Interview de M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie, à Radio Classique le 27 avril 2004, sur la fusion entre Sanofi et Aventis et la réforme de l'assurance maladie,

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- H. Lauret-. D'abord, un champion tricolore est né dans la pharmacie : Sanofi plus Aventis. Cela peut faire un numéro 3 mondial. La France dans ce domaine retrouve un peu de son lustre d'antan. Le secrétaire d'Etat à l'assurance-maladie considère-t-il que c'est une bonne nouvelle ? Je ne parle pas évidemment dans l'absolu mais pour ce qui concerne votre domaine.
R- "Pas seulement pour ce qui concerne le domaine de l'assurance-maladie, c'est une très bonne nouvelle. Et nous ne pouvons que nous réjouir d'avoir un champion européen, champion français, pour l'industrie pharmaceutique, parce que je pense que, sur un marché mondial comme celui-ci, il faut avoir une taille importante. C'était un vrai pari, un vrai défi qu'a lancé Sanofi-Synthelabo. Ce pari est gagné, j'en suis particulièrement heureux."
Q- Et soutenu par le Gouvernement ?
R- "Oui, tout à fait. J.-P. Raffarin avait indiqué clairement quelles étaient les intentions, une volonté. Que les choses aient pu se concrétiser, c'est vraiment une très bonne nouvelle."
Q- Vous avez été, on ne le sait peut-être pas toujours, l'un des architectes de la réforme des retraites. Vous avez beaucoup oeuvré sur le terrain. Cette fois-ci, il y a l'assurance-maladie, cela semble encore plus douloureux. Au moins, compte tenu du calendrier que vous vous êtes fixé, c'est-à-dire début mai pour une vraie discussion avec les syndicats, et ensuite début juin, au moins, ne pourra-t-on vous soupçonner de tergiverser. La situation est très sérieuse, c'est 14 à 15 milliards de déficit pour cette année ! Et combien : 32, 33 milliards d'euros d'antériorité ?
R - "Oui, merci Henri, de nous aider à faire preuve de pédagogie en la matière. Parce que, si les Français sentent bien qu'il y a la nécessité d'une réforme de l'assurance-maladie, il faut aussi bien comprendre qu'il y a urgence. On ne peut plus tergiverser. Nous sommes face à "ce trou de la Sécu", comme on l'appelle trivialement, qui est devenu un gouffre. On est devant, on ne peut pas contourner, on ne peut pas enjamber, il faut le combler. Donc, chaque minute qui passe, c'est 23 000 euros de déficit en plus. Ce n'est pas 23 000 euros de dépenses, c'est 23 000 euros de déficit en plus. Il nous faut donc aujourd'hui faire face à nos responsabilités. La seule chose, si vous me permettez - vous avez parlé de quelque chose de douloureux - il ne s'agit pas de faire une réforme comptable, financière. Il s'agit, à la fois, de savoir si l'on peut dépenser mieux pour soigner mieux. Et nous sommes intimement persuadés, avec P. Douste-Blazy, que les deux sont justement tout à fait conciliables."
Q- Mais tous les ministres qui vous ont précédés aux affaires, tous, ont eu le même discours. C'était même parfois : "Dépenser moins pour soigner mieux". J'observe que vous, vous dites : "Dépenser mieux".
R - "Dépenser mieux pourquoi ? Parce que, nous nous sommes fixés un objectif, qui est un retour vers l'équilibre en 2007. Il faut savoir que les dépenses de santé continuent à augmenter parce que nous vivons de plus en plus longtemps, ce qui est une excellente nouvelle, mais il faut aussi en tirer les conclusions. Et puis il y a aussi le progrès médical : nous aspirons, les uns et les autres, à être bien soignés, si un jour nous sommes malades. Tout ceci a des conséquences sur le coût de notre santé. La seule chose, c'est qu'il faut savoir si l'on peut maîtriser médicalement cette évolution ? C'est tout l'enjeu justement du "Dépenser mieux"."
Q- Depuis 15 à 20 ans on n'y arrive pas...
R - "Mais cela n'est pas une fatalité. Je pense que nous pouvons réussir si chacun, si l'ensemble des acteurs du système de santé, comprend bien que nous devons faire évoluer nos comportements. C'est là l'enjeu. Je ne suis pas là, avec P. Douste-Blazy, pour faire le 16 ème plan de la Sécu, depuis 1977."
Q- C'est quand même ce que vous allez faire ?
R - "Non, parce que la différence c'est que cette fois-ci, il faut parler de tout et il faut tout mettre sur la table."
Q- Y compris l'hôpital ?
R - "L'hôpital n'est pas en-dehors de la réforme, quand on sait que l'hôpital c'est la moitié des dépenses de santé."
Q- Oui, justement.
R - "Il y a eu un plan "Hôpital 2007", qui prévoit un certain nombre d'investissements et "Hôpital 2007" qui prévoit la tarification à l'activité, [choses] qui vont vraiment dans le bon sens. Mais nous savons aujourd'hui, que si on parle de coordination entre les soins, entre la médecine de ville et l'hôpital, on ne peut pas ne pas regarder au siècle hôpital comment contribuer à cette amélioration du système. On sait bien aussi, aujourd'hui, que l'organisation du système de santé, c'est vrai aussi sur le terrain. Et la différence peut-être par rapport aux autres fois, c'est que nous avons besoin de parler de tout. Dans le projet de loi qui sera voté à l'été, il y a deux domaines importants : il y a le domaine de la gouvernance - la gouvernance, c'est le pilotage du système ; l'Etat doit assumer ses responsabilités, voter, décider d'une grande ambition pour la santé dans ce pays, et doit voter également l'ONDAM, c'est-à-dire, les dépenses de santé. L'Etat ne peut pas, ne peut pas, renoncer à ses responsabilités dans un domaine aussi essentiel que la santé. Mais il faut ensuite que chacun se sente en responsabilité."
Q- Attendez, revenons un tout petit peu en arrière, si vous voulez bien. Vous dites "l'Etat..."
R - "On va essayer plutôt d'avancer dans cette réforme, on ne peut pas revenir en arrière."
Q- Volontiers. Vous dites : "L'Etat doit définir une politique de santé". Oui, bien sûr, très bien. Avec qui faut-il la définir ? J'imagine avec les assurés que nous sommes, c'est-à-dire, les justiciables de la santé, avec les professionnels, avec les financeurs de la santé, etc. Alors, mettre toutes ces populations autour de la table, sachant qu'en définitive c'est tout de même l'assuré, vous et moi, qui sommes concernés, cela n'est pas simple. Comment fait-on ? Est-ce effectivement, l'idée selon laquelle vous allez créer une Haute autorité qui sera chargée de définir ce qu'il faut faire et comment il faut le faire ? Est-ce pertinent ? Est-ce à peu près une certitude ? Allez-vous le proposer ?
R - "C'est une vraie piste et nous allons non seulement le proposer mais d'autres partenaires sociaux nous l'ont proposé, d'autres acteurs du système de santé nous l'ont proposé. Je crois même qu'ils sont aujourd'hui demandeurs. C'est ce que je vous ai indiqué à l'instant, il faut que chacun se sente en responsabilité. Vous avez les partenaires sociaux, vous avez, bien évidemment, les caisses, la MSA, la CANAM, la CNAM, vous avez les professionnels de santé, il y a aussi, avec la Mutualité, un certain nombre d'acteurs complémentaires qui sont là. Chacun a envie aujourd'hui d'être davantage en responsabilité. Il faut leur donner l'occasion de le faire. Il faut passer des intentions aux actes. Il faut passer des mots aux décisions."
Q- Chacun va défendre ses intérêts.
R - "Je n'en suis pas persuadé. Je pense que ce qui évolue, ce que nous avons vu avec P. Douste-Blazy dans toutes les rencontres que nous avons pu déjà organiser - nous avons déjà eu plus de 40 réunions avec l'ensemble des acteurs, et ça n'est pas fini, nous continuons tout à l'heure -, c'est que l'on voit des vraies convergences. Tout le monde sent bien que la pire des choses c'est de ne rien faire, et que la pire des choses c'est justement l'immobilisme. Parce que, si on tient à ce système de santé, comme nous y tenons, il faut, encore une fois, avancer. Alors, il y a le pilotage et la gouvernance. Mais..."
Q- Pas privatiser ?
R - "Ni privatiser, ni étatiser. Cela, ce sont deux écueils qu'il faut savoir éviter. Et c'est pour cela d'ailleurs que nous engageons cette grande réforme. Je voudrais juste dire que, la gouvernance, le pilotage du système c'est bien, c'est important, mais ce n'est pas suffisant. Il faut aussi, c'est ce que nous allons mettre justement devant le Parlement, mettre en place le redressement du système. On ne peut plus non plus tergiverser."
Q- Que l'on comprenne bien : "la gouvernance, le pilotage", ça, c'est cette fameuse Haute autorité, composée de tous les acteurs, de toutes les parties prenantes. Nous sommes d'accord ?
R - "Tout à fait."
Q- Bon. Que fera cette Haute autorité ? Décidera-t-elle de la politique de soins ?
R - "Elle aura à voir non seulement avec l'Etat, avec le Parlement, comment on va fixer l'ONDAM, et surtout, comment on va respecter l'évolution des dépenses de santé qui sont votées chaque année par le Parlement, l'Assemblée nationale, et par le Sénat. Et ensuite, il y aura à avoir avec cette union des caisses, encore une fois, les acteurs complémentaires, les professionnels de santé, les partenaires sociaux, comment on organise aussi les soins, comment s'organisent les rapports entre les uns et les autres. Il y a un certain nombre de conventions qui sont signées aujourd'hui. L'ensemble des partenaires doit se sentir concernés par ces conventions. Cela fait l'objet des propositions qui seront soumises à la concertation, à partir du début du mois de mai. Ce que je note, très franchement, ce sont de vraies convergences sur la question de la part des acteurs. On nous avait dit : personne ne bougerait, chacun resterait sur ses positions... Ca n'est pas vrai."
Q- Imaginons que vous puissiez organiser la gouvernance avec tout ce petit monde qui comporte en fait beaucoup d'acteurs. Mais alors, il y a la dette, mais alors, il y a tout l'acquis et tout le passif. Et cela, je ne vois pas du tout les syndicats gérer cela avec vous. Donc, les mauvaises nouvelles, les mauvaises décisions, c'est vous qui allez devoir les prendre.
R - "Prendre ses responsabilités, ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle ou une mauvaise décision. Je crois justement, le gouvernement de J.-P. Raffarin, et J.-P. Raffarin lui-même, veut mettre son courage, sa volonté dans la balance, dans cette réforme de l'assurance-maladie. Parce que les Français ne comprendraient pas que l'on tergiverse. Ce que je veux vous dire, c'est que nous allons avoir besoin de redresser le système. Il y a la question de la dette - 31 à 33 milliards d'euros ! maintenant. Car on parle pour ce qui concerne le fameux "trou de la Sécu" aujourd'hui en euros. L'euro a été le plus puissant anesthésiant possible, car pendant longtemps on a parlé de milliards de déficit, on parlait de milliards de francs. Aujourd'hui, on parle toujours de milliards, mais d'euros. Et puis il y a aussi..."
Q- 6,5 fois et demi plus.
R - "Voilà, 6,56 fois, c'est ce que je vous dis, c'est l'anesthésiant le plus puissant qui existe. Nous avons besoin, c'est vrai, de regarder la question de la dette mais aussi l'avenir. Et l'avenir doit s'envisager tant pour ce qui concerne les dépenses - peut-on justement dépenser mieux ? -, et puis, nous allons avoir besoin en la matière de faire évoluer les comportements de chacun."
Q- On vous fait crédit de vos bonnes intentions, mais alors ?
R - "Mais on ne réformera pas à crédit."
Q- Attendez. "On ne réformera pas à crédit", c'est exactement ce que je veux vous dire. A un moment, il va falloir dire aux Français : voilà, par exemple, vous allez payer un petit peu plus cher en matière de cotisations. Or, ce n'est peut-être pas la CSG parce que le président de la République n'en voulait pas, mais on parle d'une extension quasiment à vie de la CRDS. Confirmez-vous ou pas ? Va-t-on dérembourser - ce n'est pas un joli mot - de plus en plus de médicaments ? Apparemment, les socialistes n'en veulent pas, certains syndicats non plus. Comment va-t-on faire ? Parce que, au fond, il va falloir que nous payons la facture. Dites-nous comment ? Allez.
R - "De payer la facture, à mon avis, n'est pas la bonne équation. Parce que vous avez parlé de la CSG, la CRDS, cela c'est la question des recettes. La question des recettes ne peut pas être envisagée avant la question des dépenses. Je vous ai parlé tout à l'heure de la gouvernance et du pilotage. Nous avons besoin de voir l'organisation des soins sur le terrain. Une bonne coordination entre la médecine de ville et l'hôpital, c'est aussi la meilleure façon de faire évoluer les comportements pour qu'il y ait moins d'abus, moins de gaspillages et moins aussi parfois d'examens redondants, de doublons. Les doublons ne sont pas dûs parfois à une mauvaise volonté, c'est de la bonne volonté. Mais cela, c'est ça le "Dépenser mieux". Et puis ensuite, il y la façon de faire évoluer les comportements, des professionnels de santé qui ont envie aujourd'hui de s'engager dans cette réforme. Ils sont demandeurs. Ils ont envie de reconnaissance, mais ils ont envie aussi de s'engager."
Q- Dont acte. Mais qui va payer, aujourd'hui, pour... ?
R - "Plutôt que de dire "Qui va payer ?", c'est : qui est prêt à évoluer ? Tout le monde a envie d'évoluer, et c'est justement la clé de cette réforme que de faire évoluer les comportements, c'est la première des choses, c'est la chose la plus essentielle, c'est le coeur de cette réforme. Si nous ne faisons pas évoluer les comportements, nous serons justement dans ce 16 ème plan de la Sécu. Cela n'est pas à la hauteur de notre ambition, ce n'est pas à la hauteur du défi."
Q- On n'en saura pas plus ce matin.
R - "Début mai..."
Q- Début mai.
R- "...avec P. Douste-Blazy, nous soumettrons à la concertation nos propositions. Mais nous n'avons pas fini de rencontrer l'ensemble des acteurs. Nous le faisons..."
Q- Vous reviendrez ?
R- "Bien volontiers."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 avril 2004)