Texte intégral
Bulletins d'entreprises (06/10/2003)
UN PATÉ DE CHEVAL ET D'ALOUETTE SANS ALOUETTE !
Il ne se passe décidément pas de semaine sans que le gouvernement Chirac-Raffarin n'envisage une nouvelle mesure contre les travailleurs. Depuis quelques jours c'est la loi sur les 35 heures qui est dans la ligne de tir de nos gouvernants.
Première étape : Alain Lambert, ministre du budget, affirme que les 35 heures sont responsables du déficit du budget, parce qu'elles coûteraient 15 milliards à l'Etat.
Premier mensonge : ce ne sont pas les 35 heures qui coûtent de l'argent à l'Etat, mais les diminutions de charges sociales prévues par la loi Aubry et que les patrons ont empochées sans se préoccuper de leurs conséquences budgétaires.
Deuxième mensonge : il s'agirait de "réhabiliter le travail", comme dit Raffarin, car pour ces gens-là, revaloriser le travail, ce n'est pas améliorer les salaires et les conditions de vie des travailleurs, mais les contraindre à travailler encore davantage.
Deuxième étape : François Fillon, ministre des "Affaires sociales", affirme qu'il "n'y aura pas de grand soir des 35 heures", en clair qu'il n'a pas l'intention de demander l'annulation pure et simple de la loi Aubry. Le contraire aurait été étonnant, et les propos de Fillon n'ont, en fait, rien de rassurant pour les travailleurs, car dans la loi Aubry, il y avait beaucoup plus à gagner pour le patronat que pour les travailleurs. Pour nombre d'entre eux, elle s'est traduite par une "flexibilité" accrue du travail, comme disent les patrons, c'est-à-dire par des horaires encore plus déments, la perte d'une bonne partie de leurs samedis, des heures supplémentaires non payées, toutes choses sur lesquelles ni le MEDEF, ni le gouvernement, n'ont envie de revenir. Les seuls éléments de la loi Aubry que le patronat rêve de supprimer, ce sont la "RTT" (souvent très relative d'ailleurs pour beaucoup de travailleurs, car calculée en n'incluant pas dans le temps de travail les temps des pauses précédemment allouées), et les limitations contenues dans la loi quant au nombre d'heures supplémentaires autorisées.
Autrement dit, la loi Aubry, présentée comme une conquête sociale, c'était le célèbre pâté d'alouette et de cheval (un cheval pour une alouette). Et le patronat comme le gouvernement voudrait bien aujourd'hui en retirer l'alouette !
Vouloir augmenter la durée du travail pour ceux qui ont un emploi, dans un pays où les plans de licenciements succèdent aux plans de suppressions d'emplois, et où le nombre de chômeurs ne cesse d'augmenter au fil des mois, constituerait en outre une aberration si le véritable but du gouvernement était de lutter contre le chômage. Seulement, l'augmentation du chômage n'est pas faite pour déplaire aux industriels et aux banquiers, car elle pèse sur toute la classe ouvrière, en permettant aux patrons de dire en substance aux travailleurs qui revendiquent que s'ils ne sont pas contents, il y en a des milliers dehors qui pourraient prendre leur place. Et pour les hommes qui défendent au gouvernement les intérêts des classes possédantes, le chômage n'est rien d'autre qu'un prétexte pour multiplier les aides de toutes sortes aux entreprises, c'est-à-dire aux gros actionnaires. C'est bien pourquoi Raffarin et Fillon n'envisagent absolument pas de supprimer les diminutions de charges sociales instaurées par la loi Aubry.
Après que le gouvernement ait ouvert le feu contre les 35 heures, François Fillon s'est finalement déclaré opposé à légiférer actuellement sur le sujet et s'est déclaré partisan de laisser les "partenaires sociaux", c'est-à-dire le MEDEF et les confédérations syndicales, trouver un accord. Ce qui n'a rien de rassurant, car c'est après une telle "concertation" que le gouvernement a entériné des accords prévoyant une augmentation du nombre de trimestres travaillés pour pouvoir obtenir une retraite à taux plein.
Mais dans cette valse hésitation de Raffarin sur la manière de s'attaquer au peu qui pouvait être favorable aux travailleurs dans la loi Aubry, il y a aussi la crainte des réactions du monde du travail. Et celui-ci pourrait bien finir par mordre la main qui s'efforce de lui faire avaler ces pilules amères.
Arlette Laguiller
LE 13 OCTOBRE 2003
SE DÉFENDRE, MAIS AUSSI CHANGER LA SOCIÉTÉ
Raffarin et ses ministres brodent depuis quelques jours sur le "climat de récession" en train de s'installer. C'est, en clair, le constat que l'économie va mal. C'est aussi une façon de justifier les mesures d'austérité qu'ils préparent contre le monde du travail et les services publics. Le gouvernement ne manquera pas de tenter de justifier ses pires mesures contre les classes populaires par une prétendue "nécessité économique" ou encore par les "exigences de Bruxelles".
Qu'est-ce que cela signifie que l'économie va mal ? Pour les salariés, c'est une évidence avec les licenciements, le chômage, la baisse du niveau de vie pour tous et la pauvreté pour beaucoup. Mais, en même temps, nombre de patrons publient, à l'intention de leurs actionnaires, des communiqués de victoire se réjouissant du maintien, voire de l'accroissement de leurs profits.
Mais les entreprises qui affichent des profits retentissants n'investissent pas dans la production et surtout n'embauchent pas. Les patrons ne se laissent pas guider par les discours de Chirac qui croit voir des "signes de reprise" à brève échéance. Ils savent que les dirigeants politiques, quand ils ne mentent pas, disent n'importe quoi. Eux, ils ne croient qu'au profit. S'ils n'ont pas l'espoir de réaliser plus de profit rapidement en produisant et en vendant plus, ils n'investissent pas aujourd'hui. Ils tenteront de faire autant et plus de profit en réduisant la masse salariale, en diminuant les effectifs, en freinant les salaires, en élargissant la précarité et l'instabilité pour les salariés.
Oui, avec des hauts et des bas, leur économie va mal depuis, au bas mot, trente ans. Mais, même dans les périodes de rémission où on nous disait que l'économie allait bien, les grandes entreprises continuaient à annoncer des plans de licenciements. Qui peut oublier que les gouvernements qui se sont succédé se sont acharnés à faire des économies sur les hôpitaux, sur l'Education nationale, sur les services publics indispensables pour pouvoir consacrer de plus en plus d'argent au grand patronat ? Pour les gouvernements, aider l'économie a toujours été aider le patronat à faire plus de profit, avec des cadeaux fiscaux ou des diminutions de charges sociales. Et tous comblaient les trous que cela creusait dans le budget de l'Etat ou de la Sécurité sociale en raclant le fond des poches des salariés et des plus pauvres.
Ce n'est pas aux travailleurs de payer pour les fluctuations de la vie économique. C'est la sécurité de l'emploi et des salaires que le budget de l'Etat devrait garantir, pas la sécurité des profits.
Il n'y a évidemment pas à attendre de ce gouvernement, si fier d'être le bras armé du grand patronat, qu'il mène de plein gré une autre politique que celle que lui demandent les possédants, même si cette politique mène à la catastrophe. Pas plus qu'on ne pouvait l'attendre de Jospin.
Pourtant, la catastrophe sociale est déjà là. Le patronat et le gouvernement sont en train de ramener la société à des décennies en arrière, au chômage généralisé, à l'insécurité permanente de l'emploi, aux quartiers populaires lépreux, aux retraités mourant de faim dans des taudis, à la réapparition de maladies liées à la misère. C'est grave pour le monde du travail. C'est grave aussi pour toute la société.
Récession ou pas, la seule voie qui reste ouverte devant les travailleurs, la seule efficace est de changer par la force le rapport des forces avec le grand patronat et le gouvernement.
Mais, au-delà d'une réaction défensive du monde du travail, se pose un problème plus général. L'économie capitaliste, l'économie de marché, est une économie folle, imprévisible et inhumaine. Sa prolongation ne réserve à l'immense majorité de la population que des crises, la régression et l'appauvrissement.
Changer l'organisation sociale capitaliste, mettre fin à l'économie basée sur l'exploitation pour la majorité et le profit pour quelques-uns, devient une question de vie ou de mort, à peut-être brève échéance.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 15 octobre 2003)
LE 20OCTOBRE 2003
GOUVERNER, C'EST PRÉVOIR... DISENT-ILS
Les buralistes sont partis en guerre contre la politique du gouvernement qui multiplie les hausses successives du prix des cigarettes. Celles-ci touchent en particulier les bureaux de tabac des régions frontalières, dont la clientèle a la possibilité de s'approvisionner à meilleur coût de l'autre côté de la frontière. Et bien que le tabagisme constitue un réel problème de santé, et cause chaque année des dizaines de milliers de morts, on peut comprendre leurs réactions face à des décisions qui ont manifestement été prises sans se soucier, avant qu'ils ne protestent, des conséquences que cela pourrait entraîner sur leur niveau de vie, ni d'une possible reconversion.
Mais il n'y a pas que les buralistes qui sont victimes de décisions prises sans se soucier de leurs conséquences humaines. Depuis des années, les plans de suppressions d'emplois succèdent aux plans dits "sociaux", des centaines de milliers de travailleurs ont été réduits au chômage, voire à la misère, sans même que les responsables puissent invoquer l'excuse d'agir dans l'intérêt de la santé publique. Ils ont pris ces décisions pour des raisons ouvertement égoïstes, pour que les entreprises dont ils sont les dirigeants ou les gros actionnaires puissent faire encore plus de profits. Et ils l'ont fait avec la bénédiction des gouvernants du moment, de gauche comme de droite.
Parmi les buralistes en colère, ou les commentateurs qui s'apitoient aujourd'hui sur leur sort, combien, d'ailleurs, se sont sentis solidaires de ces travailleurs ?
C'est vrai que manifestement personne, dans les sphères gouvernementales, ne s'est soucié à l'avance des conséquences qu'auraient pour les buralistes, ou les producteurs de tabac, les mesures visant à réduire la consommation de celui-ci. C'est d'autant plus cynique que l'Etat a été pendant des décennies, à travers la distribution de cigarettes à bon marché aux jeunes qui faisaient leur service militaire un des plus efficace propagateur du tabagisme, dont il tirait ensuite, sous forme de taxes, des profits non négligeables. Mais c'est le contraire qui aurait été étonnant. Car si nous vivons dans un système économique, le système capitaliste, dont les patrons, les hommes politiques à leur service, les journalistes appointés pour en chanter les louanges, proclament qu'il est le meilleur possible, c'est aussi un système incapable d'anticiper les problèmes humains à venir, parce que sa seule préoccupation est la course au profit.
Il y a des reconversions industrielles rendues nécessaires par l'évolution des techniques. Les gros actionnaires y trouvent toujours leur compte, avec l'aide de l'Etat au besoin, qui n'hésite jamais à mettre la main à la poche pour sauver leur capital. Mais les travailleurs, eux, en font toujours les frais.
Il y a aussi ces suppressions d'emplois, ces fermetures d'entreprises, résultant de la volonté des patrons de faire produire autant, voire plus, par moins de salariés, pour augmenter encore leurs profits, sans se soucier du sort des travailleurs qu'on jette comme des kleenex usagés. Et face à cela, des gouvernants qui disent qu'ils n'y peuvent rien, ce qui est finalement une manière de reconnaître que dans cette société les vrais décideurs, ceux qui dictent leur loi, sont les détenteurs de capitaux, bien plus que les ministres.
La science et la technique moderne pourraient permettre depuis longtemps à chacun de profiter des fruits du progrès. Mais cela ne pourra se faire que dans une économie qui se donnera pour but la satisfaction des besoins de tous, et non pas l'enrichissement d'une petite minorité. C'est ce qu'avait compris le mouvement ouvrier à ses débuts, quand il avait inscrit dans son programme la socialisation de tous les grands moyens de production. C'est ce qu'ont oublié depuis longtemps le Parti Socialiste et le Parti Communiste, dont la seule ambition est aujourd'hui de participer au gouvernement à la gestion des affaires des possédants. Mais c'est pourtant un programme qui reste d'actualité, parce que le capitalisme est toujours aussi incapable qu'au XIXème siècle d'assurer la participation de tous aux fruits du progrès.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 22/10/2003)
le 27 octobre 2003
L'ARMEE AMERICAINE EN IRAK : UN ENLISEMENT PREVISIBLE
Un hélicoptère américain abattu vendredi près de Tikrit, une bordée de roquettes tirée dimanche, à Bagdad, contre l'hôtel où était logé le numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz, l'armée des USA n'en a décidément pas fini avec une guerre dont Bush avait déclaré il y a six mois qu'elle était pratiquement terminée.
Les choses ne vont pas mieux quant au moral des troupes américaines. D'après la presse, 478 soldats auraient été rapatriés d'Irak pour des problèmes de "santé mentale". Au moins treize se seraient suicidés. Vingt-huit permissionnaires auraient refusé de repartir en Irak. C'est que les GI découvrent la réalité de la guerre dans laquelle leur gouvernement les a engagés. On leur avait dit qu'ils partaient délivrer le peuple irakien d'une horrible dictature, et qu'ils seraient donc accueillis en libérateurs par la grande majorité de la population. Et au fil des jours ils ont découvert que la grande majorité de la population irakienne, et pas seulement les partisans de Saddam Hussein, ne souhaitait qu'une chose, qu'ils repartent le plus vite possible. D'autant qu'après les destructions dues à la guerre et aux bombardements américains, le peuple irakien se retrouve dans une situation bien pire, dans sa vie de tous les jours, que celle qu'il connaissait sous Saddam Hussein, et qu'en fait de "reconstruction" du pays, dont parle tant les dirigeants américains, rien ne se fait pour remettre en route l'économie.
C'est un scénario classique. Quand les classes dominantes ont besoin d'envoyer de jeunes hommes à la guerre, de leur faire massacrer des innocents en risquant de se faire tuer eux-mêmes, elles ne leur disent jamais qu'on les envoie défendre les intérêts économiques des classes possédantes. On leur parle de la défense du "droit", de la "démocratie", de la "civilisation". "On croit mourir pour la patrie - écrivait déjà Anatole France il y a quatre-vingt ans - et on meurt pour les industriels et les banquiers". La guerre menée par Bush et Blair pour le pétrole irakien n'a pas échappé à la règle.
Wolfowitz pouvait bien déclarer, après l'attentat dont il avait failli être victime, qu'il s'agissait "des actes désespérés d'un régime moribond", il est de plus en plus évident que l'armée américaine s'enlise dans un conflit dont on ne voit pas la fin. Et le fait que les opérations militaires américaines soient présentées comme de simples opérations de "maintien de l'ordre", ne change rien à la chose.
L'armée française a connu cela en Algérie, de 1954 à 1962, où de "dernier quart d'heure" en "dernier quart d'heure", comme disaient les "va-t-en guerre" de l'époque, elle a mené durant huit ans une répression atroce, avant que les gouvernants français finissent par se rendre à l'évidence, et à reconnaître le droit du peuple algérien à l'indépendance.
L'armée américaine a elle aussi déjà fait cette expérience, au Vietnam, il y a une trentaine d'années, où d'envois de conseillers militaires en envois d'autres conseillers, elle a fini par engager des centaines de milliers d'hommes... qui se sont révélés impuissants à imposer à un peuple un régime politique dont il ne voulait pas.
Nul ne peut prédire comment évoluera la situation en Irak. Et l'une des pires conséquences de l'intervention américaine, c'est qu'elle a fait des islamistes irakiens des acteurs clefs de la situation, eux qui rêvent d'imposer dans leur pays un régime qui pourrait se révéler bien pire, pour les travailleurs irakiens et pour les femmes, que celui de Saddam Hussein.
Mais les difficultés rencontrées par l'armée américaine prouvent aussi qu'en dépit de sa suprématie économique et technologique, de sa puissance militaire, l'impérialisme américain est bien incapable d'imposer sa loi comme il le voudrait. Et les problèmes qu'il rencontre aujourd'hui avec ses propres troupes prouvent que la vraie ligne de démarcation qui sépare deux mondes hostiles n'est pas entre le camp du "bien" et les pays de "l'axe du mal", comme le prétend Bush, ni entre les habitants des pays riches et ceux des pays pauvres. Mais entre les exploiteurs d'un côté, et ceux qu'ils trompent et qu'ils oppriment, quelle que soit leur nationalité.
Arlette Laguiller.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 28 octobre 2003)
UN PATÉ DE CHEVAL ET D'ALOUETTE SANS ALOUETTE !
Il ne se passe décidément pas de semaine sans que le gouvernement Chirac-Raffarin n'envisage une nouvelle mesure contre les travailleurs. Depuis quelques jours c'est la loi sur les 35 heures qui est dans la ligne de tir de nos gouvernants.
Première étape : Alain Lambert, ministre du budget, affirme que les 35 heures sont responsables du déficit du budget, parce qu'elles coûteraient 15 milliards à l'Etat.
Premier mensonge : ce ne sont pas les 35 heures qui coûtent de l'argent à l'Etat, mais les diminutions de charges sociales prévues par la loi Aubry et que les patrons ont empochées sans se préoccuper de leurs conséquences budgétaires.
Deuxième mensonge : il s'agirait de "réhabiliter le travail", comme dit Raffarin, car pour ces gens-là, revaloriser le travail, ce n'est pas améliorer les salaires et les conditions de vie des travailleurs, mais les contraindre à travailler encore davantage.
Deuxième étape : François Fillon, ministre des "Affaires sociales", affirme qu'il "n'y aura pas de grand soir des 35 heures", en clair qu'il n'a pas l'intention de demander l'annulation pure et simple de la loi Aubry. Le contraire aurait été étonnant, et les propos de Fillon n'ont, en fait, rien de rassurant pour les travailleurs, car dans la loi Aubry, il y avait beaucoup plus à gagner pour le patronat que pour les travailleurs. Pour nombre d'entre eux, elle s'est traduite par une "flexibilité" accrue du travail, comme disent les patrons, c'est-à-dire par des horaires encore plus déments, la perte d'une bonne partie de leurs samedis, des heures supplémentaires non payées, toutes choses sur lesquelles ni le MEDEF, ni le gouvernement, n'ont envie de revenir. Les seuls éléments de la loi Aubry que le patronat rêve de supprimer, ce sont la "RTT" (souvent très relative d'ailleurs pour beaucoup de travailleurs, car calculée en n'incluant pas dans le temps de travail les temps des pauses précédemment allouées), et les limitations contenues dans la loi quant au nombre d'heures supplémentaires autorisées.
Autrement dit, la loi Aubry, présentée comme une conquête sociale, c'était le célèbre pâté d'alouette et de cheval (un cheval pour une alouette). Et le patronat comme le gouvernement voudrait bien aujourd'hui en retirer l'alouette !
Vouloir augmenter la durée du travail pour ceux qui ont un emploi, dans un pays où les plans de licenciements succèdent aux plans de suppressions d'emplois, et où le nombre de chômeurs ne cesse d'augmenter au fil des mois, constituerait en outre une aberration si le véritable but du gouvernement était de lutter contre le chômage. Seulement, l'augmentation du chômage n'est pas faite pour déplaire aux industriels et aux banquiers, car elle pèse sur toute la classe ouvrière, en permettant aux patrons de dire en substance aux travailleurs qui revendiquent que s'ils ne sont pas contents, il y en a des milliers dehors qui pourraient prendre leur place. Et pour les hommes qui défendent au gouvernement les intérêts des classes possédantes, le chômage n'est rien d'autre qu'un prétexte pour multiplier les aides de toutes sortes aux entreprises, c'est-à-dire aux gros actionnaires. C'est bien pourquoi Raffarin et Fillon n'envisagent absolument pas de supprimer les diminutions de charges sociales instaurées par la loi Aubry.
Après que le gouvernement ait ouvert le feu contre les 35 heures, François Fillon s'est finalement déclaré opposé à légiférer actuellement sur le sujet et s'est déclaré partisan de laisser les "partenaires sociaux", c'est-à-dire le MEDEF et les confédérations syndicales, trouver un accord. Ce qui n'a rien de rassurant, car c'est après une telle "concertation" que le gouvernement a entériné des accords prévoyant une augmentation du nombre de trimestres travaillés pour pouvoir obtenir une retraite à taux plein.
Mais dans cette valse hésitation de Raffarin sur la manière de s'attaquer au peu qui pouvait être favorable aux travailleurs dans la loi Aubry, il y a aussi la crainte des réactions du monde du travail. Et celui-ci pourrait bien finir par mordre la main qui s'efforce de lui faire avaler ces pilules amères.
Arlette Laguiller
LE 13 OCTOBRE 2003
SE DÉFENDRE, MAIS AUSSI CHANGER LA SOCIÉTÉ
Raffarin et ses ministres brodent depuis quelques jours sur le "climat de récession" en train de s'installer. C'est, en clair, le constat que l'économie va mal. C'est aussi une façon de justifier les mesures d'austérité qu'ils préparent contre le monde du travail et les services publics. Le gouvernement ne manquera pas de tenter de justifier ses pires mesures contre les classes populaires par une prétendue "nécessité économique" ou encore par les "exigences de Bruxelles".
Qu'est-ce que cela signifie que l'économie va mal ? Pour les salariés, c'est une évidence avec les licenciements, le chômage, la baisse du niveau de vie pour tous et la pauvreté pour beaucoup. Mais, en même temps, nombre de patrons publient, à l'intention de leurs actionnaires, des communiqués de victoire se réjouissant du maintien, voire de l'accroissement de leurs profits.
Mais les entreprises qui affichent des profits retentissants n'investissent pas dans la production et surtout n'embauchent pas. Les patrons ne se laissent pas guider par les discours de Chirac qui croit voir des "signes de reprise" à brève échéance. Ils savent que les dirigeants politiques, quand ils ne mentent pas, disent n'importe quoi. Eux, ils ne croient qu'au profit. S'ils n'ont pas l'espoir de réaliser plus de profit rapidement en produisant et en vendant plus, ils n'investissent pas aujourd'hui. Ils tenteront de faire autant et plus de profit en réduisant la masse salariale, en diminuant les effectifs, en freinant les salaires, en élargissant la précarité et l'instabilité pour les salariés.
Oui, avec des hauts et des bas, leur économie va mal depuis, au bas mot, trente ans. Mais, même dans les périodes de rémission où on nous disait que l'économie allait bien, les grandes entreprises continuaient à annoncer des plans de licenciements. Qui peut oublier que les gouvernements qui se sont succédé se sont acharnés à faire des économies sur les hôpitaux, sur l'Education nationale, sur les services publics indispensables pour pouvoir consacrer de plus en plus d'argent au grand patronat ? Pour les gouvernements, aider l'économie a toujours été aider le patronat à faire plus de profit, avec des cadeaux fiscaux ou des diminutions de charges sociales. Et tous comblaient les trous que cela creusait dans le budget de l'Etat ou de la Sécurité sociale en raclant le fond des poches des salariés et des plus pauvres.
Ce n'est pas aux travailleurs de payer pour les fluctuations de la vie économique. C'est la sécurité de l'emploi et des salaires que le budget de l'Etat devrait garantir, pas la sécurité des profits.
Il n'y a évidemment pas à attendre de ce gouvernement, si fier d'être le bras armé du grand patronat, qu'il mène de plein gré une autre politique que celle que lui demandent les possédants, même si cette politique mène à la catastrophe. Pas plus qu'on ne pouvait l'attendre de Jospin.
Pourtant, la catastrophe sociale est déjà là. Le patronat et le gouvernement sont en train de ramener la société à des décennies en arrière, au chômage généralisé, à l'insécurité permanente de l'emploi, aux quartiers populaires lépreux, aux retraités mourant de faim dans des taudis, à la réapparition de maladies liées à la misère. C'est grave pour le monde du travail. C'est grave aussi pour toute la société.
Récession ou pas, la seule voie qui reste ouverte devant les travailleurs, la seule efficace est de changer par la force le rapport des forces avec le grand patronat et le gouvernement.
Mais, au-delà d'une réaction défensive du monde du travail, se pose un problème plus général. L'économie capitaliste, l'économie de marché, est une économie folle, imprévisible et inhumaine. Sa prolongation ne réserve à l'immense majorité de la population que des crises, la régression et l'appauvrissement.
Changer l'organisation sociale capitaliste, mettre fin à l'économie basée sur l'exploitation pour la majorité et le profit pour quelques-uns, devient une question de vie ou de mort, à peut-être brève échéance.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 15 octobre 2003)
LE 20OCTOBRE 2003
GOUVERNER, C'EST PRÉVOIR... DISENT-ILS
Les buralistes sont partis en guerre contre la politique du gouvernement qui multiplie les hausses successives du prix des cigarettes. Celles-ci touchent en particulier les bureaux de tabac des régions frontalières, dont la clientèle a la possibilité de s'approvisionner à meilleur coût de l'autre côté de la frontière. Et bien que le tabagisme constitue un réel problème de santé, et cause chaque année des dizaines de milliers de morts, on peut comprendre leurs réactions face à des décisions qui ont manifestement été prises sans se soucier, avant qu'ils ne protestent, des conséquences que cela pourrait entraîner sur leur niveau de vie, ni d'une possible reconversion.
Mais il n'y a pas que les buralistes qui sont victimes de décisions prises sans se soucier de leurs conséquences humaines. Depuis des années, les plans de suppressions d'emplois succèdent aux plans dits "sociaux", des centaines de milliers de travailleurs ont été réduits au chômage, voire à la misère, sans même que les responsables puissent invoquer l'excuse d'agir dans l'intérêt de la santé publique. Ils ont pris ces décisions pour des raisons ouvertement égoïstes, pour que les entreprises dont ils sont les dirigeants ou les gros actionnaires puissent faire encore plus de profits. Et ils l'ont fait avec la bénédiction des gouvernants du moment, de gauche comme de droite.
Parmi les buralistes en colère, ou les commentateurs qui s'apitoient aujourd'hui sur leur sort, combien, d'ailleurs, se sont sentis solidaires de ces travailleurs ?
C'est vrai que manifestement personne, dans les sphères gouvernementales, ne s'est soucié à l'avance des conséquences qu'auraient pour les buralistes, ou les producteurs de tabac, les mesures visant à réduire la consommation de celui-ci. C'est d'autant plus cynique que l'Etat a été pendant des décennies, à travers la distribution de cigarettes à bon marché aux jeunes qui faisaient leur service militaire un des plus efficace propagateur du tabagisme, dont il tirait ensuite, sous forme de taxes, des profits non négligeables. Mais c'est le contraire qui aurait été étonnant. Car si nous vivons dans un système économique, le système capitaliste, dont les patrons, les hommes politiques à leur service, les journalistes appointés pour en chanter les louanges, proclament qu'il est le meilleur possible, c'est aussi un système incapable d'anticiper les problèmes humains à venir, parce que sa seule préoccupation est la course au profit.
Il y a des reconversions industrielles rendues nécessaires par l'évolution des techniques. Les gros actionnaires y trouvent toujours leur compte, avec l'aide de l'Etat au besoin, qui n'hésite jamais à mettre la main à la poche pour sauver leur capital. Mais les travailleurs, eux, en font toujours les frais.
Il y a aussi ces suppressions d'emplois, ces fermetures d'entreprises, résultant de la volonté des patrons de faire produire autant, voire plus, par moins de salariés, pour augmenter encore leurs profits, sans se soucier du sort des travailleurs qu'on jette comme des kleenex usagés. Et face à cela, des gouvernants qui disent qu'ils n'y peuvent rien, ce qui est finalement une manière de reconnaître que dans cette société les vrais décideurs, ceux qui dictent leur loi, sont les détenteurs de capitaux, bien plus que les ministres.
La science et la technique moderne pourraient permettre depuis longtemps à chacun de profiter des fruits du progrès. Mais cela ne pourra se faire que dans une économie qui se donnera pour but la satisfaction des besoins de tous, et non pas l'enrichissement d'une petite minorité. C'est ce qu'avait compris le mouvement ouvrier à ses débuts, quand il avait inscrit dans son programme la socialisation de tous les grands moyens de production. C'est ce qu'ont oublié depuis longtemps le Parti Socialiste et le Parti Communiste, dont la seule ambition est aujourd'hui de participer au gouvernement à la gestion des affaires des possédants. Mais c'est pourtant un programme qui reste d'actualité, parce que le capitalisme est toujours aussi incapable qu'au XIXème siècle d'assurer la participation de tous aux fruits du progrès.
Arlette Laguiller
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 22/10/2003)
le 27 octobre 2003
L'ARMEE AMERICAINE EN IRAK : UN ENLISEMENT PREVISIBLE
Un hélicoptère américain abattu vendredi près de Tikrit, une bordée de roquettes tirée dimanche, à Bagdad, contre l'hôtel où était logé le numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz, l'armée des USA n'en a décidément pas fini avec une guerre dont Bush avait déclaré il y a six mois qu'elle était pratiquement terminée.
Les choses ne vont pas mieux quant au moral des troupes américaines. D'après la presse, 478 soldats auraient été rapatriés d'Irak pour des problèmes de "santé mentale". Au moins treize se seraient suicidés. Vingt-huit permissionnaires auraient refusé de repartir en Irak. C'est que les GI découvrent la réalité de la guerre dans laquelle leur gouvernement les a engagés. On leur avait dit qu'ils partaient délivrer le peuple irakien d'une horrible dictature, et qu'ils seraient donc accueillis en libérateurs par la grande majorité de la population. Et au fil des jours ils ont découvert que la grande majorité de la population irakienne, et pas seulement les partisans de Saddam Hussein, ne souhaitait qu'une chose, qu'ils repartent le plus vite possible. D'autant qu'après les destructions dues à la guerre et aux bombardements américains, le peuple irakien se retrouve dans une situation bien pire, dans sa vie de tous les jours, que celle qu'il connaissait sous Saddam Hussein, et qu'en fait de "reconstruction" du pays, dont parle tant les dirigeants américains, rien ne se fait pour remettre en route l'économie.
C'est un scénario classique. Quand les classes dominantes ont besoin d'envoyer de jeunes hommes à la guerre, de leur faire massacrer des innocents en risquant de se faire tuer eux-mêmes, elles ne leur disent jamais qu'on les envoie défendre les intérêts économiques des classes possédantes. On leur parle de la défense du "droit", de la "démocratie", de la "civilisation". "On croit mourir pour la patrie - écrivait déjà Anatole France il y a quatre-vingt ans - et on meurt pour les industriels et les banquiers". La guerre menée par Bush et Blair pour le pétrole irakien n'a pas échappé à la règle.
Wolfowitz pouvait bien déclarer, après l'attentat dont il avait failli être victime, qu'il s'agissait "des actes désespérés d'un régime moribond", il est de plus en plus évident que l'armée américaine s'enlise dans un conflit dont on ne voit pas la fin. Et le fait que les opérations militaires américaines soient présentées comme de simples opérations de "maintien de l'ordre", ne change rien à la chose.
L'armée française a connu cela en Algérie, de 1954 à 1962, où de "dernier quart d'heure" en "dernier quart d'heure", comme disaient les "va-t-en guerre" de l'époque, elle a mené durant huit ans une répression atroce, avant que les gouvernants français finissent par se rendre à l'évidence, et à reconnaître le droit du peuple algérien à l'indépendance.
L'armée américaine a elle aussi déjà fait cette expérience, au Vietnam, il y a une trentaine d'années, où d'envois de conseillers militaires en envois d'autres conseillers, elle a fini par engager des centaines de milliers d'hommes... qui se sont révélés impuissants à imposer à un peuple un régime politique dont il ne voulait pas.
Nul ne peut prédire comment évoluera la situation en Irak. Et l'une des pires conséquences de l'intervention américaine, c'est qu'elle a fait des islamistes irakiens des acteurs clefs de la situation, eux qui rêvent d'imposer dans leur pays un régime qui pourrait se révéler bien pire, pour les travailleurs irakiens et pour les femmes, que celui de Saddam Hussein.
Mais les difficultés rencontrées par l'armée américaine prouvent aussi qu'en dépit de sa suprématie économique et technologique, de sa puissance militaire, l'impérialisme américain est bien incapable d'imposer sa loi comme il le voudrait. Et les problèmes qu'il rencontre aujourd'hui avec ses propres troupes prouvent que la vraie ligne de démarcation qui sépare deux mondes hostiles n'est pas entre le camp du "bien" et les pays de "l'axe du mal", comme le prétend Bush, ni entre les habitants des pays riches et ceux des pays pauvres. Mais entre les exploiteurs d'un côté, et ceux qu'ils trompent et qu'ils oppriment, quelle que soit leur nationalité.
Arlette Laguiller.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 28 octobre 2003)