Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à France 2 le 21 avril 2004, sur la question de la laïcité et de l'intégrisme musulman, sur la possibilité de mener une autre politique aussi bien au niveau européen que face à l'OMC et à la mondialisation libérale, sur le bilan de la participation communiste au gouvernement et sur les enjeux des élections européennes.

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Texte intégral

Q- R. Sicard-. D'abord, l'affaire de cet imam de Vénissieux qui dit que "battre sa femme, c'est permis par le Coran". Pour vous qui êtes une élue de banlieue, cela traduit-il une radicalisation de l'islam ?
R- "D'abord, je dois dire que ces propos sont inacceptables. Il faut que la République réagisse, c'est ce qu'elle a fait. Deuxièmement, c'est vraiment une minorité qui se radicalise. Et je pense aujourd'hui, à la communauté musulmane qui n'accepte pas ces propos, et qui se sent humiliée par cet imam avec ces propos intolérables sur les femmes. Donc je pense à eux. Ils ont envie de pouvoir pratiquer leur foi, dans la République, et de vivre dans cette société française."
Q- Vous êtes une élue de la banlieue parisienne...
R- "Tout à fait, je vis en Seine-Saint-Denis, je vis à Paris."
Q-Vous connaissez bien le terrain. Cela ne traduit-il pas quand même un phénomène de radicalisation ?
R- "Non, ce n'est pas une généralité."
Q-C'est un peu isolé ?
R- "Voilà. Il y a des endroits où vraiment on est face à des intégristes. Et il faut les combattre : il faut les combattre sur leurs idées, il faut les combattre sur leurs pratiques. Mais j'ai envie de dire que ce n'est pas une radicalisation générale. Ce sont vraiment des points de fixation, des lieux où il y a vraiment des intégristes. Mais plus généralement, la communauté musulmane a vraiment envie de vivre sa foi dans la laïcité, de vivre sa foi dans la République."
Q- Mais dans ces banlieues, n'y a-t-il pas quand même une situation de plus en plus difficile pour les femmes ?
R- "C'est vrai qu'il y a des tensions et qu'il y a des reculs dans les mentalités, par rapport notamment aux filles. On l'a senti dans certaines cités, on l'a senti dans certains lycées, où les garçons veulent jouer un peu aux matadors et imposer leur loi aux filles. Donc il faut pointer du doigt ces problèmes, il faut organiser des débats. Dans ma ville, on a organisé des débats sur la laïcité, on a organisé des débats sur le respect des filles. Je crois que c'est extrêmement important de ne pas céder sur un recul des mentalités par rapport aux droits des femmes. Aujourd'hui, c'est aussi l'anniversaire du droit des femmes à être électrices et éligibles en France. Je pense que nous devons continuer ce combat féministe."
Q- Pour vous, le texte sur la laïcité, le texte sur l'interdiction des signes religieux à l'école, ne règle-t-il pas le problème ?
R- "Non, je me suis prononcée contre cette loi, parce que nous avons un énorme problème pour faire respecter la laïcité, c'est-à-dire faire en sorte que les filles et les garçons aient partout les mêmes droits et les mêmes devoirs. Et je pense qu'on a pris simplement un petit bout du problème de la laïcité, avec cette loi qu'on a appelée souvent d'ailleurs "la loi sur le voile", qui montrait bien qu'on ne prenait vraiment qu'un petit bout de la question."
Q- Et pourtant, quand même, quand on voit ce que dit cet imam, il fallait bien dire quelque chose, donner un signe...
R- "Justement, le signe n'était pas de montrer du doigt les filles. Le signe était de dire : il faut arrêter les pratiques discriminatoires, il faut arrêter les attitudes machistes, il faut faire en sorte que les filles aient partout les mêmes droits que les garçons. C'était cela qu'il fallait dire."
Q- Ce n'est pas ce que dit la loi ?
R- "Non, la loi dit simplement que l'on interdit les signes religieux. La loi aurait dû dire : il faut répondre aux cités-ghettos, il faut faire en sorte qu'il n'y ait plus de discrimination à l'embauche, il faut faire en sorte que partout les filles soient respectées. C'est cela que la loi aurait dû dire."
Q-Venons-en au livre que vous publiez cette semaine, qui s'intitule donc "Un peu de courage". D'après vous, les hommes et les femmes politiques sont résignés ?
R- "Ce ne sont pas les hommes et les femmes politiques en tant qu'individus, mais il est vrai que depuis des années, le monde politique nous a donné des signes de renoncement. On nous a expliqué qu'on ne pouvait pas changer les directives européennes, qu'il fallait donc abdiquer devant les directives qui demandaient la mise en concurrence de grandes entreprises publiques... Ces directives sont issues de décisions prises par les chefs d'Etat et de Gouvernement qui se réunissent, au niveau de l'Union européenne, qui prennent des décisions, et ensuite, la Commission traduit ces décisions en directives. Alors, ayons le courage de dire que ces directives sont de la responsabilité des gouvernements nationaux, réunis au niveau de l'Union européenne. Si les chefs d'Etat ont pris ces décisions, les chefs d'Etat peuvent prendre d'autres décisions et la Commission devra les appliquer. On nous a expliqué également qu'on ne pouvait rien faire, parce qu'il y avait la mondialisation. Mais la fameuse OMC, c'est bien, là aussi, des représentants des gouvernements qui siègent. Et donc on peut aussi prendre d'autres décisions que celles qui sont prises aujourd'hui. C'est pour cela que je dis : "Un peu de courage". Arrêtons de faire porter la responsabilité à des phénomènes internationaux et disons que ce sont les politiques qui ont à mener d'autres politiques que celles qui sont menées depuis des années dans ce pays."
Q- C'est-à-dire que lorsque les hommes politiques disent qu'on ne peut rien faire à cause de l'Europe, c'est en fait un bouc-émissaire ?
R- "C'est faux, c'est un bouc-émissaire. Construisons l'Europe autrement, faisons de l'Europe une Europe sociale, démocratique. Faisons par exemple en sorte que les services publics, au lieu de les détruire, deviennent un des moteurs du développement économique et sociale de l'Europe de demain. Faisons en sorte que les droits des salariés, dans les nouveaux pays qui vont entrer aujourd'hui dans l'Union européenne, soient tirés vers le haut, c'est-à-dire vers les meilleurs acquis des peuples dans l'Union européenne, et que ce ne soit pas le contraire. Mais ça, ce sont des choix politiques. Assumons-les."
Q- Dans le livre, vous tirez un bilan assez négatif de la participation des communistes au Gouvernement. Cela veut dire que si aujourd'hui, la gauche revenait au pouvoir, la participation des communistes ne serait pas automatique ?
R- "Nous sommes un autre anniversaire encore aujourd'hui : le 21 avril 2002, les Françaises et les Français ont dit à la gauche qu'ils étaient profondément déçus. Et ils ont dit au PCF qu'ils avaient eu l'impression qu'il les avait quelque part abandonné, avec le score que nous avons eu..."
Q- C'est vôtre responsabilité pour le coup ?
R- "C'est notre responsabilité, ma responsabilité, je l'assume complètement. Donc si demain, il devait y avoir une majorité à gauche, je crois que le PCF est un parti qui a vocation de gouverner, de participer à un gouvernement ; mais il faudrait y aller dans d'autres conditions. Il faut dès maintenant travailler à un projet alternatif, qui soit vraiment un projet antilibéral, capable de répondre aux grandes souffrances sociales que nous connaissons aujourd'hui."
Q-Cela veut dire que si vous y allez, vous poserez des conditions beaucoup plus dures que celles que vous aviez posées ?
R- "Ce ne sont pas des "conditions". C'est qu'il faut qu'on y aille sur un projet qui, cette fois-ci, ne déçoive pas, prenne vraiment le contre-pied..."
Q- Mais il n'y a pas que le projet, il y a aussi son application...
R- "Il y a aussi l'application, donc la pratique politique."
Q- Vous n'avez pas assez tapé du poing sur la table, lorsque vous étiez au gouvernement ?
R- "On n'a peut-être pas suffisamment tapé du poing sur la table, mais surtout, on n'a pas suffisamment fait appel à l'intervention populaire. Et dès maintenant, dans les jours qui viennent, il faut que nous reprenions nos forums citoyens, pour que les hommes et les femmes de ce pays construisent l'alternative, que ce ne soit pas simplement l'affaire des directions des partis de gauche, mais que ce soit vraiment une affaire populaire, et que demain, ils puissent être les acteurs de la mise en oeuvre réellement des engagements pris par la gauche. Parce que sinon, on échouera une nouvelle fois."

Q- Un mot sur les européennes, qui sont dans moins de deux mois maintenant. Les socialistes ont présenté leurs listes. Cela veut dire que vous irez seuls à la bataille ?
R- "Nous allons construire dans les sept grandes circonscriptions des listes de rassemblement de tous ceux et celles qui veulent une Europe antilibérale, une Europe qui va vers le bien-être des populations."
Q- Et cela, ce ne sont pas les socialistes ?
R- "Les socialistes, pour l'instant, se prononcent pour la nouvelle Constitution européenne, qui inscrit, qui inscrirait, si elle passait, dans la Constitution, une politique libérale. [...] J'espère que le PS se prononcera contre cette Constitution. Et j'espère surtout que nous aurons un référendum en France. Quand on voit que même T. Blair se prononce maintenant pour un référendum en Grande-Bretagne sur le projet de Constitution européenne, je demande au président de la République française de donner aux Français et aux Françaises la possibilité de choisir, et j'espère, de dire "non" à ce projet de Constitution."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 avril 2004)