Déclaration de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, sur l'après Cancun, sur les accords bilatéraux, sur le rôle régulateur de l'OMC, sur le manque de communication et de consensus multilatéral, à l'Assemblée nationale le 9 octobre 2003.

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Circonstance : Débat sur la suite du Sommet de Cancun, à l'Assemblée nationale le 9 octobre 2003

Texte intégral

M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur - Ce débat a été extrêmement nourri, et s'est montré fort d'une vision française du monde que nous entendons faire partager. J'ai travaillé avec Hervé Gaymard en parfaite harmonie et je ne reviendrai donc sur aucun sujet agricole. Restent trois questions sur lesquelles je voudrais faire le point.
En premier lieu, que va-t-il se produire à court terme et qu'est-il urgent d'entreprendre ? Il faut d'abord constater que l'accord sur les médicaments est engagé. Nous ne savons pas encore s'il sera positif ni même praticable, mais il prouve que l'OMC est capable de dépasser la pure logique du marché. Elle a imposé, par une sorte de déclaration d'utilité publique internationale, une obligation morale qui contrevient aux lois de la propriété intellectuelle. C'est d'une grande importance pour les pays pauvres, mais aussi pour l'OMC elle-même.
Aucun d'entre vous n'a évoqué la clause de paix. Nous ne savons trop à quoi elle va nous mener, mais des pays vont s'engager dans des panels et il faudra en analyser les conséquences. Le Brésil l'a déjà fait, tant avec l'Europe qu'avec les Etats-Unis. Avec ces derniers, des montants importants sont en jeu, et la bataille autour de ces questions n'est pas achevée : nous connaîtrons sans doute des rebondissements et devons nous y préparer.
Toujours à court terme se pose la question des accords bilatéraux. L'Europe est la région du monde qui en a signé le plus, mais les Etats-Unis sont en train d'en conclure de nombreux. Tous ces accords vont devoir coexister, et si cela ne pose pas de problème en théorie, les conséquences pratiques en seront réelles. On connaît bien par exemple notre intérêt pour le Mercosur, et le Brésil est une destination essentielle pour nos exportations, mais les Etats-Unis vont exercer une pression importante sur les pays d'Amérique du sud. Par ailleurs, tout accord bilatéral impose le droit du pays le plus puissant de sorte que les grands pays imposent aux moins avancés leur législation, qu'il s'agisse de leurs étiquettes de bouteilles de vin ou de leurs lois sur la propriété intellectuelle... Une compétition s'instaure donc entre les pays pour les accords bilatéraux. Cette concurrence a déjà joué : le Chili demande aujourd'hui des changements à l'accord qu'il a passé avec l'Union l'année dernière car il vient d'en passer un autre avec les Etats-Unis...
Les cloisons entre accords bilatéraux sont d'autant moins étanches qu'entre aussi en compte la clause de la nation la plus favorisée. Si les Etats-Unis et l'Australie passent un accord de libre échange qui lève la quarantaine australienne, la clause de la nation la plus favorisée, principe fondamental de l'OMC, impose à l'Australie d'accorder la même autorisation aux autres pays. La plus grande prudence s'impose donc dans les négociations. Par ailleurs, il devient difficile de créer des zones de solidarité, comme nous le voudrions, car il faut alors mener des négociations tierces. C'est le cas aussi lorsqu'un pays veut entrer dans l'OMC : la Russie négocie ainsi non seulement avec l'OMC, mais avec tous les autres pays, qui lui demandent au passage beaucoup de choses... C'est la raison pour laquelle la Chine, tout juste entrée dans l'OMC et ayant accepté des engagements à long terme avec les autres pays du monde, souhaitait que Cancùn ne débouche pas sur des changements importants...
A court terme, la France aura toujours à se battre pour les valeurs humanistes qu'elle veut défendre. C'est évidemment le marché qui produit des richesses, mais nous soutenons une économie de marché tempérée. La culture doit absolument être exclue des négociations, mais il faut se battre tous les jours sur cette question ! D'autres pays remettent sans cesse cette exclusion en cause à l'OMC... Quant au principe du multilatéralisme, il a une valeur éminemment politique. Du point de vue économique, c'est lui qui protège le faible face au fort : il n'est que de voir le nombre de procès perdus par les Etats-Unis devant l'organe de règlement des différends ! Mais d'un point de vue plus général, le multilatéralisme correspond à nos valeurs et nous devons en prendre la défense dans le monde.
C'est à ce titre que nous soutenons l'Afrique, dont M. Jean-Paul Bacquet a raison de dire que nous sommes le partenaire naturel. Mais cet engagement n'a de sens que s'il est partagé par les autres pays du Nord. Si tel n'est pas le cas, ce que nous voulons donner à l'Afrique est pris par d'autres, on l'a bien vu par exemple avec la décision de Marrakech, de diminuer la production européenne de céréales : au lieu de bénéficier aux pays en développement, cette réduction a profité tonne pour tonne à l'Australie, de même que la baisse de la production de lait a profité quasiment tonne pour tonne à la Nouvelle-Zélande.
Si notre action pour l'Afrique n'est pas soutenue par un consensus multilatéral, ce sont en réalité les tiers les plus dynamiques à l'exportation qui s'engouffrent dans l'ouverture que nous lui ménageons.
Certains pays comme le Mexique - où une minorité réclame cependant que l'accent soit mis désormais sur le développement de la consommation intérieure - recherchent la croissance à travers le commerce extérieur. Mais d'autres y voient surtout un risque de renchérissement de leurs activités, tandis que la France est pour sa part consciente qu'il faut avancer sur les deux fronts, celui de la consommation intérieure comme celui du commerce extérieur - dont dépendent chez nous 5 millions d'emplois. C'est un sujet très politique en Amérique du sud et dans beaucoup de pays émergents et certains responsables préfèrent camper sur des postures purement politiques plutôt que d'entrer dans le détail de négociations commerciales précises, qui réclament des compromis. Le commercial est donc en quelque sorte dépassé par le politique et l'on doit dans ce contexte se demander comment faire pour que les négociations commerciales continuent de produire des résultats économiques immédiats, intéressants pour tous. L'OMC sera-t-elle capable de faire face à cette politisation des discussions ?
Il faut bien voir cependant que Cancùn, ce grand happening international, n'a été qu'un moment de la vie de cette organisation. L'OMC, c'est aussi un organe de règlement des différends, autrement dit un tribunal capable de sanctionner les manquements aux engagements pris. Si un pays ne respecte pas ses engagements, l'ORD peut le condamner, à la demande d'un pays lésé, et faire en sorte que le préjudice soit réparé. Or, les engagements pris jusqu'ici - sur les brevets, les services, les droits de douane... - constituent déjà une base substantielle et l'on pourrait faire à présent une pause de quelques années.
Derrière ces engagements, il y a l'idée fondamentale pour l'OMC que l'ouverture des marchés est bonne pour tous et doit donc être systématiquement recherchée.
Quant à la règle de la nation la plus favorisée, elle peut être intéressante pour nous si par exemple les Américains obtiennent quelques concessions des Australiens, mais elle peut aussi constituer un inconvénient dans la mesure où elle nous interdit, théoriquement, de former des zones de solidarité - sauf à accorder des contreparties aux pays tiers. L'élargissement de l'UE a ainsi des conséquences pour nous au niveau de l'OMC, de même que nos relations avec les pays ACP. Il faudrait donc voir comment cette clause peut être accommodée.
Quelles sont les voies de progrès ? D'abord, celle qui consiste à faire valoir l'intérêt général mondial. C'est la démarche à l'origine de la notion de " biens publics mondiaux ". Mais les tentatives en ce domaine n'ont de sens que si elles sont partagées par tous. Or, les pays en voie de développement considèrent que leur développement est prioritaire et ne veulent donc pas de débats sur l'environnement ou le social. On touche là à une limite, car l'intérêt général doit évidemment être un intérêt compris par tous.
Autre progrès possible : sanctuariser certains domaines. Mais, là encore, cette démarche n'a de sens que si les autres l'acceptent. Tel n'est pas le cas. Les Etats-Unis par exemple n'entendent pas renoncer à leurs ambitions sur le marché culturel et audiovisuel mondial. Le pouvoir de l'image est trop important pour qu'ils ne désirent pas en avoir la maîtrise. Nous tentons évidemment de résister à cette pression, mais elle est énorme.
Autre voie de progrès : mieux comprendre le monde qui nous entoure. Nous avons besoin à cet effet d'un Observatoire de la mondialisation. Autant nous sommes bombardés d'analyses franco-françaises, autant ce qui se passe ailleurs nous est en général peu expliqué, de sorte que la compréhension moyenne de ces questions est très insuffisante. Il faut que les positions françaises s'appuient sur un débat et une réflexion nourris pas une connaissance approfondie des mouvements à l'oeuvre autour de nous.
La France est l'un des rares pays à avoir une vision du monde qui dépasse celle de son seul intérêt économique. Cette vocation universelle, tirée de sa tradition, peut lui permettre de tenir une place originale dans le débat mais à condition de faire un effort de communication. C'est en étant fidèles à nos convictions et à notre vision du monde que nous avons quelques chances de les faire partager, de convaincre les autres de la nécessité de réformes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
M. le Président - Nous avons terminé le débat sur les suites de Cancùn. Il aura été de grande qualité grâce aux différents intervenants, aux deux présidents de commission et aux deux ministres. Merci.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 14/10/2003)