Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec RTL le 1er juillet 2004, sur son voyage dans les Territoires palestiniens et sa rencontre avec Yasser Arafat, les efforts de la France en faveur du réglement du conflit israëlo-palestinien, les relations franco-américaines et le soutien américain à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, la nomination du Premier ministre portugais, José Manuel Barroso à la tête de la Commission européenne.

Prononcé le 1er juillet 2004

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Michel Barnier. Yasser Arafat est confiné à Ramallah par les autorités israéliennes depuis décembre 2001. Voilà plus d'un an qu'il n'avait pas reçu la visite d'un responsable d'un pays occidental, parce que Ariel Sharon décourage les éventuels visiteurs. Vous avez dîné mardi soir à Ramallah avec lui Michel Barnier. Dans quel état physique, psychologique, avez-vous trouvé Yasser Arafat ?
R - J'ai trouvé un homme qui souffre incontestablement de la situation dans laquelle on le maintient. Vous l'avez rappelé, il ne peut pas sortir de la Moqata'a, il ne peut pas sortir de Ramallah, je n'ai pas trouvé franchement la situation dans laquelle il se trouve très digne pour celui qui est, et qui reste incontestablement le chef reconnu, légitime de tous les Palestiniens, et dont on a besoin pour mener les négociations, pour signer à nouveau des accords, et sortir de cette spirale de sang et de terreur qui embrase le Proche-Orient, et qui touche indistinctement les enfants d'Israël et les enfants de Palestine.
Q - Aller le voir, c'était braver les autorités israéliennes, qui ne veulent plus que des dirigeants occidentaux aillent le voir ? Pourquoi l'avez-vous fait ?
R - Les Européens sont très clairs sur cette question. Nous considérons, et la France en particulier, Jacques Chirac l'a rappelé à Istanbul, que Yasser Arafat est le chef légitime reconnu, élu des Palestiniens... Donc il n'y a pas d'accord sans Yasser Arafat, et encore moins contre lui...
Q - Vous avez parlé de répression à propos de la politique menée par les Israéliens dans les Territoires palestiniens. On a pu croire à un certain raidissement de la diplomatie française à l'occasion de vos deux jours de présence à Ramallah.
Non, je pense d'abord qu'il y a nécessairement un accord pour remettre autour de la table Israéliens et Palestiniens et reprendre un dialogue entre eux. C'est cela l'objectif. Et notre ligne reste la même. L'objectif c'est quoi ? C'est que l'on arrive, comme d'ailleurs les deux parties s'y sont engagées, à deux États : un État d'Israël vivant dans la sécurité - et pour ce qui concerne la France, nous ne transigerons jamais avec la sécurité d'Israël - et puis un État palestinien viable. Ces deux États doivent vivre côte à côte, et dans la paix et la sécurité. Comment y parvenir ? On s'est mis d'accord. On a une Feuille de route, comme on l'appelle, qui fixe les étapes. D'ailleurs le retrait de Gaza, qui a été promis par M. Sharon, est un des éléments, je dis bien une des étapes de cette Feuille de route. Donc il faut maintenant reprendre la négociation, remettre Israéliens et Palestiniens autour de cette table, et l'objectif d'une visite comme celle-ci c'est de dire très franchement qu'on ne peut pas faire la paix sans les Palestiniens, ou en les ignorant. Donc je suis allé le dire au chef des Palestiniens, Yasser Arafat, en lui demandant aussi des efforts : de poursuivre les réformes avec son gouvernement, notamment dans le domaine de la sécurité.
Q - Et du coup, vous aurez du mal à aller tenir le même langage à Ariel Sharon. Parce qu'il ne veut plus trop vous voir, vu que vous avez été voir Yasser Arafat.
R - Non ça n'est pas vrai, ce n'est pas vrai. J'ai prévu cette visite au Proche-Orient pour comprendre d'abord avant d'agir. Comprendre et écouter. En plusieurs séquences. Je suis allé la semaine dernière en Jordanie et en Égypte, qui sont très partenaires et très intéressés par le règlement de ce conflit et très actifs, notamment l'Égypte. Je suis allé voir Yasser Arafat hier et avant-hier. Et je me rendrai dans quelques semaines en visite bilatérale dans ce grand pays avec lequel nous avons, avec le peuple israélien, des relations anciennes et amicales.
Q - On l'a constaté au début de la semaine, à Istanbul, à l'occasion du Sommet de l'Otan. Jacques Chirac est décidément très très agacé par George Bush. Ca ne s'arrange pas entre les deux hommes hein.
R - Non, on a tort de transformer ce qui est l'expression de positions politiques, et parfois de divergences, en un problème personnel, ce n'est pas le sujet.
Q - Il y a de ça aussi non ?
R - Non, je ne le crois pas. J'ai constaté pour les avoir souvent vus depuis quelques semaines, notamment au moment de l'anniversaire du "D Day", des relations très cordiales et franches naturellement entre George Bush et Jacques Chirac. Mais l'Alliance dont il était question à Istanbul, cette Alliance dont nous faisons partie, cela ne signifie pas l'allégeance. Donc nous sommes définitivement alliés avec les Américains. Jamais nos deux pays ne se sont manqués quand la sécurité de l'un ou de l'autre était en cause. Nous l'avons vu au moment de la lutte contre le nazisme où les Américains ont été à nos côtés, et nous sommes à leurs côtés dans la lutte contre le terrorisme, notamment depuis le 11 septembre. Mais encore une fois, l'alliance ce n'est pas l'allégeance, et quand il y a un désaccord il vaut mieux se le dire, ou le dire.
Q - Donc beaucoup de problèmes politiques avec les Américains, des problèmes à répétition, sur la Turquie, quand George Bush parle, l'appréciation sur l'Irak... Souhaitez-vous la défaite de George Bush en novembre prochain ?
R - Écoutez. Ne comptez pas sur moi pour donner un sentiment sur ce qui se passe et ce qui appartient au peuple américain, qui choisira librement, et démocratiquement son président...
Q - La défaite, elle a sa manière de voir un changement politique aux États-Unis.
R - ... non, ne comptez pas sur moi pour répondre à une question comme celle-là, ce n'est pas mon rôle. Vous parliez de la Turquie, ça a été un des points que Jacques Chirac a voulu marquer. L'organisation de l'Union européenne, qui entre ou qui n'entre pas, ou qui entrera plus tard dans l'Union européenne, comment s'organise l'Union européenne : c'est l'affaire des Européens, et de personne d'autre. Voilà ce que le président de la République française a voulu rappeler.
Q - Remarquez, les deux étaient d'accord. George Bush et Jacques Chirac, qui a dit que l'entrée de la Turquie était irréversible. Les deux sont d'accord sur le fond.
R - Oui, mais l'entrée éventuelle de la Turquie, les conditions dans lesquelles elle entrerait, comme d'ailleurs tout autre pays de l'Union européenne - il y a d'autres pays qui ont vocation à entrer dans l'Union européenne, comme la Croatie - c'est l'affaire des Européens. L'organisation, l'avenir de l'Union européenne, c'est l'affaire des Européens, et d'eux seuls.
Q - Manuel Barroso, Premier ministre portugais va remplacer Romano Prodi à la tête de la Commission européenne. Que pensez-vous de cette nomination ?
R - D'abord il faut naturellement, après le choix qu'on fait les chefs d'État et de gouvernement, que les parlementaires européens donnent leur sentiment dans quelques jours en juillet. C'est une bonne nouvelle pour l'Union européenne que les chefs d'État et de gouvernement se soient mis d'accord unanimement sur le nom de José Manuel Barroso, qui est un homme que je connais bien, qui a beaucoup de qualités, qui est un homme qui a de l'autorité...
Q - Qui avait soutenu la guerre en Irak.
R - ... et de l'expérience. Il n'est pas le seul à avoir sur cette question, où les Européens ont été divisés, une opinion différente de la France ou de l'Allemagne. Mais regardons devant nous. C'est un homme qui a la compétence et l'expérience pour être président de la Commission européenne. Et j'observe d'ailleurs une chose intéressante, c'est qu'il est issu d'un petit pays, qui joue le jeu de l'Europe, qui a beaucoup reçu de l'Union européenne, et qui n'a rien oublié. Et un petit pays qui fournit beaucoup d'hommes politiques de qualité. Le président de la République du Portugal aujourd'hui, Jorge Sampaio, est un homme de très grande qualité. L'ancien Premier ministre, mon ancien collègue Vitorino, est un homme de qualité, et c'est le cas de José Manuel Barroso. D'ailleurs le Portugal fournit aussi de grands footballeurs en ce moment (...)
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 juillet 2004)