Interviews de M. Alain Krivine, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire, à LCI le 31 octobre et dans "Le Monde" le 1er novembre 2003, sur l'accord entre la LCR et Lutte ouvrière pour les élections régionales et européennes 2004, son opposition à la ligne politique du Parti socialiste, sa proximité avec le mouvement altermondialiste, et sur la présence au forum social européen du théologien musulman, T. Ramadan, dont les idées sont taxées "d'antisémites".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - La Chaîne Info - Le Monde - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. On dit en général que "la loi fait nécessité". Il faut 10 % des voix pour être présents au deuxième tour des régionales. Ce qui va amener les partis dits "trotskistes" à s'unir, à faire un accord. La LCR va donc conclure un accord avec LO. Ca y est, c'est fait ?
- "Oui. D'abord, ce n'est pas lié uniquement à une loi qui n'est pas démocratique, puisqu'il va falloir près de 10 %. Mais c'est plus lié à une orientation politique. On a toujours cherché au plan électoral, depuis très longtemps, à rassembler toutes les forces qui ne se reconnaissent pas dans la gauche traditionnelle. Depuis cinq ans avec LO, il y avait un froid qui ne venait pas de notre part. On a été élus ensemble au Parlement européen, il y a cinq ans et puis après..."
Le froid a continué à l'élection présidentielle...
- "Il a continué, oui. Et nous, sans arrêt, on a toujours été très unitaires. Aujourd'hui, le Congrès de la Ligue a lieu, ça va être sans doute décidé, faire un accord pour les élections régionales et pour les élections européennes."
Sur quelles bases précises ? Ce qui fait problème, pour ne pas tourner autour du pot, c'est : faut-il voter pour la gauche pour faire barrage au FN ?
- "Oui, mais l'essentiel ne va pas être là-dessus. L'essentiel, on s'est mis d'accord sur une profession de foi commune qui va prendre, en gros, l'essentiel des revendications du grand mouvement de grève qu'on a connu avant les vacances. Donc, c'est une façon de faire en sorte que les millions de gens qui avaient voté ou pour A. Laguiller ou pour O. Besancenot - ça faisait, quand même près de 3 millions - puissent arriver à se retrouver une liste commune pour à la fois montrer leur volonté de résister à ce qui est, je crois, un des gouvernements les plus réactionnaires qu'on ait jamais connus en France, le gouvernement Raffarin, avec des provocations quotidiennes. Et puis, en même temps, ce sera la façon de montrer qu'ils n'ont pas confiance dans cette gauche qui a gouverné pendant des années et des années. Et le fait d'être ensemble - comme on dit "Arlette et le postier" -, je crois que ça peut redonner confiance aux gens. Pour ce qui est du deuxième tour - mais ça, ce n'est pas lié à l'accord avec LO -, nous, cela fait des années qu'on ne donne pas de consignes d'abstention ; on dit simplement qu'on ne donne pas de consignes de vote, sauf, là où le FN peut l'emporter. Dans ce cas-là, c'est évident qu'on appellera à voter à gauche. Mais ailleurs, on dit à la gauche..."
Ce sera stipulé dans l'accord ?
- "Absolument : partout où le FN peut l'emporter, on appellera à voter à gauche. Maintenant, pour le reste, c'est à la gauche d'aller gagner ses voix. C'est trop facile quand ils sont au gouvernement de mener une politique qui désespère tout le monde, notamment les travailleurs, les chômeurs et, quand arrivent les élections ils viennent nous accuser de faire passer la droite ! Alors, on leur dit qu'on ne veut plus être les ramasseurs de leurs balles perdues. Allez vous-mêmes gagner vos voix, on n'y fait pas obstacle, mais allez les chercher !"
Vous voulez les punir ?
- "Pas les punir, c'est simplement être cohérents avec nous-mêmes dans des élections, comme on l'est dans toutes les mobilisations sociales."
C'est pour cela qu'il était impossible pour vous d'accepter la proposition d'un homme comme G. Frêche, qui vous proposait des places sur ses listes sans obligation de vote ?
- "Ca, c'est typiquement du PS ! Mais nous, on ne joue pas, c'est politicien, c'est de la tactique électorale. Nous, on essaye d'être cohérents. Il y a un rejet de la politique justement à cause de méthodes de ce type. Nous, on a une ligne politique de puis le début. Ce qui nous rassemble, par exemple, avec LO, ce n'est pas seulement qu'on a été ensemble dans les grandes grèves, mais par exemple, on n'a pas été au gouvernement..."
Vous n'étiez pas tout seuls...
- "Non, mais je veux dire à pousser à ce qu'il y ait une généralisation, qui malheureusement n'a pas eu lieu. Mais ce qui nous rassemble, c'est qu'on les deux seuls partis à ne pas avoir été au gouvernement de Jospin. Pas simplement parce qu'il ne nous l'a pas demandé, mais parce qu'on savait que ça serait une politique qui allait désespérer les couches populaires dans le pays."
A droite et à gauche d'ailleurs, tout le monde parle de "danger trotskiste" pour les prochaines élections. Vous êtes un vrai danger ?!
- "On nous découvre de temps en temps, ensuite on nous enterre. Non, je crois qu'il y a une vraie place pour l'extrême gauche. "Trotskiste", les gens ne savent pas ce que cela veut dire, mais il y a une vraie place pour la nouvelle extrême gauche en France, qui s'est exprimée dans les urnes."
Vous êtes très proche du mouvement altermondialiste ?
- "Oui, on est même partie prenante avec bien d'autres..."
Mais une partie de ce mouvement, justement, refuse le vote, refuse les urnes. Alors, comment essayez-vous de convaincre ?
- "Vous avez des gens qui ne croient plus du tout aux urnes, parce qu'ils sont très déçus par la politique et les formations traditionnelles. On ne prétend pas incarner, à travers les urnes, le mouvement d'altermondialisation. On est une partie, depuis le début, on est complètement intégré à toutes ces grandes manifestations qui ont lieu à Porte Alegre, qui vont avoir lieu à Saint-Denis, bientôt, au Forum social européen ou qui se sont manifestées au Larzac. On est une des composantes, on n'a pas la prétention de représenter tout le monde."
Et vous dites qu'il faut voter, même si après, vous représentez des "poids morts" dans les institutions...
- "Je suis bien placé pour savoir le rôle des élections. Je suis député européen, ce n'est pas fondamentalement par nos votes qu'on va changer grand chose. Mais je crois que c'est important d'aller aux élections, sur un programme clair de pouvoir rassembler des gens, parce que cela redonne confiance ensuite pour les mobilisations sociales. Alors, ce que je ne comprends pas aujourd'hui ou ce que j'ai du mal à comprendre, c'est pourquoi il y a une telle haine de la part contre les trotskistes, l'extrême gauche - je peux comprendre d'ailleurs de la part du PS..."
Vous leur rendez bien.
- "Non, mais on a l'impression qu'on est l'ennemi principale. Je dis très franchement que pour moi l'ennemi principal, ce n'est pas Hollande et ce n'est pas le PC. C'est Raffarin, Le Pen et c'est le Medef. J'aimerais bien que le PS porte tous ses coups - et un peu plus qu'il ne l'a fait jusqu'à présent - contre le Medef que contre l'extrême gauche."
Oui, mais si vous l'empêchez de gagner ?
- "Mais ce n'est pas nous qui empêchons le PS de gagner. Si le PS a perdu les élections, ce n'est pas de notre faute. Il paye le prix de sa politique."
Le PS tout seul ne peut pas représenter 50 % des voix. Or si vous ne votez pas pour lui au deuxième tour, puisqu'il faut rassembler, alors que faut-il faire ?
- "La population des électeurs, ce n'est pas une armée en campagne. On peut donner les consignes qu'on veut - on ne donnera pas de consignes -, les gens votent en fonction de leur conscience. Et si aujourd'hui, vous avez des millions de gens qui votaient à gauche et qui ne votent plus, qui s'abstiennent ou qui votent pour l'extrême gauche, malheureusement certains pour Le Pen, le PS n'a qu'à s'en prendre à lui-même, qu'il aille lui-même chercher les voix, qu'il aille les gagner ! C'est quand même l'a-b-c de la démocratie. Ce n'est pas à nous de, je le répète, de jouer aux porteurs de valises."
Vous ferez liste commune avec LO également pour les européennes ?
- "Pour les deux élections, si le Congrès le décide demain."
Vous êtes député européen. Allez-vous briguer un nouveau mandat ?
- "Personnellement, je ne sais pas, on n'a pas vu encore les noms de qui va être candidat. Il y a une loi scandaleuse que peu de gens connaissent encore. Avant, avec 5 % sur une liste nationale, on avait des élus. Maintenant, il y aura huit listes différentes et, en gros, il faudra avoir minimum 7 à 8 % pour pouvoir avoir des élus. Cela va être très difficile. Les seuls qui risquent de sortir vainqueurs aux régionales, comme aux européennes avec la nouvelle loi, ça va être la droite, le PS et Le Pen. Et ça, c'est un drame."
Quand vous voyez que la reprise américaine fait un boom avec plus de 7 % de croissance, que dites-vous ?
- "Je dis, d'une part, que peut-être cette croissance est liée au développement de l'industrie de guerre, et dans ce cas-là, c'est une croissance qui fait mal. Et deuxièmement, je voudrais savoir où va cette croissance ? Je ne suis pas sûr qu'elle crée des emplois et je ne suis pas sûr qu'elle va enrichir les millions de pauvres aux Etats-Unis. J'ai peur que cette croissance permette d'augmenter les profits financiers, d'augmenter les profits boursiers. Mais je ne pense pas qu'il y aura une équitable répartition des richesses."
Je voudrais vous poser une question à propos du Forum social européen qui se réunit d'ici une dizaine de jours à Saint-Denis. Il y a une controverse autour de la venue d'un théologien musulman, T. Ramadan, qui prône une lecture radicale de sa religion. On lui a reproché d'être antisémite. Vous, vous avez pris partie pour sa venue en disant qu'il ne faut pas le bannir ?
- "S'il était antisémite, je serais contre sa venue, c'est évident..."
Mais vous êtes pour les communautarismes ?
- "Non, les écrits de Ramadan qui ont été publiés montrent qu'il n'est pas antisémite. Ramadan n'est pas mon ami personnel, d'abord je ne le connais pas. Je pense qu'il y a des tas de déviations communautaristes qui existent dans le monde musulman, qui existent aussi dans la communauté juive. Mais taxer aujourd'hui Ramadan, au vu de ses écrits, qui sont parus dans Le Monde et ailleurs, "d'antisémite" c'est faux. Ce que je crois aujourd'hui, c'est qu'on assiste à une tentative d'une partie du PS de criminaliser le Forum social européen, parce qu'ils ne sont pas très à l'aise là-dedans, et dès le départ de dire "vous invitez des antisémites", ce qui est faux. Il y a une forme de terrorisme intellectuel, notamment dans la communauté juive, que je connais bien, sur le thème : quand on attaque la politique d'Israël et de l'Etat d'Israël, on est antisémite. Eh bien, moi, j'attaque totalement la politique d'Etat d'Israël et la politique de l'armée israélienne, qui est scandaleuse en Palestine. Je ne crois pas du tout être antisémite et la LCR n'est pas du tout antisémite."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 octobre 2003)