Tribune de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, dans "Frankfurter Allgemeine Zeitung" du 28 avril 2004, sur l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays membres, intitulée "Un message clair et fort au monde".

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Circonstance : Elargissement de l'Union européenne le 1er mai 2004 à 10 nouveaux pays membres

Média : Frankfurter Allgemeine Zeitung - Presse étrangère

Texte intégral

Premier mai 2004: dix pays d'Europe de l'Est et du Sud prennent place aux côtés des quinze membres de l'Union européenne. Bienvenue à chacun. Nous voici vingt-cinq engagés dans cette exceptionnelle construction de l'Europe. Il faudra que passe le temps pour savoir si cette journée sera qualifiée de "historique" et apprise comme telle dans les manuels d'école des générations futures. L'évident pour chacun de nous, citoyens et responsables politiques d'Europe, c'est que ce premier mai 2004 restera avec l'élargissement de l'Union européenne porteur d'un message fort et clair pour tous les peuples de la planète.
Qui sont-ils, ces dix Etats qui viennent s'asseoir autour de la table commune ? A l'exception de Chypre et de Malte, huit rescapés qui n'ont commencé à recouvrer la liberté qu'après la chute du mur de Berlin. En quinze ans, ces pays ont refondé la démocratie, reconstruit et modernisé leurs économies, relancé leurs systèmes scolaires, retrouvé et appris à aimer leur culture propre, remis l'homme, l'humain, au centre de leurs valeurs philosophiques et politiques. En quinze années à peine, ces nations se sont relevées et sont venues, à marche forcée, sans ménager leurs efforts, nous rejoindre, nous leurs frères européens dont ils avaient été abusivement séparés par le cours de l'Histoire et la folie des dictatures. Jamais, je dis bien jamais, on ne trouvera dans toute l'épopée de l'humanité une transition aussi profonde, menée si vite et si sereinement, sans drames majeurs, sans déchirements, sans guerre, sans morts.
Bien sûr, il a fallu mener des négociations techniques pour l'adhésion de ces nouveaux arrivants. Nous nous sommes parfois arrêtés à des détails qui peuvent sembler secondaires : telle production agricole, telle concurrence commerciale, telle harmonisation du Droit, etc. On peut y voir un travers de l'Union européenne qui réduirait son action à des marchandages de bouts de chandelle. En réalité, c'est le prix à payer, la condition normale, pour que l'Union se bâtisse sur des bases saines et solides.
L'Union européenne se distingue par une autre dimension historique qui elle aussi, sans cesse présente à nos esprits, doit nourrir notre manière de voir le monde. De l'Imperium de la Rome antique aux annexions de peuplades lointaines par les Tsars de Russie, de l'empire ottoman à la guerre de sécession américaine, jamais une telle union de peuples ne s'était bâtie dans la paix et l'harmonie. Partout il y avait eu des guerres, des massacres, la volonté du plus fort imposée au perdant du conflit. Pour avoir, dans les siècles passés, connu l'horreur au plus profond d'elle-même et pour savoir à quel point la violence est vaine dans les relations internationales, l'Europe est une construction unique, fondée sur le dialogue et le respect de l'autre.
Le Traité de Rome, signé ce 25 mars 1957, aurait pu n'être qu'un Traité de plus dans l'histoire d'un continent qui en comptait déjà tant, l'un de ces accords que l'on s'empresse de déchirer quand le nationalisme et les intérêts particuliers dictent aux peuples leurs pulsions belliqueuses. Ce jour-là, les 6 précurseurs des 25 de maintenant bannissaient la guerre de leurs relations de voisinage.
Aujourd'hui, l'Europe est en paix avec elle même. L'Europe n'est en guerre contre personne. L'Europe n'a aucune convoitise à l'égard de telle ou telle région du monde. Aussi longtemps que la paix et la dignité de l'homme sont préservées, l'Europe n'entend pas faire prévaloir sa vision ou ses croyances aux autres peuples de la Terre : c'est de la confrontation sereine des idées, et non de la violence, que naît le progrès.
Ce message européen de paix est d'autant plus crédible que les 25 membres de l'Union ont entrepris de structurer et de rendre plus efficace leur outil commun de défense, montrant ainsi qu'ils restent conscients des risques du monde contemporain. Aux menaces du terrorisme et du fanatisme, l'Europe apporte aujourd'hui une réponse ferme et claire, soutenue par chacun des 25. Aux crises locales et régionales qui secouent certains pays en développement, l'Europe fournit, et fournira de plus en plus, les forces d'interposition et de stabilisation qui seules peuvent ramener la paix et le dialogue. Aux conflits plus profonds, dont l'issue tarde à apparaître tant elle semble impossible, l'Europe, dans le concert des nations et sous l'égide de l'ONU, ne manquera pas d'assumer ses responsabilités.
Nous devons nous mettre en mesure de défendre nos ressortissants, nos intérêts et nos valeurs à l'extérieur, le cas échéant par des moyens militaires. C'est l'ambition de l'Europe de la Défense.
L'Europe des 25 doit être heureuse et fière de constater que son premier "produit d'exportation" n'est autre qu'un message universel de paix et de fraternité.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 30 avril 2004)