Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "France2" le 24 septembre 2003, sur les choix gouvernementaux notamment en matière de baisse d'impôt sur le revenu, et de déremboursement de l'homéopathie.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Avant la rentrée parlementaire, chaque formation politique tient ses journées parlementaires, et les socialistes vont se réunir à Limoges demain et après demain. L'occasion de faire le point sur ce que sera votre activité dans les mois qui viennent à l'Assemblée. L'occasion aussi de nous donner votre sentiment sur ce qu'a annoncé notamment le Premier ministre. L'Agenda 2006, présenté par J.-P. Raffarin aux journées parlementaires de l'UMP, suscite des réactions plutôt mitigées. J'imagine qu'il ne vous a pas vraiment emballé...
"Moi non, c'est vrai, mais la majorité non plus, si j'ai bien compris. Qu'est ce qu'il faut comprendre quand monsieur Raffarin parle d'Agenda 2006 ? Il faut comprendre qu'il renvoie les solutions aux calendes grecques, et donc cela veut dire qu'il repousse les problèmes. Lui qui voulait agir, être volontariste, engager les réformes, eh bien non : il avance pas à pas, mais il dirige surtout la politique de la France au jour le jour. Il n'y a plus de ligne, on ne sait plus où on va. Monsieur Raffarin gouverne sans boussole."
Indépendamment de cet Agenda 2006, il y a des échéances très précises, puisque jeudi, au Conseil des ministres, on va adopter la loi de Finances, le budget de la France, qui va se passer dans des conditions extrêmement difficiles. D'ores et déjà, on voit bien que les recettes vont être difficiles à trouver..
"Il y a bien sûr la conjoncture internationale, mais il y a les choix que le Gouvernement a faits depuis qu'il est en place, depuis que monsieur Raffarin est Premier ministre. Alors qu'il faudrait un budget qui stimule la croissance, qui encourage l'investissement, on a un budget d'austérité - ce n'est pas autre chose, il faut l'appeler comme ça -, avec des signaux totalement contradictoires. Quand par exemple, le Premier ministre dit qu'[on] va baisser les impôts, ce sont les impôts pour une petite partie des Français, mais de l'autre côté, il augmente les taxes : il y a la taxe sur le gazole, il y a aussi tous les tarifs publics qui augmentent. Et puis comme il transfère aux collectivités locales des charges, c'est l'augmentation des impôts locaux. Donc les Français ne s'y retrouvent pas en termes de pouvoir d'achat, puisque le pouvoir d'achat est par ailleurs bloqué. Tout cela - on le voit dans les chiffres de la croissance - est catastrophique. Ce n'est pas la politique qu'il faudrait mener et je pourrais même ajouter - Je parle comme maire de Nantes - : les aides à l'investissement... On a parlé des transports urbains : l'année prochaine, il n'y aura même pas un sou de l'Etat pour le développement des réseaux de transports urbains, c'est-à-dire moins d'argent pour l'équipement, pour l'investissement qui, là encore, encourage l'emploi. Et la politique de l'emploi de ce Gouvernement, elle n'existe pas. Si ! C'est la baisse des allocations pour les chômeurs, et puis, comme monsieur Fillon vient de l'annoncer, c'est la réforme du code du Travail dans le sens d'une plus grande flexibilité. Vraiment, c'est à la fois dur sur le plan social et c'est mauvais sur le plan économique. Ce Gouvernement, au lieu d'encourager la croissance, fabrique de l'insécurité sociale."
Quand vous dites que c'est un budget d'austérité, la croissance fait qu'effectivement, de toute façon, il n'y a pas beaucoup de marges de manoeuvre pour ce Gouvernement, puisqu'on en est même à annoncer des ventes de patrimoine...
"Le Premier ministre a annoncé qu'il allait vendre un million de mètres carrés de bâtiments publics. C'est plutôt la vente des bijoux de famille ; cela ne va pas très bien. J'ai le sentiment que monsieur Raffarin est en-dessous de la ligne de flottaison, qu'il ne dirige plus rien, il patauge. C'est très inquiétant."
En même temps, ce n'est pas absurde : quand on a besoin d'argent...
"Bien sûr, on le fait dans les communes, mais c'est à la marge, ce sont des petites recettes, des recettes de poche. C'est d'une autre politique dont nous avons besoin."
Ce n'est pas avec cela qu'on va renflouer le budget ?
"Non, je suis tout à fait inquiet, et c'est pour cela que je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement s'enlève lui-même des marges de manuvre. Quand il diminue les impôts de 3 milliards pour une petite partie des Français, cela ne va pas avoir d'impact sur la croissance, et en même temps, il n'a plus d'argent. Que comprendre ?"
Est-ce que cela ne peut pas par exemple relancer la consommation des ménages ? On a vu qu'en août, elle était très mauvaise...
"Le Gouvernement l'a fait déjà l'année dernière. Mais quand on dit "on paie moins d'impôts", c'est encore une fois pour une petite catégorie de Français, ceux qui ont les plus hauts revenus. Et pour la masse des Français, cela ne les concerne pas, parce qu'ils payent des taxes supplémentaires. Donc ils ne vont pas dépenser davantage. Et donc je ne comprends pas cette politique. L'Etat a besoin d'argent. Le ministre des Affaires sociales, monsieur Fillon, a annoncé un plan pour les personnes âgées. Comment va-t-il le payer ? On ne comprend rien à cette politique. C'est le même Gouvernement qui a diminué l'Allocation personnalisée pour l'autonomie des personnes âgées pour le maintien à domicile, c'est le même Gouvernement qui a diminué le plan de modernisation des maisons de retraite, qui maintenant nous annonce un grand plan. Je ne comprends plus cette politique et les Français ne la comprennent pas. Et dans une période difficile comme celle que nous connaissons sur le plan économique, il faudrait donner des signes de confiance. Et ce Gouvernement fait le contraire."
Vous pensez que c'est pour ça que la consommation des ménages diminue ?
"Il y a une insécurité quant à l'avenir, une incertitude. Et quand on ne sait pas où on va, que ce soit pour les entreprises - l'investissement -, que ce soit pour les ménages - la consommation -, les gens attendent, et ce n'est pas ce qu'il faudrait faire maintenant."
On voit que les chiffres, en ce qui concerne le budget de la Sécurité sociale, sont effectivement effrayants, avec un déficit calamiteux, comme on n'avait pas vu depuis des années. Là, franchement, ce n'est pas de la faute du Gouvernement...
"Que fait le Gouvernement ? Ce n'est pas de sa faute, mais l'année dernière, il a augmenté les tarifs des médecins de ville de façon très importante - 7 000 francs par mois supplémentaires en moyenne de recettes, c'est beaucoup - sans maîtrise des dépenses de santé. Il ne faut pas s'étonner. Maintenant, que fait le Gouvernement ? Il colmate les brèches, il utilise les remèdes homéopathiques pour soigner un cancer généralisé, alors qu'il faudrait une grande réforme."
Il y a d'ailleurs déremboursement des remèdes homéopathiques ...
"Oui, j'ai noté qu'il ne voulait pas les rembourser. Tout cela n'est pas très bon. Et surtout, l'augmentation du forfait hospitalier est injuste, elle ne va pas apporter grand?chose. Il faudrait une grande réforme de notre système de santé pour sauver la Sécurité sociale. Et là encore, le Gouvernement renvoie les solutions à plus tard."
Est-ce qu'il n'y a pas une petite contradiction ? Est-ce qu'au fond, les Français ne veulent pas tout et le contraire de tout ? C'est-à-dire à la fois être bien soignés, avoir des hôpitaux super équipés, avoir des infirmières bien payées - cela coûte de l'argent -, et ne pas avoir de déficit de la Sécurité sociale ? Il y a quand même une contradiction. A un moment, il faut proposer des solutions...
"Je crois qu'il faut aller vers un système d'une plus grande responsabilité. Tout doit être mis sur la table. Dans l'organisation de nos soins, il y a certainement énormément d'efforts à faire, et la canicule de cet été a montré qu'il fallait réformer. Et puis en même temps, il faut responsabiliser les médecins, responsabiliser les patients et avoir une plus grande lisibilité. Mais le Gouvernement, par ces mesurettes, qui sont d'ailleurs douloureuses, ne va rien régler du tout. Vers quoi va-t-il aller ? Inéluctablement, vers une augmentation, l'année prochaine, de la CSG, sans réforme. Ou alors il va aller vers une privatisation de la Sécurité sociale, vers les assurances privées. C'est peut-être ce qui est en train de se préparer. Et cela, je crois que les Français n'en veulent pas."
On entend dans votre discours que vous êtes extrêmement critique à l'égard du Gouvernement, et après tout, c'est votre rôle puisque vous êtes dans l'opposition. Est-ce que ce sera le ton qu'aura le Parti socialiste tout au long de cette année parlementaire qui va débuter dans quelques jours ?
"Nous serons intransigeants évidemment, et nous sommes dans notre rôle, vous l'avez rappelé. Mais en même temps, nous voulons passer d'une opposition défensive à une opposition alternative. Et donc on va travailler sur un certain nombre de grands sujets dès nos journées parlementaires. Je pense à la réforme fiscale qui est nécessaire, je pense à la Sécurité sociale qu'il faut sauver, ou encore à l'Education, ou encore à la politique économique, l'emploi, la politique industrielle. Nous n'allons pas nous contenter de critiquer, nous allons aussi travailler à des orientations qui permettront de préparer l'alternance et l'alternative. Si on est simplement une opposition qui critique et qui ne propose pas, il y aura un vide. Et je crois que, comme ce Gouvernement est en train de plonger, de perdre la confiance des Français, il faut une alternance, il faut une alternative. Et si la gauche ne propose pas et si le Parti socialiste ne propose pas ce changement, et s'il ne propose pas une espérance, il y a un risque de découragement, d'abstention, et puis aussi de remontée de l'extrême droite. Et je crois que cela, il faut tout faire pour l'empêcher."
Et donc on aura cette année des nouveaux projets du Parti socialiste...
"On y travaille déjà."


(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 9 octobre 2003)