rencontrer, en revanche, la sérénité est rarement au rendez-vous des relations entre les peuples. Trop souvent, nous évoluons dans le registre de l'émotion, du reproche ou de l'amertume. L'amour et, pourquoi ne pas le dire, parfois le ressentiment se côtoient. Nos rapports ne cessent de donner l'impression d'une ambiguïté latente, au point d'échapper aux normes présidant aux rapports entre Etats souverains. Les sondages réalisés dans la perspective de ce forum n'ont pas échappé à cette loi d'airain. J'en parlerai un peu plus tard.
Scandée par des événements intenses vécus en commun, oscillant entre l'espoir de retrouver une amitié jugée par certains trahie en 1967 et le sentiment, depuis lors, d'un long malentendu ponctué de polémiques, cette relation est à bien des égards vivante mais, disons-le aussi, passionnelle, parfois chaotique ou distendue, nostalgique d'époques révolues.
Ce constat, sur lequel votre assemblée, j'en suis convaincue, Mesdames et Messieurs, apportera un éclairage instructif constitue à la fois un motif d'insatisfaction et de défi pour l'avenir. Je ne puis à cet égard que vous renouveler mon attente des conclusions qui seront celles de vos travaux.
L'historien Marc Bloch rappelait que c'est de la connaissance du passé que naît la compréhension du présent dans toute sa complexité. S'agissant de nos relations bilatérales, comme des regards respectifs sur chaque société, nous ne pouvons pas nous dissocier d'un travail de mémoire qui, à lui seul, en dit long sur le chemin parcouru par nos peuples. Que de fois l'Histoire n'a-t-elle pas associé nos efforts, assemblé nos espoirs, réuni nos destins !
Sans même monter au grand talmudiste Rashi qui écrivait au Moyen-Age ses commentaires en français, évoquer les relations entre la France et le peuple juif, c'est embrasser plus de deux siècles d'histoire universelle à partir de la rencontre de la Haskala juive et des Lumières européennes, mais surtout d'une révolution française, de cette France de 1789 et de l'Emancipation. En a germé la modernité juive dont est issu le sionisme.
Nous savons tous ce que la France, et à travers elle l'Europe, doivent à la marque du peuple juif au travers des millénaires Je ne rappellerai pas ces innombrables caractères qui auront façonné - dans les arts, les sciences, l'industrie, le commerce - l'identité de la France contemporaine. Je ne ferai pas le compte de nos mérites respectifs, des valeurs fondamentales que nous partageons. Ceci montre que nos relations sont intimement fondées sur l'échange : histoire, culture, recherche de toute explication dans l'unité du monde et de soi, société organisée autour de l'homme et faite pour lui, primauté, enfin, de la raison.
Dans le coeur des Français, le peuple juif et à travers lui Israël, éveille une double résonance : celle de la tragédie, tout d'abord. Aucun Français ne peut échapper à son douloureux visage, encore moins alors que se réveille chez certains la tentation ignoble et inacceptable d'un antisémitisme que le gouvernement auquel j'appartiens ne cessera de combattre. La Shoah appartient à votre histoire, mais aussi à notre histoire et à l'histoire de l'humanité.
Dans notre vision d'Israël, on trouve aussi, c'est la deuxième résonance, une fascination pour le génie, pour l'obstination créatrice, pour cette volonté à construire sur la cendre et les larmes, pour cette aptitude à transmettre, quoi qu'il arrive, les valeurs dont votre peuple est l'inlassable porteur.
Evoquer les relations franco-israéliennes, c'est aussi aller droit aux fondations de l'existence de la société israélienne : depuis l'affaire Dreyfus jusqu'à la guerre des Six jours, le second conflit mondial et la tache imprescriptible du régime de Vichy, la campagne de Suez et l'appel devant la Knesset, en 1982, par François Mitterrand à la nécessité de créer un Etat palestinien.
La France, peu s'en souviennent, a soutenu le sionisme à sa naissance ainsi que le mouvement d'émigration, en Palestine mandataire, des Juifs venus de toute l'Europe. La lettre, trop peu connue, de Jules Cambon, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères en juin 1917 apportant son soutien "au droit du peuple juif à sa patrie", plusieurs mois avant la déclaration Balfour, ou la contribution des ports français dans l'émigration vers le nouvel Etat - à l'image de l'Exodus parti le 11 juillet 1947 du port de Sète -, sont deux exemples de ce soutien.
Je ne veux pas oublier non plus le rôle de ces Justes français qui, malgré l'horreur, l'inacceptable, les spoliations innombrables, ont permis, parfois de façon individuelle, parfois en liaison directe avec la Résistance, de sauver tant de membres de la communauté juive de France pendant la nuit de l'Occupation.
Encore marqué du souvenir des années noires, le peuple français, d'un seul coeur, s'est passionné pour la création de l'Etat d'Israël. La France s'est affirmée, dès le point de départ, comme le défenseur de votre entrée, en tant que peuple indépendant, maître de ses choix, dans la communauté des Nations.
Sans doute, les réactions du général de Gaulle, comme aussi les choix de David Ben Gourion, ont suspendu cette symbiose exceptionnelle. Notre alliance était si étroite que nos deux pays donnent parfois l'impression de n'avoir jamais surmonté le choc de sa rupture. Mais au-delà des aigreurs, les sentiments profonds ont-ils changé ? Telle est, fondamentalement, la question qui vous est posée.
La réponse n'est pas sans importance car la France s'est toujours sentie proche d'Israël. Proche par son héritage, par sa culture, par sa pensée, par le coeur.
Des désaccords, des procès d'intention ont souvent surgi, au motif que celui qui avait trahi une fois ne pouvait que le faire de nouveau, ou quand la réaction de l'autre n'était pas celle attendue, ou quand des questions sur l'opportunité de certains choix étaient soulevées. Il en sera de même à l'avenir. Mais toujours, Israël et la France se sont retrouvés sur l'essentiel : le partage et la défense des mêmes valeurs humanistes et démocratiques et l'attachement, exigeant et intransigeant, à l'existence et la sécurité d'Israël.
L'attachement à la paix, vous le savez, est la pierre angulaire de la politique de la France. Elle entretient avec le Proche-Orient des relations anciennes et très fécondes. Je veux dire à nouveau, comme l'avaient dit le président Mitterrand et le président Chirac lors de leurs visites, que les liens qu'elle entretient avec les Etats de la région sont un atout pour Israël et pour la paix.
Oui, la France attend beaucoup d'Israël. Elle comprend qu'Israël mette au premier plan de ses préoccupations la sécurité de ses citoyens. Personne n'oublie les terribles attentats qui ont endeuillé son peuple depuis octobre 2000. La France sera toujours au côté d'Israël chaque fois que le fanatisme, la haine, la violence vous frapperont. Mais, une fois encore, ne laissons pas la logique de l'affrontement, la tentation de l'autisme, des initiatives unilatérales, à notre sens sans lendemain, l'emporter sur la logique de la raison.
Nous savons qu'il est difficile de songer à la paix lorsque des enfants sont fauchés sur le chemin de l'école, lorsque le terrorisme frappe et tue, lorsque la peur, le ressentiment, gagnent les esprits et les coeurs. Mais faut-il se résigner pour autant à ce qu'il y ait toujours davantage de morts et de drames ? Il faut rompre le cercle de la violence et du désespoir. Nous savons, nous, Français, qu'il n'y a pas de fatalité à l'opposition entre les peuples. Notre histoire récente nous a démontré que les ennemis irréductibles d'hier peuvent, par la force du courage, de la volonté et de la lucidité de quelques dirigeants, et, en fin de compte, avec le large soutien de leurs peuples, devenir des partenaires et des amis.
Cette paix et cette sécurité que nous souhaitons si fortement pour Israël, pour les Palestiniens, pour toute la région, ne seront obtenues qu'à travers un règlement négocié, fondé sur le droit international. Pour y parvenir, la France demande à toutes les parties de mettre en oeuvre sans retard la Feuille de route agréée par le Quartet, acceptée par les deux parties et endossée par le Conseil de sécurité des Nations unies. L'objectif doit être, en tout état de cause, la création, aux côtés d'Israël, d'un Etat palestinien viable. C'est sa viabilité même qui sera le garant de la sécurité régionale. Toute initiative doit nécessairement s'inscrire dans cette perspective. S'en écarter, rechercher d'autres voies, c'est prendre le risque de voir le conflit se prolonger indéfiniment.
La France sait les sacrifices qu'imposera nécessairement la paix. De même qu'elle appelle Israël à tenir tous ses engagements, la France appelle aussi l'Autorité palestinienne à prendre sans tarder les mesures indispensables pour lutter résolument contre les groupes radicaux qui pratiquent le terrorisme et contestent la légitimité d'Israël.
Mesdames et Messieurs,
Donner un nouvel élan à nos relations bilatérales demeure l'objectif du gouvernement. L'exceptionnelle visite d'Etat du président Katsav en France, en février dernier, en a été un éclatant et émouvant témoignage.
C'est avec la conviction qu'il fallait s'appuyer sur l'immense potentiel et sur l'intimité qui existent entre nos deux peuples, que nous avons entrepris, depuis deux ans, de resserrer nos liens.
Je tiens ici à saluer, une nouvelle fois, l'ambassadeur Yehouda Lancry et le professeur David Khayat. Leurs recommandations sont devenues réalité ou le deviendront bientôt. Ils ont proposé, entre autres choses, l'édification d'un nouvel Institut français à Tel Aviv, la promotion des relations commerciales ou encore une nouvelle organisation institutionnelle pour notre coopération scientifique et de recherche. Ils sont à l'origine de ce Forum annuel d'intellectuels qui nous réunit aujourd'hui.
Relancer la relation bilatérale, ceci veut dire, pour la France, exprimer sa confiance en Israël, dans sa démocratie, son peuple, sa culture, sa créativité, sa volonté. La France a foi dans la capacité des hommes et des femmes d'Israël à bâtir une relation, forte, étroite, vivante, avec elle.
Un sondage est aujourd'hui à notre disposition, commandé par l'Institut français de Tel Aviv. Chacun y puisera la matière de sa réflexion. Pour ma part, je retiens deux choses essentielles. La première, c'est qu'il est dit que ce qui nous unit est infiniment plus important que ce qui nous sépare. La formule peut sembler usée mais elle est juste. La seconde chose, c'est que personne ne remet en cause l'existence d'Israël. La belle affaire ! dira-t-on. C'était une évidence depuis longtemps ! Peut-être. Mais il y a des moments où ce genre de rappel fait chaud au coeur.
Cette satisfaction constatée, il faut bien voir que certaines réactions de nos concitoyens sont en-deçà de nos attentes. La majorité des personnes interrogées ont estimé que les relations entre nos deux pays étaient bonnes mais qu'elles n'avaient pas évolué au cours des dernières années. Telle est leur perception. Nous n'avons pas assez progressé ensemble. Les incompréhensions et les méconnaissances continuent d'irriguer nos relations. Nous le savions, bien entendu. Ce sondage n'a fait que confirmer des intuitions évidentes. Mais il nous faut faire plus.
Nous travaillerons pour que les esprits se rapprochent : tels sont le but et la justification de ce Forum. Nous ferons disparaître ce reproche réciproque d'abandon. Nous oeuvrerons ensemble pour que chaque personne ressentant éloignement et ignorance admette, un jour, que ce n'est pas de si tôt qu'Israéliens et Français auront fini d'avoir besoin les uns des autres. Il n'y a pas d'alternative. Cela prendra du temps. Ne demandons pas que de l'incompréhension au partage le chemin soit instantané.
La relation entre nos deux pays, parce qu'elle est fondée sur une multiplicité de liens parfois très profonds, existe bien quels que soient les aléas de nos perceptions respectives sur la situation régionale. La société française restera marquée par l'apport du judaïsme comme la dimension francophone restera incontournable dans le fait israélien.
Le réalisme se joint à l'amitié pour que nous reprenions connaissance l'un de l'autre. Le diagnostic auquel vous vous livrerez à partir de cet après-midi en apparaît plus encore comme une étape obligée.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2004)
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureuse d'être parmi vous, à Tel-Aviv, pour ma première visite officielle en Israël, pour ouvrir ce forum, "Regards croisés, Jugés et Préjugés, Perceptions mutuelles des Français et des Israéliens", voulu par Dominique de Villepin et par Sylvain Shalom. Je tiens à vous exprimer les regrets de Michel Barnier de ne pas être avec vous aujourd'hui, tant lui tient à coeur l'entreprise de relance de la relation franco-israélienne.
Cette relance avait été souhaitée par son prédécesseur et M. Shimon Pérès. Elle s'est notamment concrétisée par la création en juillet 2002 du Groupe de Haut Niveau franco-israélien présidé, pour la France, par le professeur David Khayat et, pour Israël, par Yehouda Lancry. Je les salue avec tout le respect et toute la reconnaissance que l'on doit à ces infatigables raccommodeurs de la relation entre nos deux pays.
La perception qu'ont nos deux peuples, l'un de l'autre, est inséparable de cette entreprise. Dans des pays démocratiques comme les nôtres, rien de durable, de solide et d'ambitieux n'est possible sans l'adhésion des opinions. C'est donc la question délicate, passionnelle et ambiguë de cette perception mutuelle qui est posée aux amis israéliens et français qui ont bien voulu se réunir aujourd'hui à Tel-Aviv.
Je souhaite remercier chaleureusement l'Université de Tel-Aviv, son président, M. Itamar Rabinovitch, que je salue, et vous-même, cher Elie Barnavi, d'avoir mené à bien avec Pierre Cohen-Tanugi cette entreprise audacieuse par bien des aspects. Le fait de voir réunis dans ces murs certains des intellectuels les plus éminents de nos deux pays pour analyser les rapports entre nos deux sociétés constitue un encouragement pour ceux qui, comme moi et d'autres membres du gouvernement, ne se satisfont pas de l'actuelle ambivalence.
Car la relation entre nos deux pays est rarement appréhendée à travers des critères objectifs. Les thèmes de vos tables rondes à venir sont là pour le rappeler. Si nos deux pays n'ont pas besoin de nos rencontres officielles pour se reconnaître et se rencontrer, en revanche, la sérénité est rarement au rendez-vous des relations entre les peuples. Trop souvent, nous évoluons dans le registre de l'émotion, du reproche ou de l'amertume. L'amour et, pourquoi ne pas le dire, parfois le ressentiment se côtoient. Nos rapports ne cessent de donner l'impression d'une ambiguïté latente, au point d'échapper aux normes présidant aux rapports entre Etats souverains. Les sondages réalisés dans la perspective de ce forum n'ont pas échappé à cette loi d'airain. J'en parlerai un peu plus tard.
Scandée par des événements intenses vécus en commun, oscillant entre l'espoir de retrouver une amitié jugée par certains trahie en 1967 et le sentiment, depuis lors, d'un long malentendu ponctué de polémiques, cette relation est à bien des égards vivante mais, disons-le aussi, passionnelle, parfois chaotique ou distendue, nostalgique d'époques révolues.
Ce constat, sur lequel votre assemblée, j'en suis convaincue, Mesdames et Messieurs, apportera un éclairage instructif constitue à la fois un motif d'insatisfaction et de défi pour l'avenir. Je ne puis à cet égard que vous renouveler mon attente des conclusions qui seront celles de vos travaux.
L'historien Marc Bloch rappelait que c'est de la connaissance du passé que naît la compréhension du présent dans toute sa complexité. S'agissant de nos relations bilatérales, comme des regards respectifs sur chaque société, nous ne pouvons pas nous dissocier d'un travail de mémoire qui, à lui seul, en dit long sur le chemin parcouru par nos peuples. Que de fois l'Histoire n'a-t-elle pas associé nos efforts, assemblé nos espoirs, réuni nos destins !
Sans même monter au grand talmudiste Rashi qui écrivait au Moyen-Age ses commentaires en français, évoquer les relations entre la France et le peuple juif, c'est embrasser plus de deux siècles d'histoire universelle à partir de la rencontre de la Haskala juive et des Lumières européennes, mais surtout d'une révolution française, de cette France de 1789 et de l'Emancipation. En a germé la modernité juive dont est issu le sionisme.
Nous savons tous ce que la France, et à travers elle l'Europe, doivent à la marque du peuple juif au travers des millénaires Je ne rappellerai pas ces innombrables caractères qui auront façonné - dans les arts, les sciences, l'industrie, le commerce - l'identité de la France contemporaine. Je ne ferai pas le compte de nos mérites respectifs, des valeurs fondamentales que nous partageons. Ceci montre que nos relations sont intimement fondées sur l'échange : histoire, culture, recherche de toute explication dans l'unité du monde et de soi, société organisée autour de l'homme et faite pour lui, primauté, enfin, de la raison.
Dans le coeur des Français, le peuple juif et à travers lui Israël, éveille une double résonance : celle de la tragédie, tout d'abord. Aucun Français ne peut échapper à son douloureux visage, encore moins alors que se réveille chez certains la tentation ignoble et inacceptable d'un antisémitisme que le gouvernement auquel j'appartiens ne cessera de combattre. La Shoah appartient à votre histoire, mais aussi à notre histoire et à l'histoire de l'humanité.
Dans notre vision d'Israël, on trouve aussi, c'est la deuxième résonance, une fascination pour le génie, pour l'obstination créatrice, pour cette volonté à construire sur la cendre et les larmes, pour cette aptitude à transmettre, quoi qu'il arrive, les valeurs dont votre peuple est l'inlassable porteur.
Evoquer les relations franco-israéliennes, c'est aussi aller droit aux fondations de l'existence de la société israélienne : depuis l'affaire Dreyfus jusqu'à la guerre des Six jours, le second conflit mondial et la tache imprescriptible du régime de Vichy, la campagne de Suez et l'appel devant la Knesset, en 1982, par François Mitterrand à la nécessité de créer un Etat palestinien.
La France, peu s'en souviennent, a soutenu le sionisme à sa naissance ainsi que le mouvement d'émigration, en Palestine mandataire, des Juifs venus de toute l'Europe. La lettre, trop peu connue, de Jules Cambon, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères en juin 1917 apportant son soutien "au droit du peuple juif à sa patrie", plusieurs mois avant la déclaration Balfour, ou la contribution des ports français dans l'émigration vers le nouvel Etat - à l'image de l'Exodus parti le 11 juillet 1947 du port de Sète -, sont deux exemples de ce soutien.
Je ne veux pas oublier non plus le rôle de ces Justes français qui, malgré l'horreur, l'inacceptable, les spoliations innombrables, ont permis, parfois de façon individuelle, parfois en liaison directe avec la Résistance, de sauver tant de membres de la communauté juive de France pendant la nuit de l'Occupation.
Encore marqué du souvenir des années noires, le peuple français, d'un seul coeur, s'est passionné pour la création de l'Etat d'Israël. La France s'est affirmée, dès le point de départ, comme le défenseur de votre entrée, en tant que peuple indépendant, maître de ses choix, dans la communauté des Nations.
Sans doute, les réactions du général de Gaulle, comme aussi les choix de David Ben Gourion, ont suspendu cette symbiose exceptionnelle. Notre alliance était si étroite que nos deux pays donnent parfois l'impression de n'avoir jamais surmonté le choc de sa rupture. Mais au-delà des aigreurs, les sentiments profonds ont-ils changé ? Telle est, fondamentalement, la question qui vous est posée.
La réponse n'est pas sans importance car la France s'est toujours sentie proche d'Israël. Proche par son héritage, par sa culture, par sa pensée, par le coeur.
Des désaccords, des procès d'intention ont souvent surgi, au motif que celui qui avait trahi une fois ne pouvait que le faire de nouveau, ou quand la réaction de l'autre n'était pas celle attendue, ou quand des questions sur l'opportunité de certains choix étaient soulevées. Il en sera de même à l'avenir. Mais toujours, Israël et la France se sont retrouvés sur l'essentiel : le partage et la défense des mêmes valeurs humanistes et démocratiques et l'attachement, exigeant et intransigeant, à l'existence et la sécurité d'Israël.
L'attachement à la paix, vous le savez, est la pierre angulaire de la politique de la France. Elle entretient avec le Proche-Orient des relations anciennes et très fécondes. Je veux dire à nouveau, comme l'avaient dit le président Mitterrand et le président Chirac lors de leurs visites, que les liens qu'elle entretient avec les Etats de la région sont un atout pour Israël et pour la paix.
Oui, la France attend beaucoup d'Israël. Elle comprend qu'Israël mette au premier plan de ses préoccupations la sécurité de ses citoyens. Personne n'oublie les terribles attentats qui ont endeuillé son peuple depuis octobre 2000. La France sera toujours au côté d'Israël chaque fois que le fanatisme, la haine, la violence vous frapperont. Mais, une fois encore, ne laissons pas la logique de l'affrontement, la tentation de l'autisme, des initiatives unilatérales, à notre sens sans lendemain, l'emporter sur la logique de la raison.
Nous savons qu'il est difficile de songer à la paix lorsque des enfants sont fauchés sur le chemin de l'école, lorsque le terrorisme frappe et tue, lorsque la peur, le ressentiment, gagnent les esprits et les coeurs. Mais faut-il se résigner pour autant à ce qu'il y ait toujours davantage de morts et de drames ? Il faut rompre le cercle de la violence et du désespoir. Nous savons, nous, Français, qu'il n'y a pas de fatalité à l'opposition entre les peuples. Notre histoire récente nous a démontré que les ennemis irréductibles d'hier peuvent, par la force du courage, de la volonté et de la lucidité de quelques dirigeants, et, en fin de compte, avec le large soutien de leurs peuples, devenir des partenaires et des amis.
Cette paix et cette sécurité que nous souhaitons si fortement pour Israël, pour les Palestiniens, pour toute la région, ne seront obtenues qu'à travers un règlement négocié, fondé sur le droit international. Pour y parvenir, la France demande à toutes les parties de mettre en oeuvre sans retard la Feuille de route agréée par le Quartet, acceptée par les deux parties et endossée par le Conseil de sécurité des Nations unies. L'objectif doit être, en tout état de cause, la création, aux côtés d'Israël, d'un Etat palestinien viable. C'est sa viabilité même qui sera le garant de la sécurité régionale. Toute initiative doit nécessairement s'inscrire dans cette perspective. S'en écarter, rechercher d'autres voies, c'est prendre le risque de voir le conflit se prolonger indéfiniment.
La France sait les sacrifices qu'imposera nécessairement la paix. De même qu'elle appelle Israël à tenir tous ses engagements, la France appelle aussi l'Autorité palestinienne à prendre sans tarder les mesures indispensables pour lutter résolument contre les groupes radicaux qui pratiquent le terrorisme et contestent la légitimité d'Israël.
Mesdames et Messieurs,
Donner un nouvel élan à nos relations bilatérales demeure l'objectif du gouvernement. L'exceptionnelle visite d'Etat du président Katsav en France, en février dernier, en a été un éclatant et émouvant témoignage.
C'est avec la conviction qu'il fallait s'appuyer sur l'immense potentiel et sur l'intimité qui existent entre nos deux peuples, que nous avons entrepris, depuis deux ans, de resserrer nos liens.
Je tiens ici à saluer, une nouvelle fois, l'ambassadeur Yehouda Lancry et le professeur David Khayat. Leurs recommandations sont devenues réalité ou le deviendront bientôt. Ils ont proposé, entre autres choses, l'édification d'un nouvel Institut français à Tel Aviv, la promotion des relations commerciales ou encore une nouvelle organisation institutionnelle pour notre coopération scientifique et de recherche. Ils sont à l'origine de ce Forum annuel d'intellectuels qui nous réunit aujourd'hui.
Relancer la relation bilatérale, ceci veut dire, pour la France, exprimer sa confiance en Israël, dans sa démocratie, son peuple, sa culture, sa créativité, sa volonté. La France a foi dans la capacité des hommes et des femmes d'Israël à bâtir une relation, forte, étroite, vivante, avec elle.
Un sondage est aujourd'hui à notre disposition, commandé par l'Institut français de Tel Aviv. Chacun y puisera la matière de sa réflexion. Pour ma part, je retiens deux choses essentielles. La première, c'est qu'il est dit que ce qui nous unit est infiniment plus important que ce qui nous sépare. La formule peut sembler usée mais elle est juste. La seconde chose, c'est que personne ne remet en cause l'existence d'Israël. La belle affaire ! dira-t-on. C'était une évidence depuis longtemps ! Peut-être. Mais il y a des moments où ce genre de rappel fait chaud au coeur.
Cette satisfaction constatée, il faut bien voir que certaines réactions de nos concitoyens sont en-deçà de nos attentes. La majorité des personnes interrogées ont estimé que les relations entre nos deux pays étaient bonnes mais qu'elles n'avaient pas évolué au cours des dernières années. Telle est leur perception. Nous n'avons pas assez progressé ensemble. Les incompréhensions et les méconnaissances continuent d'irriguer nos relations. Nous le savions, bien entendu. Ce sondage n'a fait que confirmer des intuitions évidentes. Mais il nous faut faire plus.
Nous travaillerons pour que les esprits se rapprochent : tels sont le but et la justification de ce Forum. Nous ferons disparaître ce reproche réciproque d'abandon. Nous oeuvrerons ensemble pour que chaque personne ressentant éloignement et ignorance admette, un jour, que ce n'est pas de si tôt qu'Israéliens et Français auront fini d'avoir besoin les uns des autres. Il n'y a pas d'alternative. Cela prendra du temps. Ne demandons pas que de l'incompréhension au partage le chemin soit instantané.
La relation entre nos deux pays, parce qu'elle est fondée sur une multiplicité de liens parfois très profonds, existe bien quels que soient les aléas de nos perceptions respectives sur la situation régionale. La société française restera marquée par l'apport du judaïsme comme la dimension francophone restera incontournable dans le fait israélien.
Le réalisme se joint à l'amitié pour que nous reprenions connaissance l'un de l'autre. Le diagnostic auquel vous vous livrerez à partir de cet après-midi en apparaît plus encore comme une étape obligée.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2004)