Texte intégral
Je voulais vous remercier tous pour la qualité de ce colloque, en premier lieu ceux qui en ont eu la charge de son organisation : Alain Bergounioux et Jean-Louis Bianco, ceux qui, membres du Parti socialiste, s'y sont impliqués -ils ont été présents pendant ces deux jours- et puis les intellectuels et experts -je ne sais ce qu'il faut dire- " accompagnateurs de perplexité ", " défricheurs de solutions ", mais qui ont gardé leur indépendance et leur lucidité sur la réalité de la politique. Ce constat n'est pas toujours facile à produire et à entendre.
Le Parti socialiste est d'autant plus responsable de l'avenir de la France qu'il n'est pas comptable du présent, ce qui le rend à la fois plus libre et plus disponible pour parler de ce qui sera, je l'espère, notre tâche en 2007. Notre devoir d'opposition est d'abord une obligation d'espoir pour l'avenir, et nos victoires électorales du printemps dernier nous ont conféré plus de devoirs que de droits. Nous devons apporter des réponses, comprendre les problèmes, livrer des solutions et, en même temps, ne pas attendre simplement la sanction légitime de la droite.
Notre démarche n'est pas simplement de construire un programme. Nous en avons fait beaucoup dans le passé et ces programmes, même complets, ne produisent pas toujours la mobilisation attendue. En plus, ces textes ont pour défaut de limiter leur champ à la durée des mandats que nous sollicitons. Nous, nous souhaitons un projet de longue durée, fixant l'objectif que nous voulons atteindre après plusieurs législatures, et de donner le cap, la direction, la perspective qui inspirera notre action lorsque, de nouveau, nous exercerons les responsabilités. Donc, c'est à travers une compréhension de la société d'aujourd'hui que nous voulons poser les grandes orientations pour demain.
Notre démarche n'est pas non plus un retour à 2002. Ce n'est pas non plus un effacement, une suite d'abrogations. Notre démarche n'est pas davantage une revanche. Nous devons nous inscrire dans l'avenir, en partant de la société telle qu'elle est et de ce que la droite suscite comme rejet mais aussi de ce que nous avons fait -ou pas fait- lorsque nous étions nous-mêmes au pouvoir.
Je veux donc revenir à mon tour sur les tendances lourdes de la société française pour bien comprendre les défis qui sont lancés à la politique et, enfin, ce que pourrait être les termes du contrat que nous proposerions aux Français.
Depuis trente ans, la société française vit avec l'idée et même la réalité de la crise. On s'interrogeait sur les effets de génération, sur les socialisations politiques. Or, il y a une césure très importante entre ceux qui sont venus à la politique avant 1974 et les autres. Car, ce n'est pas la même chose que d'avoir été formé à l'idée du changement, du progrès, de la réforme heureuse, tels que nous l'envisagions dans une période de croissance, de développement et de concevoir la politique dans un environnement marqué par le chômage, la peur, la réforme douloureuse.
En plus de cet enracinement de l'idée de crise, se sont aggravés tous les facteurs d'incertitude et d'inquiétude. Nous les avions sans doute apaisés lorsque nous étions en responsabilité mais ils ont ressurgi avec force, notamment en 2001 avec le terrorisme, le retour du chômage et le sentiment d'une mondialisation non maîtrisée.
Il y a aujourd'hui trois grandes incertitudes ou trois sources d'inquiétude. Il en existe d'autres mais je souhaite concentrer aujourd'hui mon propos sur ces trois là.
1/ - Inquiétude par rapport au travail
Ce n'est plus simplement la crainte de perdre son emploi ou l'inquiétude -angoisse même- de ne pas en trouver un autre, non aujourd'hui l'inquiétude est dans le travail lui-même. C'est une forme de précarisation de la condition salariale qui fait qu'il n'y a rien de sûr, même quand on dispose d'un contrat à durée indéterminée. Aussi, les formes d'individualisation des modes de travail, cette espèce de concurrence généralisée entre entreprises, entre pays, entre individus également, tout cela avive encore l'appréhension par rapport à l'avenir. D'autant qu'il est maintenant acquis que la mobilité durant la vie active sera à la fois professionnelle, au sens de plusieurs emplois successifs, mais aussi géographique. Il n'y a plus de garantie de vivre avec le même emploi, avec la même qualification et dans le même lieu. Cette précarisation, elle touche aussi les garanties liées au travail : la protection sociale, la retraite. Chacun a bien compris les effets du vieillissement démographique.
Dès lors, dans ce contexte de précarisation, de doute par rapport à ce que peut être une vie professionnelle réussie, le libéralisme a trouvé son mode d'expression, son mode de conviction : demander des sacrifices sans contrepartie immédiate, dans l'espoir d'une hypothétique réussite individuelle. Le rapport Camdessus, qui a dû être un moment évoqué dans les débats, en est une des illustrations de plus. C'est la demande d'une adaptation sans fin, le plus souvent par le bas, et avec la peur comme principal mobile. C'est la peur qui doit conduire à la bonne décision. C'est parce qu'il y aurait plus à perdre en restant dans la situation actuelle qu'en acceptant le risque d'une situation future que finalement les citoyens pourraient se mobiliser.
2/- Inquiétude par rapport au savoir
Il est maintenant convenu, à tort ou à raison, qu'il y a une inadaptation de l'éducation, de la formation à une économie où il ne suffit plus d'acquérir pendant l'enfance et l'adolescence un bagage, lequel suffirait à assurer son destin jusqu'à la fin de la vie. Cette inadaptation n'est sûrement pas aussi grave qu'il est prétendu. Mais, en même temps, elle appelle souvent des révolutions dans l'éducation ou des contre-révolutions. Tantôt il faudrait tout changer, tantôt il faudrait tout retrouver avec les schémas d'hier et l'autorité d'avant-hier, comme s'il existait -et l'on trouve ce travers dans la gauche comme dans la droite- un " âge d'or " du système éducatif, comme s'il n'y avait pas eu de progrès considérable depuis trente ans dans le système éducatif. Il n'en reste pas moins que le modèle de l'école républicaine réductrice d'inégalités et la valeur du diplôme sésame de la sécurité professionnelle n'opèrent plus aussi mécaniquement que par le passé. Si bien qu'à la précarité du moment s'ajoute la crainte de l'avenir pour soi et surtout pour ses enfants.
3/- Inquiétude par rapport au monde
Le monde a toujours été dangereux. Le XXè Siècle, de ce point de vue, fut celui de toutes les tragédies humaines. Deux guerres mondiales et, comme si cela ne suffisait pas, des guerres de décolonisation, et la guerre froide. Il est vrai que, retrouvant la paix, nous avons découvert des menaces nouvelles. Menaces économiques, sanitaires et terroristes, comme si finalement, dans le XXIè Siècle, il y avait des ennemis plus diffus, plus âpres, plus difficiles surtout à vaincre.
Il ressort de tout cela une difficulté à maîtriser son propre présent et son propre avenir. L'accélération des techniques peut s'y ajouter, la mobilité de l'ensemble des capitaux, des firmes multinationales également.
Dès lors qu'il y a incertitude, il y a forcément sentiment d'impuissance collective et émergence de solutions individuelles ou de destins individuels qui pourraient se séparer du collectif pour finalement jouer leur jeu, puisque jeu il y a. Ne sous-estimons pas l'efficacité -même limitée- sur certaines couches sociales ou générations, du discours libéral qui appelle, lui, à un mérite possible, à un succès personnel même hypothétique et aussi à une libéralisation d'un certain nombre de champs jusque-là couverts par la solidarité nationale ou locale.
Néanmoins, je pense que le problème qui est posé à travers cette accentuation des peurs est un problème politique majeur et pour la gauche et pour la droite, parce qu'il repose les questions d'identité. Identité de la France, qu'est-ce que veut dire " vivre ensemble " dans un pays comme le nôtre ? Identité de l'Europe, avec quel projet et quelles frontières ? Identité de la planète, de son destin collectif, de l'avenir même de l'Humanité ? Mais, regardons les défis davantage posés à la gauche.
La gauche est confrontée à une double exigence contradictoire :
D'une part, un besoin d'utopie. Utopie égalitariste qui est de concevoir une alternative au capitalisme, au marché. Ce n'est pas si facile aujourd'hui de prétendre sérieusement que cette utopie est pour demain ou même pour après-demain. Il y a l'utopie pacifiste : la gauche milite depuis toujours pour un système mondial de sécurité collective, l'ONU aujourd'hui, une démocratie internationale qui assurerait la paix, réduirait les prétentions impérialistes, ramènerait l'hyper puissance dans le droit et contraindrait chaque nation, chaque état à respecter la discipline des Nations organisées. Nous en sommes encore loin. Et, enfin, l'utopie progressiste, sur laquelle nous avons beaucoup, depuis le XIXè Siècle, espéré, et nous continuons d'ailleurs, de fonder notre démarche politique à travers la science, la connaissance, la recherche. La science est la source de tous les progrès, et pour autant nous découvrons l'ampleur des dégâts liés à son utilisation ou à son détournement (OGM, clonage). Et, dans l'utopie progressiste, il y a la liberté jusqu'au bout, l'émancipation. Mais, qui ne voit pas qu'elle rencontre sa propre limite ?
D'autre part, la gauche doit aussi répondre à la nécessité de crédibilité. C'est la deuxième exigence. Et là, sont posés trois problèmes. Un problème d'efficacité de l'action politique, par rapport aux questions essentielles du chômage, de la protection sociale et de la sécurité. Est-ce que le politique, et notamment, la politique à gauche, peut régler comme elle le prétend, ces maux contemporains ? Un problème d'unité du discours politique face à une société fragmentée ? Comment faire l'union, l'alliance entre les catégories populaires et les classes moyennes alors même que les conditions de vie, les modes de vie et les rapports à la politique sont, sans aucun doute, différents. Il y a, enfin, le problème du niveau de l'action politique. Est-ce l'état nation, est-ce l'Europe, le monde, ou au contraire, le local ?
Aujourd'hui, la politique parvient mal à satisfaire et l'exigence d'utopie et le besoin de crédibilité. D'où le risque du populisme, de l'extrémisme et du " défaitisme civique ", c'est-à-dire de cet abandon plus ou moins réel d'ailleurs, de la perspective électorale ou du choix politique. Il y a même une forme de retour à l'isolationnisme, à une sorte de souverainisme politique, qu'on trouvait dans les années 80, " plutôt rouges que morts" et aujourd'hui c'est " plutôt seuls que noyés ". Mieux vaut rester entre soi que se confronter aux autres : il y aurait plus de sécurité à être là, ensemble, dans le quartier, dans la famille, et quelques fois entre soi et soi.... S'affirmerait donc ce besoin d'enfermement dès lors que l'ouverture aux autres, que l'ouverture à l'Europe et au monde poserait des problèmes existentiels.
Alors, dans ce constat-là, demeurent des facteurs positifs et j'ai trouvé que parfois, nous nous complaisons trop dans l'addition des difficultés car il y a aussi des leviers formidables pour l'action humaine.
D'abord, la laïcisation de la société. Nous sommes une société bien plus exigeante, on l'a vu récemment, pour contrebattre la pression des religions, des fondamentalismes et de tous ceux qui veulent contraindre.
Il y a aussi une aspiration à la liberté qui est très forte dans un pays comme le nôtre et qui fait qu'à chaque fois que l'essentiel est en jeu, il y a toujours une mobilisation. Et je n'oublie pas l'ampleur des participations non électorales qui prouvent que, de génération en génération, il y a toujours de nouveaux gisements civiques pour le combat, la contestation, la revendication.
Enfin, la démocratie, y compris en Europe -ne l'oublions pas, avec ce qui s'est produit avec l'effondrement du Mur de Berlin- a conquis de nouveaux territoires. Le droit progresse, y compris à l'échelle mondiale, et de l'Europe qui reste la grande aventure humaine des prochaines décennies. Enfin s'exprime de manière encore confuse la volonté de maîtriser la mondialisation. Donc, la politique connaît encore de la force, de la mobilisation, de la légitimité. Et la gauche peut livrer des combats victorieux.
Mais, au moment où nous nous attelons à notre projet, nous devons résister à une double tentation :
La première tentation, c'est celle du pragmatisme, c'est-à-dire de la doctrine de l'action pour l'action au nom d'une culture du résultat. Tony Blair a ainsi pu dire " qu'importent les idées, l'essentiel est que ça marche ". La politique n'est plus une idée, mais une pratique. Elle n'est ni de gauche ni de droite. Elle réussit ou pas. Cette morale de l'efficacité peut se réduire à de la communication. Nommer les problèmes serait déjà les résoudre. Rendez-vous compte : " L'insécurité est là. Je l'ai dit, et déjà elle baisse. Les délocalisations, je les nomme, je les arrête ". C'est le principe de l'affirmation qui réduit la politique simplement à l'anticipation : " j'ai été le premier à le dire, je serai le dernier à le faire ". C'est ça, en définitive, la culture du pragmatisme : " Je parle donc j'agis ".
La seconde tentation, c'est celle de la radicalisation. La politique ne serait plus qu'une protestation, qu'une véhémence, qu'une contestation. Il y a des ressorts dans la gauche française qui y conduisent. C'est la mythologie de la résistance, dont la culture communiste a été pour beaucoup le produit, au moins pendant un certain temps. Le mouvement alter mondialiste en est le prolongement. Et l'extrême gauche un avatar. C'est, à défaut de la grève générale, le mot d'ordre de la mobilisation collective. C'est ce que je pourrais appeler le " râle citoyen " : je râle mais c'est citoyen puisque que, par l'action collective, j'empêche le pire. Je ne critique pas cette forme de contestation, elle a aussi ses vertus, son mérite, et parfois son efficacité. Sauf qu'elle ne peut à l'évidence suffire pour une force socialiste, pour une force de gouvernement. Elle peut même parfois prendre des aspects plus dangereux qui nous conduiraient à renoncer au pouvoir, parce que le pouvoir, c'est dur -on en fait l'expérience. C'est agréable, peut-être pendant un certain temps... Mais c'est, aux yeux de certains, au mieux pâle et au pire sale.
D'où le terrible dilemme qui nous serait laissé : ou changer le monde ou rester chez soi, et les deux parfois sont possibles ... On reste chez soi en espérant changer le monde et, par Internet, on nous dit qu'il est possible d'y parvenir .... Alors la gauche est une nouvelle fois, c'est un classique dans son histoire, confrontée à ce faux choix entre perdre son âme ou perdre le pouvoir... Les deux sont possibles. Il faut donc être capable à la fois de garder son âme et de garder le pouvoir. C'est quand même le chemin qu'il faut rendre possible, celui du changement, celui de la politique, celui de l'espoir, celui du progressisme. J'appelle cette voie-là le réformisme de gauche.
Les principes méthodologiques doivent être les suivants :
D'abord reconnaître la vérité. Ce n'est pas simplement d'appréhender le réel, d'en faire la somme des contraintes, le recensement des rigidités. Il s'agit aussi de voir toutes les aspirations, toutes les ressources, toutes les possibilités, toutes les marges de manoeuvre pour une politique de changement. La vérité c'est aussi d'assumer la cohérence. La cohérence entre ce que l'on dit dans l'opposition, ce que l'on a fait au pouvoir et ce qu'on sera prêt à faire demain. La cohérence entre les discours et les actes, la cohérence entre l'idéologie affichée et la pratique qui en découle. Les citoyens ont besoin de repères simples, clairs. Quand il y a confusions, il ne peut pas y avoir de rassemblement. C'est la clarté, c'est l'identité qui permet l'union. Il ne faut pas croire que c'est en pensant comme " les gens " qu'on trouve des électeurs. Il y a des partis qui depuis longtemps courent après les gens et les électeurs ne leur courent pas après, je vous l'assure ! Le sens de la politique, c'est d'être d'abord fidèle à son identité et à ses valeurs. C'est pourquoi le premier mouvement doit être celui de la vérité.
Le second est celui de la volonté. Une volonté politique : dire ce que nous pouvons changer dans un temps donné. Dire aussi ce que nous ne pouvons pas changer parce que la politique ne peut pas décider de tout et, en même temps, elle ne peut pas décider de rien. C'est pourquoi la notion de projet est essentielle et la durée est indispensable. La volonté, c'est aussi de considérer que du projet doit se construire -à travers un dialogue, une concertation- une association des forces vives et des citoyens. Je ne dis pas négocier avec les forces sociales, c'est impossible, ce serait même dangereux, mais que ce projet est celui d'une force politique qui a été capable de nourrir ces réflexions à travers un véritable dialogue. Ceci suppose une autre pratique de pouvoir.
Chaque fois que nous faisons un projet entre nous, nous pouvons dire que nous allons faire un gouvernement entre nous et une pratique de pouvoir entre nous. Chaque fois que nous pouvons rassembler nos partenaires de la gauche et associer d'autres forces, d'autres mouvements, d'autres acteurs à notre projet, nous pouvons à ce moment-là prendre l'engagement que nous remobiliserons ces forces au moment où nous serons aux responsabilités. Il n'y a pas de projet durable s'il n'est pas régulièrement renégocié et repensé.
Si nous devons aller vers un contrat durable, je me contenterai de quelques têtes de chapitres pour laisser à la réflexion collective le temps de trouver sa maturité.
Je pense que nous avons cinq champs possibles à défricher :
1/- Démocratiser notre démocratie :
Démocratie politique autour du principe de responsabilité, démocratie territoriale autour du problème de l'identité, la démocratie sociale pour marquer la solidarité et la démocratie participative pour la citoyenneté.
2/- Donner priorité à l'éducation et aux dépenses d'avenir :
Là se situe l'un des clivages avec la droite. C'est une conception de la société. Soit nous nous remettons au marché pour décider à peine du présent et jamais de l'avenir, ou nous considérons qu'au-delà du marché il y a une organisation collective, il y a des fonctions collectives, il y a des priorités qui doivent dépasser, transgresser les seules forces du marché. C'est la meilleure manière de faire un pacte entre les générations. Nous devons convaincre les générations présentes qu'il y a des efforts à faire, que ces efforts ne doivent pas être fait simplement pour eux-mêmes mais au bénéfice des générations futures. C'est pourquoi nous devons faire le choix essentiel de la société de l'éducation, de l'éducation sur toute la vie, de la citoyenneté, de l'accès aux nouvelles technologies.
Dans le contrat pour l'avenir, il y a la recherche, le logement, la politique de la ville, la politique industrielle.
Enfin, la politique de l'avenir c'est aussi la politique des territoires, de l'environnement et de l'énergie. L'effort qu'il faut demander c'est l'effort pour l'investissement. Cet effort-là a une contrepartie : c'est l'apaisement par rapport aux inquiétudes, aux incertitudes. Il est fondé sur l'espoir, sur la volonté et sur le refus de l'alignement et de la peur. Par rapport aux délocalisations, par rapport à la mondialisation, c'est la seule réponse possible. L'autre réponse, au nom d'une harmonisation espérée, au plan européen ou au plan mondial, sera l'alignement toujours demandé vers le bas. Ce sera la renonciation toujours exigée, ce sera l'abandon d'un certain nombre de règles. Si nous ne proposons pas un autre modèle, une autre conception de l'avenir capable de surmonter le défi, alors cette pression-là ne cessera pas.
3/- Garantir la relation au travail :
Cela suppose une action sur le contrat lui-même, sur l'entreprise dont la démocratie est bien incomplète, sur les territoires qui doivent être le lieu où la formation, le reclassement, la reconversion s'opèrent.
4/- Assurer l'égalité :
Il faut proposer un contrat sur la redistribution. Qu'est-ce que nous voulons, dans les cinq prochaines, années, redistribuer ? Du temps, du revenu direct, des transferts, de la solidarité pour les générations futures ? Que voulons-nous distribuer ? Et avec quelle intensité ? La redistribution ne doit pas être considérée simplement annuellement, en fonction des marges qui sont obtenues. Elle doit être d'abord un pacte pour savoir qu'est-ce qui est prioritaire ? Il y a des moments où ce qui est prioritaire, c'est le temps de travail par rapport à une politique d'emploi. À d'autres moments, c'est le revenu direct, à d'autres moments encore c'est la protection sociale. Il faut qu'il y ait cette clarté dans le contrat de redistribution et la politique fiscale en est à ce moment-là un des instruments.
5/- Faire vivre la liberté, liée à la dignité :
Nous participons, nous les socialistes, du grand mouvement de l'émancipation, de la reconnaissance même de l'individu mais dans le respect de sa dignité et de la dignité des autres. C'est pourquoi nous pouvons faire des propositions par rapport à la famille, par rapport au couple, par rapport aux droits de l'enfant, par rapport à l'égalité homme-femme, par rapport à la lutte contre les violences, contre les discriminations et même sur la question de la sécurité. Au nom de la liberté et de la dignité, nous devons revendiquer la sanction et la punition mais aussi la réinsertion, le retour à une vie normale et d'autres formes de punition que la prison ou l'enfermement. Toujours au nom de la liberté et de la dignité.
CONCLUSION
Nous nous sommes interrogés tout au long de ces deux jours sur l'avenir de la France et nous avons eu raison. Les questions que nous avons à nous poser régulièrement à l'occasion de ce projet sont les suivantes : " est-ce qu'il y a encore une identité française ? " ; " Portons-nous une ambition collective pour notre pays ? " ; " Qu'est-ce que nous considérons comme essentiel par rapport à ce que les citoyens français peuvent attendre de nous ? ".
Pour nous, la France est moins une puissance qu'une forme d'excellence, qu'un modèle à diffuser. La France est moins un système juridique qu'un mode de vie, qu'une façon de vivre ensemble, qu'une culture commune, ce que nous avons appelé, il y a bien longtemps, la République. La France, c'est aussi une volonté de peser sur le destin du monde à travers la sécurité collective. Les institutions internationales, et le droit comme reflet, constituent des valeurs universelles que nous portons.
Enfin, la France dans l'Europe c'est plus que la volonté d'organiser un continent. Si nous avons voulu, nous, la France faire l'Europe c'est aussi pour changer le monde... Le chaos n'est pas un élément de responsabilité politique, car la politique c'est justement d'éviter le chaos.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 3 novembre 2004)
Le Parti socialiste est d'autant plus responsable de l'avenir de la France qu'il n'est pas comptable du présent, ce qui le rend à la fois plus libre et plus disponible pour parler de ce qui sera, je l'espère, notre tâche en 2007. Notre devoir d'opposition est d'abord une obligation d'espoir pour l'avenir, et nos victoires électorales du printemps dernier nous ont conféré plus de devoirs que de droits. Nous devons apporter des réponses, comprendre les problèmes, livrer des solutions et, en même temps, ne pas attendre simplement la sanction légitime de la droite.
Notre démarche n'est pas simplement de construire un programme. Nous en avons fait beaucoup dans le passé et ces programmes, même complets, ne produisent pas toujours la mobilisation attendue. En plus, ces textes ont pour défaut de limiter leur champ à la durée des mandats que nous sollicitons. Nous, nous souhaitons un projet de longue durée, fixant l'objectif que nous voulons atteindre après plusieurs législatures, et de donner le cap, la direction, la perspective qui inspirera notre action lorsque, de nouveau, nous exercerons les responsabilités. Donc, c'est à travers une compréhension de la société d'aujourd'hui que nous voulons poser les grandes orientations pour demain.
Notre démarche n'est pas non plus un retour à 2002. Ce n'est pas non plus un effacement, une suite d'abrogations. Notre démarche n'est pas davantage une revanche. Nous devons nous inscrire dans l'avenir, en partant de la société telle qu'elle est et de ce que la droite suscite comme rejet mais aussi de ce que nous avons fait -ou pas fait- lorsque nous étions nous-mêmes au pouvoir.
Je veux donc revenir à mon tour sur les tendances lourdes de la société française pour bien comprendre les défis qui sont lancés à la politique et, enfin, ce que pourrait être les termes du contrat que nous proposerions aux Français.
Depuis trente ans, la société française vit avec l'idée et même la réalité de la crise. On s'interrogeait sur les effets de génération, sur les socialisations politiques. Or, il y a une césure très importante entre ceux qui sont venus à la politique avant 1974 et les autres. Car, ce n'est pas la même chose que d'avoir été formé à l'idée du changement, du progrès, de la réforme heureuse, tels que nous l'envisagions dans une période de croissance, de développement et de concevoir la politique dans un environnement marqué par le chômage, la peur, la réforme douloureuse.
En plus de cet enracinement de l'idée de crise, se sont aggravés tous les facteurs d'incertitude et d'inquiétude. Nous les avions sans doute apaisés lorsque nous étions en responsabilité mais ils ont ressurgi avec force, notamment en 2001 avec le terrorisme, le retour du chômage et le sentiment d'une mondialisation non maîtrisée.
Il y a aujourd'hui trois grandes incertitudes ou trois sources d'inquiétude. Il en existe d'autres mais je souhaite concentrer aujourd'hui mon propos sur ces trois là.
1/ - Inquiétude par rapport au travail
Ce n'est plus simplement la crainte de perdre son emploi ou l'inquiétude -angoisse même- de ne pas en trouver un autre, non aujourd'hui l'inquiétude est dans le travail lui-même. C'est une forme de précarisation de la condition salariale qui fait qu'il n'y a rien de sûr, même quand on dispose d'un contrat à durée indéterminée. Aussi, les formes d'individualisation des modes de travail, cette espèce de concurrence généralisée entre entreprises, entre pays, entre individus également, tout cela avive encore l'appréhension par rapport à l'avenir. D'autant qu'il est maintenant acquis que la mobilité durant la vie active sera à la fois professionnelle, au sens de plusieurs emplois successifs, mais aussi géographique. Il n'y a plus de garantie de vivre avec le même emploi, avec la même qualification et dans le même lieu. Cette précarisation, elle touche aussi les garanties liées au travail : la protection sociale, la retraite. Chacun a bien compris les effets du vieillissement démographique.
Dès lors, dans ce contexte de précarisation, de doute par rapport à ce que peut être une vie professionnelle réussie, le libéralisme a trouvé son mode d'expression, son mode de conviction : demander des sacrifices sans contrepartie immédiate, dans l'espoir d'une hypothétique réussite individuelle. Le rapport Camdessus, qui a dû être un moment évoqué dans les débats, en est une des illustrations de plus. C'est la demande d'une adaptation sans fin, le plus souvent par le bas, et avec la peur comme principal mobile. C'est la peur qui doit conduire à la bonne décision. C'est parce qu'il y aurait plus à perdre en restant dans la situation actuelle qu'en acceptant le risque d'une situation future que finalement les citoyens pourraient se mobiliser.
2/- Inquiétude par rapport au savoir
Il est maintenant convenu, à tort ou à raison, qu'il y a une inadaptation de l'éducation, de la formation à une économie où il ne suffit plus d'acquérir pendant l'enfance et l'adolescence un bagage, lequel suffirait à assurer son destin jusqu'à la fin de la vie. Cette inadaptation n'est sûrement pas aussi grave qu'il est prétendu. Mais, en même temps, elle appelle souvent des révolutions dans l'éducation ou des contre-révolutions. Tantôt il faudrait tout changer, tantôt il faudrait tout retrouver avec les schémas d'hier et l'autorité d'avant-hier, comme s'il existait -et l'on trouve ce travers dans la gauche comme dans la droite- un " âge d'or " du système éducatif, comme s'il n'y avait pas eu de progrès considérable depuis trente ans dans le système éducatif. Il n'en reste pas moins que le modèle de l'école républicaine réductrice d'inégalités et la valeur du diplôme sésame de la sécurité professionnelle n'opèrent plus aussi mécaniquement que par le passé. Si bien qu'à la précarité du moment s'ajoute la crainte de l'avenir pour soi et surtout pour ses enfants.
3/- Inquiétude par rapport au monde
Le monde a toujours été dangereux. Le XXè Siècle, de ce point de vue, fut celui de toutes les tragédies humaines. Deux guerres mondiales et, comme si cela ne suffisait pas, des guerres de décolonisation, et la guerre froide. Il est vrai que, retrouvant la paix, nous avons découvert des menaces nouvelles. Menaces économiques, sanitaires et terroristes, comme si finalement, dans le XXIè Siècle, il y avait des ennemis plus diffus, plus âpres, plus difficiles surtout à vaincre.
Il ressort de tout cela une difficulté à maîtriser son propre présent et son propre avenir. L'accélération des techniques peut s'y ajouter, la mobilité de l'ensemble des capitaux, des firmes multinationales également.
Dès lors qu'il y a incertitude, il y a forcément sentiment d'impuissance collective et émergence de solutions individuelles ou de destins individuels qui pourraient se séparer du collectif pour finalement jouer leur jeu, puisque jeu il y a. Ne sous-estimons pas l'efficacité -même limitée- sur certaines couches sociales ou générations, du discours libéral qui appelle, lui, à un mérite possible, à un succès personnel même hypothétique et aussi à une libéralisation d'un certain nombre de champs jusque-là couverts par la solidarité nationale ou locale.
Néanmoins, je pense que le problème qui est posé à travers cette accentuation des peurs est un problème politique majeur et pour la gauche et pour la droite, parce qu'il repose les questions d'identité. Identité de la France, qu'est-ce que veut dire " vivre ensemble " dans un pays comme le nôtre ? Identité de l'Europe, avec quel projet et quelles frontières ? Identité de la planète, de son destin collectif, de l'avenir même de l'Humanité ? Mais, regardons les défis davantage posés à la gauche.
La gauche est confrontée à une double exigence contradictoire :
D'une part, un besoin d'utopie. Utopie égalitariste qui est de concevoir une alternative au capitalisme, au marché. Ce n'est pas si facile aujourd'hui de prétendre sérieusement que cette utopie est pour demain ou même pour après-demain. Il y a l'utopie pacifiste : la gauche milite depuis toujours pour un système mondial de sécurité collective, l'ONU aujourd'hui, une démocratie internationale qui assurerait la paix, réduirait les prétentions impérialistes, ramènerait l'hyper puissance dans le droit et contraindrait chaque nation, chaque état à respecter la discipline des Nations organisées. Nous en sommes encore loin. Et, enfin, l'utopie progressiste, sur laquelle nous avons beaucoup, depuis le XIXè Siècle, espéré, et nous continuons d'ailleurs, de fonder notre démarche politique à travers la science, la connaissance, la recherche. La science est la source de tous les progrès, et pour autant nous découvrons l'ampleur des dégâts liés à son utilisation ou à son détournement (OGM, clonage). Et, dans l'utopie progressiste, il y a la liberté jusqu'au bout, l'émancipation. Mais, qui ne voit pas qu'elle rencontre sa propre limite ?
D'autre part, la gauche doit aussi répondre à la nécessité de crédibilité. C'est la deuxième exigence. Et là, sont posés trois problèmes. Un problème d'efficacité de l'action politique, par rapport aux questions essentielles du chômage, de la protection sociale et de la sécurité. Est-ce que le politique, et notamment, la politique à gauche, peut régler comme elle le prétend, ces maux contemporains ? Un problème d'unité du discours politique face à une société fragmentée ? Comment faire l'union, l'alliance entre les catégories populaires et les classes moyennes alors même que les conditions de vie, les modes de vie et les rapports à la politique sont, sans aucun doute, différents. Il y a, enfin, le problème du niveau de l'action politique. Est-ce l'état nation, est-ce l'Europe, le monde, ou au contraire, le local ?
Aujourd'hui, la politique parvient mal à satisfaire et l'exigence d'utopie et le besoin de crédibilité. D'où le risque du populisme, de l'extrémisme et du " défaitisme civique ", c'est-à-dire de cet abandon plus ou moins réel d'ailleurs, de la perspective électorale ou du choix politique. Il y a même une forme de retour à l'isolationnisme, à une sorte de souverainisme politique, qu'on trouvait dans les années 80, " plutôt rouges que morts" et aujourd'hui c'est " plutôt seuls que noyés ". Mieux vaut rester entre soi que se confronter aux autres : il y aurait plus de sécurité à être là, ensemble, dans le quartier, dans la famille, et quelques fois entre soi et soi.... S'affirmerait donc ce besoin d'enfermement dès lors que l'ouverture aux autres, que l'ouverture à l'Europe et au monde poserait des problèmes existentiels.
Alors, dans ce constat-là, demeurent des facteurs positifs et j'ai trouvé que parfois, nous nous complaisons trop dans l'addition des difficultés car il y a aussi des leviers formidables pour l'action humaine.
D'abord, la laïcisation de la société. Nous sommes une société bien plus exigeante, on l'a vu récemment, pour contrebattre la pression des religions, des fondamentalismes et de tous ceux qui veulent contraindre.
Il y a aussi une aspiration à la liberté qui est très forte dans un pays comme le nôtre et qui fait qu'à chaque fois que l'essentiel est en jeu, il y a toujours une mobilisation. Et je n'oublie pas l'ampleur des participations non électorales qui prouvent que, de génération en génération, il y a toujours de nouveaux gisements civiques pour le combat, la contestation, la revendication.
Enfin, la démocratie, y compris en Europe -ne l'oublions pas, avec ce qui s'est produit avec l'effondrement du Mur de Berlin- a conquis de nouveaux territoires. Le droit progresse, y compris à l'échelle mondiale, et de l'Europe qui reste la grande aventure humaine des prochaines décennies. Enfin s'exprime de manière encore confuse la volonté de maîtriser la mondialisation. Donc, la politique connaît encore de la force, de la mobilisation, de la légitimité. Et la gauche peut livrer des combats victorieux.
Mais, au moment où nous nous attelons à notre projet, nous devons résister à une double tentation :
La première tentation, c'est celle du pragmatisme, c'est-à-dire de la doctrine de l'action pour l'action au nom d'une culture du résultat. Tony Blair a ainsi pu dire " qu'importent les idées, l'essentiel est que ça marche ". La politique n'est plus une idée, mais une pratique. Elle n'est ni de gauche ni de droite. Elle réussit ou pas. Cette morale de l'efficacité peut se réduire à de la communication. Nommer les problèmes serait déjà les résoudre. Rendez-vous compte : " L'insécurité est là. Je l'ai dit, et déjà elle baisse. Les délocalisations, je les nomme, je les arrête ". C'est le principe de l'affirmation qui réduit la politique simplement à l'anticipation : " j'ai été le premier à le dire, je serai le dernier à le faire ". C'est ça, en définitive, la culture du pragmatisme : " Je parle donc j'agis ".
La seconde tentation, c'est celle de la radicalisation. La politique ne serait plus qu'une protestation, qu'une véhémence, qu'une contestation. Il y a des ressorts dans la gauche française qui y conduisent. C'est la mythologie de la résistance, dont la culture communiste a été pour beaucoup le produit, au moins pendant un certain temps. Le mouvement alter mondialiste en est le prolongement. Et l'extrême gauche un avatar. C'est, à défaut de la grève générale, le mot d'ordre de la mobilisation collective. C'est ce que je pourrais appeler le " râle citoyen " : je râle mais c'est citoyen puisque que, par l'action collective, j'empêche le pire. Je ne critique pas cette forme de contestation, elle a aussi ses vertus, son mérite, et parfois son efficacité. Sauf qu'elle ne peut à l'évidence suffire pour une force socialiste, pour une force de gouvernement. Elle peut même parfois prendre des aspects plus dangereux qui nous conduiraient à renoncer au pouvoir, parce que le pouvoir, c'est dur -on en fait l'expérience. C'est agréable, peut-être pendant un certain temps... Mais c'est, aux yeux de certains, au mieux pâle et au pire sale.
D'où le terrible dilemme qui nous serait laissé : ou changer le monde ou rester chez soi, et les deux parfois sont possibles ... On reste chez soi en espérant changer le monde et, par Internet, on nous dit qu'il est possible d'y parvenir .... Alors la gauche est une nouvelle fois, c'est un classique dans son histoire, confrontée à ce faux choix entre perdre son âme ou perdre le pouvoir... Les deux sont possibles. Il faut donc être capable à la fois de garder son âme et de garder le pouvoir. C'est quand même le chemin qu'il faut rendre possible, celui du changement, celui de la politique, celui de l'espoir, celui du progressisme. J'appelle cette voie-là le réformisme de gauche.
Les principes méthodologiques doivent être les suivants :
D'abord reconnaître la vérité. Ce n'est pas simplement d'appréhender le réel, d'en faire la somme des contraintes, le recensement des rigidités. Il s'agit aussi de voir toutes les aspirations, toutes les ressources, toutes les possibilités, toutes les marges de manoeuvre pour une politique de changement. La vérité c'est aussi d'assumer la cohérence. La cohérence entre ce que l'on dit dans l'opposition, ce que l'on a fait au pouvoir et ce qu'on sera prêt à faire demain. La cohérence entre les discours et les actes, la cohérence entre l'idéologie affichée et la pratique qui en découle. Les citoyens ont besoin de repères simples, clairs. Quand il y a confusions, il ne peut pas y avoir de rassemblement. C'est la clarté, c'est l'identité qui permet l'union. Il ne faut pas croire que c'est en pensant comme " les gens " qu'on trouve des électeurs. Il y a des partis qui depuis longtemps courent après les gens et les électeurs ne leur courent pas après, je vous l'assure ! Le sens de la politique, c'est d'être d'abord fidèle à son identité et à ses valeurs. C'est pourquoi le premier mouvement doit être celui de la vérité.
Le second est celui de la volonté. Une volonté politique : dire ce que nous pouvons changer dans un temps donné. Dire aussi ce que nous ne pouvons pas changer parce que la politique ne peut pas décider de tout et, en même temps, elle ne peut pas décider de rien. C'est pourquoi la notion de projet est essentielle et la durée est indispensable. La volonté, c'est aussi de considérer que du projet doit se construire -à travers un dialogue, une concertation- une association des forces vives et des citoyens. Je ne dis pas négocier avec les forces sociales, c'est impossible, ce serait même dangereux, mais que ce projet est celui d'une force politique qui a été capable de nourrir ces réflexions à travers un véritable dialogue. Ceci suppose une autre pratique de pouvoir.
Chaque fois que nous faisons un projet entre nous, nous pouvons dire que nous allons faire un gouvernement entre nous et une pratique de pouvoir entre nous. Chaque fois que nous pouvons rassembler nos partenaires de la gauche et associer d'autres forces, d'autres mouvements, d'autres acteurs à notre projet, nous pouvons à ce moment-là prendre l'engagement que nous remobiliserons ces forces au moment où nous serons aux responsabilités. Il n'y a pas de projet durable s'il n'est pas régulièrement renégocié et repensé.
Si nous devons aller vers un contrat durable, je me contenterai de quelques têtes de chapitres pour laisser à la réflexion collective le temps de trouver sa maturité.
Je pense que nous avons cinq champs possibles à défricher :
1/- Démocratiser notre démocratie :
Démocratie politique autour du principe de responsabilité, démocratie territoriale autour du problème de l'identité, la démocratie sociale pour marquer la solidarité et la démocratie participative pour la citoyenneté.
2/- Donner priorité à l'éducation et aux dépenses d'avenir :
Là se situe l'un des clivages avec la droite. C'est une conception de la société. Soit nous nous remettons au marché pour décider à peine du présent et jamais de l'avenir, ou nous considérons qu'au-delà du marché il y a une organisation collective, il y a des fonctions collectives, il y a des priorités qui doivent dépasser, transgresser les seules forces du marché. C'est la meilleure manière de faire un pacte entre les générations. Nous devons convaincre les générations présentes qu'il y a des efforts à faire, que ces efforts ne doivent pas être fait simplement pour eux-mêmes mais au bénéfice des générations futures. C'est pourquoi nous devons faire le choix essentiel de la société de l'éducation, de l'éducation sur toute la vie, de la citoyenneté, de l'accès aux nouvelles technologies.
Dans le contrat pour l'avenir, il y a la recherche, le logement, la politique de la ville, la politique industrielle.
Enfin, la politique de l'avenir c'est aussi la politique des territoires, de l'environnement et de l'énergie. L'effort qu'il faut demander c'est l'effort pour l'investissement. Cet effort-là a une contrepartie : c'est l'apaisement par rapport aux inquiétudes, aux incertitudes. Il est fondé sur l'espoir, sur la volonté et sur le refus de l'alignement et de la peur. Par rapport aux délocalisations, par rapport à la mondialisation, c'est la seule réponse possible. L'autre réponse, au nom d'une harmonisation espérée, au plan européen ou au plan mondial, sera l'alignement toujours demandé vers le bas. Ce sera la renonciation toujours exigée, ce sera l'abandon d'un certain nombre de règles. Si nous ne proposons pas un autre modèle, une autre conception de l'avenir capable de surmonter le défi, alors cette pression-là ne cessera pas.
3/- Garantir la relation au travail :
Cela suppose une action sur le contrat lui-même, sur l'entreprise dont la démocratie est bien incomplète, sur les territoires qui doivent être le lieu où la formation, le reclassement, la reconversion s'opèrent.
4/- Assurer l'égalité :
Il faut proposer un contrat sur la redistribution. Qu'est-ce que nous voulons, dans les cinq prochaines, années, redistribuer ? Du temps, du revenu direct, des transferts, de la solidarité pour les générations futures ? Que voulons-nous distribuer ? Et avec quelle intensité ? La redistribution ne doit pas être considérée simplement annuellement, en fonction des marges qui sont obtenues. Elle doit être d'abord un pacte pour savoir qu'est-ce qui est prioritaire ? Il y a des moments où ce qui est prioritaire, c'est le temps de travail par rapport à une politique d'emploi. À d'autres moments, c'est le revenu direct, à d'autres moments encore c'est la protection sociale. Il faut qu'il y ait cette clarté dans le contrat de redistribution et la politique fiscale en est à ce moment-là un des instruments.
5/- Faire vivre la liberté, liée à la dignité :
Nous participons, nous les socialistes, du grand mouvement de l'émancipation, de la reconnaissance même de l'individu mais dans le respect de sa dignité et de la dignité des autres. C'est pourquoi nous pouvons faire des propositions par rapport à la famille, par rapport au couple, par rapport aux droits de l'enfant, par rapport à l'égalité homme-femme, par rapport à la lutte contre les violences, contre les discriminations et même sur la question de la sécurité. Au nom de la liberté et de la dignité, nous devons revendiquer la sanction et la punition mais aussi la réinsertion, le retour à une vie normale et d'autres formes de punition que la prison ou l'enfermement. Toujours au nom de la liberté et de la dignité.
CONCLUSION
Nous nous sommes interrogés tout au long de ces deux jours sur l'avenir de la France et nous avons eu raison. Les questions que nous avons à nous poser régulièrement à l'occasion de ce projet sont les suivantes : " est-ce qu'il y a encore une identité française ? " ; " Portons-nous une ambition collective pour notre pays ? " ; " Qu'est-ce que nous considérons comme essentiel par rapport à ce que les citoyens français peuvent attendre de nous ? ".
Pour nous, la France est moins une puissance qu'une forme d'excellence, qu'un modèle à diffuser. La France est moins un système juridique qu'un mode de vie, qu'une façon de vivre ensemble, qu'une culture commune, ce que nous avons appelé, il y a bien longtemps, la République. La France, c'est aussi une volonté de peser sur le destin du monde à travers la sécurité collective. Les institutions internationales, et le droit comme reflet, constituent des valeurs universelles que nous portons.
Enfin, la France dans l'Europe c'est plus que la volonté d'organiser un continent. Si nous avons voulu, nous, la France faire l'Europe c'est aussi pour changer le monde... Le chaos n'est pas un élément de responsabilité politique, car la politique c'est justement d'éviter le chaos.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 3 novembre 2004)