Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la rénovation du Musée des Arts et Métiers, Paris le 10 avril 2000.

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Circonstance : Inauguration du Musée des arts et métiers à Paris le 10 avril 2000

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conservatoire national des arts et métiers,
Madame l'Administratrice générale,
Madame la Directrice,
Mesdames, Messieurs,
Vous avez évoqué, Madame l'administratrice générale, le rôle essentiel que joue dans notre système de formation le Conservatoire National des Arts et Métiers, cette " université de la seconde chance ". Ce musée si beau apporte à son travail une dimension scientifique et culturelle exceptionnelle et la profondeur du temps. C'est pourquoi j'avais souhaité, voici plus de dix ans, lorsque j'étais ministre de l'éducation nationale, qu'il soit rénové. Pierre PIGANIOL a dans son rapport défini le contenu et le sens de cette rénovation. Celle-ci devint un des grands travaux conduits par Emile BIASINI durant le second septennat de François MITTERRAND. Enfin, Dominique FERRIOT, qui dirige depuis 1988 ce musée, a porté le projet de sa rénovation au point de s'identifier à cette uvre aujourd'hui aboutie.
Quant à moi, comme tous ceux qui sont venus à plusieurs reprises dans ce musée à travers les années, je suis frappé de la métamorphose qu'ont connue ces lieux, par la beauté et le contraste des matériaux employés -bois précieux, bronze, cuivre, verrerie, plastiques. Dans le recueillement de cette église dédiée à Saint Martin, le pendule de FOUCAULT qui fascina Umberto ECO oscille doucement. Non loin de cette superbe statue de la liberté planent, tout en haut, les avions de BREGUET et de BLERIOT. Moderne " cabinet de curiosités ", grenier aux merveilles, bric-à-brac surréaliste où règne le coq-à-l'âne : on peine à définir ce lieu sans égal qui évoque, vous y avez fait allusion, le dernier temple d'une foi positiviste dans le progrès des techniques. Jules VERNES n'est pas très loin, que rappelle la station " Nautilus " du métro Arts-et-Métiers.
Ce Musée est fidèle au magnifique projet de l'Abbé GREGOIRE.
" Eclairer l'ignorance qui ne connaît pas et la pauvreté qui n'a pas le moyen de connaître ". Cette belle phrase de l'abbé GREGOIRE devrait rester la règle d'action de tout Gouvernement soucieux de démocratie et de justice sociale. Projetant de " perfectionner l'industrie nationale ", ce défenseur de l'Instruction publique proposa en l'an III de créer un conservatoire des arts et métiers réunissant toutes les inventions jusque là disséminées. Il voulait, en particulier, permettre à l'artisan enfermé dans son atelier de sortir de son isolement et stimuler ainsi sa créativité.
Ces objectifs initiaux demeurent pleinement actuels.
Ce musée veut sensibiliser tous les âges et toutes les catégories sociales au progrès et à l'innovation. Depuis le 21 mars, les élèves des écoles, les familles, le public le plus large viennent en ces lieux. Curieux de l'évolution des techniques du siècle des Lumières à nos jours, ils trouvent dans ce musée une galerie très complète de l'évolution des machines. A l'outil, prolongement du corps humain, vient se substituer l'automate, puis le robot, doté de son programme et de son autonomie -une machine aujourd'hui omniprésente dans notre vie quotidienne.
Ce musée cherche à donner le sens de l'expérimentation et de la prise de risque. Cette pédagogie par l'objet est particulièrement nécessaire dans notre pays, traditionnellement plus sensible aux humanités qu'à l'enseignement de la technologie. En mettant en évidence les processus plutôt que les résultats, en proposant un contact direct avec les réalisations de la technique, il remplit pleinement cette prédiction de l'Abbé GREGOIRE : " l'expérience seule, en parlant aux yeux, aura droit d'obtenir l'assentiment ".
Il rénove cette approche en un projet muséographique cohérent.
En ces lieux se rencontrent l'esthétique, la pédagogie et la recherche. Le travail accompli par M. Bernard FONQUERNIE, architecte des monuments historiques et l'architecte italien M. Andréa BRUNO, l'aménagement conçu dans cette église par MM. DESLAUGIERS et ROUSSEL mettent en scène la rencontre entre l'histoire et la compréhension du monde actuel qui fonde ce projet. Au sein du CNAM, ce musée fait vivre cette double logique : conserver le patrimoine national illustrant le progrès des sciences et des techniques ; contribuer au développement de la recherche historique comme à la formation scientifique et technique. La rénovation réconcilie ainsi deux missions essentielles et complémentaires du musée : une mission culturelle et une mission éducative.
En rapprochant art et technique, il remonte aux sources de la création. Il montre l'impact de la technique sur l'art. Les vases de GALLE soulignent quel rôle joue la chimie du verre dans la conception de leurs décors symbolistes baignés par une brume laiteuse. Il propose un autre regard sur la technique. L'ensemble d'engrenages et de courbes roulantes, le mécanisme à croix de Malte de SCHROEDER n'est guère éloigné, avec ses " roues molles " des montres d'un DALI. Il redonne, avec par exemple le lion et le serpent en verre filé de LAMBOURG, précurseur de la fibre de verre, son plein sens au chef-d'uvre : prouesse technique et objet d'art. " Connaissance des Arts " et " L'Usine nouvelle " ne s'y sont pas trompés, qui ont consacré chacun un catalogue à cette exposition.
Devenu musée, il reste lieu d'enseignement et de recherche. Les premières chaires -d'économie politique, de mécanique et de chimie appliquée aux arts- furent créées dès 1819 dans cette maison. A la fois théoriciens et praticiens -ayant souvent flirté avec l'industrie- les professeurs se faisaient démonstrateurs grâce à un rail que nous venons de voir et qui permettait de déplacer les objets vers les amphithéâtres. Les nombreux groupes scolaires qui viendront ici tireront un grand profit des expériences que vous pourrez y réaliser. Les publics plus avertis pourront également visiter les très riches réserves construites à La Plaine-Saint-Denis. Vous avez également fait une place aux métiers d'aujourd'hui et aux formations qui y conduisent avec l'aide des professions. Ce sera pour tous les jeunes à la recherche d'un métier un moyen précieux de s'orienter.
Enfin ce musée est, pour moi, emblématique de priorités de ce Gouvernement.
Il met en scène et traduit l'exigence d'information et de transparence scientifique. Il nous présente le progrès pour que nous sachions en maîtriser les risques. Le citoyen, comme le décideur politique, a besoin pour se faire une opinion d'informations, d'explications, de débats contradictoires. C'est aussi une condition de l'acceptation du progrès par le public. La transparence et le débat éclairent aujourd'hui les grands choix scientifiques et techniques. C'est le cas dans le domaine de l'énergie nucléaire comme dans celui des organismes génétiquement modifiés. Les conférences de scientifiques réunies dans le cadre du CNAM par la mission 2000 servent un même but. La Semaine de la science organisée par le ministère de l'éducation nationale permet également de sensibiliser un public de tous âges aux sciences et aux techniques. Cet effort global d'information doit concerner aussi la dimension éthique et les conditions dans lesquelles le politique met en uvre le principe de précaution.
Ce Musée marque l'exigence d'une formation tout au long de la vie. Musée, enseignements, recherche fondamentale et appliquée trouvent ensemble leur place au CNAM. Cet établissement et les enseignants qui l'animent jouent un rôle essentiel dans la formation professionnelle continue. Le CNAM, à Paris comme dans ses centres régionaux, est accessible à tous. Il propose à des milliers d'auditeurs une formation adaptée à de multiples secteurs. Il investit fortement dans l'utilisation des techniques de l'information et de la communication appliquées à la formation. Au-delà, l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur doivent mobiliser leurs compétences. Mais l'expérience professionnelle est aujourd'hui insuffisamment prise en compte. C'est un frein social qu'il faut desserrer. Le Gouvernement soumettra prochainement au Parlement un projet de loi de modernisation sociale. Celui-ci comportera des dispositions relatives aux diplômes et aux titres à finalité professionnelle afin de favoriser la validation des acquis professionnels.
Ce Musée rappelle que nous avons à cultiver une véritable " tradition d'invention ". De la calculatrice de PASCAL au métro METEOR, en passant par le fardier à vapeur de CUGNOT et la caméra des frères LUMIERE, il retrace l'aventure des inventions françaises. Le Gouvernement a marqué, en organisant en mai 1998 des Assises de l'innovation, sa volonté d'éveiller le goût du risque et le désir d'entreprendre. Notre pays change à cet égard. C'est le mérite de Claude ALLEGRE d'avoir fait voter la loi sur l'innovation et la recherche et d'avoir institué le concours national de créations d'entreprises innovantes. Le ministre de la recherche, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, poursuivra cette politique. Souvenons-nous en ces lieux que c'est au CNAM qu'étaient déposés au siècle dernier les brevets d'invention. Il nous faut aujourd'hui susciter plus nombreuses des vocations d'inventeurs et de créateurs d'entreprise. J'annoncerai demain, lors des Etats Généraux de la création d'entreprises, des mesures visant à permettre au plus grand nombre de se lancer dans cette aventure.
Mesdames, Messieurs,
A la fin du siècle dernier, un journaliste du " Petit Parisien " écrivait que si l'on voulait conduire des enfants au musée, il faudrait aller une fois au Louvre et venir six fois ici pour y voir les collections mécaniques et industrielles. Et ce musée est un véritable " Louvre des inventeurs ". Il traduit, comme le Grand Louvre, les orientations d'une même politique, dont Jack LANG fut le premier artisan : démocratiser la culture, amener aux musées ceux de nos concitoyens qui en sont le plus éloignés, faire que notre patrimoine contribue à l'éducation des jeunes. Ce musée redevient aujourd'hui un lieu de savoir et de plaisir : du plaisir de la découverte. Lieu de rencontre du beau et de l'invention humaine, il émerveillera -il éveillera aussi-, j'en suis certain, ceux qui seront demain dans notre pays les nouveaux aventuriers de la recherche et des techniques.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 avril 2000)