Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la prise en compte de l'environnement dans les choix en matière de politique de l'énergie et la notion de développement durable, Paris le 15 décembre 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque sur l'énergie et l'environnement à Paris le 15 décembre 1994 en conclusion du débat national sur l'énergie et l'environnement

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Parce que depuis 15 ans l'approvisionnement énergétique de la France semble aisé, la question de la politique de l'énergie est passés au second plan. Certes le "contrechoc" pétrolier de 1986 et la guerre du Golfe ont rappelé l'importance de l'indépendance énergétique. Mais, dans l'opinion, cette question est devenue progressivement secondaire. Or, la politique énergétique d'un pays est une composante essentielle de sa politique économique, de sa politique extérieure et de sa politique de l'environnement.
La politique énergétique française a longtemps été commandée par deux impératifs : la sécurité de l'approvisionnement et la réduction de la facture énergétique. Mais cette logique économique ne suffit plus à justifier les choix. Aujourd'hui une politique nationale de l'énergie doit également prendre en compte l'environnement dans la perspective d'un développement durable.
Ce constat m'a conduit à accepter la demande qu'ont formulée les ministres chargés de l'Industrie, de l'Environnement et de la Recherche de lancer un débat national sur l'énergie et l'environnement.
Je souhaite rendre hommage à l'organisateur de ce débat, M. Jean-Pierre SOUVIRON, qui a mené une tâche difficile, dans un esprit d'ouverture conforme au souhait du Gouvernement. Aucune question n'a été éludée. Les débats n'ont certes pas abouti à dégager une solution consensuelle sur tous les sujets. Ce n'était d'ailleurs pas leur objectif. Mais ils ont permis aux acteurs de mieux se connaître, aux responsables nationaux d'apprécier la richesse des innovations locales, aux chercheurs, aux économistes et aux associations, notamment, d'échanger leurs points de vue.
- Deux principes émergent des conclusions :
- chercher à comprendre les préoccupations de nos concitoyens,
- expliquer les choix de l'Etat.
Le rapport est à l'image du débat: argumenté, critique, imaginatif, mais également réaliste et sans dogmatisme. Les solutions qu'il propose, parfois audacieuses, méritent attention et examen. D'ici trois mois, le Gouvernement pourra cependant présenter les premières décisions concrètes issues de ces travaux.
Par ailleurs, le débat ne se réduit pas à une suite de propositions. Il pose aussi un grand nombre de questions qu'il faut analyser et auxquelles il faudra répondre, car elles reflètent les interrogations de la population.
S'il est encore trop tôt pour annoncer telle ou telle mesure concrète, il me parait déjà possible de retenir des lignes directrices, tant sur les modes de décision et d'information que sur les grandes orientations de la politique énergétique.
Le débat nous a montré que dans le domaine de l'énergie -mais c'est vrai dans tous les domaines- l'Etat doit veiller à recueillir le plus grand nombre possible d'avis avant toute décision, à expliquer son action, sans craindre les éventuelles remises en cause. C'est ce souci qui a animé le Gouvernement en lançant une consultation nationale.
Les citoyens désirent être informés et consultés. C'est légitime. II faut engager une clarification des processus de décision, notamment en matière de grands équipements énergétiques. Des pistes ont déjà été tracées en ce sens qui me paraissent devoir être retenues
- le ministre de l'Industrie a proposé de mettre en place un comité interministériel sur les grands équipements énergétiques ;
- le Parlement adopte actuellement, sur la proposition du ministre de l'Environnement, l'institution d'une commission nationale du débat public qui permettra de connaître l'avis des populations sur les objectifs et les principales caractéristiques des grands projets d'intérêt national, notamment énergétiques ;
- l'Office Parlementaire des Choix Scientifiques et Technologiques propose de rénover les procédures dans le domaine nucléaire, tant au plan législatif que réglementaire, de manière à clarifier les processus de décision et à mieux assurer l'information du public et la prise en compte des critiques.
Aujourd'hui, certains proposent création d'un groupe permanent d'experts, je suis prêt à examiner ce sujet très rapidement.
Consulter, chercher à comprendre, cela ne signifie pas se départir de ses prérogatives au profit de tel ou tel. II appartient donc aux pouvoirs publics de décider mais aussi et surtout d'expliquer. Si l'étape de consultation a été correctement menée, les explications viendront aisément.
Enfin, a posteriori, il faut que les conséquences de nos choix puissent être appréciées, critiquées, afin de confirmer les succès et d'éviter le renouvellement des erreurs. C'est dans cet esprit que le gouvernement a entrepris, sous l'égide du Commissariat au Plan, une importante opération d'évaluation de la politique d'économies d'énergie menée depuis vingt ans. Les conclusions en seront rendues dans six mois.
Je suis personnellement favorable à l'instauration d'un échange plus régulier entre le Gouvernement et le Parlement sur la politique énergétique, par exemple tous les 5 ans. Le Gouvernement préparera les éléments nécessaires pour que le premier rendez-vous puisse être pris en 1995. Les 4000 pages rassemblées au cours du débat national constitueront une précieuse base de travail.
J'aborde à présent les questions plus directement liées à la politique énergétique. Nous devons répondre à trois préoccupations
- assurer la compétitivité de notre économie;
- assurer la sécurité de nos approvisionnements ;
- respecter l'environnement.
Ne nous cachons pas la réalité : dans certains cas, ces préoccupations sont difficilement compatibles et nous imposent donc de faire des compromis.
Notre situation est caractérisée par l'importance de l'énergie nucléaire. Le choix initié par le général de Gaulle et confirmé par le Président Pompidou était audacieux. Appuyé par une politique de sûreté exemplaire, il a permis à notre pays d'acquérir une indépendance réelle. Aujourd'hui, ce choix apparaît justifié, même si la gestion des déchets exige encore des efforts importants et constitue une priorité nationale.
Notre politique énergétique se distingue également par l'importance que nous accordons au service public. Je connais notre attachement à cette notion. II est indispensable, nous l'avons toujours affirmé, que les travaux en cours à Bruxelles conservent toute sa place à l'idée de service public. Elle est un élément de la nécessaire solidarité entre les citoyens d'un même pays, sans laquelle il n'existe pas de cohésion sociale.
Ces services s'appuient sur de grands organismes qui ont accompli un travail remarquable au service de la Nation. Depuis quelques années, des contrats de plan ont été signés avec EDF et GDF. Cette procédure sera étendue. Des contrats d'objectif sont en cours de négociation avec l'ADEME et avec le CEA et seront signés prochainement. Tous ces contrats seront adaptés pour prendre en compte les conclusions retenues à l'issue du débat.
Le débat a également mis en évidence la nécessité d'intégrer dans notre politique énergétique trois grades orientations que je fais mienne : la relance de la maîtrise de l'énergie, la décentralisation des choix, la nécessaire cohérence des politiques publiques au service de la politique énergétique. Elles seront directement utiles à la promotion des énergies renouvelables.
Le sommet de la Terre, à Rio, a promu le concept de développement durable. 1 600 pays ont pris conscience qu'ils habitent et que leurs enfants habiteront sur la même planète. Le développement doit être guidé en fonction du minimum de solidarité qu'impose ce constat. Or, dans toutes les transformations que l'homme fait subir à la nature, la consommation d'énergie est la seule qui soit fondamentalement irréversible. Nous avons donc, vis à vis de l'énergie, le devoir universel d'éviter tout gaspillage. II paraîtrait cependant vain d'espérer que les autres pays s'imposent ces contraintes, si nous ne le faisons pas nous-mêmes.
Nous avions sans doute quelque peu négligé ce problème ces dernières années. L'abondance relative d'énergie et son prix maîtrisé nous ont fait relâcher nos efforts. La consommation a cru de nouveau, avec des conséquences sur nos importations et sur la pollution. Rappelons que l'énergie la moins polluante est celle que l'on ne consomme pas. II convient donc de définir les priorités d'une nouvelle politique de maîtrise de l'énergie. Toutes les voies doivent être explorées, à commencer par les économies de chauffage dans les bâtiments publics. L'ADEME devra servir de vecteur pour développer l'action publique dans ce domaine.
A quel niveau faut-il prendre les décisions qui touchent à l'énergie ? Ce processus a toujours été fortement centralisé. Les résultats sont d'ailleurs appréciables : une électricité bon marché pour tous les Français, et qui nous vaut de substantielles exportations, une sécurité d'approvisionnement importante et une réduction de la dépendance pétrolière.
Le débat a, toutefois, révélé les limites d'une approche trop centralisée. La politique des transports urbains est d'abord de la responsabilité des collectivités, même si l'Etat doit impulser des orientations nouvelles. C'est le sens des mesures que j'ai présentées récemment en faveur du véhicule électrique, mais aussi de la politique des transports collectifs qui a été mise en place par les contrats de plan. Une certaine décentralisation est possible. Elle doit donc entrer dans les faits. Je souhaite qu'une discussion soit entamée avec les collectivités territoriales pour redéfinir les responsabilités de chacun.
L'Etat mène encore de nombreuses actions dans les secteurs de l'énergie. Nous manquons aujourd'hui de vision globale. Cette lacune nuit à la cohérence de notre action. Nous devons mener une réflexion générale pour déterminer, pour chaque usage, s'il existe une forme optimale d'énergie en fiction des considérations locales, nationales et internationales. II conviendra, par la suite, de s'assurer que le prix et la fiscalité de l'énergie incitent directement le consommateur à la meilleure consommation. Tant que cette tâche n'aura pas été menée à bien, il me semble préférable d'éviter toute forme de publicité sur l'énergie.
Un tel examen fera, certes, apparaître des conflits délicats à trancher : tel village doit-il être relié au réseau de gaz ou doit-il privilégier le chauffage au bois ? Dans telle région isolée, est-il préférable de prévoir des générateurs d'électricité autonomes ou faut-il renforcer les lignes électriques de desserte ? Faut-il encore élargir telle route ou peut-on décharger le transport m de marchandises grâce à la voie ferrée ou à la voie navigable ? Bien entendu, ce terrain n'est pas entièrement vierge. Je souhaite que ces questions soient désormais posées partout où elles doivent l'être, Sans complaisance.
Toutes ces actions devront nous permettre de relancer une véritable politique des énergies renouvelables - biocarburants, énergies éoliennes ou solaires, incinération des déchets,... mais aussi cogénération - qui concernera la recherche, le développement, le prix d'achat, les mesures incitatives... De toute évidence, - j'ai visité avec intérêt l'usine de bagasse charbon de La Réunion - certaines de ces énergies mériteront d'être encouragées dans des régions de France comme la Corse ou les départements et territoires d'Outre-mer.
Ajuste titre, M. SOUVIRON a indiqué qu'il serait illusoire de croire à l'existence d'une politique énergétique et environnementale fixée une fois pour toutes, et qui se révélerait 1a meilleure, en tout temps et en tout lieu. II s'agit bien plutôt d'exploiter nos atouts spécifiques, de surmonter nos faiblesses, d'assurer le meilleur compromis entre l'efficacité économique, la sécurité d'approvisionnement, les risques d'accident et les conditions d'existence de l'ensemble des citoyens.
Mais au-delà de ces critères, nul ne doit oublier la responsabilité internationale des pays développés.
Toute décision, dans un pays comme la France doit prendre les mesures de ses conséquences pour le développement durable de la planète. Et il nous appartient dans nos relations avec les pays qui développent leurs capacités énergétiques, d'exporter les valeurs qui nous guident, efficacité économique, indépendance, sécurité, protection de l'environnement. Il y va de l'avenir de l'humanité. Le nouvel exemple français doit ici aussi trouver sa place.