Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à "RTL" le 17 mai 2004, sur la préparation des élections européennes et le débat interne au Front national.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- J.-M. Aphatie -. Plusieurs milliers de personnes ont défilé hier dans les rues de Paris, pour dénoncer les récentes agressions antisémites. Des représentants de tous les partis politiques se trouvaient dans le défilé, le Front National en était absent. Pourquoi ?
R- "Tous les partis politiques invités ? Le Front National n'avait pas été invité. Je ne suis pas absolument sûr que sa présence aurait été désirée. Mais nous avons fait connaître en temps utile, notamment au moment de l'agression des cimetières juifs d'Herrlisheim, une position sans équivoque. Je crois qu'il faut être extrêmement ferme sur ces sujets qui touchent à la dignité des citoyens. Il ne faut pas non plus que ça devienne une obsession."
Q- "L'antisémitisme, c'est un délit", disait dans la manifestation P. Douste-Blazy. C'est une phrase que vous pourriez faire vôtre ?
R- "Oui, sans doute, si elle touche encore une fois à la dignité des hommes, il n'y a pas de raison de ne pas la considérer comme une agression délictuelle. Notre position est sans équivoque sur ce sujet. Et je dois dire que j'ai été tout à fait d'accord avec l'analyse de M. Duhamel ce matin. Ce n'est pas toujours vrai, mais aujourd'hui c'est très vrai !"
Q- Vous voyez, tout arrive ! Le fait que vous soyez absent ne montre-t-il pas, deux ans après votre présence au second tour de l'élection présidentielle, que le Front National demeure un parti à part sur la scène politique française ?
R- "Il est mis à part par les autres, il ne se met pas à part lui-même. L'autre jour, alors que notre position est sans équivoque sur le drame arménien, nos représentants élus ont été en quelque sorte disputés, parce qu'ils étaient dans la manifestation en faveur des Arméniens. Il y a des gens qui considèrent que c'est une propriété privée que de défendre les Arméniens. Donc on ne peut pas non plus s'imposer par la force dans une manifestation, voilà... Nous faisons savoir ce que nous pensons, ce qui est essentiel."
Q- Vous aviez tenté, après le deuxième tour de l'élection présidentielle, en mettant votre fille en avant, de rompre avec ce que vous appelez la "diabolisation". Et visiblement, ça ne prend pas ?
R- "Je n'ai jamais mis ma fille en avant. Elle est assez grande pour s'y mettre elle-même. Et je crois à la vérité que ce sont les médias qui l'ont mise en avant, et non pas elle-même !"
Q- Et vous peut-être aussi un peu ?
R- "Non, pas du tout."
Q- Pas du tout.... Vous êtes à nouveau en campagne ?
R- "Absolument. J'étais à Lyon hier, j'étais en PACA à la fin de la semaine, je serai à partir de demain en Rhône-Alpes..."
Q- On ne va pas faire le programme des déplacements !
R- "Non, mais vous me demandez ce que je fais..."
Q- Vous m'avez coupé ! Parce que j'allais dire : vous êtes en campagne pour les élections européennes du 13 juin. Vous avez compté le nombre de campagnes électorales que vous avez faites ?
R- "Je ne sais pas ! Non, je dois dire que je ne retrouve plus toujours les villes, ni les salles. On me dit : "Tu te souviens ?". Je dis : "Non, je ne m'en souviens pas !". Parce qu'il y a cinq, dix ans, quinze ans, trente ans, quarante ans !"
Q- Cette campagne électorale-là ne sera pas facile pour vous, parce que l'UMP, P. de Villiers, C. Pasqua disent comme vous non à la Turquie et oui à un référendum pour la Constitution. Vous aurez du mal à vous faire entendre ?
R- "Oui, seulement, moi, je dis ça depuis vingt-cinq ans, alors qu'eux, ils le disent depuis quelques mois. Ce sont ce que j'appelle "les intermittents du souverainisme" ! En temps ordinaire, ils sont avec l'UMP, et puis quelques mois avant les élections européennes, comme l'UMP elle-même d'ailleurs, ils changent d'axe politique pour essayer de grappiller quelques voix au Front National. Le but suprême de la Vème République au début du XXIème siècle étant d'ailleurs de barrer la route au Front National !"
Q- Vous êtes au centre de tout ?
R- "Oui, un peu. En m'en étonnant et en m'en considérant comme flatté d'être ainsi un adversaire."
Q- Ce n'est pas modeste comme position !
R- "Pas spécialement modeste, mais pas spécialement vaniteux non plus."
Q- Et pour quelles raisons faudrait-il voter pour le Front National, puisque beaucoup de gens disent la même chose que vous : non à la Turquie, oui au référendum ?
R- "Non, d'abord, ils ne disent pas la même chose que nous. Notre position à nous, elle est durable, elle est cohérente et elle est solide. Ce n'est pas le cas des autres. Nous sommes - on peut dire la vérité - des "eurosceptiques" ; on nous avait promis avec l'Europe le lait et le miel. On nous avait promis une amélioration de nos conditions économiques et sociales. Nous nous apercevons qu'au contraire, plus nous avançons vers une Europe plus ou moins fédéraliste, voire même unitaire, plus les choses vont mal pour les Français. Et par conséquent, moins ils ont d'indépendance, moins ils peuvent disposer d'eux-mêmes, et plus leurs difficultés de chaque jour augmentent."
Q- Mais l'Europe est une réalité aujourd'hui. Nous sommes vingt-cinq maintenant à faire partie de ce grand ensemble...
R- "Oui, mais le fait de mettre vingt-cinq faibles ou vingt-cinq pauvres ensemble n'a jamais créé la richesse !"
Q-Donc il faut une règle, une Constitution. Il faut avancer maintenant dans la Constitution européenne ?
R- "Non, pas du tout. Je crois qu'il faut que nous retrouvions, nous, les moyens de notre indépendance. Quand on pense qu'il y a tant de peuples qui se sont battus et qui ont souffert pour conquérir leur indépendance, voir dilapider la nôtre par les gouvernements successifs, de gauche et de droite, a quelque chose de navrant !"
Q- Et donc sortir de l'Europe, cela vous paraît être une perspective politique
aujourd'hui ?
R- "Je crois qu'il faut à un moment donné faire les comptes et garder de l'Europe ce qu'elle a amené de bon en effet, et puis ne pas hésiter à prendre le contre-pied de toute l'évolution qui nous conduit vers plus de pauvreté et moins d'indépendance."
Q- La constitution des listes n'a pas été facile chez vous - ailleurs non plus, mais chez vous pas plus qu'ailleurs...
R- "C'est vrai, mais vous savez chaque fois qu'il y a des problèmes de personnes, les gens en cause estiment qu'il est naturel qu'ils défendent leurs chances personnelles. Moi, je fais de la politique, je suis président du Front National, ma mission est de défendre les idées du Front National et le mouvement lui-même. C'est ce que j'ai fait."
Q- B. Gollnisch, celui que vous désignez souvent comme votre successeur, a regretté sur tel ou tel point personnel, vos choix sur les listes. Et vous avez dit que sa déclaration était assez maladroite et assez inconvenante, arguant d'une confidentialité des débats qui devrait exister chez vous. Vos rapports avec B. Gollnisch ont-ils souffert de cet épisode ?
R- "Pas du tout, il était à mes côtés hier pour me présenter à ses électeurs de Rhône-Alpes. Et par conséquent, il n'y a pas de problème. Pour nous la question est réglée."
Q- Vous êtes de nouveau amis ?
R- "Nous n'avons jamais cessé d'être amis. Mais on peut être amis et puis être en désaccord sur un point ou un autre. C'est normal. Je suis le responsable définitif des choix. Mais il est bien évident que je m'entoure des avis de mes collaborateurs les plus directs et des personnalités du Front les plus importantes. Et évidemment, à un moment donné, il faut bien trancher. Il y a quelque chose qui est très difficile, c'est de mettre trois pieds dans le même soulier."
Q- C'est le "führer prinzip" : c'est ce qu'a dit B. Anthony, qui est aussi membre du Front National...
R- "Non, il est un simple membre du Front National, puisqu'il a quitté les responsabilités qui étaient les siennes il y a déjà plusieurs mois... mais c'est un mot."
Q- Le "führer prinzip", cela vous vexe comme mots ?
R- "Je les récuse tout à fait. C'est tout à fait anormal, excessif et idiot."
Q- Drôle d'ambiance, quand même, au Front National !
R- "Non, pas drôle d'ambiance, excellente ambiance ! Vous allez voir, nous aurons probablement les panneaux numéro un ce matin et nous serons certainement dans les deux ou trois premiers partis aux élections européennes. Vous allez pouvoir vous en rendre compte. Je vais d'ailleurs vous dire quelle est la moyenne sur laquelle je table, puisque entre la moyenne présidentielle et la moyenne régionale dans mon secteur, c'est 21,41 %. Je n'ai pas trop de souci à me faire !"
Q-Je disait "drôle d'ambiance", parce que M.-F. Stirbois, qui briguait la deuxième place dans la liste du grand Sud-Est, mais qui n'est pas présente ...
R- "Elle est présente en Languedoc-Roussillon. Elle a choisi elle-même la dernière place, plutôt que la quatrième chez moi, qui sera pourtant élue."
Q-. disait que vous étiez victime d'un petit groupe, une sorte d'Etat lilliputien. Vous savez à qui elle pense ?
R- "Oui, c'est de la petite polémique. Je crois qu'il y a un moment où cela devient indécent, en période électorale, quand cela monopolise la toute petite partie d'espace médiatique à laquelle nous avons droit !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mai 2004)