Interviews de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "Le Monde" et "Le Point" du 30 juin 2000, sur la baisse de l'aide publique au développement et de la coopération, le maintien de l'aide-projets (ADP), l'utilisation de l'effacement de la dette des pays les plus pauvres pour leur développement et l'amélioration de l'aide européenne au développement.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - Le Point

Texte intégral

Entretien avec "Le Monde" :
Q - De nombreuses organisations dénoncent la baisse de près de moitié de l'aide publique française au développement (APD) en cinq ans. Que leur répondez-vous ?
R - L'aide publique au développement a connu un pic statistique en 1994 qui s'expliquait par la nécessité d'accompagner par des aides budgétaires la dévaluation du franc CFA. Ceci explique en partie la diminution de l'APD depuis cinq ans : le processus était graduel, l'aide budgétaire diminuant à mesure que la situation s'améliorait, que les pays sortaient du choc de la dévaluation et parvenaient à rééquilibrer leurs charges.
La coopération technique, autre grand volet de l'aide qui avait explosé au lendemain des indépendances, a été ensuite réduite pour des raisons qu'on ne saurait reprocher à la France, puisqu'il s'agissait d'éviter de prendre la place des élites africaines, de renoncer à une coopération de substitution et d'encourager la relève par les administrations des pays concernés. On est passé de plus de 30.000 à moins de 3.000 assistants techniques. Est-on allé trop loin trop vite ? Ce qui est sûr, c'est que réduire encore serait prendre le risque de disparaître de certains pays ou de certains secteurs. En revanche, il faut réformer l'assistance technique, redéfinir la mission de ces coopérants, intégrer la disparition des volontaires du Service national et l'arrivée des volontaires civils. Cette réforme va faire l'objet d'une étude cette année.
Q - Qu'en est-il de ce que l'on appelle l'aide-projets (ADP) ?
R - Elle a été maintenue à son niveau en 2000, pour la première fois depuis plusieurs années, ce qui reflète notre volonté politique ; et j'ai de bonnes raisons de croire que nous parviendrons à l'accroître en 2001. L'élaboration de bons projets de développement dans le cadre du partenariat se heurte parfois à des difficultés tenant à la faiblesse des administrations des pays concernés, laquelle est aussi l'une des explications de la sous-consommation du Fonds européen de développement. D'autre part, certains programmes, malheureusement, n'ont pu être mis en oeuvre en raison de crises, de guerres, en particulier dans l'Afrique subsaharienne. L'APD représente 0,40 % du PIB, ce qui fait de la France le pays qui, au sein du G7, consent le plus gros effort de solidarité. Les Etats-Unis sont à 0,10 %, l'Allemagne à 0,26 %, la Grande-Bretagne à 0,28. Le mouvement de baisse a été général, sauf dans les pays nordiques (le Danemark est à 1% du PIB, la Suède, la Norvège, la Finlande entre 0,70 et 0,80 %).
Q - Les annulations de dettes ne risquent-elles pas de se substituer aux projets concrets de développement ?
R - Il faut permettre aux pays concernés d'utiliser à plein la marge de manoeuvre que l'effacement de la dette va leur procurer. Notre idée est la suivante : nous acceptons que ces pays ne remboursent pas la part insoutenable de leur dette ; quant au solde - la part que nous considérons comme soutenable, remboursable - discutons des moyens de le convertir en projets de développement. Cette mécanique (on efface la totalité de la dette, mais on en reconvertit une partie dans le développement) ne doit pas être trop lourde. Il faut que très vite nous arrêtions des procédures, que nous en parlions avec nos partenaires européens et au sein des institutions multilatérales. Ce sera l'un des thèmes de notre réunion avec le Programme des Nations unies pour le développement, vendredi à Paris. Quant au FMI et à la Banque mondiale, l'Europe doit s'y faire mieux entendre. C'est le sujet de la réunion des ministres européens du développement, qui se tiendra, également vendredi, à Paris : comment l'Europe peut-elle affirmer son identité dans le domaine de l'aide au développement, être plus visible et surtout plus efficace ?
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 04 août 2000).
Entretien avec Le Point :
Q - Qu'attendez-vous de la conférence qui a réuni cette semaine à Paris les ministres européens du Développement et le président de la Banque mondiale ?
R - Il s'agit de soigner la triple crise de confiance qui existe à propos de l'aide : dans les relations entre le Nord et le Sud ; au sein de nos opinions publiques ; et dans celles des pays pauvres, qui ne voient pas les retombées des politiques de développement. La solution est d'être plus transparent et plus efficace. Il faut, en particulier, mieux articuler l'aide européenne et les aides nationales. La prise de conscience en est évidente depuis que les Européens ont découvert que, du fait de la lourdeur des procédures, 9,5 milliards d'euros d'aide de l'UE n'ont pas été utilisés.
Q - Comptez-vous profiter de la présidence française de l'UE pour mener une politique de développement différente ?
R - Nous allons réaffirmer les objectifs traditionnels : la lutte contre la pauvreté. Mais nous pensons qu'un développement durable passe aussi par la réaffirmation du rôle des Etats.
Les secteurs de l'éducation, de la communication, des transports ne peuvent pas être laissés aux seuls privés. Le développement doit se fonder sur un appui institutionnel aux systèmes judiciaire, administratif, aux douanes, aux finances publiques, à la police... De plus, la solidarité internationale ne peut être limitée aux pays les plus pauvres. Imaginerait-on un système de sécurité sociale qui s'appliquerait aux seules personnes dans une extrême pauvreté ? Mais les pays doivent aussi comprendre que la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption sont nécessaires. L'insécurité décourage l'investissement privé. Il leur faut construire un cadre légal et administratif qui garantisse l'Etat de droit non seulement pour les personnes mais aussi pour les entreprises.
Q - Sur quels partenaires européens pouvez-vous compter ?
R - Nous sommes très proches des Allemands, des Portugais, des Italiens. La Grande-Bretagne, les Pays-Bas, les pays nordiques ont tendance à confier le développement à la société civile. Ils ont des ONG très puissantes. Mais ce ne sont pas elles qui peuvent, seules, prévenir les crises ou maintenir la paix. Cela reste du ressort des Etats.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 04 août 2000).