Texte intégral
Monsieur le président,
Messieurs les ministres,
Messieurs les présidents,
Mesdames les présidentes,
Je suis évidemment très heureux d'être avec vous ici, monsieur le président, de retrouver de nombreux amis et être à côté du ministre de l'Agriculture, H. Gaymard, dans ces circonstances, pour vous importantes, de renaissance, de modernisation et ces références à une histoire, qui, évidemment, me touchent profondément : je suis né dans une coopérative et j'habite encore dans la cour d'une laiterie. Souvent, les journalistes bienveillants, naturellement, photographient la maison - "Oh, la belle maison !" - et ils oublient toujours de photographier la laiterie qui est à côté. Mais je veux rester à côté de la laiterie, parce que s'il y a la maison, c'est parce qu'il y a la laiterie. Et je veux rester dans cet univers qui a marqué mon histoire, mon enfance et ma famille.
Il y a un philosophe-journaliste charentais qui dit que "c'est perché sur son arbre généalogique que l'homme parle le plus juste". Je peux vous assurer aujourd'hui que je vais vous parler juste au sens où je vais vous parler vrai pour dire, en effet, mon attachement aux valeurs et aux perspectives que vous avez tracées, monsieur le président. Je crois vraiment que la France, dans ce début du XXIe siècle, a des choix stratégiques à faire. Elle a des choix stratégiques d'abord en faisant confiance à son potentiel, en valorisant ses propres forces, et en ne comptant pas sur les autres pour assurer son propre développement. Et donc, la priorité des priorités, dans un monde - vous l'avez dit - en redistribution, où la compétitivité est forte, où les concurrences sont sans cesse nouvelles, il est essentiel que la France, d'abord, commence par libérer ses forces vives et qu'on sorte du carcan de notre organisation administrative - publique, privée, nationale -, que l'on sorte de ce carcan pour libérer toutes les forces vives. D'abord, libérer les forces des territoires. Ce pays hiérarchisé, grillagé en zonages, en structures, en espaces, en organisations qui créent des frontières par tous les territoires, les zones 5B, les objectifs deux, les revitalisations rurales, les ceci, les cela... Une France grillagée, avec des seuils - 20, 25, 50, 100 -, avec une organisation qui crée, dans la société, de multiples frontières, qui paralyse des élans et qui freinent des énergies.
Il faut revenir aux choses importantes, et donc d'abord se dire que le territoire est un élément d'identité, de mobilisation, un élément de dimension humaine qu'il faut valoriser. Et les territoires de France méritent en effet que l'on s'occupe davantage d'eux et qu'on les aide à s'épanouir. Il y a là une volonté formidable, une capacité extraordinaire de développement. Et quand on voit ce qui a été fait à l'exportation, dans la qualité, dans la recherche par des structures territoriales, on se dit que l'on a bien fait de mettre dans la Constitution que, maintenant, la République a une organisation décentralisée. Il faut faire confiance à la décentralisation, parce que c'est faire confiance aux femmes et aux hommes de terrain, qui mènent cette énergie et qui conduisent ces progrès.
Libérer les territoires et libérer aussi l'énergie entrepreneuriale. Je crois que nous avons besoin d'un tissu d'entreprises très actif. Evidemment, les entreprises à taille humaine ont une importance stratégique pour notre pays, plus grande que les autres. Je le dis vraiment avec toute l'expérience de 15 ans de présidence d'un Conseil régional, de lutte sur le terrain pour le développement. Souvent, j'ai eu à affronter des questions difficiles sur le plan social et de l'emploi. Il m'est arrivé d'être face à des ouvriers qui s'inquiétaient pour leur emploi dans une usine, sans connaître ni le propriétaire, et ni l'actionnaire, parce que la circulation du capital allait si vite, qu'on ne savait même pas à qui s'adresser, et des entreprises qui étaient en vente, avec une financiarisation excessive des structures, que ceux qui voulaient, aussi bien dans l'entreprise que dans le territoire, construire une politique d'avenir, n'avaient pas face à eux d'interlocuteurs, parce que les interlocuteurs financiers circulaient à une telle vitesse, qu'au fond, ils mésestimaient, et les territoires et ceux qui faisaient travailler ces entreprises.
Il nous faut inventer cette voie de l'humanisation de l'économie. C'est pour cela que votre structure, son histoire, son évolution, la coopérative, est une notion moderne. Souvent, on la présente comme une histoire un peu nostalgique, venue d'une économie des siècles précédents. Au fond, la coopérative est une forme moderne, parce que c'est une forme humaine d'organisation économique. Il faut revendiquer cette modernité ; la modernisation n'est pas à l'anonymat, la modernisation n'est pas au gigantisme, à toutes les formes de concentration. La modernisation n'est pas la financiarisation anonyme. La modernisation est dans le talent des femmes et des hommes, dans l'énergie, dans le développement, dans l'intelligence, dans tout ce qui humanise l'économie ; c'est injecter de la part d'homme dans l'économie ; c'est là le progrès.
Dans cet appel à une organisation modèle, il y a toujours le double impératif du représentatif et du participatif. On voit bien, dans notre démocratie, combien le représentatif ne suffit pas, parce qu'il y a une aspiration au participatif. Mais le participatif ne suffit pas, parce qu'il faut bien prendre les décisions et donc être dans des instances "gouvernales". Il faut toujours trouver cet équilibre entre le représentatif et le participatif. C'est cela la recherche de l'organisation la plus humaine. Et la coopération a réussi cette mécanique, avec la responsabilité essentielle "d'un homme - une voix", cette "capacité moderne", dont parlait le général De Gaulle, en parlant de participation qui est dans la coopérative. On peut véritablement participer, mais la participation ne nuit pas à la décision. Car les systèmes organisés font que, non seulement on peut décider, mais on peut aussi construire les outils et l'ensemble de ce qui peut être, aujourd'hui, l'appareil de la modernité.
C'est un élément très important de ce qui est, dans la coopération, l'équilibre entre la performance et l'humanisation. La coopération et la coopérative ne doivent pas apparaître comme une valeur du passé mais, au contraire comme une perspective pouvant, au-delà même de l'agriculture, communiquer ses propre valeurs. C'est pour cela que j'aime bien "Coop de France". Parce qu'on revient à la vraie valeur de la coop. C'est un mot qui parle à tous les Français, mais dans lequel tous les agriculteurs se reconnaîtront. Ce mot-là, est un mot partagé.
La coopération est une idée neuve, une idée moderne, c'est une idée politiquement du XXIe siècle, même si elle est née, économiquement, au siècle précédent.
Je voudrais aussi dire qu'il y a, dans la coopération, cette exigence majeure aujourd'hui de valeur ajoutée, qui est une stratégie nationale qu'il nous faut développer. On voit bien que, le développement de la Chine, de l'Inde : vous parliez tout à l'heure du Brésil, qui aspire à être "le grenier" : dans toute cette évolution mondiale, il y a une recherche extraordinaire de compétitivité. Nous aurons du mal à être les plus compétitifs avec le système social auquel aspirent légitimement les peuples européens.
Face à cette recherche exigeante de compétitivité, quand on a des écarts de prix de 80 à 200 %, quand on voit la pression extraordinaire, même, y compris sur le prix du lait mondial, où il est impossible d'atteindre ce prix du lait sans écraser ceux qui le produisent, tant il y a une pression à la baisse des coûts et des prix. Et donc, dans cette compétition, il faut, dans cette économie, jouer la carte de la valeur ajoutée, de l'intelligence ajoutée, du marketing ajouté, de la recherche ajoutée, de tout ce qui injecte de l'idée dans l'économie. C'est, je crois, vraiment un choix national. C'est vrai de l'agriculture, c'est vrai de toute notre organisation aujourd'hui.
C'est pour cela que j'ai apprécié votre mot sur "conquête de valeur ajoutée". Il faut, pour cela, évidemment - j'ai entendu votre message - développer la recherche, développer l'innovation, les crédits impôts-recherche, tout ce que nous voulons faire pour renforcer ce projet de valorisation de notre production. C'est technologique, scientifique, mais c'est aussi, en effet marketing, c'est-à-dire, l'identité de la marque et ce contrat que représente la marque entre le producteur et le consommateur.
Et dans ce contrat, il y a la part d'éthique que la coop doit porter, et qui fait partie de ce marketing. On l'a vu, quand il y a des problèmes sanitaires, quand il y a des inquiétudes, à propos de la viande et des difficultés qu'on a connues sur ces sujets-là, le consommateur va chercher la sécurité et il préfère le boucher identifié à celui qui était sous vide dans des surfaces un peu plus élargies et moins humainement identifiées.
Il faut aussi veiller que, dans la filière de notre économie notamment agro-alimentaire, la valeur soit un peu mieux partagée et pas seulement concentrée sur l'aval. Et que dans notre système d'organisation, ce ne soit pas l'aval qui soit systématiquement le mieux servi, que les pressions partent de l'aval et que plus on est loin de l'aval et plus on est écrasé par un système où, en écrasant les prix, on écrase aussi le travail, on écrase aussi les personnes. Je crois vraiment qu'il faut partager la filière entre le producteur et le consommateur, et le distributeur doit veiller à ce que son amont reste un amont d'avenir, et donc qu'il accepte de partager ses marges et de ne pas imposer, systématiquement et quelquefois brutalement, ces règles économiques qui sont dures à supporter pour l'ensemble de nos filières.
Tout au long de la filière, si on veut vraiment avoir une économie qui vit pour tous, de l'amont à l'aval, chacun doit se respecter. Evitons la concentration de la cagnotte en aval avec la difficulté pour ceux qui sont en amont, surtout quand ils doivent affronter toutes les difficultés de la nature dont la France n'est pas épargnée ces derniers temps.
Conquête de la valeur ajoutée, partage de la valeur, mais aussi, vous l'avez souligné également, un projet de perspective. Je suis d'accord et je demande avec vous, en accord avec lui, au ministre de l'Agriculture, de préparer un grand plan national pour l'agro-alimentaire. Je pense que nous devons, à l'horizon 2007-2010, bâtir ce grand plan national pour l'agro-alimentaire, dont vous devez être acteur et qui doit mobiliser l'ensemble des forces économiques pour donner à l'agroalimentaire français, cette puissance nécessaire.
Je crois à la logique des grands projets. Je sais, en agriculture, pour bien connaître ce système et l'avoir vu tout jeune, que les structures sont importantes et qu'elles sont nombreuses, et que chaque structure tient naturellement à son identité, et que chaque structure occupe bien sa fonction, occupe bien le territoire. Il faut mettre le projet devant la structure et la structure n'a de valeur que quand elle porte un projet. Les structures qui ont de l'avenir sont des structures qui portent des projets. Si une structure ne porte qu'elle-même, elle est à terme condamnée. Aujourd'hui, dans tous les domaines de l'activité humaine, le projet est ce qui fédère, ce qui mobilise, ce qui permet de dépasser les clivages, de surmonter les difficultés, et donc d'être capable de mobiliser les énergies.
Il y a, pour le projet national agroalimentaire, beaucoup d'éléments à fédérer : des éléments de recherche, des éléments d'innovation, des éléments aussi de marketing, d'organisation, et c'est un point qu'il me faut souligner, pour que nous puissions mettre en perspective cet objectif d'être une grande puissance mondiale agroalimentaire, avec notre allié européen.
Je voudrais vous dire également combien je crois qu'il est important, dans cette dynamique-là, que la coopération s'affirme, vous le disiez tout à l'heure, sur le terrain politique, c'est-à-dire en fait sur le terrain des débats d'idées, je ne parle pas du terrain partisan. Mais je crois qu'il est très important que la coopération existe dans les grands débats, qui sont des débats d'organisations économiques, sociales. Il est important qu'on entende la coopération, pour faire vivre à la fois les idées qui sont les vôtres, puisque vous êtes une organisation qui a un contenu de pensée, il faut le faire exister, et je suis très heureux que vous ayez cette ambition-là, parce que, dans les débats économiques, les forces souvent très traditionnelles se font entendre, comme vous devez également vous faire entendre.
J'ai bien entendu votre appel à la simplification, et je pense qu'il est très important aussi de mesurer, pour les agriculteurs mêmes, combien c'est une mission très importante. On est en train de transformer chaque Français en bureaucrate et administrateur délégué. Maintenant, il faudrait quasiment avoir fait l'ENA pour être agriculteur. Et Dieu sait si j'ai du respect pour l'ENA, mon cher Hervé. Mais il faut que l'on puisse avoir une autre approche et que l'on allège toutes les procédures.
Je voudrais vous dire un mot, pour terminer, de la PAC, du compromis de Luxembourg et des perspectives.
Nous avions, avec le Président de la République, pris des engagements pour maintenir, vous l'avez dit tout à l'heure, le budget agricole, pour le stabiliser. Nous avions choisi cet horizon qui était l'horizon 2007, qui est cet horizon de Berlin. Et nous avons tenu à ce que les deux grandes idées de Berlin, qui étaient d'une part le volume budgétaire et d'autre part l'échéance, soient respectées. Je le dis solennellement devant vous : le Gouvernement prévoit la réforme de la PAC à l'horizon 2007. Si les organisations professionnelles, dans leur ensemble, décident d'anticiper ces échéances pour gagner en éclairage, pour gagner en visibilité et lisibilité pour l'ensemble des agriculteurs, le Gouvernement n'y est pas opposé. Mais c'est aux organisations professionnelles de dire clairement si elles veulent avancer ces échéances pour gagner en clarté, pour que les agriculteurs fassent leur choix, sachant que la nouvelle donne est une donne, maintenant, qui doit pouvoir être arrêtée rapidement, de manière à limiter le temps des hésitations et des incertitudes. Nous ne sommes pas opposés à cette situation, mais nous sommes engagés sur une échéance 2007.
Nous sommes prêts à revenir, à la demande des organisations professionnelles, si vous estimez utile pour les agriculteurs que la période d'incertitude soit la plus courte possible, et que nous puissions avancer les échéances. C'est notre position, une position d'ouverture, mais comme nous avons des engagements, nous tenons à les respecter. Et dans nos engagements, il y a ce partenariat avec les organisations agricoles et professionnelles, et c'est avec elles que nous définirons, avec le président de la République, le calendrier qui devra s'appliquer.
Je voudrais, en terminant, vous dire que vous pouvez compter sur le Gouvernement, pour être à vos côtés pour cette valorisation de l'idée de la coopération dans le XXIe siècle. F. Guillaume travaille sur ce sujet. Nous avons un certain nombre de réflexions qui sont à mener. Nous voulons faire en sorte que la coopération démontre aujourd'hui qu'il y a des réponses, non pas inventées dans les hautes sphères mais dans l'histoire, la pratique. Le terrain a montré qu'il y avait des grandes réussites qui venaient de la qualité d'hommes et de femmes qui avaient accepté que l'idée de coopération soit plus grande que les égoïsmes des uns et des autres, et qui se sont inscrits dans une perspective, où ils se sont mis au service des autres. Faisons en sorte que la coopération soit l'un des plus nobles services faits aux agriculteurs de notre pays.
Longue vie à Cop' de France. Merci à vous tous !
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 5 décembre 2003)
Messieurs les ministres,
Messieurs les présidents,
Mesdames les présidentes,
Je suis évidemment très heureux d'être avec vous ici, monsieur le président, de retrouver de nombreux amis et être à côté du ministre de l'Agriculture, H. Gaymard, dans ces circonstances, pour vous importantes, de renaissance, de modernisation et ces références à une histoire, qui, évidemment, me touchent profondément : je suis né dans une coopérative et j'habite encore dans la cour d'une laiterie. Souvent, les journalistes bienveillants, naturellement, photographient la maison - "Oh, la belle maison !" - et ils oublient toujours de photographier la laiterie qui est à côté. Mais je veux rester à côté de la laiterie, parce que s'il y a la maison, c'est parce qu'il y a la laiterie. Et je veux rester dans cet univers qui a marqué mon histoire, mon enfance et ma famille.
Il y a un philosophe-journaliste charentais qui dit que "c'est perché sur son arbre généalogique que l'homme parle le plus juste". Je peux vous assurer aujourd'hui que je vais vous parler juste au sens où je vais vous parler vrai pour dire, en effet, mon attachement aux valeurs et aux perspectives que vous avez tracées, monsieur le président. Je crois vraiment que la France, dans ce début du XXIe siècle, a des choix stratégiques à faire. Elle a des choix stratégiques d'abord en faisant confiance à son potentiel, en valorisant ses propres forces, et en ne comptant pas sur les autres pour assurer son propre développement. Et donc, la priorité des priorités, dans un monde - vous l'avez dit - en redistribution, où la compétitivité est forte, où les concurrences sont sans cesse nouvelles, il est essentiel que la France, d'abord, commence par libérer ses forces vives et qu'on sorte du carcan de notre organisation administrative - publique, privée, nationale -, que l'on sorte de ce carcan pour libérer toutes les forces vives. D'abord, libérer les forces des territoires. Ce pays hiérarchisé, grillagé en zonages, en structures, en espaces, en organisations qui créent des frontières par tous les territoires, les zones 5B, les objectifs deux, les revitalisations rurales, les ceci, les cela... Une France grillagée, avec des seuils - 20, 25, 50, 100 -, avec une organisation qui crée, dans la société, de multiples frontières, qui paralyse des élans et qui freinent des énergies.
Il faut revenir aux choses importantes, et donc d'abord se dire que le territoire est un élément d'identité, de mobilisation, un élément de dimension humaine qu'il faut valoriser. Et les territoires de France méritent en effet que l'on s'occupe davantage d'eux et qu'on les aide à s'épanouir. Il y a là une volonté formidable, une capacité extraordinaire de développement. Et quand on voit ce qui a été fait à l'exportation, dans la qualité, dans la recherche par des structures territoriales, on se dit que l'on a bien fait de mettre dans la Constitution que, maintenant, la République a une organisation décentralisée. Il faut faire confiance à la décentralisation, parce que c'est faire confiance aux femmes et aux hommes de terrain, qui mènent cette énergie et qui conduisent ces progrès.
Libérer les territoires et libérer aussi l'énergie entrepreneuriale. Je crois que nous avons besoin d'un tissu d'entreprises très actif. Evidemment, les entreprises à taille humaine ont une importance stratégique pour notre pays, plus grande que les autres. Je le dis vraiment avec toute l'expérience de 15 ans de présidence d'un Conseil régional, de lutte sur le terrain pour le développement. Souvent, j'ai eu à affronter des questions difficiles sur le plan social et de l'emploi. Il m'est arrivé d'être face à des ouvriers qui s'inquiétaient pour leur emploi dans une usine, sans connaître ni le propriétaire, et ni l'actionnaire, parce que la circulation du capital allait si vite, qu'on ne savait même pas à qui s'adresser, et des entreprises qui étaient en vente, avec une financiarisation excessive des structures, que ceux qui voulaient, aussi bien dans l'entreprise que dans le territoire, construire une politique d'avenir, n'avaient pas face à eux d'interlocuteurs, parce que les interlocuteurs financiers circulaient à une telle vitesse, qu'au fond, ils mésestimaient, et les territoires et ceux qui faisaient travailler ces entreprises.
Il nous faut inventer cette voie de l'humanisation de l'économie. C'est pour cela que votre structure, son histoire, son évolution, la coopérative, est une notion moderne. Souvent, on la présente comme une histoire un peu nostalgique, venue d'une économie des siècles précédents. Au fond, la coopérative est une forme moderne, parce que c'est une forme humaine d'organisation économique. Il faut revendiquer cette modernité ; la modernisation n'est pas à l'anonymat, la modernisation n'est pas au gigantisme, à toutes les formes de concentration. La modernisation n'est pas la financiarisation anonyme. La modernisation est dans le talent des femmes et des hommes, dans l'énergie, dans le développement, dans l'intelligence, dans tout ce qui humanise l'économie ; c'est injecter de la part d'homme dans l'économie ; c'est là le progrès.
Dans cet appel à une organisation modèle, il y a toujours le double impératif du représentatif et du participatif. On voit bien, dans notre démocratie, combien le représentatif ne suffit pas, parce qu'il y a une aspiration au participatif. Mais le participatif ne suffit pas, parce qu'il faut bien prendre les décisions et donc être dans des instances "gouvernales". Il faut toujours trouver cet équilibre entre le représentatif et le participatif. C'est cela la recherche de l'organisation la plus humaine. Et la coopération a réussi cette mécanique, avec la responsabilité essentielle "d'un homme - une voix", cette "capacité moderne", dont parlait le général De Gaulle, en parlant de participation qui est dans la coopérative. On peut véritablement participer, mais la participation ne nuit pas à la décision. Car les systèmes organisés font que, non seulement on peut décider, mais on peut aussi construire les outils et l'ensemble de ce qui peut être, aujourd'hui, l'appareil de la modernité.
C'est un élément très important de ce qui est, dans la coopération, l'équilibre entre la performance et l'humanisation. La coopération et la coopérative ne doivent pas apparaître comme une valeur du passé mais, au contraire comme une perspective pouvant, au-delà même de l'agriculture, communiquer ses propre valeurs. C'est pour cela que j'aime bien "Coop de France". Parce qu'on revient à la vraie valeur de la coop. C'est un mot qui parle à tous les Français, mais dans lequel tous les agriculteurs se reconnaîtront. Ce mot-là, est un mot partagé.
La coopération est une idée neuve, une idée moderne, c'est une idée politiquement du XXIe siècle, même si elle est née, économiquement, au siècle précédent.
Je voudrais aussi dire qu'il y a, dans la coopération, cette exigence majeure aujourd'hui de valeur ajoutée, qui est une stratégie nationale qu'il nous faut développer. On voit bien que, le développement de la Chine, de l'Inde : vous parliez tout à l'heure du Brésil, qui aspire à être "le grenier" : dans toute cette évolution mondiale, il y a une recherche extraordinaire de compétitivité. Nous aurons du mal à être les plus compétitifs avec le système social auquel aspirent légitimement les peuples européens.
Face à cette recherche exigeante de compétitivité, quand on a des écarts de prix de 80 à 200 %, quand on voit la pression extraordinaire, même, y compris sur le prix du lait mondial, où il est impossible d'atteindre ce prix du lait sans écraser ceux qui le produisent, tant il y a une pression à la baisse des coûts et des prix. Et donc, dans cette compétition, il faut, dans cette économie, jouer la carte de la valeur ajoutée, de l'intelligence ajoutée, du marketing ajouté, de la recherche ajoutée, de tout ce qui injecte de l'idée dans l'économie. C'est, je crois, vraiment un choix national. C'est vrai de l'agriculture, c'est vrai de toute notre organisation aujourd'hui.
C'est pour cela que j'ai apprécié votre mot sur "conquête de valeur ajoutée". Il faut, pour cela, évidemment - j'ai entendu votre message - développer la recherche, développer l'innovation, les crédits impôts-recherche, tout ce que nous voulons faire pour renforcer ce projet de valorisation de notre production. C'est technologique, scientifique, mais c'est aussi, en effet marketing, c'est-à-dire, l'identité de la marque et ce contrat que représente la marque entre le producteur et le consommateur.
Et dans ce contrat, il y a la part d'éthique que la coop doit porter, et qui fait partie de ce marketing. On l'a vu, quand il y a des problèmes sanitaires, quand il y a des inquiétudes, à propos de la viande et des difficultés qu'on a connues sur ces sujets-là, le consommateur va chercher la sécurité et il préfère le boucher identifié à celui qui était sous vide dans des surfaces un peu plus élargies et moins humainement identifiées.
Il faut aussi veiller que, dans la filière de notre économie notamment agro-alimentaire, la valeur soit un peu mieux partagée et pas seulement concentrée sur l'aval. Et que dans notre système d'organisation, ce ne soit pas l'aval qui soit systématiquement le mieux servi, que les pressions partent de l'aval et que plus on est loin de l'aval et plus on est écrasé par un système où, en écrasant les prix, on écrase aussi le travail, on écrase aussi les personnes. Je crois vraiment qu'il faut partager la filière entre le producteur et le consommateur, et le distributeur doit veiller à ce que son amont reste un amont d'avenir, et donc qu'il accepte de partager ses marges et de ne pas imposer, systématiquement et quelquefois brutalement, ces règles économiques qui sont dures à supporter pour l'ensemble de nos filières.
Tout au long de la filière, si on veut vraiment avoir une économie qui vit pour tous, de l'amont à l'aval, chacun doit se respecter. Evitons la concentration de la cagnotte en aval avec la difficulté pour ceux qui sont en amont, surtout quand ils doivent affronter toutes les difficultés de la nature dont la France n'est pas épargnée ces derniers temps.
Conquête de la valeur ajoutée, partage de la valeur, mais aussi, vous l'avez souligné également, un projet de perspective. Je suis d'accord et je demande avec vous, en accord avec lui, au ministre de l'Agriculture, de préparer un grand plan national pour l'agro-alimentaire. Je pense que nous devons, à l'horizon 2007-2010, bâtir ce grand plan national pour l'agro-alimentaire, dont vous devez être acteur et qui doit mobiliser l'ensemble des forces économiques pour donner à l'agroalimentaire français, cette puissance nécessaire.
Je crois à la logique des grands projets. Je sais, en agriculture, pour bien connaître ce système et l'avoir vu tout jeune, que les structures sont importantes et qu'elles sont nombreuses, et que chaque structure tient naturellement à son identité, et que chaque structure occupe bien sa fonction, occupe bien le territoire. Il faut mettre le projet devant la structure et la structure n'a de valeur que quand elle porte un projet. Les structures qui ont de l'avenir sont des structures qui portent des projets. Si une structure ne porte qu'elle-même, elle est à terme condamnée. Aujourd'hui, dans tous les domaines de l'activité humaine, le projet est ce qui fédère, ce qui mobilise, ce qui permet de dépasser les clivages, de surmonter les difficultés, et donc d'être capable de mobiliser les énergies.
Il y a, pour le projet national agroalimentaire, beaucoup d'éléments à fédérer : des éléments de recherche, des éléments d'innovation, des éléments aussi de marketing, d'organisation, et c'est un point qu'il me faut souligner, pour que nous puissions mettre en perspective cet objectif d'être une grande puissance mondiale agroalimentaire, avec notre allié européen.
Je voudrais vous dire également combien je crois qu'il est important, dans cette dynamique-là, que la coopération s'affirme, vous le disiez tout à l'heure, sur le terrain politique, c'est-à-dire en fait sur le terrain des débats d'idées, je ne parle pas du terrain partisan. Mais je crois qu'il est très important que la coopération existe dans les grands débats, qui sont des débats d'organisations économiques, sociales. Il est important qu'on entende la coopération, pour faire vivre à la fois les idées qui sont les vôtres, puisque vous êtes une organisation qui a un contenu de pensée, il faut le faire exister, et je suis très heureux que vous ayez cette ambition-là, parce que, dans les débats économiques, les forces souvent très traditionnelles se font entendre, comme vous devez également vous faire entendre.
J'ai bien entendu votre appel à la simplification, et je pense qu'il est très important aussi de mesurer, pour les agriculteurs mêmes, combien c'est une mission très importante. On est en train de transformer chaque Français en bureaucrate et administrateur délégué. Maintenant, il faudrait quasiment avoir fait l'ENA pour être agriculteur. Et Dieu sait si j'ai du respect pour l'ENA, mon cher Hervé. Mais il faut que l'on puisse avoir une autre approche et que l'on allège toutes les procédures.
Je voudrais vous dire un mot, pour terminer, de la PAC, du compromis de Luxembourg et des perspectives.
Nous avions, avec le Président de la République, pris des engagements pour maintenir, vous l'avez dit tout à l'heure, le budget agricole, pour le stabiliser. Nous avions choisi cet horizon qui était l'horizon 2007, qui est cet horizon de Berlin. Et nous avons tenu à ce que les deux grandes idées de Berlin, qui étaient d'une part le volume budgétaire et d'autre part l'échéance, soient respectées. Je le dis solennellement devant vous : le Gouvernement prévoit la réforme de la PAC à l'horizon 2007. Si les organisations professionnelles, dans leur ensemble, décident d'anticiper ces échéances pour gagner en éclairage, pour gagner en visibilité et lisibilité pour l'ensemble des agriculteurs, le Gouvernement n'y est pas opposé. Mais c'est aux organisations professionnelles de dire clairement si elles veulent avancer ces échéances pour gagner en clarté, pour que les agriculteurs fassent leur choix, sachant que la nouvelle donne est une donne, maintenant, qui doit pouvoir être arrêtée rapidement, de manière à limiter le temps des hésitations et des incertitudes. Nous ne sommes pas opposés à cette situation, mais nous sommes engagés sur une échéance 2007.
Nous sommes prêts à revenir, à la demande des organisations professionnelles, si vous estimez utile pour les agriculteurs que la période d'incertitude soit la plus courte possible, et que nous puissions avancer les échéances. C'est notre position, une position d'ouverture, mais comme nous avons des engagements, nous tenons à les respecter. Et dans nos engagements, il y a ce partenariat avec les organisations agricoles et professionnelles, et c'est avec elles que nous définirons, avec le président de la République, le calendrier qui devra s'appliquer.
Je voudrais, en terminant, vous dire que vous pouvez compter sur le Gouvernement, pour être à vos côtés pour cette valorisation de l'idée de la coopération dans le XXIe siècle. F. Guillaume travaille sur ce sujet. Nous avons un certain nombre de réflexions qui sont à mener. Nous voulons faire en sorte que la coopération démontre aujourd'hui qu'il y a des réponses, non pas inventées dans les hautes sphères mais dans l'histoire, la pratique. Le terrain a montré qu'il y avait des grandes réussites qui venaient de la qualité d'hommes et de femmes qui avaient accepté que l'idée de coopération soit plus grande que les égoïsmes des uns et des autres, et qui se sont inscrits dans une perspective, où ils se sont mis au service des autres. Faisons en sorte que la coopération soit l'un des plus nobles services faits aux agriculteurs de notre pays.
Longue vie à Cop' de France. Merci à vous tous !
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 5 décembre 2003)