Texte intégral
Die Welt : Madame, la ministre, de quelle manière les Européens peuvent-ils réagir à la tragédie de Madrid ?
Michèle Alliot-Marie : Ces attentats, odieux, n'ont fait que renforcer notre détermination commune, à nous Européens, de poursuivre sans faiblir notre lutte contre toute forme de terrorisme. Ce sont les valeurs de tolérance, de démocratie, de respect de la dignité humaine, de liberté qui fondent nos sociétés qui sont visées. Il est de nos responsabilité de les défendre L'Europe doit renforcer son efficacité à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières dans la lutte contre le terrorisme. La sécurité est en effet un tout qui englobe non seulement les aspects policiers, judiciaires, financiers mais aussi la dimension de défense et de protection de nos ressortissants. C'est le sens des orientations retenues par le Conseil européen depuis les attentats de Madrid, avec en particulier la nomination d'un coordinateur pour lutter contre le terrorisme. C'est aussi le sens des actions que nous avons menées depuis deux ans, en participation avec l'Allemagne pour doter l'Europe d'une défense crédible et opérationnelle.
Die Welt : Partagez-vous l'avis de Monsieur de Villepin. qu'il faut non seulement coordonner les mesures de sécurité pour lutter contre le terrorisme mais s'attaquer aux sources de l'instabilité dans le monde, que sont tout d'abord la crise du Proche Orient et l'Irak ?
Michèle Alliot-Marie : Les menaces que constituent le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive ou la grande criminalité trouvent leur origine dans les profondes frustrations engendrées par la pauvreté, les inégalités de développement, le sentiment d'injustice, les frustrations exacerbées par les antagonismes ethniques ou religieux. C'est pourquoi, la politique de sécurité contre le terrorisme doit s'accompagner d'une politique de règlement des différentes crises dans le monde comme celle du Proche Orient ou de l'Irak. Il y va de la responsabilité de la communauté internationale.
L'action militaire de la France, sous l'égide des Nations Unies, dans les Balkans, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire ou en Haïti s'inscrit à chaque fois dans cette perspective.
C'est pour cela aussi que la France plaide vigoureusement pour un règlement global de la question au Proche Orient reconnaissant le droit d'existence à Israël et le droit à un État palestinien dans des frontières sûres et reconnues.
Die Welt : Le gouvernement auquel vous appartenez dispose d'une majorité écrasante. Comment expliquez-vous le retard des reformes ?
Michèle Alliot-Marie : De nombreuses et importantes réformes ont déjà été mises en uvre. Elles concernant l'autorité de l'État dans le domaine de la sécurité, de la défense et de la justice ; la réforme des retraites ; l'exonération des charges sur les bas salaires ; les contrats jeunes en entreprise ; la décentralisation ou l'augmentation du SMIC. D'autres sont en cours, comme celle de l'assurance maladie ou de l'école. D'autres vont intervenir.
Il n'y a pas de retard dans la mise en uvre du programme sur lequel Jacques Chirac a été élu. Nous avons prévu des réformes sur cinq ans, et cela fait à peine deux ans que nous sommes au pouvoir. De plus le Gouvernement a choisi comme méthode celle de la concertation avec les partenaires sociaux, et cela prend du temps.
Die Welt : On parle beaucoup d'un remaniement. Est-il devenu indispensable après les élections régionales ?
Michèle Alliot-Marie : Nous avons entendu le message des Français. Il y a en France une vraie attente de réformes, et certains sont impatients. L'important, c'est donc que d'ici 2007, nous allions au bout des réformes pour lesquelles nous avons été élus. Le nouveau gouvernement sera celui d'un nouvel élan pour la France.
Die Welt : Alain Juppé semble être écarté de la politique française pour longtemps. Par contre, Lionel Jospin semble être en train de faire sa réapparition. Quel est votre sentiment ?
Michèle Alliot-Marie : Alain Juppé n'est pas écarté de la vie politique, il reste notamment président de l'UMP jusqu'au terme de son mandat.
Quant à Lionel Jospin, malgré ses apparitions qu'il présente lui-même comme celles d'un simple militant socialiste, je rappelle qu'il a annoncé son retrait définitif de la vie politique le 21 avril 2002, après son grave échec au premier tour des élections présidentielles
Die Welt : Après l'élargissement de l'UE à l'Est, le moteur franco-allemand risque d'être mis en minorité, notamment en ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune. Est-ce pour cette raison que la trilatéralisation du moteur franco-allemand, qui devra largement associer la Grande-Bretagne, est indispensable pour la France et l'Allemagne?
Michèle Alliot-Marie : La France, l'Allemagne, et le Royaume-Uni, jouent un rôle moteur au sein de l'Europe de la Défense. Nos liens très forts, fondés sur une histoire partagée et sur la volonté de bâtir un avenir commun, nous ont en permis, ces dernières années, de prendre des initiatives importantes dans le domaine clé de la défense. Au delà des premières opérations que l'Union Européenne a menées avec succès l'an dernier, je pense à la mise en place de la cellule de planification autonome, à la création de l'Agence européenne de défense ou encore à la constitution de groupements tactiques interarmées de réaction très rapides en soutien à l'action des Nations unies. Ces initiatives sont bien entendu ouvertes à tous les pays membres de l'Union. Certaines sont soutenues par des pays comme la Belgique ou le Luxembourg Le mécanisme dit des " coopérations renforcées " qui permettra d'associer tous les pays qui souhaiteraient aller plus avant dans un domaine spécifique. L'élargissement ouvre aux nouveaux membres des perspectives. Il y a quelques jours à Bratislava, j'ai noté que beaucoup d'entre eux réfléchissaient d'ores et déjà à leur contribution possible.
Il faut donc aborder l'élargissement avec confiance. C'est ce que nous faisons.
Die Welt : Comment la France et l'Allemagne sauraient-elles sortir du dilemme entre la nécessité d'une coopération très étroite et le soupçon permanent de leurs partenaires européens face à un directoire bilatéral ?
Michèle Alliot-Marie : L'amitié entre nos deux pays est une véritable force pour l'Europe. Le rôle de nos deux pays, scellé en 1963 par la signature du Traité de l'Élysée, repose sur cette conviction forte que la réconciliation, après près d'un siècle d'une histoire marquée par des conflits sanglants, peut porter le projet commun d'une Europe foyer et défenseur de la paix, de la démocratie et du développement. Ce fut l'intuition visionnaire des pères fondateurs. Les cérémonies du 06 juin prochain en seront, encore une fois, une démonstration éclatante, avec la présence, aux côtés du Président Chirac et des chefs d'État et de gouvernement alliés, de votre Chancelier.
Nos deux pays ont joué et continueront à jouer un rôle de premier plan dans la construction de l'Europe, c'est dans l'ordre des choses. Ce lien privilégié n'est cependant pas exclusif du dialogue permanent et de notre ouverture à tous nos partenaires pour faire avancer l'Europe, et en particulier l'Europe de la défense. Je crois pouvoir dire que la volonté commune de nos deux pays est de faire en sorte d'associer tous les États membres à la dynamique de construction de cette communauté de destin. Quand vous regardez les initiatives communes que nous avons lancé dans le domaine de la défense, qu'il s'agisse de la brigade franco-allemande, du Corps Européen ou de la constitution des outils de gestion des crises comme l'état-major de l'Union européenne, vous constatez que non seulement elles font désormais partie du " paysage " européen, si je puis dire, mais elle ont aussi contribué à renforcer notre identité d'Européens et la crédibilité de l'Europe en tant que puissance politique.
Die Welt : On parle de temps en temps d'une révision de la doctrine nucléaire, que la France se dote d'une nouvelle génération de missiles longue portée et d'ogives nucléaire " mini-nukes ". S'agit-il d'une pure spéculation ? Par quels moyens la France pourrait-elle adapter la force de frappe aux évolutions des menaces ?
Michèle Alliot-Marie : La doctrine nucléaire française a été publiquement précisée par le Président de la République le 8 juin 2001 devant l'Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN) et demeure inchangée. Notre stratégie nucléaire repose sur le principe de dissuasion. La France rejette fermement toute conception de l'arme nucléaire comme "arme d'emploi" ou "arme de bataille ". La doctrine française est donc purement dissuasive et s'inscrit dans le cadre du principe de légitime défense reconnu par la Charte des Nations Unies. Certains États développent des capacités balistiques qui pourraient leur donner les moyens, un jour, de menacer le territoire européen avec des armes nucléaires, biologiques ou chimiques. S'ils étaient animés d'intentions hostiles à notre égard, les dirigeants de ces États doivent savoir qu'ils s'exposeraient à des dommages absolument inacceptables pour eux. Dans la situation géographique et politique qui est celle de la France, la dissuasion nucléaire demeure une garantie essentielle face aux menaces nées de la prolifération. J'ajoute que la solidarité qui nous unit permet également à la dissuasion de contribuer à la sécurité de nos partenaires.
Propos recueillis par Jochen Hehn
(source http://www.defense.gouv.fr, le 8 avril 2004)
Michèle Alliot-Marie : Ces attentats, odieux, n'ont fait que renforcer notre détermination commune, à nous Européens, de poursuivre sans faiblir notre lutte contre toute forme de terrorisme. Ce sont les valeurs de tolérance, de démocratie, de respect de la dignité humaine, de liberté qui fondent nos sociétés qui sont visées. Il est de nos responsabilité de les défendre L'Europe doit renforcer son efficacité à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières dans la lutte contre le terrorisme. La sécurité est en effet un tout qui englobe non seulement les aspects policiers, judiciaires, financiers mais aussi la dimension de défense et de protection de nos ressortissants. C'est le sens des orientations retenues par le Conseil européen depuis les attentats de Madrid, avec en particulier la nomination d'un coordinateur pour lutter contre le terrorisme. C'est aussi le sens des actions que nous avons menées depuis deux ans, en participation avec l'Allemagne pour doter l'Europe d'une défense crédible et opérationnelle.
Die Welt : Partagez-vous l'avis de Monsieur de Villepin. qu'il faut non seulement coordonner les mesures de sécurité pour lutter contre le terrorisme mais s'attaquer aux sources de l'instabilité dans le monde, que sont tout d'abord la crise du Proche Orient et l'Irak ?
Michèle Alliot-Marie : Les menaces que constituent le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive ou la grande criminalité trouvent leur origine dans les profondes frustrations engendrées par la pauvreté, les inégalités de développement, le sentiment d'injustice, les frustrations exacerbées par les antagonismes ethniques ou religieux. C'est pourquoi, la politique de sécurité contre le terrorisme doit s'accompagner d'une politique de règlement des différentes crises dans le monde comme celle du Proche Orient ou de l'Irak. Il y va de la responsabilité de la communauté internationale.
L'action militaire de la France, sous l'égide des Nations Unies, dans les Balkans, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire ou en Haïti s'inscrit à chaque fois dans cette perspective.
C'est pour cela aussi que la France plaide vigoureusement pour un règlement global de la question au Proche Orient reconnaissant le droit d'existence à Israël et le droit à un État palestinien dans des frontières sûres et reconnues.
Die Welt : Le gouvernement auquel vous appartenez dispose d'une majorité écrasante. Comment expliquez-vous le retard des reformes ?
Michèle Alliot-Marie : De nombreuses et importantes réformes ont déjà été mises en uvre. Elles concernant l'autorité de l'État dans le domaine de la sécurité, de la défense et de la justice ; la réforme des retraites ; l'exonération des charges sur les bas salaires ; les contrats jeunes en entreprise ; la décentralisation ou l'augmentation du SMIC. D'autres sont en cours, comme celle de l'assurance maladie ou de l'école. D'autres vont intervenir.
Il n'y a pas de retard dans la mise en uvre du programme sur lequel Jacques Chirac a été élu. Nous avons prévu des réformes sur cinq ans, et cela fait à peine deux ans que nous sommes au pouvoir. De plus le Gouvernement a choisi comme méthode celle de la concertation avec les partenaires sociaux, et cela prend du temps.
Die Welt : On parle beaucoup d'un remaniement. Est-il devenu indispensable après les élections régionales ?
Michèle Alliot-Marie : Nous avons entendu le message des Français. Il y a en France une vraie attente de réformes, et certains sont impatients. L'important, c'est donc que d'ici 2007, nous allions au bout des réformes pour lesquelles nous avons été élus. Le nouveau gouvernement sera celui d'un nouvel élan pour la France.
Die Welt : Alain Juppé semble être écarté de la politique française pour longtemps. Par contre, Lionel Jospin semble être en train de faire sa réapparition. Quel est votre sentiment ?
Michèle Alliot-Marie : Alain Juppé n'est pas écarté de la vie politique, il reste notamment président de l'UMP jusqu'au terme de son mandat.
Quant à Lionel Jospin, malgré ses apparitions qu'il présente lui-même comme celles d'un simple militant socialiste, je rappelle qu'il a annoncé son retrait définitif de la vie politique le 21 avril 2002, après son grave échec au premier tour des élections présidentielles
Die Welt : Après l'élargissement de l'UE à l'Est, le moteur franco-allemand risque d'être mis en minorité, notamment en ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune. Est-ce pour cette raison que la trilatéralisation du moteur franco-allemand, qui devra largement associer la Grande-Bretagne, est indispensable pour la France et l'Allemagne?
Michèle Alliot-Marie : La France, l'Allemagne, et le Royaume-Uni, jouent un rôle moteur au sein de l'Europe de la Défense. Nos liens très forts, fondés sur une histoire partagée et sur la volonté de bâtir un avenir commun, nous ont en permis, ces dernières années, de prendre des initiatives importantes dans le domaine clé de la défense. Au delà des premières opérations que l'Union Européenne a menées avec succès l'an dernier, je pense à la mise en place de la cellule de planification autonome, à la création de l'Agence européenne de défense ou encore à la constitution de groupements tactiques interarmées de réaction très rapides en soutien à l'action des Nations unies. Ces initiatives sont bien entendu ouvertes à tous les pays membres de l'Union. Certaines sont soutenues par des pays comme la Belgique ou le Luxembourg Le mécanisme dit des " coopérations renforcées " qui permettra d'associer tous les pays qui souhaiteraient aller plus avant dans un domaine spécifique. L'élargissement ouvre aux nouveaux membres des perspectives. Il y a quelques jours à Bratislava, j'ai noté que beaucoup d'entre eux réfléchissaient d'ores et déjà à leur contribution possible.
Il faut donc aborder l'élargissement avec confiance. C'est ce que nous faisons.
Die Welt : Comment la France et l'Allemagne sauraient-elles sortir du dilemme entre la nécessité d'une coopération très étroite et le soupçon permanent de leurs partenaires européens face à un directoire bilatéral ?
Michèle Alliot-Marie : L'amitié entre nos deux pays est une véritable force pour l'Europe. Le rôle de nos deux pays, scellé en 1963 par la signature du Traité de l'Élysée, repose sur cette conviction forte que la réconciliation, après près d'un siècle d'une histoire marquée par des conflits sanglants, peut porter le projet commun d'une Europe foyer et défenseur de la paix, de la démocratie et du développement. Ce fut l'intuition visionnaire des pères fondateurs. Les cérémonies du 06 juin prochain en seront, encore une fois, une démonstration éclatante, avec la présence, aux côtés du Président Chirac et des chefs d'État et de gouvernement alliés, de votre Chancelier.
Nos deux pays ont joué et continueront à jouer un rôle de premier plan dans la construction de l'Europe, c'est dans l'ordre des choses. Ce lien privilégié n'est cependant pas exclusif du dialogue permanent et de notre ouverture à tous nos partenaires pour faire avancer l'Europe, et en particulier l'Europe de la défense. Je crois pouvoir dire que la volonté commune de nos deux pays est de faire en sorte d'associer tous les États membres à la dynamique de construction de cette communauté de destin. Quand vous regardez les initiatives communes que nous avons lancé dans le domaine de la défense, qu'il s'agisse de la brigade franco-allemande, du Corps Européen ou de la constitution des outils de gestion des crises comme l'état-major de l'Union européenne, vous constatez que non seulement elles font désormais partie du " paysage " européen, si je puis dire, mais elle ont aussi contribué à renforcer notre identité d'Européens et la crédibilité de l'Europe en tant que puissance politique.
Die Welt : On parle de temps en temps d'une révision de la doctrine nucléaire, que la France se dote d'une nouvelle génération de missiles longue portée et d'ogives nucléaire " mini-nukes ". S'agit-il d'une pure spéculation ? Par quels moyens la France pourrait-elle adapter la force de frappe aux évolutions des menaces ?
Michèle Alliot-Marie : La doctrine nucléaire française a été publiquement précisée par le Président de la République le 8 juin 2001 devant l'Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN) et demeure inchangée. Notre stratégie nucléaire repose sur le principe de dissuasion. La France rejette fermement toute conception de l'arme nucléaire comme "arme d'emploi" ou "arme de bataille ". La doctrine française est donc purement dissuasive et s'inscrit dans le cadre du principe de légitime défense reconnu par la Charte des Nations Unies. Certains États développent des capacités balistiques qui pourraient leur donner les moyens, un jour, de menacer le territoire européen avec des armes nucléaires, biologiques ou chimiques. S'ils étaient animés d'intentions hostiles à notre égard, les dirigeants de ces États doivent savoir qu'ils s'exposeraient à des dommages absolument inacceptables pour eux. Dans la situation géographique et politique qui est celle de la France, la dissuasion nucléaire demeure une garantie essentielle face aux menaces nées de la prolifération. J'ajoute que la solidarité qui nous unit permet également à la dissuasion de contribuer à la sécurité de nos partenaires.
Propos recueillis par Jochen Hehn
(source http://www.defense.gouv.fr, le 8 avril 2004)