Interview de M. Alain Juppé, président de l'UMP, à RTL le 24 juillet 2003, sur la façon dont a été menée la réforme des retraites et sur la "méthode Raffarin".

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Richard ARZT : Bonjour Alain Juppé. Alors ça y est la réforme des retraites va être votée solennellement ce matin à l'Assemblée, cet après-midi au Sénat. De qui c'est le plus la victoire dans la façon dont a été menée cette réforme : du Premier Ministre, de François Fillon, de la majorité ?
Alain JUPPE : C'est la victoire des assurés sociaux parce que le régime des retraites est sauvé. Si nous n'avions rien fait, tout le monde le sait bien, nous allions dans le mur; à brève échéance d'ici 2007-2008 ; désormais les retraites sont sauvées. Alors cette réforme a été faite avec beaucoup de courage et beaucoup d'habileté et Christine Clerc a dit toute la part de mérite qui en revient à François Fillon; je partage ses sentiments. Je voudrais aussi insister sur le fait que cette réforme est une réforme qui améliore les retraites. J'ai sous les yeux un grand journal du matin qui a fait le compte de ce qu'il considère être les points négatifs...
... c'est le Parisien-Aujourd'hui...
... et les points positifs. Il y a 4 points négatifs et 13 points positifs. Alors par exemple les retraites longues, les carrières longues. On pourra partir à la retraite avant 60 ans quand on a commencé à travailler à 14 ans. On vous en parlait depuis des années, nous l'avons fait. Les petites pensions, ceux qui ont travaillé toute leur vie au SMIC, auront 85% du SMIC garanti comme pension. Je vais pas faire la liste mais ce n'est pas une réforme punitive si je puis dire , c'est une réforme qui améliore beaucoup de choses.
En 95 vous aviez du renoncer à réformer les régimes spéciaux de retraites devant le tollé que ça avait provoqué; est-ce que vous pensez que vous avez déblayé le terrain en montrant l'angle par lequel il ne fallait pas prendre cette réforme ?
Je n'en sais rien, vous savez je ne suis pas obsédé par la publicité comparative; en 95 ma réforme c'était celle de l'assurance maladie et je l'ai faite. Les ordonnances de 96 ont été prises et elles marquent encore aujourd'hui le fonctionnement de l'assurance-maladie, ne serait-ce que par la création de la loi de financement de la Sécurité Sociale dont on discute tous les ans; mais peut importe c'est le passé. Aujourd'hui la réforme du régime des retraites , des régimes spéciaux pardon, reste à faire; ce sera la prochaine étape, entreprise par entreprise, et par la négociation bien sûr.
Est-ce que depuis un an qu'il est au Gouvernement, vous pensez qu'il y a une méthode Raffarin de réformes que vous saluez ?
Oui, je la salue parce que beaucoup de chemin a été parcouru depuis un an; énormément de réformes ont été faites. Cette méthode elle est faite de progressivité; on y va pas à pas comme on le disait tout à l'heure; elle est faite aussi de détermination et de volonté de dialogue. Sur les retraites ça fait plus de 6 mois que la discussion a été menée; l'UMP y a contribué; il y a eu des dialogues plus officiels, il y a eu des négociations et puis au Parlement pendant des heures et des heures. L'opposition a pu largement s'exprimer.
La côte de popularité de Jean Pierre Raffarin en a pris un coup au passage ?
Oui mais vous savez, ça va, ça vient. Et puis ce qui compte c'est de faire son devoir, de mettre en uvre les réformes qu'on croit bonnes pour le pays.
En Allemagne, récemment, un véritable consensus s'est produit sur la réforme du système de santé; ça pourrait servir de modèle, vous pensez, c'est possible ?
Notre culture n'est pas la même. Il y a eu souvent en Allemagne des grandes coalitions qui associent les socialistes et puis les chrétiens démocrates; ce n'est pas le cas en France. On peut rêver, on se prend parfois à rêver. Je ne crois pas que le parti socialiste ait pour l'instant pris ce chemin; quand vous voyez comment il critique la baisse du Livret A en oubliant que Monsieur Jospin l'avait fait 2 fois dans les années passées, cela prouve qu'il a choisi plutôt la voie de la critique systématique. Tout simplement...
... vous ne comprenez pas son rôle et son comportement d'opposant ?
Qu'il s'oppose ça ne me choque pas, nous l'avons fait par le passé; je crois qu'aujourd'hui qu'il se sent un peu débordé par une extrême gauche très puissante dans notre pays et qui est une sorte de surenchère de ce côté là. Je continue à espérer peut-être que sur certains sujets il pourrait y avoir aussi en France un dialogue bi-partisant; je prends l'exemple de la constitution européenne qui viendra à ratification l'année prochaine, ce sera un moment extrêmement important. Si tout le monde se met contre nous aurons du mal. Or je suis convaincu que beaucoup de socialistes considèrent que cette constitution est un pas en avant; alors pourrions nous en parler.
Et au-delà du Parlement, au-delà des socialistes, quelle impression vous tirer de toute la contestation sociale : les grèves, les manifestations qui a pu y avoir dans la période, notamment sur les retraites ? C'est un signe de radicalisation ?
Je l'ai dit tout à l'heure; je crois qu'il y a à l'évidence dans notre pays et on l'a vu l'année dernière au moment des élections présidentielle et législatives; il y a un phénomène gauchiste, trotskiste qui est puissant dans notre pays. L'an dernier l'extrême gauche a plus progressé en valeur relative que n'a progressé le Front National, contrairement à ce qu'on a pu dire. C'est une réalité sociologique française qui vient peut-être de l'affaiblissement progressif du Parti Communiste. Je n'en sais rien mais cela ne doit pas nous paralyser; je crois qu'il faut continuer à jouer à fond la carte du dialogue, de la concertation et de la réforme; la France a besoin de réformes, il faut les poursuivre.
Sur les enseignants, précisément, vous pensez que la majorité doit se méfier du corps enseignant ?
Se méfier non; le corps enseignant est divers. Il y a des gens formidables dans le corps enseignant; j'ai déjà eu l'occasion de le dire; il y a des secteurs dans notre éducation nationale qui marchent très bien. Il y en a d'autres qui marchent moins bien. Je l'ai dit à plusieurs reprises, il faut que nous attachions à la préparation de la rentrée le plus grand soin. Il faut que tout le dispositif soit en place au moment où on va entrer; en particulier les assistants d'éducation qui ont un rôle important à jouer dans notre système secondaire. Et puis il faut discuter. Il faut discuter. Il y a une fringale de discussions sur les problèmes de l'éducation. Chaque fois qu'on organise une réunion pour parler de ça, les gens viennent, ils ont tous quelque chose à dire; parce que tout le monde a été, est ou sera parent d'élève.
Vous-même vous discutez, vous aimez ça ?
Oui j'adore discuter avec les enseignants, parce que j'ai une formation universitaire, je connais bien ce milieu; je vois bien aujourd'hui leur attente, leurs attentes, et puis leur désarroi aussi. Et donc il faut que sur le métier d'enseignant , sur un certain nombre de réformes fondamentales où un consensus peut se dégager, nous engagions le dialogue avec eux; c'est ce que nous allons faire dès le mois de Septembre. Et on le fera aussi longtemps que possible.
Un mot au président de l'UMP par rapport aux régionales, aux élections régionales qui auront lieu en Mars. Quand un ministre se présentera , puisque ça produira sans doute, à la tête d'une liste régionale; s'il est élu il devra choisir entre le Gouvernement et rester à la tête de la région. Devra-t-il le dire avant ?
Le Président de la République et le Premier ministre là-dessus ont fixé une règle très claire; on ne peut pas être à la fois ministre et chef d'un exécutif régional. Je crois qu'effectivement aujourd'hui la vie politique étant devenue ce qu'elle est , et avec la décentralisation qui va donner aux présidents, aux exécutifs des conseils régionaux de nouveaux pouvoirs c'est une bonne règle. En revanche ça n'empêche pas tel ou tel ministre élu comme conseiller régional, d'être présent dans son conseil régional, d'y peser de tout son poids, d'apporter à sa région l'influence qu'il peut avoir et donc ceci me paraît conciliable avec une candidature aux élections.
Un mot sur l'Irak. Est-ce que vous pensez qu'on est à un tournant après la mort des deux fils de Saddam Hussein ?
Dans l'actualité, on prend un tournant tous les jours. Personne ne versera de larmes sur le corps de ces deux personnages qui étaient très vraisemblablement des criminels. Je ne suis pas sûr que ça règle toutes les difficultés et que la mise en place d'un régime démocratique en Irak ait beaucoup progressé; on voit bien qu'aujourd'hui il faut un plan de paix et que seule la communauté internationale peut bâtir ce plan de paix. Quand on entend tel ou tel haut responsable américain souhaiter la présence de troupes françaises ou européennes sur le sol irakien, on se pince parfois. Alors il faut faire preuve de beaucoup de sang-froid et beaucoup de disponibilités dans ce domaine; mais à condition bien entendu que la communauté internationale, c'est à dire pour être clair, le Conseil de Sécurité des Nations Unies, puisse jouer tout son rôle.
Le magazine Stratégies, je reviens sur Bordeaux, la ville dont vous êtes le maire...
... Et où le tour de France arrive cet après-midi....
... Oui c'est une chose mais je pensais surtout que le magazine Stratégies a désigné Bordeaux comme la ville où la connexion avec la mairie au point de vue Internet, se fait le mieux, dans les meilleures conditions et le plus rapide.
Ecoutez tous les Bordelais en sont contents. Moi je voulais faire de ma ville un modèle, je ne sais pas comment il faut dire, de I Démocratie ou de démocratie électronique; nous allons ouvrir au mois de novembre un nouveau portail Internet qui va être je crois très performant. Et c'est vrai que nous avons une bonne réactivité ; quand les internautes nous interrogent nous sommes la collectivité qui répond le plus vite.
Vous communiquez par Internet avec Jacques Chirac ?
Non ça ne m'est pas encore arrivé; mais le bon vieux téléphone est aussi une méthode assez efficace, même avec la Nouvelle-Calédonie.
Merci Alain Juppé.
(Source http://www.u-m-p.org, le 24 juillet 2003)