Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à la chaîne de télévision satellitaire Al Jazeera, le 3 septembre 2000, sur les progrès du processus de paix au Proche Orient, le bilan du processus de Barcelone et les difficultés de la coopération au sein du programme Meda, le processus de normalisation des relations de la communauté internationale avec la Libye.

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Circonstance : Réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne à Evian les 2 et 3 septembre 2000

Média : Al Jazeera - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

Q - Qu'est ce qui semble vous rendre plutôt optimiste aujourd'hui sur l'avenir du processus de paix ?
R - A Camp David, grâce à l'engagement personnel du président Clinton et de Mme Albright mais grâce, aussi, au sens de leurs responsabilités historiques montré par M. Ehud Barak et M. Yasser Arafat, des sujets qui n'avait jamais pu être abordés, jamais, comme Jérusalem, comme les réfugiés, ont été abordés, dans des termes qui créent une situation nouvelle. Evidemment ça n'est pas l'accord. Mais il y a eu ces avancées. Ils ont déjà fait preuve de courage, il nous semble que la paix est plus à portée de la main qu'à n'importe quel autre moment passé. Il faut faire preuve d'ingéniosité pour trouver des solutions. On sait que c'est très très compliqué, tous les ministres le savent. Pour l'instant ils sentent qu'il y a une possibilité. Ce processus de paix a été entamé il y a maintenant huit ans parce que les peuples le veulent. Il faut donc encore un effort, il faut avancer.
Q - Vous avez la conviction que la paix est à la portée de la main ?
R - Je crois qu'il y a une possibilité. C'est toujours très dur et très difficile. Cela suppose des compromis intelligents, des sacrifices aussi des deux côtés. C'est très dur. Mais l'Europe est là, les Européens ont énormément encouragé cette évolution des mentalités depuis vingt ans et maintenant il faut conclure la paix. Après il faudra construire la paix. C'est une autre affaire. Mais les efforts immédiats c'est de trouver la solution.
Q - Est-ce qu'il y a des conseils à donner à M. Arafat pour qu'il reporte la proclamation de l'Etat palestinien ?
R - C'est aux Palestiniens de le décider. C'est à eux qu'il appartient de décider. L'Europe a déjà reconnu dans la déclaration dite de Berlin que les Palestiniens avaient le droit de proclamer de façon unilatérale leur Etat. Ce n'est subordonné à rien mais il y a un problème d'opportunité et c'est aux Palestiniens eux-mêmes d'apprécier quel est le moment important, quel est le moment utile.
Q - On parle d'un désaccord entre Paris et Berlin concernant la reconnaissance de la proclamation de l'Etat palestinien...
R - Il n'y a aucun désaccord entre Paris et Berlin. Nous avons les mêmes bases, la déclaration de Berlin. Il n'y a aucun désaccord à l'heure actuelle. Le débat n'est pas là. Le débat c'est une appréciation interne, entre Palestiniens, pour savoir quel est le moment opportun pour proclamer cet Etat. Les Palestiniens eux-mêmes souhaitent que la proclamation conduise à un Etat qui soit le meilleur possible. Nous pensons qu'il faut que l'Etat soit viable. Donc c'est à eux d'apprécier. Les positions des Européens sont claires et ce n'est pas les conditions des Européens qui peuvent les gêner. Mais ce n'est pas aux Européens de décider à leur place des Palestiniens. C'est à eux de décider.
Q - Parlons du sommet euro-méditerranéen. M. Kadhafi sera-t-il invité ?
R - Ce n'est pas le sujet principal du sommet. On est pas sûr de faire un sommet. Il y aura un sommet si le contexte général en Méditerranée, notamment au Proche-Orient, permet qu'il se passe dans de bonnes conditions. Ce que nous ferons de toute façon c'est une réunion des ministres et là nous allons faire un bilan du processus de Barcelone parce que c'était une très bonne idée, politiquement très intéressante, mais la mécanique ne marche pas. La mécanique de coopération ne marche pas bien, le programme MEDA n'atteint pas les objectifs. Il y a beaucoup de déception donc nous avons comme objectif numéro un dans cette rencontre de Marseille de faire une évaluation, voir où l'on en est, ce qui marche, ce qui ne marche pas - et pourquoi - pour repartir du bon pied avec le programme MEDA II. S'agissant de la question particulière de la présence libyenne, je pense qu'elle ne pose pas de problème puisque la Libye a déjà été invitée, par la présidence allemande, en 1999, à l'occasion de la réunion euro-méditerranéenne de Stuttgart. Si un sommet devait avoir lieu, rien, à mon sens, ne s'oppose à ce que le Colonel Kadhafi figure parmi les invités. Le processus de normalisation des relations de la communauté internationale avec la Libye a commencé il y a un an et demi maintenant, avec la décision du Conseil de sécurité de suspendre les sanctions, et avec la décision de l'Union européenne. Donc tout cela est donc de l'ordre du possible mais je ne sais pas si un sommet aura lieu.
Q - Pourquoi, Monsieur le Ministre, avez-vous tous enlevé vos cravates ?
R - C'est une sorte de traduction vestimentaire du fait que nos discussions sont ouvertes, sympathiques, très franches. En général c'est là où nous avons les discussions les plus intéressantes !.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 06/09/2000)