Texte intégral
L'agriculture, secteur clé de notre économie, connaît depuis ces dernières années une crise identitaire profonde révélatrice, de nouvelles attentes de la société et d'un besoin d'évolution. Un an après le vote de la Loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, j'ai souhaité qu'une vaste enquête d'opinion soit menée pour connaître la perception des Français vis à vis de l'agriculture.
L'objectif était de mesurer leurs attentes et évaluer le degré de compréhension et d'adhésion de l'opinion publique aux nouvelles missions assignées à l'agriculture. Cette enquête a été construite avec le concours du CNASEA et des organisations syndicales représentatives.
Je suis sensible aux inquiétudes des agriculteurs sur leurs nouvelles missions. L'agriculture connaît aujourd'hui une réelle mutation. Je l'appelle dans mon langage " la mutation qualitative "
L'agriculture française et européenne s'est engagée dans une logique nouvelle qui consiste à produire mieux à la place du produire plus.
" mieux " signifie utiliser les meilleures pratiques agricoles, autrement dit en termes de préservation d'environnement, des ressources naturelles, des intrants, la maîtrise des pratiques agricoles plus soucieuses des équilibres écologiques et de la biodiversité. En terme d'aménagement du territoire et d'aménagement des paysages, mieux signifie mettre un frein aux abus passés. Il s'agit de reconquérir des territoires tombés en déshérence et de réaménager les paysages. Je pense aux haies, aux bocages. En terme d'emploi, mieux signifie reconquérir l'emploi agricole alors que la France dans toutes ses composantes politiques, économiques et sociale est unanimement engagée dans la lutte pour l'emploi et contre le chômage, je ne vois pas de raison objective pour que le monde rural reste à l'écart de cette lutte.
Produire mieux, c'est enfin produire mieux en terme de qualité des produits. La qualité des produits c'est à la fois des produits sur et des produits qui ont du goût. Ne cédons pas à la facilité en opposant production intensive et qualité. Tout comme il serait inopportun d'opposer produits du terroirs et artisanaux à sécurité sanitaire. Il y a de la place en France pour ces deux types d'agriculture.
Le changement perturbe, inquiète parfois. Les français ont des craintes, des attentes, de justes aspirations concernant la sécurité sanitaire des aliments, l'environnement, l'emploi. L'Etat et les agriculteurs se doivent d'apporter des réponses concrètes.
Je veux encourager, accompagner et aider les agriculteurs dans ce changement. Avec le gouvernement, je souhaite être aux côtés de ceux qui travaillent à une production soucieuse de l'environnement, de nos paysages et de l'emploi. Je veux aussi sensibiliser les français sur l'importance des missions confiées aux agriculteurs, sur leur rôle dans le domaine de la sécurité des aliments.
Connaître, entendre, comprendre et prendre en compte la perception qu'ont les Français de cette mutation, et donner à chacun, en toute transparence, les informations nécessaires au débat réclamé par tous sur la place de l'agriculture dans notre pays dans le prochain siècle : c'est le sens de cette enquête conduite par l'institut IPSOS.
Que nous disent les français ?
Convergence entre les attentes des Français vis à vis de l'agriculture et la perception qu'ont les agriculteurs de leur propre rôle
Pour les agriculteurs, il est clair également que leur statut, leur métier et leur légitimité sociale s'incarnent avant tout dans la production de biens alimentaires. Mais, tout comme la moyenne des Français, ils estiment aussi être investis d'un rôle important dans d'autres domaines.
Ainsi la proportion d'agriculteurs et/ou de personnes appartenant à une famille d'agriculteurs estimant important le rôle des exploitants agricoles, est respectivement de :
- 92% pour la prévention de l'environnement
- 92% pour l'entretien et l'aménagement des campagnes
- 85% pour le maintien d'une vie rurale active
Un très fort degré d'adhésion du public aux nouvelles missions assignées à l'agriculture et que traduit la " mutifonctionnalité ".
L'agriculture ne peut plus être seulement une agriculture de production. Des missions élargies et essentielles décrites au travers du concept de multifonctionnalité sont désormais reconnues et attendues de l'agriculture.
Une immense majorité de l'opinion publique (plus de 84% des Français) considère les agriculteurs comme des acteurs majeurs dans plusieurs fonctions conjointes, toutes situées en résonance avec les attentes de la société.
Bien entendu, c'est en priorité dans leurs fonctions premières, c'est à dire celle de producteurs de produits et de matières premières alimentaires, que les Français investissent le plus les agriculteurs d'un rôle majeur. Mais pour l'opinion publique, ce rôle s'étend également aux domaines sociaux et environnementaux.
Ainsi la proportion de Français estimant important le rôle des agriculteurs est respectivement de :
- 95% pour l'obtention de produits alimentaires de qualité
- 93% pour le maintien de la production des produits traditionnels du terroir
- 90% pour la préservation de l'environnement, tant sur le plan de l'air, de l'eau, des sols, des espèces végétales et animales
- 85% pour le maintien d'une vie rurale active
- 84% pour l'entretien et l'aménagement des campagnes, comme par exemple l'entretien des haies, des champs, des sentiers ou bords de rivières
L'appréciation de la multifonctionnalité par le grand public est d'autant plus grande qu'elle est concrètement illustrée, notamment par des cas de CTE.
En amont du sondage, les tables rondes menées par IPSOS avec des citadins de plusieurs villes de France, ont montré l'importance de présenter au public des exemples précis de CTE. Leur contenu permet en effet à l'opinion de se représenter concrètement des bénéfices économiques et environnementaux apportés par les actions des agriculteurs.
L'attente d'informations concrètes exprimée par l'opinion publique, est d'autant plus grande qu'elle a du mal parfois à se les imaginer avec précision. Or cela ne fait qu'accentuer l'impression de coupure entre citadins et agriculteurs, coupure - répétons le - que les Français souhaitent réduire.
Franche acceptation par le grand public du principe de rémunération des nouvelles fonctions de l'agriculture dès lors qu'il reçoit en retour une information suffisante.
Ainsi, 89% des Français estiment qu'il est légitime de rémunérer les efforts d'un agriculteur qui s'engagerait par des actions précises à produire plus de produits de qualité, quitte à réduire son rendement, et cette proportion est la même pour les actions engagées visant à améliorer la qualité de l'environnement sur son exploitation.
Cette proportion est tout aussi élevée en ce qui concerne l'entretien et l'aménagement des campagnes et pour toute action contribuant à favoriser le maintien de l'emploi en zone rurale (88% et 87% respectivement).
Mais cette acceptation sous-entend qu'une information concrète sera fournie aux Français tant sur le plan du contenu de ces engagements que sur celui de leur avancement région par région : 94% des sondés trouvent cela important, deux personnes sur trois qualifiant même cela de très important.
Un fort attachement des Français à leurs agriculteurs et une demande pressante d'information de la part du grand public sur l'agriculture.
Il ressort d'abord - et sans surprise - un fort attachement des français au monde agricole. C'est une constante positive dans l'histoire récente, et presque une figure imposée de l'imaginaire national. Cet attachement se manifeste à la fois par le sentiment qu'ont les Français d'une coupure entre la société et le monde agricole, et une demande pressante de voir ce fossé comblé rapidement.
71% de Français ont le sentiment qu'un trop grand fossé s'est instauré entre les habitants des zones urbaines et les agriculteurs et cela est loin de les laisser indifférents.
En effet, 83% des Français estiment qu'il est important de trouver des solutions pour réduire cette coupure, et une personne sur trois allant même jusqu'à dire que ceci est urgent (35%).
Les Français, en grande majorité, souhaitent davantage d'informations concrètes : 58%, jusqu'à 64% pour les 18-35 ans, soit plus d'une personne sur deux, trouvent ainsi que les médias (télévision, radio, presse) ne leur donnent pas assez d'informations sur l'agriculture et les agriculteurs.
Conclusion :
Les Français sont plus de 70% à estimer que le fossé qui sépare les agriculteurs et la société est trop grand et qu'il est urgent de le réduire. C'est un signe fort exprimant que l'agriculture est bien au cur des questions économiques, sociales et humaines, à la croisée des principaux enjeux de notre société.
Les conclusions que je tire au bout de 21 mois au service de l'agriculture au sein de ce gouvernement :
L'agriculture est plurielle : il faut faire vivre tous les territoires et n'en ignorer aucun. Il faut permettre à toutes les stratégies de vivre et d'en étouffer aucune au passage.
L'acte de production agricole doit être profondément en phase avec les préoccupations de nos concitoyens : aménagement du territoire, emploi, respect de l'environnement, qualité des produits, sécurité sanitaire. C'est la façon de donner à l'activité agricole une image moderne, contemporaine ; cela concerne tous les agriculteurs, toute l'agriculture : la réorientation de la politique agricole concerne l'ensemble des agriculteurs.
Les agriculteurs ont commencé à faire ce premier pas vers les citoyens. Il appartient à la société de se rapprocher des préoccupations des agriculteurs.
J'invite d'ailleurs les uns et les autres à profiter de leurs vacances pour aller visiter des exploitations et découvrir l'attachement des agriculteurs à fournir des produits alimentaires de qualité.
Cette reconnaissance du travail de ces hommes et de ces femmes doit pouvoir se traduire, pour chacun d'entre nous, par un acte d'achat responsable.
La qualité de l'agriculture de demain dépend aussi de l'orientation des achats des consommateurs d'aujourd'hui.
Je militerai sans relâche et avec conviction pour la plus grande transparence dans l'information des consommateurs, gage d'une meilleure compréhension entre les uns et les autres.
C'est pour toutes ces raisons que ces échanges seront poursuivis par de nombreux débats publics : Etats généraux de l'alimentation, Loi d'orientation sur la forêt, nouveau projet pour l'enseignement agricole, recours aux nouvelles technologies d'information et de communication..
Je défendrai cette vision du modèle agricole incluant diversité, qualité et sécurité des productions lors de la prochaine présidence française.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 13 juillet 2000)