Texte intégral
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président de l'Université de Tel-Aviv,
Monsieur le Président de l'Association française des Amis de l'Université de Tel-Aviv,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Permettez-moi de vous dire d'abord le plaisir qui est le mien d'être parmi vous, à l'occasion de ce dîner organisé par l'Association française des Amis de l'Université de Tel Aviv. Je remercie tout particulièrement le président du Sénat d'avoir bien voulu nous accueillir dans ce cadre magnifique pour cette soirée annuelle. Je sais la place que tient en Israël ce pôle d'intelligence et de culture, cette institution prestigieuse, cette vitrine de la modernité du pays qui doit tant à vos efforts et qu'a, peut-être, retrouvée avec soulagement notre ami Elie Barnavi.
Au mois de mai dernier, je me rendais en Israël pour donner un nouvel élan aux relations franco-israéliennes. Pour la deuxième fois depuis ma prise de fonctions, j'ai éprouvé cette idée simple : nous autres Européens, sommes héritiers d'Athènes et de Rome, mais aussi de Jérusalem, fruits du mariage entre la rationalité grecque et la profonde humanité puisée aux sources de la Bible.
Mesdames et Messieurs,
Je souhaite évoquer ce soir avec vous la relation entre la France et Israël. Le sujet est passionnant ; passionnel. Je sais combien, de part et d'autre, on s'interroge. Je sais, soyons francs, que certains, en Israël et parmi les Juifs français, se disent que la France n'aimerait pas Israël. Je connais ces sentiments, je crois comprendre ce qui les nourrit. Mais il existe trop souvent un malentendu et une incompréhension que, face aux souffrances d'hier et d'aujourd'hui, je ne peux accepter. Et c'est pour moi un devoir personnel que de tout faire pour surmonter cette situation.
La France et le peuple juif, ce sont deux aventures qui se rencontrent et se répondent. D'un côté, le premier grand monothéisme, fondateur d'une morale universelle, de l'autre le pays des Droits de l'Homme, des idéaux des Lumières qui, le premier, fit de ses enfants juifs des citoyens.
En clôturant ce soir, devant vous, ce colloque organisé par Sciences-Po et l'Université de Tel Aviv, permettez-moi à nouveau d'évoquer un signe supplémentaire de la continuité de notre histoire commune : qui se souvient en effet aujourd'hui que l'un des six donateurs qui, en 1872, permirent la création de l'Ecole libre des Sciences Politiques, fut Salomon Goldschmidt, futur président de l'Alliance israélite universelle ? Son rôle dans la formation des élites du jeune Etat juif n'est plus à décrire : un an plus tôt, il finançait la création du premier lycée agricole au monde, à Mikhvé Israël, près d'un Tel Aviv qui n'existait pas encore.
Que l'histoire de nos relations ait été parfois tragique, nous le ressentons tous douloureusement. Il y eut les jours sombres de l'occupation nazie et de la collaboration, que nul ne peut ni ne doit oublier. La France, par la voix du président de la République dans son discours du Vel d'Hiv en 1995, a reconnu la responsabilité de l'Etat français dans le drame de la déportation des juifs de France. Il l'a encore rappelé au mois de mai 2003 : la France est, a-t-il dit, "à jamais inconsolable " de cette "faute inexpiable".
On ne peut effacer la douleur. Mais du moins peut-on rétablir la justice. C'est pourquoi le gouvernement français a créé la Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France, puis appliqué ses recommandations. En témoignent en particulier la création de la Commission d'indemnisation des victimes de spoliations et celle de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Je vais par ailleurs nommer auprès de moi un ambassadeur en mission, en charge des relations avec les institutions et les communautés juives.
De ces heures tragiques sont nés des liens plus forts. J'avais rappelé, en m'exprimant à Jérusalem, cette formule émouvante du père d'Emmanuel Lévinas au sujet de l'affaire Dreyfus : "un pays qui se déchire à propos d'un petit capitaine juif est un pays où il faut aller". La France fut en effet ce pays où, après le scandale d'une accusation fabriquée et d'un déchaînement antisémite abject, la levée en masse des partisans de la vérité permit la reconnaissance de leurs erreurs par les institutions publiques les plus respectées, qui réhabilitèrent un homme calomnié et injustement condamné. La Légion d'Honneur qui lui fut remise au cours d'une cérémonie solennelle, sans effacer les souffrances, marqua cette profonde volonté de justice.
Souvenons-nous aussi, lorsque nous évoquons les soixante-seize mille hommes, femmes et enfants juifs de France assassinés au nom d'une idéologie barbare, qu'une formidable chaîne de solidarité permit de sauver, comme Serge Klarsfeld l'a récemment montré dans une étude émouvante, les trois-quarts des Juifs de notre pays.
Souvenons-nous enfin qu'au lendemain de la seconde Guerre mondiale, le peuple français, horrifié par la découverte de ce qu'avait été la Shoah, s'est mobilisé pour la création de l'Etat d'Israël. Il fallait alors démontrer qu'il n'existait pas de fatalité condamnant le peuple juif à l'hostilité du reste du monde, qu'Israël avait sa place naturelle parmi les nations, que la confiance pouvait renaître. De même que c'est au cur de Paris que la langue hébraïque avait resurgi de son long sommeil au tournant du siècle, de même c'est de Paris que, dès le début de l'épopée, un soutien constant et décisif est venu pour aider Israël à faire face à ses difficiles premières années d'existence.
Berceau du peuple juif, Israël est devenu son refuge et sa patrie après des siècles de dispersion et d'indicibles souffrances.
Qui oserait transiger sur son droit à l'existence ? Ceux qui le contestent, ceux qui prétendent encore en appeler à la destruction d'Israël, nous trouveront toujours sur leur chemin.
La résurgence de l'antisémitisme ? Le gouvernement français est totalement déterminé à la combattre, sans la moindre complaisance. Les incidents qui avaient à juste raison indigné l'opinion se sont considérablement réduits. Mais la scandaleuse agression dont vient d'être victime le Rabbin Michel Serfaty, suivie d'une action immédiate et efficace des forces de l'ordre, nous rappelle que notre vigilance doit demeurer intacte. Nous ne tolérerons aucun écart ; nous continuerons de dénoncer les déclarations inacceptables d'où qu'elles viennent. L'engagement de la France, au plus haut niveau de l'Etat, est total et ne sera entamé par aucune campagne malveillante.
Mais cette vigilance extrême nous dicte également un devoir : celui de nous engager sans retard face aux menaces qui se renouvellent et s'aggravent au Proche-Orient. Le terrorisme frappe partout, sans pitié ni distinction, brisant net des existences riches de promesses, installant la peur dans le regard des enfants, substituant à la joie de vivre ensemble la douleur sans fin du deuil, vous l'avez dit, Monsieur le Président. Les armes de destruction massive menacent de se diffuser. Le Moyen-Orient devient un condensé des frustrations du monde, toutes les crises s'y rejoignent et conjuguent leurs effets selon les lois de l'interdépendance qui président au monde nouveau. Et les terroristes exploitent cette situation, avec l'espoir que la logique de l'affrontement prévaudra sur celle du dialogue.
Devant cette spirale de violence, qui peut douter des sentiments de la France ? L'horreur des attentats nous révolte comme elle révolte chaque Israélien. Le terrorisme, tous les terrorismes, sont un crime commis contre l'homme. Contre l'idée même que nous nous faisons de l'humanité. La menace du terrorisme hante Israël, où une famille sur cinq a été touchée directement ou indirectement par un attentat. Comment ne comprendrions-nous pas et ne partagerions-nous pas ce que ressentent les Israéliens depuis tant d'années ?
Israël a le droit de mettre au premier plan la sécurité de ses concitoyens et nous serons toujours à ses côtés contre le fanatisme, la haine et la violence. Et c'est précisément pour ces raisons que nous ne devons pas laisser la logique de l'affrontement l'emporter sur la volonté de réconciliation. La sécurité d'Israël passe avant tout par une solution politique des problèmes de la région. C'est notre conviction. La paix ne peut se construire que si toutes les peurs se dissipent, que si toutes les rancurs s'apaisent. La paix n'est possible que dans le respect des identités et du droit des peuples. Qui mieux que le peuple d'Israël, qui a fait l'expérience de l'exil et du déni d'identité, pourrait le comprendre ?
Le statu quo n'est plus possible. Tout retard est mis à profit par les ennemis de la paix. Toute la communauté internationale a un devoir d'action et de mobilisation pour faire évoluer les positions figées et dépasser les blocages. Aujourd'hui, l'interdépendance des crises et des menaces impose des réponses et des actions globales. Le Moyen-Orient forme un tout et la France estime, avec ses partenaires européens, que seule une approche visant à traiter dans leur ensemble les facteurs de déstabilisation peut être efficace. L'Europe et la France ont une responsabilité particulière dans cette région depuis si longtemps liée à leur histoire. Il y a longtemps qu'elles travaillent à une solution. Mais le fait nouveau aujourd'hui, j'en suis convaincu, c'est qu'elles peuvent faire la différence.
Elles le prouvent avec l'Iran, sur l'une des questions les plus graves et les plus complexes de notre monde nouveau : la prolifération des armes de destruction massive. Le programme nucléaire iranien suscite des inquiétudes qui doivent être levées. Nous ne transigerons ni sur le strict respect du Traité de non-prolifération, ni sur le mandat donné à l'Agence internationale de l'énergie atomique.
Le déplacement que je viens d'effectuer à Téhéran hier a montré qu'une action déterminée et unie des Européens pouvait permettre de désamorcer une crise. Il y a là une réalité nouvelle et une source d'espoir pour chacun d'entre nous : aujourd'hui l'Europe est capable, face à une situation dangereuse et complexe, de créer le mouvement pour sortir de l'impasse. Elle dément les pronostics pessimistes.
Les engagements souscrits hier même par les autorités iraniennes représentent une étape importante dans la bonne direction. Ils constituent autant de gestes dont il faudra bien évidemment vérifier très rapidement s'ils sont suivis d'effet. Sans complaisance mais avec le souci d'être constructif, notre pays privilégie ainsi l'action au service du dialogue et de la paix.
Le combat de la France contre le terrorisme est lui aussi sans merci. Nous nous mobilisons sans relâche contre ce fléau. Avec nos partenaires européens, nous avons choisi d'inscrire le Hamas sur la liste des organisations terroristes après l'attentat du 19 août et la rupture de la trêve. Il n'y a pas de compromis possible avec ceux qui choisissent une telle voie.
Nous voulons montrer la même détermination pour la paix au Proche-Orient. Et c'est en se montrant également à l'écoute de l'ensemble des acteurs des drames de la région que la France, avec l'Union européenne, entend agir. Nous devons nous y investir davantage encore si les efforts de nos partenaires américains peinent à se concrétiser. Dans ce qui constitue désormais une responsabilité collective, aucun Etat ne peut réussir seul. Les liens forts et anciens que la France entretient avec tous les pays de cette région sont pour elle un atout exceptionnel.
Dans ce contexte, notre relation avec Israël est primordiale. Nos atouts sont nombreux. Je pense notamment à la communauté francophone d'Israël, qui tisse un lien fort entre nos deux sociétés. Je rappelle à cette occasion notre conviction qu'Israël, deuxième pays francophone du Proche-Orient, a bien entendu vocation à entrer dans l'Organisation internationale de la Francophonie. Comme l'a dit en 1996 le président de la République, nous souhaitons qu'Israël soit admis dès que possible au sein de cette Organisation. Je m'y emploierai.
Nos relations économiques, scientifiques, culturelles et humaines constituent d'autres atouts majeurs. La France est l'un des principaux fournisseurs d'Israël, son troisième partenaire au plan scientifique et le seul pays européen à déployer une présence culturelle sur tout son territoire. Elle est aussi la deuxième destination touristique des Israéliens.
Cette relation indispensable, naturelle et assainie, doit constituer un socle sur lequel Français et Israéliens agissent ensemble pour que la recherche de la paix aboutisse enfin.
Chers Amis,
Ce que je viens de dire vous convaincra, je l'espère, de la logique, de la cohérence de notre position. Je veux aller plus loin. Que signifie en effet être "l'ami d'Israël" ? La véritable amitié passe par la franchise. Elle oblige à partager l'inquiétude que suscite, pour toute la région et donc pour Israël, l'évolution du Proche-Orient.
Israël, je l'ai rappelé, représente beaucoup pour les Français. Ce pays a été créé par la communauté internationale ; sa légitimité est incontestable. L'aventure extraordinaire, devenue réalité cinquante ans seulement après le premier Congrès sioniste réuni par Théodore Herzl, doit continuer pour toujours.
Israël doit vivre dans cette région du Proche-Orient non seulement parce que c'est son droit absolu mais parce qu'il peut être une formidable force d'entraînement pour ses voisins, sur tous les plans, économique, politique, démocratique. Mais qui peut s'imaginer un Israël heureux et prospère s'il doit encore, dans vingt ou trente ans, envoyer sa jeunesse garder des points de contrôle ou protéger des implantations ?
Je le dis avec amitié et conviction : rien ne sera possible sans des choix courageux, des ouvertures du coté israélien qui doivent naturellement coïncider avec des mesures aussi fortes de la part des Palestiniens. Il faut prendre le risque de la paix car ne pas le faire serait céder à la fatalité de la guerre.
La construction de la barrière de sécurité selon un tracé qui s'écarte de la Ligne verte, tout comme le développement des implantations, contredisent le droit international et n'apporteront pas davantage de sécurité. Au contraire, elles ne font que renforcer les frustrations, attiser inutilement les haines, fermer la porte à l'espoir. La mise en uvre de la Feuille de route, le principe de l'action collective du Quartet sont aujourd'hui compromis par les événements dramatiques des derniers mois.
Face à ces doutes, l'affirmation claire du principe de souveraineté rendra irréversible ce plan de paix. Comment traduire ce principe dans les faits ? Par la reconnaissance, aux côtés de l'Etat d'Israël, d'un Etat palestinien viable et pacifique, sur la base des frontières de 1967 ; par l'appui de la communauté internationale ; mais aussi par des élections dans les Territoires palestiniens. Refusons le désespoir. Ne nous enfermons pas dans la logique des préalables : ils donnent la maîtrise du jeu aux adversaires d'un règlement. Les sociétés israélienne et palestinienne veulent la paix.
Les propositions du groupe dit de Genève pour un règlement final, négociées par des Israéliens et des Palestiniens, constituent à cet égard un signal positif. Sans doute ce document est-il bien loin d'un consensus de part et d'autre. Mais il montre qu'il existe au sein des deux peuples les ressorts d'un dialogue et le souci d'une espérance commune.
Chers Amis,
En me rendant en Israël au printemps dernier, je m'étais fixé deux missions : convaincre, d'abord, le gouvernement israélien de la nécessité d'approuver la Feuille de route. Cette adoption suscita un grand espoir de paix avec la dynamique des "Sommets de la Mer Rouge", interrompue depuis.
Je souhaitais également que nous puissions poursuivre nos efforts pour donner un nouvel élan à la relation franco-israélienne, afin que celle-ci ne soit pas tributaire de la crise israélo-palestinienne.
Le Groupe franco-israélien de haut niveau, coprésidé par David Khayat et Yehouda Lancry, a établi un programme de travail ambitieux dans les domaines politique, économique, scientifique et culturel. Il s'appuie sur une collaboration étroite des administrations concernées mais aussi sur l'apport de nos communautés respectives et d'individualités soucieuses d'oeuvrer au renforcement de nos relations.
Je partage les espoirs que suscite le lancement de ces différents chantiers. Nous agirons pour que ces projets concrets soient mis en oeuvre rapidement.
A l'invitation du président Itamar Rabinovitch, je souhaite pouvoir être en mesure d'ouvrir, au mois de mars prochain, le colloque sur la "perception mutuelle des Français et des Israéliens". De nombreuses autres opérations, souvent ambitieuses, visent à resserrer les liens entre équipes de chercheurs et entre administrations dans les domaines les plus divers pour renforcer nos liens.
C'est dire à quel point votre colloque vient à point nommé et s'inscrit dans la logique de nos deux gouvernements. Permettez-moi de remercier les organisateurs ici présents, Richard Descoings, directeur de l'Institut d'Etudes politiques de Paris, et Christophe Jaffrelot, directeur du CERI, d'avoir bâti avec leurs collègues israéliens cette première passerelle entre l'Université de Tel-Aviv et Sciences-Po. D'autres aventures communes suivront, n'en doutez pas. Elles seront autant d'occasions pour mieux nous connaître et réfléchir ensemble à l'avenir des relations entre nos deux pays.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2003)