Interviews de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, à France-Info le 30 août 2004 et à LCI le 31, sur la prise d'otages de deux journalistes français en Irak, la loi sur la laïcité et l'islam en France.

Prononcé le

Média : France Info - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

France Info - 30/08/2004
Q- R. Donnedieu de Vabres, je rappelle que vous êtes ministre de la Culture et puis, plus précisément, pour nous, aujourd'hui, ministre de la Communication. Cela fait maintenant 11 jours que nous n'avons plus de contact avec G. Malbrunot, du Figaro, et C. Cheysnot, qui collabore à Radio France. Dans une cassette, leurs ravisseurs donne un ultimatum à la France : "jusqu'à ce soir 21 heures". Alors, bien sûr, la question que l'on se pose, c'est : que peut faire la France ? Que fait la France ?
R - "Tout d'abord, vous me permettrez d'exprimer de la solidarité, de l'émotion, de la compassion vis-à-vis de C. Cheysnot et de G. Malbrunot, vis-à-vis de leur famille, de leurs amis, de leurs camarades de travail qui sont dans cette inquiétude. Et au-delà de cette compassion, de la détermination et de la colère. De la détermination, parce que, le président de la République l'a indiqué, hier après-midi, depuis quelques jours, nous sommes en état de veille active, de combat d'action, pour faire en sorte que leur libération soit obtenue. Toutes sortes de contacts sont utilisés pour y parvenir. Vous comprendrez aisément qu'on ne puisse pas publiquement en parler. C'est la raison pour laquelle le ministre des Affaires étrangères s'est rendu dans la région pour coordonner l'action de celles et ceux qui sont présents, pour avoir les contacts et les solidarités nécessaires."
Q- Quand vous dites "dans la région", c'est autour de l'Irak, c'est en Irak ? Il est en Egypte aujourd'hui...
R - "Il est, au moment où nous parlons, il est à quelques minutes d'intervenir sur Al-Jazira, depuis Le Caire, pour s'exprimer, très fortement, au nom de la France ; pour rassembler le plus grand nombre de citoyens, d'associations, de religieux de cette région en nôtre faveur. Parce que la France est l'amie des pays arabes ; l'amie des musulmans, partout dans le monde. Et nous avons été heureux de constater la réaction immédiate de solidarité des Français de religion musulmane qui se sont exprimés, hier matin. Tout simplement pour dire qu'ils étaient, avant tout, des Français révoltés, quelle que soit la religion de chacun. Aujourd'hui, c'est cette France rassemblée, réunie, autour de cette cause que nous devons obtenir, c'est-à-dire la libération de nos otages. Les valeurs de notre pays ce sont celles de la liberté de penser, de la fraternité, de l'égalité absolue, quelle que soit l'origine, quelle que soit la religion. Et c'est cela que nous voulons faire entendre partout dans le monde. C'est ce qu'a indiqué le président de la République, en disant que "ces valeurs de respect, de tolérance inspirent notre action partout dans le monde", comme sur notre territoire national. Et il a eu raison, bien évidemment, de rappeler que c'est cela qui a légitimé "le fondement même de la politique de la France en Irak", c'est-à-dire, le respect du droit, le respect de la liberté. Et à travers ces deux journalistes qui sont pris en otages, vous voyez bien que c'est la démocratie, que c'est la liberté de l'information, que c'est la liberté d'expression qui sont en cause. Les journalistes, ce sont les symboles, ce sont les témoins actifs de cette cause, de cette liberté. C'est la raison pour laquelle le message que nous adressons est un message fort. Et nous sommes heureux de voir que, dans chacune des capitales, que dans un certain nombre d'institutions religieuses qui, parfois, n'ont pas bien compris un certain nombre d'éléments de notre politique, il condamne, avec la plus extrême fermeté, cette prise d'otages."
Q- On sent bien qu'il y a politiquement une unité nationale en France, mais cela ne va pas suffire. Est-ce qu'en Irak, il y a une collaboration avec les Américains, sur le terrain ? Recherche-t-on ces deux otages ?
R - "Tous les efforts sont faits sur place pour parvenir au résultat de la libération, avec une multiplicité de contacts et avec des coopérations très fortes et permanentes entre tous les services de renseignements des démocraties occidentales. Même dans les périodes de crise absolue, cette coopération a toujours existée, elle existe. Vous comprendrez que l'on ne puisse donner aucun élément d'information au moment où nous nous exprimons, parce qu'il est vraisemblable que par les moyens de communication tels qu'ils fonctionnent aujourd'hui, les comparses de ceux qui sont en train, par cette prise d'otages, de commettre ce crime - parce qu'une prise d'otages, c'est un crime - cherchent toutes les informations nécessaires et possibles. Nous ne donnerons donc aucune information leur permettant d'identifier ce que nous sommes en train d'essayer de faire et d'obtenir."
Q- En ce moment, les moyens français en Irak sont-ils suffisants sur place ?
R - "Les moyens sont présents. Ils ne seront suffisants que le jour où l'on aura obtenu la libération. Vous savez, on a un objectif, qui est difficile à atteindre : c'est la libération de nos otages. Alors, tout est mis en uvre. Nos dispositifs, comme l'a indiqué le Premier ministre, ont été renforcés. Je ne peux pas en dire, mais voilà. Les heures comptent mais tout est enclenché."
Q- J.-P. Raffarin vient de dire qu'il venait de renforcer le dispositif français en Irak ?
R- "Je ne peux pas donner de détails. Ce n'est pas pour cacher l'information - ce serait ridicule et ce serait honteux. Mais là, vous voyez bien que l'on est dans une espèce de situation opérationnelle de crise absolue. Nous ne pouvons pas dire les initiatives qui sont prises, nous ne pouvons pas dévoiler qui sont les interlocuteurs ou les contacts, parce que ce serait évidemment grave et suicidaire, encore une fois par rapport à la cause que nous voulons servir. Mais comme l'a rappelé le président de la République et le Premier ministre, dans la journée d'hier, tout est mis en uvre pour parvenir à ce résultat. Et nous avons souhaité, et nous obtenons, heure par heure, les pressions et les mobilisations d'un certain nombre d'entités religieuses, de gouvernement, sur place et dans la région, parce que c'est évidemment quelque chose de très important et de nécessaire, pour dénoncer avec force cette agression insupportable dirigée contre la démocratie, contre la liberté d'expression. Vous savez, dans les conventions internationales de Genève sur le droit de la guerre, s'en prendre à un journaliste comporte des circonstances aggravantes. Parce qu'un journaliste, c'est justement une sorte de "casque bleu" de la démocratie et de l'humanisme. C'est donc une circonstance aggravante que s'en prendre à un journaliste, qui est là pour faire triompher la vérité, pour mobiliser les énergies, pour dénoncer ce qui doit l'être partout dans le monde et obtenir les solidarités nécessaires. Et donc, c'est un symbole, évidemment au-delà des personnes - et nous sommes attachés avant toute chose aux personnes -, mais on s'en prend aussi aux symboles. Et ça, c'est une guerre qui est menée."
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 31 août 2004)
LCI - 31/08/2004
Q- Au vu des derniers développements, de la cassette diffusée par Al Jazira, et des informations dont vous pouvez disposer, le gouvernement est-il plutôt optimiste ou plutôt pessimiste sur les chances de libérer nos deux confrères ?
R- "Le Gouvernement est comme les Français ; nous sommes mobilisés, nous sommes unis, nous sommes inquiets. Tant que nos otages ne seront pas libérés, nous serons dans cette inquiétude que je ne peux qualifier. C'est une grande inquiétude. Mais nous sommes totalement mobilisés. Et l'ensemble des Français, quelle que soit leur religion, quelle que soit leur croyance, quelles que soient leurs appartenances politiques, aujourd'hui, est en état de choc, exige cette libération de nos otages, parce que nous ne comprenons pas pourquoi deux journalistes, qui sont les symboles de la liberté d'expression, de la liberté de l'information, sont pris en otage. Deux Français, qui connaissent particulièrement bien les pays arabes, qui aiment les pays du monde arabe, qui respectent, par définition, la coutume, la religion, la foi, la croyance de chacun. Pourquoi deux journalistes français, alors que notre pays, vis à vis de l'Irak, a exprimé avec une immense force, la nécessité du respect du droit, pour parvenir à la paix et à la sécurité internationale au sein de l'ONU, et donc cette mobilisation elle est forte et réelle. Beaucoup de contacts, beaucoup d'initiatives, bien évidemment, sont en cours, nous sommes mobilisés et inquiets."
Q- Quelques questions très précises. D'abord : qu'est-ce que répond le Gouvernement aux propos tenus à travers les deux journalistes, instrumentalisés dans la cassette, demandant à J. Chirac d'abroger la loi et au peuple français de se mobiliser pour protester contre la loi ?
R - "Au moment où je vous parle et où je vous réponds, P.-L. Séguillon, nous avons deux journalises pris en otages. Alors, peut-être que nos propos sont écoutés, observés et analysés. Leur seule réponse que je peux faire, c'est de dire qu'en France, la liberté religieuse elle est garantie à chacun et les Français, de religion musulmane, comme de toutes les autres religions, l'ont exprimé ces jours derniers, vont le réexprimer, aujourd'hui, en France, pays des droits de l'Homme : chacun a le droit de pratiquer sa religion. Et les Français de religion musulmane, quelle que soit leur appartenance politique ou philosophique personnelle, expriment cela et réclament la libération de nos otages."
Q- Alors, vous êtes ministre de la Communication.D'abord, estimez-vous qu'il faut ou qu'il ne faut pas présenter les images publiées par Al Jazira, de votre point de vue ? C'est évidemment la responsabilité de chaque rédaction mais j'aimerais avoir votre sentiment.
R - "Chaque rédaction a pris ses responsabilités. L'engrenage dans lequel nous sommes placés est terrifiant, c'est-à-dire que vous voyez bien que certains cherchent à utiliser les armes de la démocratie à des fins politiques"
Q- Donc vous pensez qu'il vaut mieux refuser ?
R - "Eh bien cette information elle est largement publique, mais il y a une guerre qui se passe à travers, aujourd'hui, la gestion des images, la gestion de l'information, et vous voyez bien que nous sommes dans une période où chacun a des réflexes nouveaux, ne serait-ce que le réflexe du rassemblement, vous l'avez vu hier au Trocadéro, il y a des moments où le débat démocratique classique est insupportable. Et aujourd'hui aucun d'entre nous, quel qu'il soit, de droite ou de gauche, n'a envie d'avoir un débat démocratique classique."
Q- Dans cette guerre, vous, ministre de la Communication, recommandez-vous ou non, aux journalistes de quitter l'Irak ?
R - "Mais"
Q- Français.
R - "je ne peux pas le faire de manière abstraite, parce que, pour le moment, nous ne connaissons pas l'identité exacte et le mode de fonctionnement des ravisseurs. Lorsque nous pourrons, j'espère, de manière heureuse et positive, tirer les conclusions de ce qui s'est passé, nous pourrons apporter les réponses à cela. Mais il ne faut pas que nous nous engagions, nous, le pays des droits de l'Homme et de la démocratie, dans une spirale qui serait celle de la censure. Pourquoi est-ce que dans la Convention de Genève les journalistes ont droit à un traitement particulier ? Parce que ce sont, j'allais dire, les Casques Bleus de la démocratie et de l'humanisme, c'est-à-dire qu'il leur appartient, en étant sur place et partout dans le monde, de faire émerger la vérité."
Q- Dans cette guerre, vous parliez de cette guerre de communication, que pensez-vous du jeu joué par Al Jazira ?
R - "Mais c'est un paramètre nouveau dans cette bataille internationale, parce qu'il y a une grande diversité des sources d'informations. Le ministre des Affaires étrangères s'est exprimé au Caire, devant vos confrères d'Al Jazira, parce qu'il nous paraissait nécessaire de porter la parole avec l'ensemble des vecteurs qui permettent d'aboutir peut-être à un résultat. Il y a un certain nombre de chaînes de radios, d'ailleurs, françaises"
Q- Alors, est-ce que dans ce contexte..
R - " qui sont écoutées, fortement, et que nous essayons d'utiliser au maximum."
Q- Est-ce que dans ce contexte, le ministre de la Communication ne regrette-t-il pas aujourd'hui, que la fameuse chaîne souhaitée par J. Chirac, internationale, d'information, n'existe toujours pas et soit toujours dans les cartons ?
R - "Mais beaucoup de moyens d'expression internationaux existent aujourd'hui et fonctionnent remarquablement bien."
Q- Alors, répondez-moi précisément
R - "Radio France Internationale fonctionne remarquablement bien, RMC Moyen Orient fonctionne de manière remarquable, nous avons utilisé toutes sortes de moyens de communication."
Q- Question précise : est-ce que le projet de chaîne internationale, tel que l'a réalisé M. Brochand, alliance du service public et d'une chaîne privée, en l'occurrence TF1, est abandonné et enterré ? Avez-vous un nouveau projet à proposer ? Verra-t-on jamais cette chaîne ?
R - "Il n'est évidemment pas abandonné. Le rayonnement de nos idées, au- delà de nos frontières, et surtout dans les périodes de crise, est une impérieuse nécessité. Nous avons déjà des moyens de diffusion, il faut les renforcer, ils seront renforcés et il faut que se conjuguent les énergies de celles et ceux qui le font aujourd'hui et de celles et ceux qui peuvent le faire demain. Et donc ce projet est un bon projet."
Q- Tout à l'heure vous avez parlé de contact, il fut un temps où J.-C. Marchiani menait ses contacts. Hier, notre correspondant disait : J.-C. Marchiani nous manque dans cette affaire, il est aujourd'hui à la Santé. Regrettez-vous l'absence d'hommes capables de mener ces contacts souterrains ?
R - "Tout l'appareil d'Etat est mobilisé aujourd'hui Et donc, je souhaite tout simplement que l'ensemble des initiatives qui sont prises, des actions qui sont menées par des fonctionnaires ou par des militaires, d'exceptionnelle qualité, aboutissent à la libération de nos otages. Nous avons, en France, la chance d'avoir des équipes vraiment très entraînées, très aguerries, formées à ce genre de problème, j'espère qu'ils auront les résultats que nous attendons."
Q- Dernière question. Le Premier ministre irakien a fait une déclaration à plusieurs organes de presse en disant deux choses : un avertissement, la France ne sera pas épargnée, un reproche implicite, la France n'a pas aidé les Irakiens, n'a pas pris ses responsabilités dans la lutte contre le terrorisme.
R - "L'heure n'est pas au débat sur les modalités de la politique étrangère. S'il faut un jour avoir un débat sur la politique étrangère "
Q- Que répondez-vous au Premier ministre irakien ?
R - "que nous devons avoir avec d'autres Etats et avec le gouvernement irakien, nous pourrons l'avoir. Aujourd'hui, notre pays attend de chacun qu'il contribue et apporte sa pierre à la libération de nos otages. Aujourd'hui, nous n'avons pas de la moindre manière envie d'entrer dans une polémique, nous souhaitons tout simplement que se rassemblent, comme c'est le cas, et nous remercions toutes celles et tous ceux qui aujourd'hui, dans chacun des pays du monde arabe, tous les chefs religieux qui, aujourd'hui, par solidarité vis à vis de la France, par reconnaissance et par gratitude vis à vis de ce que nous exprimons, c'est-à-dire le principe de liberté, religieuse, le principe du respect du droit, le respect des Nations Unies, nous remercions celles et ceux qui aujourd'hui apportent leur concours à cette tâche de libération.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 août 2004)