Déclaration de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, sur les persécutions racistes et antisémites du Vel d'Hiv le 16 juillet 1942, Paris le 16 juillet 2000.

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Circonstance : Cérémonie commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait de l'Etat français le 16 juillet 1942 à Paris (Le Vel d'Hiv) le 16 juillet 2000

Texte intégral

Mesdames, messieurs
les élus
les ambassadeurs
les représentants de l'Etat
les responsables des associations
et des communautés religieuses
Le 16 juillet 1942 est un jour de deuil et de honte pour les Français. Trop longtemps notre pays n'a pas su regarder en face l'offense imprescriptible qui lui a été faites ce jour là. Trop longtemps il n'a donc pu, par conséquent, attester l'infamie et la douleur du martyr infligé aux juifs de France trahis par d'autres Français, et aux juifs fuyant les armées nazis qui avaient pourtant fait à la France l'honneur de la choisir comme terre de sécurité. Les uns et les autres ont été livrés et déportés par des Français avant d'être assassinés en masse.
En vain pouvait-on escompter que cette douleur s'effacerait avec le temps. En vain pouvait-on supposer que ses implications concerneraient seulement la génération qui en avait été contemporaine. Car, de ce crime du 16 juillet 1942, aucune génération de Français ne doit se sentir indemne. Il en va de ce que nous voulons être ensemble, de l'identité française que nous voulons vivre en commun. Tel est le sens du devoir de mémoire auquel nous sommes appelés depuis la décision du Président Mitterrand en 1993 d'instaurer cette commémoration. Il est d'abord un devoir humain de fraternité douloureuse à l'égard de ceux qui ont vécu cette tragédie dans leur chair et de ceux qui en supportent encore aujourd'hui toute l'angoisse.
Mais il est aussi et surtout un appel à méditer la signification de ce qui s'est passé. Chaque Français doit en tirer une leçon personnelle. Et ce sera alors, une leçon d'identité française. Pour cela, oui, tout commence par la claire reconnaissance des faits. C'est le chemin que nous ont ouvert les discours du président Jacques Chirac et du Premier ministre Lionel Jospin à l'occasion des précédentes commémorations.
Oui, hélas des Français, une administration française, un Etat français ont organisé le fichage, l'arrestation, l'enfermement et la déportation de 13.000 Français parce qu'ils étaient juifs. Il n'en est revenu vivants que 2.000 d'entre-eux, compagnons de l'indicible partagé avec d'autres juifs de toute l'Europe qui s'étaient crus protégés parce qu'ils avaient confié leur sort à la France. Des fanatiques ont pensé et voulu ce crime. Une masse de prudents zélés et d'indifférents actifs, réunis dans la même lâcheté l'ont organisé et réalisé. D'un bout à l'autre de cette chaîne d'opérations - chacune prétendant à la banalité des routines du service dû - qui finit dans le meurtre, tous sont coupables, et tous sont français, pour notre honte. Le dire, l'assumer, ce n'est pas confondre un seul instant les autorités de fait, moralement faillies qui sont à l'origine de ce déni d'humanité, ni leurs misérables cohortes d'exécutants, avec la France à laquelle nous adhérons comme le prouve notre commémoration. Ce n'est pas non plus confondre dans une même opprobre tous ceux qui n'ont pas été les victimes avec les bourreaux. Ce n'est pas oublier un seul instant que l'honneur collectif de notre identité républicaine a été sauvée par la France combattante du Général de Gaulle et de la résistance intérieure. Ce discernement est aussi la leçon de ce jour. Nous y sommes invités d'abord par l'exemple que donnent les juifs de France. Cet exemple, c'est celui de leur amour intact pour notre patrie commune, mille fois prouvée après le 16 juillet 1942, comme il l'avait été auparavant, dans toutes les épreuves nationales. Amour intact, en dépit de la pire des trahisons dont se sont rendus coupables ceux qui avaient pourtant prétexté de la France pour les frapper. Cet amour nous permet de savoir que la France que nous voulons incarner est possible et qu'elle est vivante. Et c'est à eux, encore, que l'on doit d'avoir protégé et sauvé de l'oubli la mémoire des " justes " de France, d'abord consacré par le mémorial fondé par le Consistoire Central Israélite de France.
Depuis, le parlement unanime a voulu le 10 juillet dernier que ce jour de commémoration du 16 juillet 1942 soit aussi celui auquel nous leur rendrons désormais hommage. Ces " justes " sont ceux qui, selon les termes de la loi, " ont recueilli, protégé ou défendu au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées de génocide ". Dès lors, chaque génération de Français, doit apprendre qu'il n'y a aucune circonstance atténuante au crime de ceux qui se sont accommodés d'exécuter des ordres assassins, au prétexte de leur devoir d'obéissance. La mémoire des justes témoigne qu'il en est d'autres, d'autres Français, de toute condition sociale, de toute religion, de toute conviction, individuellement ou par villages entiers, qui ont refusé au risque de leur vie.
Chaque génération de Français doit apprendre que ces " justes " ne voulaient rien d'autre que se savoir en accord avec la règle morale que leur dictait leur conscience d'êtres humains. Et dès lors ils se savaient libres. Libres parce qu'ils se sentaient responsables du sort d'autrui jusqu'au point de tout risquer pour cela, contre les menaces de la force, les douceurs de la prudence, les conforts de l'indifférence.
Ainsi la mémoire des " justes " prononce la sentence de chacun de ceux qui auraient pu agir contre le crime et qui ne l'ont pas fait. C'est la plus terrible des leçons d'humanité. Mais elle ne peut être mise en partage qu'au prix de la vérité sur le 16 juillet 1942 et au prix de la blessure qu'elle nous inflige. Elle exige de nous la reconnaissance du crime radicalement distinct de tous ceux commis à cette époque qui en abondait, perpétré le 16 juillet 1942. Elle exige que nous comprenions la vocation intrinsèquement génocidaire de l'antisémitisme qui est l'argument ouvertement revendiqué dans les prétendues " lois d'Etat " promulguées dès juillet 1940 par le régime de Philippe Pétain. Ainsi la collaboration a bien été pleinement une participation active à la SHOAH.
Dès lors, toute réparation faite aux victimes ou à leurs ayants droit est certes un acte de justice et de compassion. Mais elle est aussi et surtout une affirmation morale particulière. Par son caractère exceptionnel, compte tenu des conséquences d'une période où les victimes ont été si nombreuses et si diverses, la réparation est une prise de position, non pour hier seulement mais pour aujourd'hui, qui stigmatise la déchéance qu'est l'antisémitisme et sa vocation criminelle. La République française a depuis 1995 mis en place les outils de notre travail de mémoire. Initiés en 1997, les travaux de la commission MATTEOLI ont permis de dresser le début de l'inventaire des spoliations. Le Premier ministre Lionel Jospin, comme il s'y était engagé devant le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, a publié ce 14 juillet le décret établissant les réparations dues aux orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites. Cette mesure concerne toute personne française ou étrangère dont l'un des parents a été déporté à partir de la France et a trouvé la mort de ce fait. Cette leçon est de large portée. Les assassins du 16 juillet 1942 ont démontré ce que peut devenir la France quand la République n'y est plus chez elle. Si le lien qui nous unit n'est plus dans la citoyenneté et dans le pacte contenus dans notre devise républicaine "Liberté Egalité Fraternité", où donc seraient fondées l'identité française et la liberté des Français ? Le régime de Philippe Pétain y a répondu dès ses premiers jours.
La persécutions des juifs en a été le signal et l'emblème. De la diversité des cultes il a déduit des différences raciales et, partant de là, des hiérarchies de dignité humaine. Dès lors il n'est plus entre Français d'égalité possible, ni de liberté, et jamais plus de fraternité. Immanquablement il n'y a plus que des bourreaux et des victimes. L'actualité montre sous toutes les latitudes quel délire sanglant est la définition ethnique de la nationalité. Le monde n'est donc pas libéré du mal ethniciste. Et il n'est possible de s'en affranchir qu'au prix de cet effort de l'esprit et du cur que nous, Français, nous nommons l'amour de notre patrie républicaine parce qu'il nous rend libres égaux et fraternels.
Notre commémoration de ce 16 juillet 1942 nous invite à renouveler le serment de cet amour.
(source http://www.education.gouv.fr, le 18 juillet 2000)