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Ouest-France - Qu'attendez-vous de la nouvelle table ronde de ce jour sur l'emploi ?
François Chérèque - " Le gouvernement organise à intervalles réguliers des tables rondes qui relèvent plus de coups médiatiques que de réunions destinées à déboucher sur du concret. Qu'est-il sorti de la conférence du printemps dernier ? Presque rien sinon quelques promesses. La mise en place du nouveau contrat d'insertion pour les jeunes, le Civis a toujours pas vu le jour et on n'en connaît pas encore les contours. Ce que nous souhaitons c'est que la nouvelle table ronde permette de bien identifier les responsabilités de chacun -État, partenaires sociaux, collectivités locales- dans la lutte contre le chômage ".
À la CFDT comment voyez-vous concrètement la répartition des rôles entre les différents acteurs de l'emploi, notamment côté syndical ?
" Le problème aujourd'hui c'est que les syndicats sont utilisés comme les pompiers du social. On ne les sollicite qu'en cas d'accident dans les entreprises. Nous, nous voulons agir en amont des accidents, et obtenir un droit individuel au reclassement. Les partenaires sociaux -syndicats et patronat- doivent aussi réfléchir sur les métiers de demain, et anticiper les besoins de formation. Mais cette responsabilité concerne tous les acteurs, notamment régionaux. En Bretagne par exemple on a des difficultés dans la filière agroalimentaire. Il faut réfléchir tous ensemble sur les métiers et les investissements de recherche nécessaires pour élaborer davantage de produits élaborés, pour faire face à la concurrence. -Mais comment faire face aux inévitables plans sociaux ? Instituer une taxe sur le licenciement comme l'idée se fait jour ?-Cela peut paraître positif, mais il y a des effets pervers. On ne peut pas taxer les entreprises de manière aveugle sans tenir compte de leur réalité économique. En outre cette mesure exonère les entreprises de tout contrôle sur la nature des licenciements économiques. C'est une proposition libérale qui fait l'impasse sur ce qui se passe en amont. J'insiste donc sur la nécessité de l'anticipation "
Pour améliorer le marché de l'emploi le gouvernement envisage de réformer l'ANPE et de la mettre davantage en concurrence. D'accord ?
" La concurrence existe déjà. L'important c'est qu'il y ait un service public de l'emploi gratuit et efficace. Si on commence à instaurer un système payant pour les salariés ou pour les entreprises, on crée de nouvelles inégalités. Quant à une fusion ANPE-Unedic c'est complètement irréaliste. Car il n'y a que deux solutions. Soit on enlève aux partenaires sociaux la gestion paritaire de l'Unedic, on l'étatise et on s'y oppose formellement. Soit c'est l'ANPE qui passe sous gestion paritaire.. Et on voit mal le gouvernement l'accepter. Le vrai enjeu, c'est leur complémentarité, au bénéfice des chômeurs ".
L'initiative de croissance européenne peut-elle contribuer à créer des emplois ?
" C'est une bonne démarche à condition qu'on ne l'abandonne pas en cours de route, dès que la reprise réapparaît, comme cela avait été le cas au début des années 90. L'effort doit être continu car les besoins sont réels. On sait bien que la poursuite du TGV jusqu'à Brest et Bordeaux est une nécessité économique ".
La politique de l'emploi vient d'être chahutée par la polémique sur les 35 heures. Quelles leçons en tirez-vous ?
" Cette polémique a été menée au nom de la valeur travail : c'est choquant dans un pays où il y a plus de 2,5 millions de chômeurs et autant de travailleurs précaires. Au-delà de cette approche politicienne que constate-on ? 1) Qu'il y a une grande majorité des salariés passés aux 35 heures qui sont contre un retour en arrière. 2) Qu'on a fait croire aux salariés des petites entreprises qui ne sont pas passés aux 35 heures qu'ils pouvaient travailler plus et être payés plus. En fait ils ont eu 1 % de revenus en plus pour travailler 4 heures de plus. C'est un marché de dupes ".
Quelles adaptations êtes-vous prêts à accepter sur les 35 heures ?
" Il n'est pas question de laisser le gouvernement remettre en cause les 35 heures par des propositions de loi plus ou moins camouflées. Mais les adaptations sont possibles. Ce qui est souhaitable c'est pousser les négociations d'entreprises, notamment dans les petites, à partir de la loi Aubry. Et ce qui est impératif c'est qu'au terme des accords, chaque salarié bénéficie de la RTT ou des heures supplémentaires payées en totalité ".
La CFDT ne peut qu'apprécier la relance du dialogue social ?
" C'est en effet la première fois depuis longtemps qu'on nous propose un projet de loi sur le dialogue social. C'est tout à fait positif que toute nouvelle loi sociale passe d'abord par la case négociation entre partenaires sociaux. Très positif aussi qu'il n'y ait plus d'accord signé dans une entreprise ou une branche par un seul syndicat minoritaire. Ce qui manque encore c'est l'organisation automatique d'élections de représentativité, pour que les salariés choisissent le syndicat qui négocie en leur nom ".
(Source http://www.cfdt.fr, le 27 octobre 2003)