Texte intégral
Au mois de juin prochain, nos concitoyens seront amenés à voter pour l'élection de leurs représentants au Parlement européen. Ce vote interviendra six semaines après l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres, effectif le 1er mai, étape historique dans la construction européenne. Or les Français s'avèrent les plus réticents à cet élargissement, si l'on en croit les Eurobaromètres publiés ces derniers mois : ils s'y déclarent majoritairement opposés (55 %), et ne l'approuvent qu'à 34 % (contre 47 % en moyenne pour l'Union à Quinze).
Il nous revient, à nous hommes et femmes politiques, d'expliquer clairement à nos concitoyens qu'ils sont certes Français mais également citoyens de l'Union européenne, et que la construction politique européenne repose sur des faits bien tangibles, notamment économiques, dont le bilan est très largement positif.
Depuis 2002, j'ai développé en tant que ministre délégué au Commerce extérieur une politique volontariste sur cet élargissement. Renforcement du soutien aux exportateurs français, grands projets, politique régionale de l'Union, évolution de l'environnement des affaires pour nos entreprises dans les pays de l'élargissement : autant d'axes de cette action, qui m'a conduit à me rendre dans l'ensemble de ces pays, parfois à plusieurs reprises. Lors de chacun de ces déplacements, j'ai veillé à ce que de nombreuses entreprises françaises (plus d'une centaine, majoritairement des PME) se joignent à moi et faire progresser leurs activités sur ces marchés.
Je retire de cette expérience, source de contacts nombreux et suivis avec les responsables politiques et le secteur privé de nos nouveaux partenaires européens, un certain nombre de convictions quant aux perspectives qu'ouvre ce nouvel élargissement. Ce sont ces convictions que je souhaite résumer ici, sous la forme de quelques slogans :
o Les peurs des Français face à l'élargissement sont très largement infondées
Concernant le marché du travail, plusieurs études récentes montrent que les flux migratoires dans l'Union élargie à 25 devraient demeurer très limités. Seulement 150000 ressortissants des nouveaux Etats membres pourraient choisir de s'installer professionnellement dans un autres Etat que le leur, et ces mouvements seraient principalement frontaliers. L'Allemagne et l'Autriche en seraient ainsi les principaux récipiendaires. De plus, une ouverture très progressive de notre marché du travail a été prévue lors des négociations d'adhésion : la France a opté pour une période transitoire de 5 ans, avec un réexamen 2 ans après l'adhésion, ce qui permettrait de n'ouvrir notre marché du travail qu'en 2009.
Le thème des délocalisations est également souvent mentionné. Ces craintes ne sont bien entendu pas injustifiées en soi : les délocalisations ont frappé durement nos régions industrielles depuis 30 ans, et elles frappent parfois encore, appelant une réponse économique et sociale adaptée à chaque situation particulière. Cela étant, il convient de ne pas se tromper de cible. Les investissements français dans ces pays correspondent pour l'essentiel à la création de réseaux de distribution, à la construction d'infrastructures, ou à la fabrication de biens destinés au marché local sans réexportation vers la France.
L'élargissement européen va conduire à moins de délocalisations vers les pays d'Europe centrale et orientale, du fait de l'intégration de ces économies dans l'Union. Le rattrapage du niveau de vie, le respect des engagements souscrits pour adhérer vont réduire rapidement les avantages comparatifs dont pouvaient bénéficier jusqu'à présent certains des nouveaux Etats membres, dans quelques secteurs bien circonscrits et variables selon les pays. La question des délocalisations, notamment vers l'Asie, commence également à les concerner.
Cet élargissement aurait été un geste uniquement politique, sans négociations sérieuses et sans contreparties de la part des nouveaux accédants. Bien au contraire : de l'avis général (Etats membres, pays candidats, Commission européenne), la complexité des négociations d'adhésion, sans précédent du fait du nombre de candidats et de l'acquis communautaire à prendre en considération, a été synonyme d'une grande rigueur. Les périodes transitoires ou les dérogations arrêtées avec les pays accédants résultent d'une approche au cas par cas, donc pragmatique et stricte à la fois. Les résultats des négociations d'adhésion, conclues en 2002, reflètent donc une approche fondée sur les faits concrets pour chaque prétendant à l'adhésion. Au-delà de la clôture de la négociation, nous poursuivons à notre niveau une veille active et attentive, comme le fait la Commission. Elle vise au respect des engagements pris par les accédants, afin de garantir à cet élargissement un caractère gagnant-gagnant. Sur le plan de l'activité économique, j'ai ainsi mis en place il y a deux ans un " monitoring " dans chacun des 12 pays candidats à l'époque. Effectué en liaison étroite avec les entreprises françaises, ce travail permet d'améliorer l'environnement des affaires pour nos exportateurs et nos investisseurs sur ces marchés.
o Les opportunités économiques sont majeures : l'élargissement est un moteur de croissance
Les nouveaux Etats membres sont engagés dans une dynamique durable de rattrapage économique. La croissance y est évaluée à 5 % en moyenne au cours des prochaines années. Le niveau de vie (PIB/habitant), qui y est actuellement de 40 % de celui de l'Union à Quinze, va connaître une nette et rapide progression, accompagnée d'une sophistication de la demande des ménages. Nos entreprises vont ainsi pouvoir investir fortement le marché des biens de consommation courante, et promouvoir un certain art de vivre qui fait déjà notre réussite sur des segments de marché à l'international.
La France dispose de toute évidence d'une marge de progression sur ces marchés. Ces 75 millions d'habitants vont permettre de former un marché unique élargi de 450 millions de consommateurs. Les gains du marché unique à 15 ont déjà été non négligeables, et préfigurent ceux, probablement bien supérieurs, que va générer cet élargissement à dix Etats supplémentaires. La France y détient déjà une part de marché de 5 %, et y a quadruplé ses ventes en dix ans. Elle peut atteindre 8 à 10 % de part de marché dans les dix nouveaux Etats membres à l'horizon 2010.
Les opportunités sont également importantes dans le domaine des investissements et des grands projets. L'Union européenne alloue de 2004 à 2006 22 milliards d'Euros à la politique régionale, principalement pour des investissements dans les secteurs des transports et de l'environnement. Les entreprises françaises y sont mondialement reconnues comme excellentes, et déjà bien présentes dans l'Europe élargie. La France est déjà globalement le troisième investisseur étranger dans les dix Etats concernés, et le premier en Pologne. A nous, autorités publiques et entreprises, de prendre appui sur ces importants programmes d'investissements pour renforcer encore notre position. Pour cela, il convient de nous placer dans une logique de projet et de promouvoir les partenariats public-privé, encore insuffisamment pratiqués au sein de l'Union européenne.
o Le rôle économique de l'Union européenne est positif et peut encore gagner en efficacité
L'Europe est trop souvent présentée et vécue uniquement comme une contrainte, alors qu'elle joue un rôle économique incontestable d'entraînement et de démultiplication pour l'activité économique de ses Etats membres.
Les gains importants apportés par la constitution du grand marché intérieur, le marché unique, en 1992 méritent d'être rappelés. Il s'agit de gains en termes de richesse et d'emplois pour tous ses membres : 2,5 millions d'emplois depuis 1992, presque 900 milliards d'Euros de richesse nette créée soit en moyenne 5700 Euros par ménage. Ces gains considérables reposent sur l'intégration, synonyme de simplifications : libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, harmonisation et reconnaissance mutuelle des normes techniques, autant de progrès que permet la construction européenne. Bien entendu, des marges de progression demeurent toujours : c'est notamment le cas pour la reconnaissance des diplômes entre Etats, l'apprentissage de la langue des pays voisins ou encore la fiscalité intraeuropéenne. A nous de réaliser des progrès additionnels, sans passer sous silence les bénéfices déjà engrangés tellement intégrés que nous ne les percevons plus comme redevables à l'Europe.
L'Euro est une réussite incontestable: entré en quelques mois dans la vie quotidienne, il est gage de simplicité et de mobilité accrue au sein de 12 Etats. Des économies importantes en termes de coûts de transaction ont ainsi pu être réalisées. L'Europe et chacun des Etats qui la composent pèsent davantage dans le jeu économique et financier mondial avec une monnaie unique qu'avec des monnaies nationales. Les discussions actuelles autour du taux de change avec les autres monnaies, et notamment le dollar, relèvent d'une autre logique, celle de la politique monétaire et de change et plus largement de la politique économique : c'est un autre débat, qui peut notamment nous amener à souhaiter un renforcement marqué de l'Eurogroupe (réunion des ministres des Finances de la zone Euro) sans pour autant le concevoir comme une perte pour la Banque centrale européenne.
L'Europe, c'est également un budget et des politiques communes à portée positive. La politique agricole commune permet à la France de conserver depuis des années une économie rurale puissante. La politique régionale repose sur l'idée de solidarité : elle a donné des résultats spectaculaires dans le cas de l'Irlande, de l'Espagne ou du Portugal, des résultats plus mitigés dans le cas de la Grèce. Le rattrapage économique de ces pays, qui aurait été bien inférieur et beaucoup plus lent sans elle, bénéficie à tous les Etats membres. La France a elle aussi eu sa part de ces crédits (15,7 milliards d'Euros de fonds structurels sur la période 2000-2006).
Ce n'est donc pas moins d'Europe avec un budget contraint voire réduit qu'il nous faut c'est plus et mieux d'Europe à la fois, dans une logique de projets économiques forts et structurants. Tout comme nous avons réussi une réforme de la politique agricole commune, indispensable à son maintien, il nous revient de renforcer encore l'efficience de la politique régionale. C'est tout le sens de notre insistance, qui est aussi celle de la Commission européenne, auprès des nouveaux Etats membres pour s'assurer de la bonne mise en place des crédits programmés. Ces fonds (22 milliards d'Euros de 2004 à 2006 pour les dix nouveaux entrants) doivent être consommés avec efficacité, dans des projets nécessaires et mis en uvre rapidement. Pour cela, le partenariat public-privé constitue un levier formidable encore insuffisamment utilisé dans l'Union européenne. A nous d'en faire la promotion, avec nos entreprises.
o L'Europe, puissance régionale : un fait, une dynamique
L'Europe est déjà une puissance régionale, à laquelle l'élargissement de cette année confère une assise encore plus forte. Avec une superficie augmentée, une population accrue de 20 % pour atteindre 450 millions d'habitants, un produit intérieur brut gagnant immédiatement 5 % et à terme bien davantage, l'Union européenne de 2004 s'affirme davantage comme puissance régionale face aux Etats-Unis, à la Russie, à la Chine, au Japon, à l'Inde ou aux autres grands pays dans le monde. L'Europe constitue un modèle d'intégration régionale, à un degré rarement atteint ailleurs : pour l'Asie, l'Amérique du Sud ou l'Afrique, l'intégration économique européenne est un exemple convoité, source d'études et point de référence. C'est sur ce sujet que j'ai par exemple longuement été interrogé au Japon. La construction et l'approfondissement de l'ASEAN en Asie du Sud-Est, du Mercosur en Amérique latine, du NEPAD en Afrique prennent appui sur la dynamique européenne.
Cette puissance objective se double d'un rayonnement régional que nous devons mettre en valeur et maximiser. A la question " l'élargissement, jusqu'où ? ", nous pouvons répondre " l'élargissement des partenariats personnalisés ". L'Union européenne à 25 Etats membres a des voisins aux attentes fortes. Elle doit leur répondre, clairement et de façon constructive, précisément afin d'éviter la formation de rancoeurs et de malentendus qui seraient dommageables à tous les partenaires à moyen terme.
S'agissant des Balkans, qui bénéficient déjà d'un partenariat avancé avec l'Union, leur proximité de tous ordres avec l'Europe et leur poids relativement limité semblent plaider pour un resserrement des liens avec vocation à l'adhésion. La Croatie est aujourd'hui le pays balkanique qui l'illustre le mieux : nous devrions du reste répondre dans les mois qui viennent à sa demande d'ouverture de négociations d'adhésion. Il est également possible de penser par la suite à la Macédoine, qui vient de déposer une telle demande. Le cas des autres Etats (Serbie Monténégro principalement) pourrait être examiné, une fois pleinement stabilisés, dans la dizaine d'années à venir.
La Turquie présente un tout autre cas de figure. Elle souhaite adhérer à l'Union mais s'est déjà vu refuser l'ouverture de négociations. Les chefs d'Etat et de gouvernement des 25 devront à nouveau se prononcer à ce sujet en décembre prochain. La situation intérieure de cet Etat à la population et au territoire importants appelle encore des évolutions profondes en termes de droits de l'homme, de démocratie et de stabilité. Sa proximité culturelle avec l'Europe demeure sujette à caution. Son hypothétique adhésion placerait l'Irak, l'Iran ou la Syrie aux frontières de l'Union. Il paraît donc préférable, à ce stade, de proposer à la Turquie de renforcer encore davantage son association avec l'Union européenne, par exemple par une union douanière plus approfondie.
Les pays du pourtour méditerranéen, plus largement, appellent de notre part une attention particulière. La France a depuis plusieurs années joué un rôle moteur dans la mise en place du processus euroméditerranéen (Euromed), qui réunit depuis 1995 les 15 Etats membres et 12 pays du Sud et de l'Est de la Mer Méditerranée (25 + 10 à partir de mai 2004, avec l'élargissement et l'adhésion de Chypre et Malte à l'Union). Nous avons des liens historiques forts avec certains de ces pays, singulièrement ceux du Maghreb, qui se traduisent aujourd'hui par des relations économiques et financières étroites. A nous d'encourager leur développement économique afin de limiter les flux migratoires vers l'Union européenne. Pour cela, nous les invitons à plus d'intégration entre eux (cf. le modèle européen d'intégration évoqué plus haut) afin de renforcer les échanges commerciaux Sud-Sud, parallèlement à la poursuite du resserrement des accords d'association avec l'Union européenne.
La France est au coeur de l'Europe et du projet européen. Elle y a joué un rôle moteur dès l'origine, il y a bientôt cinquante ans, et continue d'impulser ses évolutions majeures. Nos concitoyens doivent en être fiers, vivre l'Europe à la fois comme un atout et un projet dont les étapes déjà franchies sont réussies et tangibles.
Ils doivent avoir conscience d'être au coeur d'une puissance régionale en croissance.
(source http://www.partiradical.net, le 11 mai 2004)
Il nous revient, à nous hommes et femmes politiques, d'expliquer clairement à nos concitoyens qu'ils sont certes Français mais également citoyens de l'Union européenne, et que la construction politique européenne repose sur des faits bien tangibles, notamment économiques, dont le bilan est très largement positif.
Depuis 2002, j'ai développé en tant que ministre délégué au Commerce extérieur une politique volontariste sur cet élargissement. Renforcement du soutien aux exportateurs français, grands projets, politique régionale de l'Union, évolution de l'environnement des affaires pour nos entreprises dans les pays de l'élargissement : autant d'axes de cette action, qui m'a conduit à me rendre dans l'ensemble de ces pays, parfois à plusieurs reprises. Lors de chacun de ces déplacements, j'ai veillé à ce que de nombreuses entreprises françaises (plus d'une centaine, majoritairement des PME) se joignent à moi et faire progresser leurs activités sur ces marchés.
Je retire de cette expérience, source de contacts nombreux et suivis avec les responsables politiques et le secteur privé de nos nouveaux partenaires européens, un certain nombre de convictions quant aux perspectives qu'ouvre ce nouvel élargissement. Ce sont ces convictions que je souhaite résumer ici, sous la forme de quelques slogans :
o Les peurs des Français face à l'élargissement sont très largement infondées
Concernant le marché du travail, plusieurs études récentes montrent que les flux migratoires dans l'Union élargie à 25 devraient demeurer très limités. Seulement 150000 ressortissants des nouveaux Etats membres pourraient choisir de s'installer professionnellement dans un autres Etat que le leur, et ces mouvements seraient principalement frontaliers. L'Allemagne et l'Autriche en seraient ainsi les principaux récipiendaires. De plus, une ouverture très progressive de notre marché du travail a été prévue lors des négociations d'adhésion : la France a opté pour une période transitoire de 5 ans, avec un réexamen 2 ans après l'adhésion, ce qui permettrait de n'ouvrir notre marché du travail qu'en 2009.
Le thème des délocalisations est également souvent mentionné. Ces craintes ne sont bien entendu pas injustifiées en soi : les délocalisations ont frappé durement nos régions industrielles depuis 30 ans, et elles frappent parfois encore, appelant une réponse économique et sociale adaptée à chaque situation particulière. Cela étant, il convient de ne pas se tromper de cible. Les investissements français dans ces pays correspondent pour l'essentiel à la création de réseaux de distribution, à la construction d'infrastructures, ou à la fabrication de biens destinés au marché local sans réexportation vers la France.
L'élargissement européen va conduire à moins de délocalisations vers les pays d'Europe centrale et orientale, du fait de l'intégration de ces économies dans l'Union. Le rattrapage du niveau de vie, le respect des engagements souscrits pour adhérer vont réduire rapidement les avantages comparatifs dont pouvaient bénéficier jusqu'à présent certains des nouveaux Etats membres, dans quelques secteurs bien circonscrits et variables selon les pays. La question des délocalisations, notamment vers l'Asie, commence également à les concerner.
Cet élargissement aurait été un geste uniquement politique, sans négociations sérieuses et sans contreparties de la part des nouveaux accédants. Bien au contraire : de l'avis général (Etats membres, pays candidats, Commission européenne), la complexité des négociations d'adhésion, sans précédent du fait du nombre de candidats et de l'acquis communautaire à prendre en considération, a été synonyme d'une grande rigueur. Les périodes transitoires ou les dérogations arrêtées avec les pays accédants résultent d'une approche au cas par cas, donc pragmatique et stricte à la fois. Les résultats des négociations d'adhésion, conclues en 2002, reflètent donc une approche fondée sur les faits concrets pour chaque prétendant à l'adhésion. Au-delà de la clôture de la négociation, nous poursuivons à notre niveau une veille active et attentive, comme le fait la Commission. Elle vise au respect des engagements pris par les accédants, afin de garantir à cet élargissement un caractère gagnant-gagnant. Sur le plan de l'activité économique, j'ai ainsi mis en place il y a deux ans un " monitoring " dans chacun des 12 pays candidats à l'époque. Effectué en liaison étroite avec les entreprises françaises, ce travail permet d'améliorer l'environnement des affaires pour nos exportateurs et nos investisseurs sur ces marchés.
o Les opportunités économiques sont majeures : l'élargissement est un moteur de croissance
Les nouveaux Etats membres sont engagés dans une dynamique durable de rattrapage économique. La croissance y est évaluée à 5 % en moyenne au cours des prochaines années. Le niveau de vie (PIB/habitant), qui y est actuellement de 40 % de celui de l'Union à Quinze, va connaître une nette et rapide progression, accompagnée d'une sophistication de la demande des ménages. Nos entreprises vont ainsi pouvoir investir fortement le marché des biens de consommation courante, et promouvoir un certain art de vivre qui fait déjà notre réussite sur des segments de marché à l'international.
La France dispose de toute évidence d'une marge de progression sur ces marchés. Ces 75 millions d'habitants vont permettre de former un marché unique élargi de 450 millions de consommateurs. Les gains du marché unique à 15 ont déjà été non négligeables, et préfigurent ceux, probablement bien supérieurs, que va générer cet élargissement à dix Etats supplémentaires. La France y détient déjà une part de marché de 5 %, et y a quadruplé ses ventes en dix ans. Elle peut atteindre 8 à 10 % de part de marché dans les dix nouveaux Etats membres à l'horizon 2010.
Les opportunités sont également importantes dans le domaine des investissements et des grands projets. L'Union européenne alloue de 2004 à 2006 22 milliards d'Euros à la politique régionale, principalement pour des investissements dans les secteurs des transports et de l'environnement. Les entreprises françaises y sont mondialement reconnues comme excellentes, et déjà bien présentes dans l'Europe élargie. La France est déjà globalement le troisième investisseur étranger dans les dix Etats concernés, et le premier en Pologne. A nous, autorités publiques et entreprises, de prendre appui sur ces importants programmes d'investissements pour renforcer encore notre position. Pour cela, il convient de nous placer dans une logique de projet et de promouvoir les partenariats public-privé, encore insuffisamment pratiqués au sein de l'Union européenne.
o Le rôle économique de l'Union européenne est positif et peut encore gagner en efficacité
L'Europe est trop souvent présentée et vécue uniquement comme une contrainte, alors qu'elle joue un rôle économique incontestable d'entraînement et de démultiplication pour l'activité économique de ses Etats membres.
Les gains importants apportés par la constitution du grand marché intérieur, le marché unique, en 1992 méritent d'être rappelés. Il s'agit de gains en termes de richesse et d'emplois pour tous ses membres : 2,5 millions d'emplois depuis 1992, presque 900 milliards d'Euros de richesse nette créée soit en moyenne 5700 Euros par ménage. Ces gains considérables reposent sur l'intégration, synonyme de simplifications : libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, harmonisation et reconnaissance mutuelle des normes techniques, autant de progrès que permet la construction européenne. Bien entendu, des marges de progression demeurent toujours : c'est notamment le cas pour la reconnaissance des diplômes entre Etats, l'apprentissage de la langue des pays voisins ou encore la fiscalité intraeuropéenne. A nous de réaliser des progrès additionnels, sans passer sous silence les bénéfices déjà engrangés tellement intégrés que nous ne les percevons plus comme redevables à l'Europe.
L'Euro est une réussite incontestable: entré en quelques mois dans la vie quotidienne, il est gage de simplicité et de mobilité accrue au sein de 12 Etats. Des économies importantes en termes de coûts de transaction ont ainsi pu être réalisées. L'Europe et chacun des Etats qui la composent pèsent davantage dans le jeu économique et financier mondial avec une monnaie unique qu'avec des monnaies nationales. Les discussions actuelles autour du taux de change avec les autres monnaies, et notamment le dollar, relèvent d'une autre logique, celle de la politique monétaire et de change et plus largement de la politique économique : c'est un autre débat, qui peut notamment nous amener à souhaiter un renforcement marqué de l'Eurogroupe (réunion des ministres des Finances de la zone Euro) sans pour autant le concevoir comme une perte pour la Banque centrale européenne.
L'Europe, c'est également un budget et des politiques communes à portée positive. La politique agricole commune permet à la France de conserver depuis des années une économie rurale puissante. La politique régionale repose sur l'idée de solidarité : elle a donné des résultats spectaculaires dans le cas de l'Irlande, de l'Espagne ou du Portugal, des résultats plus mitigés dans le cas de la Grèce. Le rattrapage économique de ces pays, qui aurait été bien inférieur et beaucoup plus lent sans elle, bénéficie à tous les Etats membres. La France a elle aussi eu sa part de ces crédits (15,7 milliards d'Euros de fonds structurels sur la période 2000-2006).
Ce n'est donc pas moins d'Europe avec un budget contraint voire réduit qu'il nous faut c'est plus et mieux d'Europe à la fois, dans une logique de projets économiques forts et structurants. Tout comme nous avons réussi une réforme de la politique agricole commune, indispensable à son maintien, il nous revient de renforcer encore l'efficience de la politique régionale. C'est tout le sens de notre insistance, qui est aussi celle de la Commission européenne, auprès des nouveaux Etats membres pour s'assurer de la bonne mise en place des crédits programmés. Ces fonds (22 milliards d'Euros de 2004 à 2006 pour les dix nouveaux entrants) doivent être consommés avec efficacité, dans des projets nécessaires et mis en uvre rapidement. Pour cela, le partenariat public-privé constitue un levier formidable encore insuffisamment utilisé dans l'Union européenne. A nous d'en faire la promotion, avec nos entreprises.
o L'Europe, puissance régionale : un fait, une dynamique
L'Europe est déjà une puissance régionale, à laquelle l'élargissement de cette année confère une assise encore plus forte. Avec une superficie augmentée, une population accrue de 20 % pour atteindre 450 millions d'habitants, un produit intérieur brut gagnant immédiatement 5 % et à terme bien davantage, l'Union européenne de 2004 s'affirme davantage comme puissance régionale face aux Etats-Unis, à la Russie, à la Chine, au Japon, à l'Inde ou aux autres grands pays dans le monde. L'Europe constitue un modèle d'intégration régionale, à un degré rarement atteint ailleurs : pour l'Asie, l'Amérique du Sud ou l'Afrique, l'intégration économique européenne est un exemple convoité, source d'études et point de référence. C'est sur ce sujet que j'ai par exemple longuement été interrogé au Japon. La construction et l'approfondissement de l'ASEAN en Asie du Sud-Est, du Mercosur en Amérique latine, du NEPAD en Afrique prennent appui sur la dynamique européenne.
Cette puissance objective se double d'un rayonnement régional que nous devons mettre en valeur et maximiser. A la question " l'élargissement, jusqu'où ? ", nous pouvons répondre " l'élargissement des partenariats personnalisés ". L'Union européenne à 25 Etats membres a des voisins aux attentes fortes. Elle doit leur répondre, clairement et de façon constructive, précisément afin d'éviter la formation de rancoeurs et de malentendus qui seraient dommageables à tous les partenaires à moyen terme.
S'agissant des Balkans, qui bénéficient déjà d'un partenariat avancé avec l'Union, leur proximité de tous ordres avec l'Europe et leur poids relativement limité semblent plaider pour un resserrement des liens avec vocation à l'adhésion. La Croatie est aujourd'hui le pays balkanique qui l'illustre le mieux : nous devrions du reste répondre dans les mois qui viennent à sa demande d'ouverture de négociations d'adhésion. Il est également possible de penser par la suite à la Macédoine, qui vient de déposer une telle demande. Le cas des autres Etats (Serbie Monténégro principalement) pourrait être examiné, une fois pleinement stabilisés, dans la dizaine d'années à venir.
La Turquie présente un tout autre cas de figure. Elle souhaite adhérer à l'Union mais s'est déjà vu refuser l'ouverture de négociations. Les chefs d'Etat et de gouvernement des 25 devront à nouveau se prononcer à ce sujet en décembre prochain. La situation intérieure de cet Etat à la population et au territoire importants appelle encore des évolutions profondes en termes de droits de l'homme, de démocratie et de stabilité. Sa proximité culturelle avec l'Europe demeure sujette à caution. Son hypothétique adhésion placerait l'Irak, l'Iran ou la Syrie aux frontières de l'Union. Il paraît donc préférable, à ce stade, de proposer à la Turquie de renforcer encore davantage son association avec l'Union européenne, par exemple par une union douanière plus approfondie.
Les pays du pourtour méditerranéen, plus largement, appellent de notre part une attention particulière. La France a depuis plusieurs années joué un rôle moteur dans la mise en place du processus euroméditerranéen (Euromed), qui réunit depuis 1995 les 15 Etats membres et 12 pays du Sud et de l'Est de la Mer Méditerranée (25 + 10 à partir de mai 2004, avec l'élargissement et l'adhésion de Chypre et Malte à l'Union). Nous avons des liens historiques forts avec certains de ces pays, singulièrement ceux du Maghreb, qui se traduisent aujourd'hui par des relations économiques et financières étroites. A nous d'encourager leur développement économique afin de limiter les flux migratoires vers l'Union européenne. Pour cela, nous les invitons à plus d'intégration entre eux (cf. le modèle européen d'intégration évoqué plus haut) afin de renforcer les échanges commerciaux Sud-Sud, parallèlement à la poursuite du resserrement des accords d'association avec l'Union européenne.
La France est au coeur de l'Europe et du projet européen. Elle y a joué un rôle moteur dès l'origine, il y a bientôt cinquante ans, et continue d'impulser ses évolutions majeures. Nos concitoyens doivent en être fiers, vivre l'Europe à la fois comme un atout et un projet dont les étapes déjà franchies sont réussies et tangibles.
Ils doivent avoir conscience d'être au coeur d'une puissance régionale en croissance.
(source http://www.partiradical.net, le 11 mai 2004)