Texte intégral
Rzeczpospolita :
Lundi prochain - le jour de la fête nationale polonaise - vous allez à Cracovie puis à Varsovie. En tant que premier représentant d'un gouvernement occidental vous vous rendez officiellement en Pologne tout juste après son entrée à l'Union Européenne. La date historique du 1er mai ouvre-t-elle aussi un nouveau chapitre dans les relations franco-polonaises dans le domaine de la coopération militaire ?
Michèle Alliot-Marie :
Effectivement, il est très important pour l'Europe - et pour la France - que la Pologne ait adhéré à l'Union Européenne; ceci concerne notamment la Défense. La Pologne, le plus grand des pays entrants, a une longue tradition militaire et une armée d'un potentiel considérable. Par conséquent, elle est appelée à jouer un rôle majeur dans la construction de la défense européenne. Je crois qu'elle va contribuer à côté de la France à l'action que nous menons déjà depuis deux ans pour faire en sorte que l'Europe - puissance économique - soit également une puissance politique et militaire, capable de défendre ses citoyens, ses intérêts et ses valeurs aussi bien sur son territoire que hors de ses frontières.
Le fait que la Pologne soit considérée comme un allié sûr et fidèle des Etats Unis ne complique-t-il pas les relations franco-polonaises dans ce domaine ?
Je ne le crois pas du tout. L'Europe de la Défense ne se construit ni contre les Etats-Unis ni contre l'OTAN mais pour pouvoir participer à la stabilité du monde. L'Europe de la Défense, c'est d'abord une façon de renforcer les moyens d'action de l'OTAN. N'oublions pas que depuis des années, les Etats-Unis demandent aux pays-membres européens de l'OTAN qu'ils soient capables de se défendre par eux-mêmes. Au départ, la Pologne, que j'ai visitée déjà dans les années 90., faisait confiance uniquement à l'OTAN pour assurer sa sécurité. Le choix était logique : l'Europe de la Défense n'existait pas. Mais, au fur et à mesure que l'Europe se donne des moyens de réagir. Elle intervient d'une manière déterminée et efficace en Macédoine ou en République Démocratique de Congo. Il faudrait que la Pologne devienne partie prenante de telles initiatives qu'elle participe aussi à l'effort de la défense européenne.
Bien évidemment, je connais cette expression selon laquelle la Pologne serait "un cheval de Troie" des Américains au sein de l'UE. Je la trouve fausse.
Pour deux raisons. Premièrement: il n'y a pas de rivalités entre les Etast-Unis et l'Europe. Deuxièmement : la Pologne fait partie de la défense européenne, et je ne vois pas les raisons pour lesquelles elle irait s'affaiblir elle-même. Il y avait certes l'histoire de l'achat des avions de combat. Elle n'est pas complètement oubliée en France, c'est vrai. Il est dommage que les autorités polonaises, quelques jours après avoir obtenu la confirmation de l'adhésion à l'UE, aient annoncé le choix des F-16 américains. C'est du passé. Ce qui compte aujourd'hui, c'est la collaboration entre nos industries d'armements respectives visant à concurrencer les puissantes sociétés de l'Asie du Sud-Est. N'entrons pas en concurrence contre nous-mêmes ! C'est dans cette perspective de coopération que j'ai ordonné le changement d'orientation à nos deux grandes entreprises d'armements: DCN, qui s'occupe de nos forces maritimes, et le GIAT qui fournit l'équipement à nos forces terrestres.
Question inévitable. Envisagez-vous d'envoyer les soldats français en Irak?
La France est prête à participer à la reconstruction de l'Irak à certaines conditions claires : si cette opération se déroule sous la houlette des Nations Unies, s'il y a un gouvernement légitime en place, et si cette autorité nous adressait une demande en ce sens. Pour l'instant, ces conditions ne sont pas remplies. Mais rien n'est exclu pour l'avenir. Nous travaillons sur la possibilité de former les cadres de l'armée et de la police irakienne avec nos amis allemands et japonais. Pas forcément en Irak.
A quelques semaines du sommet de l'OTAN en Turquie - quelles sont les priorités de la France ? Les tentions entre Paris et Washington appartiennent-elles au passé ?
Je pense que oui. Mon voyage officiel à Washington effectué au mois de janvier corrobore mes convictions. J'ai eu des discussions très franches, mais en même temps très cordiales avec mon homologue américain, Donald Rumsfeld. Quelques craintes - et il avait pu en avoir quelques unes concernant le comportement de l'UE dans la situation actuelle - se sont dissipées. Les déclarations du président Bush étaient aussi rassurantes. Il a affirmé deux choses : il faut que l'on tourne la page des malentendus entre les Etats-Unis et la France ; dans la reconstruction de l'Irak, il y a de la place pour tout le monde. Ainsi pour le sommet de l'OTAN à Istanbul pas mal de choses se sont clarifiées entre Washington et les membres européens de l'OTAN. En ce qui concerne le prochain sommet, je pense qu'il doit confirmer la complémentarité de l'OTAN et de l'UE dans le domaine militaire. Et la capacité de l'UE d'agir seule, lorsque l'OTAN ne veut ou ne peut pas intervenir. N'oublions pas que l'OTAN a été créée pour faire front à la menace soviétique en Europe, et uniquement en Europe. Puisque cette menace n'existe plus, il a fallu redéfinir les tâches de cette organisation. Elle est présente par exemple hors d'Europe en Afghanistan. Mais il n'est pas question qu'elle intervienne automatiquement dans tous les conflits. Tant que les Irakiens ne recouvreront pas leur souveraineté, je vois assez mal la possibilité de faire intervenir les soldats de l'OTAN.
Propos recueillis par G.Dobiecki
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 mai 2004)
Lundi prochain - le jour de la fête nationale polonaise - vous allez à Cracovie puis à Varsovie. En tant que premier représentant d'un gouvernement occidental vous vous rendez officiellement en Pologne tout juste après son entrée à l'Union Européenne. La date historique du 1er mai ouvre-t-elle aussi un nouveau chapitre dans les relations franco-polonaises dans le domaine de la coopération militaire ?
Michèle Alliot-Marie :
Effectivement, il est très important pour l'Europe - et pour la France - que la Pologne ait adhéré à l'Union Européenne; ceci concerne notamment la Défense. La Pologne, le plus grand des pays entrants, a une longue tradition militaire et une armée d'un potentiel considérable. Par conséquent, elle est appelée à jouer un rôle majeur dans la construction de la défense européenne. Je crois qu'elle va contribuer à côté de la France à l'action que nous menons déjà depuis deux ans pour faire en sorte que l'Europe - puissance économique - soit également une puissance politique et militaire, capable de défendre ses citoyens, ses intérêts et ses valeurs aussi bien sur son territoire que hors de ses frontières.
Le fait que la Pologne soit considérée comme un allié sûr et fidèle des Etats Unis ne complique-t-il pas les relations franco-polonaises dans ce domaine ?
Je ne le crois pas du tout. L'Europe de la Défense ne se construit ni contre les Etats-Unis ni contre l'OTAN mais pour pouvoir participer à la stabilité du monde. L'Europe de la Défense, c'est d'abord une façon de renforcer les moyens d'action de l'OTAN. N'oublions pas que depuis des années, les Etats-Unis demandent aux pays-membres européens de l'OTAN qu'ils soient capables de se défendre par eux-mêmes. Au départ, la Pologne, que j'ai visitée déjà dans les années 90., faisait confiance uniquement à l'OTAN pour assurer sa sécurité. Le choix était logique : l'Europe de la Défense n'existait pas. Mais, au fur et à mesure que l'Europe se donne des moyens de réagir. Elle intervient d'une manière déterminée et efficace en Macédoine ou en République Démocratique de Congo. Il faudrait que la Pologne devienne partie prenante de telles initiatives qu'elle participe aussi à l'effort de la défense européenne.
Bien évidemment, je connais cette expression selon laquelle la Pologne serait "un cheval de Troie" des Américains au sein de l'UE. Je la trouve fausse.
Pour deux raisons. Premièrement: il n'y a pas de rivalités entre les Etast-Unis et l'Europe. Deuxièmement : la Pologne fait partie de la défense européenne, et je ne vois pas les raisons pour lesquelles elle irait s'affaiblir elle-même. Il y avait certes l'histoire de l'achat des avions de combat. Elle n'est pas complètement oubliée en France, c'est vrai. Il est dommage que les autorités polonaises, quelques jours après avoir obtenu la confirmation de l'adhésion à l'UE, aient annoncé le choix des F-16 américains. C'est du passé. Ce qui compte aujourd'hui, c'est la collaboration entre nos industries d'armements respectives visant à concurrencer les puissantes sociétés de l'Asie du Sud-Est. N'entrons pas en concurrence contre nous-mêmes ! C'est dans cette perspective de coopération que j'ai ordonné le changement d'orientation à nos deux grandes entreprises d'armements: DCN, qui s'occupe de nos forces maritimes, et le GIAT qui fournit l'équipement à nos forces terrestres.
Question inévitable. Envisagez-vous d'envoyer les soldats français en Irak?
La France est prête à participer à la reconstruction de l'Irak à certaines conditions claires : si cette opération se déroule sous la houlette des Nations Unies, s'il y a un gouvernement légitime en place, et si cette autorité nous adressait une demande en ce sens. Pour l'instant, ces conditions ne sont pas remplies. Mais rien n'est exclu pour l'avenir. Nous travaillons sur la possibilité de former les cadres de l'armée et de la police irakienne avec nos amis allemands et japonais. Pas forcément en Irak.
A quelques semaines du sommet de l'OTAN en Turquie - quelles sont les priorités de la France ? Les tentions entre Paris et Washington appartiennent-elles au passé ?
Je pense que oui. Mon voyage officiel à Washington effectué au mois de janvier corrobore mes convictions. J'ai eu des discussions très franches, mais en même temps très cordiales avec mon homologue américain, Donald Rumsfeld. Quelques craintes - et il avait pu en avoir quelques unes concernant le comportement de l'UE dans la situation actuelle - se sont dissipées. Les déclarations du président Bush étaient aussi rassurantes. Il a affirmé deux choses : il faut que l'on tourne la page des malentendus entre les Etats-Unis et la France ; dans la reconstruction de l'Irak, il y a de la place pour tout le monde. Ainsi pour le sommet de l'OTAN à Istanbul pas mal de choses se sont clarifiées entre Washington et les membres européens de l'OTAN. En ce qui concerne le prochain sommet, je pense qu'il doit confirmer la complémentarité de l'OTAN et de l'UE dans le domaine militaire. Et la capacité de l'UE d'agir seule, lorsque l'OTAN ne veut ou ne peut pas intervenir. N'oublions pas que l'OTAN a été créée pour faire front à la menace soviétique en Europe, et uniquement en Europe. Puisque cette menace n'existe plus, il a fallu redéfinir les tâches de cette organisation. Elle est présente par exemple hors d'Europe en Afghanistan. Mais il n'est pas question qu'elle intervienne automatiquement dans tous les conflits. Tant que les Irakiens ne recouvreront pas leur souveraineté, je vois assez mal la possibilité de faire intervenir les soldats de l'OTAN.
Propos recueillis par G.Dobiecki
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 mai 2004)