Déclaration de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, sur les enjeux du débat sur l'avenir de l'école, Paris le 17 septembre 2003.

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Circonstance : Installation par le Premier ministre de la Commission du débat national sur l'avenir de l'école à Paris le 17 septembre 2003

Texte intégral

Le débat national sur l'avenir de l'Ecole est une priorité du Président de la République, un engagement du Gouvernement, une nécessité pour la Nation, une chance pour l'Education nationale.
Le projet dont notre pays a besoin pour son école ne saurait en effet s'élaborer sans faire appel à l'ensemble de ceux qui oeuvrent au quotidien au service de l'Education nationale. Il ne saurait être seulement le fruit de la réflexion de quelques-uns, si compétents soient-ils ; il doit se nourrir de l'expérience de tous. C'est ce qui rend indispensable un large débat avec l'ensemble des acteurs et des partenaires de notre système de formation. Comme l'ont souhaité le Président de la République et le Premier ministre, l'objectif de ce débat est à la fois d'engager un vrai dialogue social au sein de l'Education nationale et de renforcer les liens que la Nation entretient avec son école.
Il convient aujourd'hui d'oeuvrer collectivement à une refondation de notre souveraineté politique dans le domaine de l'éducation, de définir l'ambition et l'effort que doit engager la Nation pour son école. C'est une nécessité pour maintenir la cohésion de la communauté nationale, c'est une occasion exceptionnelle pour les enseignants eux-mêmes : car on ne peut être enseignant, pas plus aujourd'hui qu'hier, sans s'adosser à une légitimité sociale et institutionnelle. C'est une occasion historique de reconstruire ce crédit et cette assise qui sont au coeur du modèle républicain à la française. C'est pourquoi ce débat ne peut pas être l'affaire des seuls spécialistes de l'éducation. Il concerne la Nation tout entière.

Les questions d'éducation ne doivent pas être caricaturées et l'on doit évidemment se méfier des solutions simplistes : les problèmes sont en ce domaine souvent beaucoup plus difficiles qu'on ne le croit à première vue. Pour autant, rien ne justifie au fond qu'ils continuent à se traiter seulement entre " spécialistes ". Assurer l'égalité des chances, définir la mission des enseignants, lutter contre la violence dans les établissements, s'accorder sur les objectifs et le sens de notre éducation : c'est là l'affaire de tous les citoyens et de leurs représentants. Quoi de plus naturel que d'en débattre le plus largement possible ? Dans ce débat, chacun est appelé à apporter sa contribution : personnels de l'éducation nationale, parents d'élèves, élus locaux et nationaux, élèves, étudiants, acteurs économiques, représentants du monde associatif, simples citoyens.
Dans le monde de l'enseignement, héritier des valeurs universitaires auxquelles les personnels de l'éducation nationale sont légitimement attachés, le débat est la voie de recherche de ce que nous avons en partage mais aussi le mode normal de la confrontation des idées, des positions dont on peut comprendre qu'elles ne soient pas identiques, mais dont on doit admettre qu'elles gagnent à être confrontées publiquement.
Dans la démocratie à laquelle nous tenons tous, sur des problèmes aussi fondamentaux, qui engagent à ce point l'avenir de notre nation, qui sont si étroitement liés à l'exercice même de la souveraineté, c'est au peuple et à ses représentants que doit revenir le dernier mot.
Une telle entreprise est d'autant plus nécessaire que nous sommes aujourd'hui confrontés, chacun le sent et le sait, à des interrogations qui prennent souvent le visage du doute ou de la crise. La société demande tout, trop sans doute, à son école : éduquer, transmettre des valeurs, former des citoyens, mais aussi des individus épanouis et heureux, leur assurer un emploi, les ouvrir sur le monde extérieur, sur l'Europe... Sollicités par tant d'exigences, les enseignants ont en même temps le sentiment que les valeurs sur lesquelles s'est construite leur culture professionnelle (la république plutôt que les communautarismes, la culture et les savoirs plutôt que l'argent) sont bafouées sans cesse par la société marchande et médiatique, dont les héros d'un jour n'ont rien à voir avec les figures exemplaires de l'école. De là naît le sentiment d'être incompris, à la fois désuet et mal aimé. De là naît ce malaise diffus, souvent évoqué, prêt à se fixer sur tout et sur rien, nourri de rumeurs, cette angoisse d'abandon qui s'exprime souvent par la crainte d'un désengagement de l'Etat.
Il nous faut aujourd'hui fixer à nouveau le cap, faire vivre l'idée républicaine, et la conception de l'école qu'elle commande, non pas dans la nostalgie d'un hypothétique âge d'or perdu, mais dans la temporalité de la politique qui est celle du futur. C'est cette ambition qui donne tout son sens à la volonté du gouvernement de préparer une nouvelle loi d'orientation.
Nous n'y parviendrons que si nous conduisons tous ensemble un authentique débat, dont je voudrais maintenant rappeler rapidement les principes et le calendrier. La commission nationale que vous constituez et que préside Claude THELOT y jouera bien sûr un rôle essentiel.
Il s'agit d'abord, comme l'ont souhaité le Président de la République et le Premier ministre, de parvenir à un diagnostic partagé sur l'état actuel de notre école, ses forces et ses faiblesses, ses difficultés et ses réussites. Elle a connu depuis les années quatre-vingt des évolutions profondes, dont la loi d'orientation de 1989 porte la marque : il nous faut aujourd'hui en dresser un bilan, qui pourra s'appuyer sur le travail préparatoire que j'ai demandé au Haut Conseil de l'évaluation et qui sera disponible à la fin du mois d'octobre.
Il faut ensuite faire en sorte que le bilan nourrisse une analyse partagée, et cela suppose le dialogue et l'épreuve du débat, afin de cerner les grands thèmes de réflexion, d'éclairer progressivement les principales lignes d'évolution possibles et souhaitables de notre système éducatif pour les dix ou quinze prochaines années.

Ce débat national se développera jusqu'au mois de janvier prochain. Il prendra les formes les plus larges, sur l'ensemble du territoire : présentation du diagnostic au Parlement, réunions publiques à l'échelon des arrondissements, consultations des structures existantes, comme les Conseils économiques et sociaux régionaux, réunions dans les écoles et les établissements scolaires De même que nous avons souhaité que votre commission soit la plus large et diverse possible - riche de cette diversité -, de même le débat national doit être ouvert à tous ceux qui se sentent concernés par l'Ecole, c'est-à-dire à tous les Français.
A partir de ce débat qu'elle contribuera bien sûr à animer, à partir des auditions, des consultations et des enquêtes qui lui paraîtront nécessaires, il reviendra à la commission que vous constituez désormais de tenter une synthèse et de mener une réflexion prospective permettant d'identifier les schémas possibles d'évolution de notre système éducatif primaire et secondaire. Fort de ce travail collectif, qui fera l'objet d'une première synthèse au printemps prochain, le gouvernement pourra alors entreprendre la préparation d'un projet de loi, afin que, comme il est normal en démocratie, il revienne finalement à la représentation nationale, dans le deuxième semestre 2004, la responsabilité de fixer le nouveau cap dont l'école française a besoin.
Je voudrais vous remercier chaleureusement, experts, partenaires ou acteurs de l'école, d'avoir accepté de vous engager avec nous dans cette tâche essentielle. Bien sûr, je remercie particulièrement Claude THELOT, dont chacun connaît la rigueur et la compétence, d'avoir accepté de présider votre commission. Je voudrais aussi redire mon souhait que, par delà les clivages partisans, tous ceux qui avant moi ont eu la responsabilité du ministère de l'Education nationale acceptent d'apporter leur irremplaçable expérience. Je voudrais remercier enfin les parlementaires que nous avons souhaité associer au travail de la commission, pour bien marquer la responsabilité qui sera, au terme de nos travaux, celle des élus de la Nation.

Dans cet effort collectif qui s'engage, je vois la première marque de la volonté de notre pays de donner aux enjeux de l'éducation toute la place qui leur revient, et la meilleure garantie de notre réussite.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 19 septembre 2003)