Texte intégral
Les Corses sont appelés aux urnes ce 6 juillet. Qu'avez-vous envie de leur dire à quelques jours d'un référendum qui risque de servir de prétexte à bien des défoulements ?
Alain Juppé : Une chose toute simple: " Ne vous trompez pas de question! " Au-delà d'une réforme institutionnelle qui est porteuse de plus d'efficacité, le débat fondamental est celui de la place de la Corse dans la République. La réforme constitutionnelle sur la décentralisation offre aux Corses l'occasion d'être les premiers à s'exprimer sur ce qui leur tient le plus à cur. C'est une chance formidable à ne pas gâcher.
Ce que je reprochais à la logique des accords de Matignon, négociés en petit comité et, pour partie, secrètement, appartient désormais au passé. La victoire du "oui" sera aussi une victoire de la transparence. L'occasion de réaffirmer, sans ambiguïté, que les Corses veut rester dans la République...
Certes, mais les indépendantistes, qui veulent, eux, sortir de la République, appellent aussi à voter "oui"...
Alain Juppé : L'action du gouvernement et de la majorité a consisté, pendant toute la campagne, à éviter le piège tendu par les "nationalistes", dont le "oui" est, effectivement, plein d'arrière-pensées. Cette difficulté ne nous a pas échappé, mais devait-elle pour autant nous conduire à choisir l'immobilisme et le statu quo? Évidemment non ! Le risque que nous avons pris, nous l'assumons. La bonne foi est de notre côté...
Un an après le retour de la droite, et su tout après le mouvement des enseignants, qui a pris le prétexte de la décentralisation de certaines catégories de personnels pour se cristallise; diriez- vous toujours que la décentralisation est, en soi, une réforme populaire ?
Alain Juppé : L'expérience me l'a appris ! Les réformes ne deviennent populaires que lorsqu'elles commencent à porter leurs fruits. Quand on dérange les habitudes acquises, on est rarement porté en triomphe. Ce que je dis est aussi vrai pour la droite qui avait combattu les lois de décentralisation de 1982: vingt ans après, qui propose de revenir sur la décentralisation des collèges et des lycées? Personne. Tout le monde admet au contraire que la qualité de nos établissements s'en est trouvée améliorée...
D'une manière générale, peut-on réformer l'Education nationale sans drame, et même la réformer tout court ?
Alain Juppé : Si vous avez raison de rappeler que l'agitation sociale autour des retraites s' est cristallisée sur la question de l'Education nationale, il ne faut pas oublier non plus le rôle moteur de catégories professionnelles qui n'étaient pas concernées par les réformes mises en cause... Nous faisons aujourd'hui connaissance avec la grève par anticipation...
Les pires ennemis d'une réforme, quelle qu'elle soit, ont toujours été la naïveté des uns et la mauvaise foi - pour ne pas dire le sens de la manipulation - des autres.
La première chose à faire avec l 'Education nationale, c'est donc de dissiper les malentendus et de démonter les mensonges. Quand on a entendu proférer des "bobards" du genre "à partir de 2004 on ne fera plus le ménage dans les collèges parce que le personnel aura été mis à la disposition du président du conseil régional", on se dit qu'il ne faut surtout pas lésiner sur la pédagogie. Le gouvernement l'a compris, et c'est avec sagesse qu'il a prolongé la concertation.
Pour le reste, il faut plus que jamais prendre en compte l'extraordinaire hétérogénéité de ce grand corps qu'est l'Education nationale. On ne traite pas de la même façon les secteurs qui marchent bien :- l'école maternelle par exemple et notre enseignement supérieur, dont la valeur des diplômes est universellement reconnue et le cur même du système, le collège et le lycée, où se posent la question centrale de la transmission du savoir, et de son corollaire immédiat : l'apprentissage de l'autorité.
Luc Ferry a eu raison de le rappeler: en refusant la relation, forcément inégalitaire, entre celui qui est là pour enseigner et celui qui est là pour apprendre, Mai 1968 a introduit un formidable désordre dans les esprits... Désordre dont les enseignants sont autant victimes que les élèves, puisque les uns et les autres ont progressivement perdu de vue l'importance du principe d'autorité.
Certes. Mais quelle est la première des urgences ?
Alain Juppé : Rendre confiance au corps enseignant, en discutant par exemple avec lui de la question des carrières. Qui peut affirmer sans rire qu'il est facile, pour un professeur de cinquante-cinq ans, de faire face à une horde de collégiens déchaînés ? D'où la nécessité d'envisager des secondes carrières. De même, il ne faut pas avoir peur des mots : responsabiliser les enseignants, mais aussi les parents et chefs d'établissement, introduire l'évaluation à tous les niveaux: voilà de grands chantiers, auxquels l'UMP va apporter sa contribution dans le cadre du débat qui va s'ouvrir sur la loi d'orientation que prépare le gouvernement...
Ce débat, vous le voyez durer très longtemps ?
Alain Juppé : Il doit avoir lieu. Mais il ne doit pas nous empêcher de décider et d'agir. Comme dans l'affaire des retraites, le diagnostic est posé depuis longtemps. Pour rétablir la qualité de l'enseignement et le respect dû aux enseignants, il faut avoir le courage d'appliquer les textes. Non, tout ne doit pas être permis à l'école, et surtout pas la violence qui s'y développe. Bref, le débat ne doit pas entraîner la paralysie. ..
Comme pour les retraites! A ce sujet, avez-vous été sensible au reproche qui a été fait récemment à l'UMP de ne pas s'être investi suffisamment, en particulier quand a eu lieu la grande manifestation antigrève du 15juin, où l'on n'a pas vu beaucoup de responsables de votre mouvement ?
Alain Juppé : Tout le monde, à ma connaissance, a reconnu le formidable travail de proposition et de pédagogie opéré en amont par l'UMP; Je me félicite de la manifestation dont vous parlez, qui est arrivée au moment qui convenait, quand la lassitude des usagers était à son comble. Mais notre travail à nous ne s'est pas résumé à une mobilisation d'un jour. Il a duré six mois, sur le terrain et au Parlement, en pleine harmonie avec Jean-Pierre Raffarin et tous les ministres concernés.
Le gouvernement pourra-t-il faire l'économie d'une réforme des régimes spéciaux ?
Alain Juppé : Je parlais tout à l'heure de grèves par anticipation. Il faudra bien, un jour, réconcilier l'intérêt général et un régler d'abord la question des 95 % de ceux dont, je ne le répéterai jamais assez, nous avons amélioré la situation. Les plus modestes en particulier, qui sont désormais assurés de toucher 85 % du Smic, contre 60 % si nous avions laissé les choses en l'état...
Jacques Chirac, pendant la campagne présidentielle, était favorable à une ré- flexion sur le service minimum. Où en est la majorité sur ce dossier ?
Alain Juppé : Il faut un service garanti. C'est le corollaire de la continuité du service public. Sans continuité, quelle est la justification, et même la légitimité d'un service public ? Mon souhait est que les choses progressent par la négociation, entreprise par entreprise, secteur par secteur.
Mais je vous ferai la même réponse que pour la réforme des retraites et de l'Education nationale: si le principe de responsabilité ne prévaut pas, il faudra bien que la loi votée par le Parlement s'y substitue...
Autre engagement réaffirmé récemment par Jacques Chirac: celui de la baisse des prélèvements obligatoires. N'y a-t-il pas, là aussi, conflit entre le principe et la réalité... celle des 3 % de déficit autorisés, que nous venons de dépasser ?
Alain Juppé : Ce n'est pas seulement parce que Jacques Chirac a dit qu'il fallait baisser les impôts que nous devons poursuivre sur cette voie, mais parce que c'est bon pour le pays, pour son dynamisme, pour son attrait, pour sa capacité à créer des emplois nouveaux!
Maintenant, c'est vrai, les faits sont là : le ralentissement de la croissance mondiale, mais aussi les dépenses non financées engagées par nos prédécesseurs : créent une situation difficile, à laquelle : s'ajoute la baisse des recettes fiscales du fait de la morosité de la conjoncture.
Quant au pacte de stabilité, je vous ferai la même réponse : ce n'est pas pour le plaisir de nous y soumettre que nous devons le respecter, mais bien parce que la diminution des déficits est une préoccupation de bon sens. Continuer à s'endetter indéfiniment conduit à asphyxier le budget de l'Etat et à accroître
(source http://www.u-m-p.org, le 4 juillet 2003)
Alain Juppé : Une chose toute simple: " Ne vous trompez pas de question! " Au-delà d'une réforme institutionnelle qui est porteuse de plus d'efficacité, le débat fondamental est celui de la place de la Corse dans la République. La réforme constitutionnelle sur la décentralisation offre aux Corses l'occasion d'être les premiers à s'exprimer sur ce qui leur tient le plus à cur. C'est une chance formidable à ne pas gâcher.
Ce que je reprochais à la logique des accords de Matignon, négociés en petit comité et, pour partie, secrètement, appartient désormais au passé. La victoire du "oui" sera aussi une victoire de la transparence. L'occasion de réaffirmer, sans ambiguïté, que les Corses veut rester dans la République...
Certes, mais les indépendantistes, qui veulent, eux, sortir de la République, appellent aussi à voter "oui"...
Alain Juppé : L'action du gouvernement et de la majorité a consisté, pendant toute la campagne, à éviter le piège tendu par les "nationalistes", dont le "oui" est, effectivement, plein d'arrière-pensées. Cette difficulté ne nous a pas échappé, mais devait-elle pour autant nous conduire à choisir l'immobilisme et le statu quo? Évidemment non ! Le risque que nous avons pris, nous l'assumons. La bonne foi est de notre côté...
Un an après le retour de la droite, et su tout après le mouvement des enseignants, qui a pris le prétexte de la décentralisation de certaines catégories de personnels pour se cristallise; diriez- vous toujours que la décentralisation est, en soi, une réforme populaire ?
Alain Juppé : L'expérience me l'a appris ! Les réformes ne deviennent populaires que lorsqu'elles commencent à porter leurs fruits. Quand on dérange les habitudes acquises, on est rarement porté en triomphe. Ce que je dis est aussi vrai pour la droite qui avait combattu les lois de décentralisation de 1982: vingt ans après, qui propose de revenir sur la décentralisation des collèges et des lycées? Personne. Tout le monde admet au contraire que la qualité de nos établissements s'en est trouvée améliorée...
D'une manière générale, peut-on réformer l'Education nationale sans drame, et même la réformer tout court ?
Alain Juppé : Si vous avez raison de rappeler que l'agitation sociale autour des retraites s' est cristallisée sur la question de l'Education nationale, il ne faut pas oublier non plus le rôle moteur de catégories professionnelles qui n'étaient pas concernées par les réformes mises en cause... Nous faisons aujourd'hui connaissance avec la grève par anticipation...
Les pires ennemis d'une réforme, quelle qu'elle soit, ont toujours été la naïveté des uns et la mauvaise foi - pour ne pas dire le sens de la manipulation - des autres.
La première chose à faire avec l 'Education nationale, c'est donc de dissiper les malentendus et de démonter les mensonges. Quand on a entendu proférer des "bobards" du genre "à partir de 2004 on ne fera plus le ménage dans les collèges parce que le personnel aura été mis à la disposition du président du conseil régional", on se dit qu'il ne faut surtout pas lésiner sur la pédagogie. Le gouvernement l'a compris, et c'est avec sagesse qu'il a prolongé la concertation.
Pour le reste, il faut plus que jamais prendre en compte l'extraordinaire hétérogénéité de ce grand corps qu'est l'Education nationale. On ne traite pas de la même façon les secteurs qui marchent bien :- l'école maternelle par exemple et notre enseignement supérieur, dont la valeur des diplômes est universellement reconnue et le cur même du système, le collège et le lycée, où se posent la question centrale de la transmission du savoir, et de son corollaire immédiat : l'apprentissage de l'autorité.
Luc Ferry a eu raison de le rappeler: en refusant la relation, forcément inégalitaire, entre celui qui est là pour enseigner et celui qui est là pour apprendre, Mai 1968 a introduit un formidable désordre dans les esprits... Désordre dont les enseignants sont autant victimes que les élèves, puisque les uns et les autres ont progressivement perdu de vue l'importance du principe d'autorité.
Certes. Mais quelle est la première des urgences ?
Alain Juppé : Rendre confiance au corps enseignant, en discutant par exemple avec lui de la question des carrières. Qui peut affirmer sans rire qu'il est facile, pour un professeur de cinquante-cinq ans, de faire face à une horde de collégiens déchaînés ? D'où la nécessité d'envisager des secondes carrières. De même, il ne faut pas avoir peur des mots : responsabiliser les enseignants, mais aussi les parents et chefs d'établissement, introduire l'évaluation à tous les niveaux: voilà de grands chantiers, auxquels l'UMP va apporter sa contribution dans le cadre du débat qui va s'ouvrir sur la loi d'orientation que prépare le gouvernement...
Ce débat, vous le voyez durer très longtemps ?
Alain Juppé : Il doit avoir lieu. Mais il ne doit pas nous empêcher de décider et d'agir. Comme dans l'affaire des retraites, le diagnostic est posé depuis longtemps. Pour rétablir la qualité de l'enseignement et le respect dû aux enseignants, il faut avoir le courage d'appliquer les textes. Non, tout ne doit pas être permis à l'école, et surtout pas la violence qui s'y développe. Bref, le débat ne doit pas entraîner la paralysie. ..
Comme pour les retraites! A ce sujet, avez-vous été sensible au reproche qui a été fait récemment à l'UMP de ne pas s'être investi suffisamment, en particulier quand a eu lieu la grande manifestation antigrève du 15juin, où l'on n'a pas vu beaucoup de responsables de votre mouvement ?
Alain Juppé : Tout le monde, à ma connaissance, a reconnu le formidable travail de proposition et de pédagogie opéré en amont par l'UMP; Je me félicite de la manifestation dont vous parlez, qui est arrivée au moment qui convenait, quand la lassitude des usagers était à son comble. Mais notre travail à nous ne s'est pas résumé à une mobilisation d'un jour. Il a duré six mois, sur le terrain et au Parlement, en pleine harmonie avec Jean-Pierre Raffarin et tous les ministres concernés.
Le gouvernement pourra-t-il faire l'économie d'une réforme des régimes spéciaux ?
Alain Juppé : Je parlais tout à l'heure de grèves par anticipation. Il faudra bien, un jour, réconcilier l'intérêt général et un régler d'abord la question des 95 % de ceux dont, je ne le répéterai jamais assez, nous avons amélioré la situation. Les plus modestes en particulier, qui sont désormais assurés de toucher 85 % du Smic, contre 60 % si nous avions laissé les choses en l'état...
Jacques Chirac, pendant la campagne présidentielle, était favorable à une ré- flexion sur le service minimum. Où en est la majorité sur ce dossier ?
Alain Juppé : Il faut un service garanti. C'est le corollaire de la continuité du service public. Sans continuité, quelle est la justification, et même la légitimité d'un service public ? Mon souhait est que les choses progressent par la négociation, entreprise par entreprise, secteur par secteur.
Mais je vous ferai la même réponse que pour la réforme des retraites et de l'Education nationale: si le principe de responsabilité ne prévaut pas, il faudra bien que la loi votée par le Parlement s'y substitue...
Autre engagement réaffirmé récemment par Jacques Chirac: celui de la baisse des prélèvements obligatoires. N'y a-t-il pas, là aussi, conflit entre le principe et la réalité... celle des 3 % de déficit autorisés, que nous venons de dépasser ?
Alain Juppé : Ce n'est pas seulement parce que Jacques Chirac a dit qu'il fallait baisser les impôts que nous devons poursuivre sur cette voie, mais parce que c'est bon pour le pays, pour son dynamisme, pour son attrait, pour sa capacité à créer des emplois nouveaux!
Maintenant, c'est vrai, les faits sont là : le ralentissement de la croissance mondiale, mais aussi les dépenses non financées engagées par nos prédécesseurs : créent une situation difficile, à laquelle : s'ajoute la baisse des recettes fiscales du fait de la morosité de la conjoncture.
Quant au pacte de stabilité, je vous ferai la même réponse : ce n'est pas pour le plaisir de nous y soumettre que nous devons le respecter, mais bien parce que la diminution des déficits est une préoccupation de bon sens. Continuer à s'endetter indéfiniment conduit à asphyxier le budget de l'Etat et à accroître
(source http://www.u-m-p.org, le 4 juillet 2003)