Lettre de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité et M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie au MEDEF, sur les observations du Gouvernement sur la convention Unédic, notamment l'amélioration de l'indemnisation chômage, Paris le 24 juillet 2000.

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Circonstance : Dossier de presse "convention Unédic", lettre au MEDEF le 24 juillet 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Les organisations patronales et deux organisations syndicales ont conclu, le 29 juin 2000, "une convention relative à l'aide au retour à l'emploi et à l'indemnisation du chômage" pour la période du 1er juillet 2000 au 31 décembre 2003. Il s'agit, selon les termes de l'article 1er de ce texte, de définir un "nouveau dispositif national interprofessionnel d'assurance chômage destiné à favoriser le retour à l'emploi et assurer un revenu de remplacement pendant une période déterminée aux salariés involontairement privés d'emploi".
La demande d'agrément de cette convention a donné lieu à un avis publié au Journal Officiel du 7 juillet 2000, invitant les organisations syndicales et professionnelles et toutes personnes intéressées à présenter leurs observations, et a été soumise à la commission permanente du Comité supérieur de l'emploi du 19 juillet 2000. Elle a fait l'objet de trois oppositions syndicales.
Au terme du délai de quinze jours prévu par la loi dans le cadre de cette procédure, nous tenons à vous faire part des observations du gouvernement sur cette convention.
1- Le gouvernement a affirmé à plusieurs reprises, notamment dans une lettre du 3 juin 2000 adressée aux gestionnaires de l'UNEDIC, qu'il partageait la volonté d'améliorer l'indemnisation chômage et de mieux accompagner les chômeurs vers l'emploi.
L'indemnisation des chômeurs, vocation première du régime d'assurance chômage, doit être améliorée. Actuellement moins de 42 % des demandeurs d'emploi bénéficient des allocations d'assurance chômage. La proportion de chômeurs indemnisés a baissé de plus de 11 points depuis 1993, principalement du fait des transformations du marché du travail et notamment du développement du travail précaire, entraînant des périodes d'activité professionnelle entrecoupées de périodes de chômage. Les règles d'indemnisation doivent évoluer pour mieux prendre en compte ces formes d'activité - qui concernent en particulier les jeunes - et permettre à un plus grand nombre de personnes qui ont travaillé et cotisé de bénéficier de l'assurance chômage.
Le gouvernement partage également l'objectif de développement de l'aide personnalisée aux demandeurs d'emploi. Dans un contexte de croissance retrouvée et de dynamisme sans précédent des créations d'emploi, accueillir, conseiller, former et accompagner de manière individualisée vers l'emploi ceux qui sont au chômage est un devoir social autant qu'une nécessité économique. C'est la mission confiée à l'ANPE et développée depuis deux ans dans le cadre du programme " nouveaux-départs ". Au terme de la montée en charge du dispositif en 2002, tous les chômeurs avant le 12ème mois de chômage, tous les jeunes avant le 6ème mois de chômage ainsi que les chômeurs de très longue durée et les allocataires de minima sociaux -soit au total 2 000 000 de personnes chaque année - bénéficieront d'un service personnalisé pour un nouveau départ vers l'emploi. D'ores et déjà 1 300 000 personnes ont été accueillies dans ce dispositif et 55 % d'entre elles sortent du chômage dans les quatre mois qui suivent le début de l'action.
Il n'y aurait donc que des avantages à étendre une démarche de cette nature aux chômeurs qui en ont besoin et le gouvernement a accueilli favorablement l'idée qu'une partie des fonds de l'UNEDIC soit mobilisée en ce sens, dans une logique d'activation des dépenses passives.
2- Cependant, les dispositions concrètes de la convention ne permettent pas d'atteindre ces deux objectifs affichés.
L'amélioration de la couverture chômage est insuffisante. Moins de 4 millliards de francs y sont consacrés sur les 75 milliards d'excédents attendus sur la durée de la convention. La principale mesure, qui consiste à ouvrir des droits aux chômeurs ayant travaillé 4 mois au cours des 14 derniers mois précédent la fin du contrat de travail (contre 4 mois au cours des 8 derniers mois actuellement) ne concernerait que 30 000 entrées supplémentaires par an dans le régime d'assurance chômage et n'accroîtrait la proportion des chômeurs indemnisés que de 0,2 %.
La convention ne garantit pas les moyens financiers nécessaires au plan d'aide au retour à l'emploi (PARE).
Alors même que l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi est présenté comme le cur de la nouvelle convention d'assurance chômage (cf article 1er), aucune enveloppe financière spécifique n'est réservée dans la convention pour financer le PARE.
En effet, sur les 75 milliards de francs d'excédents cumulés attendus d'ici 2003, 71 milliards seraient consacrés à des baisses de cotisation et 4 milliards à l'amélioration de la couverture chômage. L'aide au retour à l'emploi des chômeurs ne pourrait donc trouver un financement que sur les fonds dégagés par la réduction des durées d'indemnisation et les suppressions d'allocations liées à la mise en uvre du PARE. Or il est clair qu'on ne peut préjuger du montant de ces économies, qui ne pourraient en outre apparaître, en toute hypothèse, que progressivement.
3- Certaines propositions sont contradictoires avec les objectifs affichés ou comportent des risques pour les demandeurs d'emploi.
Le dispositif proposé fait redouter l'émergence d'un système à double vitesse d'aide au retour à l'emploi. Le gouvernement a rappelé à plusieurs reprises son attachement à l'égalité des chances face au retour à l'emploi. Chaque demandeur d'emploi doit avoir accès aux services d'aides au retour à l'emploi dans les mêmes conditions.
Un système à double vitesse, l'un pour les chômeurs indemnisés, l'autre pour les chômeurs en " fin de droits ", précaires ou sans expérience professionnelle, irait à l'encontre de l'objectif de retour à l'emploi. Les premiers bénéficieraient des offres d'emploi des entreprises, dont les ASSEDIC seraient désormais informées par l'ANPE (§6 de l'article 1er de la convention), alors que les chômeurs les plus éloignés de l'emploi se retrouveraient définitivement cantonnés dans l'assistance et les emplois de solidarité. Les dispositions de la convention ne permettent pas d'écarter un tel risque, et ce d'autant plus que les aides au retour à l'emploi sont assorties d'un nouveau dispositif de sanctions confié aux ASSEDIC.
S'agissant du contrôle de la recherche d'emploi et des sanctions, les dispositions proposées ne peuvent recevoir l'approbation du gouvernement.
Il est normal, comme le prévoit notamment la loi de 1991, de sanctionner des chômeurs qui n'acceptent pas un emploi correspondant à leur qualification ou qui ne font pas de réel effort pour retrouver un emploi. Mais, pour être impartiales, ces décisions doivent rester de la responsabilité de l'Etat, et être assorties de voies de recours permettant aux chômeurs de faire valoir leurs droits.
Or la convention proposée définit une échelle des sanctions applicables automatiquement, allant jusqu'à la suppression des allocations par les ASSEDIC, et attribue à un groupe paritaire, constitué des représentants des seuls signataires de la convention, la responsabilité de définir les règles d'appréciation de la légitimité des refus d'emploi.
En outre, l'article 17 du règlement annexé met en place un mécanisme susceptible d'être utilisé pour contraindre les chômeurs à prendre des emplois ne correspondant pas à leur qualification. Ainsi, alors que le code du travail se réfère à des "emplois compatibles avec leur spécialité ou leur formation antérieure, leurs possibilités de mobilité géographique compte tenu de leur situation personnelle et familiale et rétribués à un taux de salaire normalement pratiqué dans la profession et la région", dès le 6ème mois de chômage, les demandeurs d'emploi seraient tenus d'accepter "les emplois qui entrent dans le champ de leurs capacités professionnelles" et à partir du 12ème mois, tous les emplois "correspondant à leurs aptitudes".
La suppression de l'allocation de formation reclassement (AFR) à compter du 1er janvier 2001 est également contradictoire avec l'objectif d'améliorer l'aide au retour à l'emploi. L'AFR permet de maintenir les indemnités chômage (majorées de 2 %) jusqu'au terme de la formation, y compris lorsque celle-ci se poursuit au-delà des droits à indemnisation. La simple application des règles de droit commun, qui résulterait de la suppression de l'AFR sans que ce dispositif soit remplacé par un dispositif équivalent, aboutirait à une réduction de la durée des formations pour les chômeurs dont les durées d'indemnisation sont les plus courtes. Elle compromettrait paradoxalement leur accès aux formations qualifiantes, alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin.
Il en va de même pour la suppression des conventions de conversion au 1er janvier 2001. Ce dispositif, instauré lors de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement en 1986 et que les employeurs ont l'obligation de proposer aux salariés concernés par un licenciement économique, a fait la preuve de son efficacité. Il permet en effet d'engager la recherche d'emploi dès le début du préavis de licenciement, avec un appui intensif de l'ANPE dans le cadre des unités techniques de reclassement, et offre des conditions d'indemnisation améliorées. Les conventions de conversion ne peuvent disparaître sans qu'un dispositif au moins équivalent soit mis en place : les salariés des petites et moyennes entreprises, qui en sont les principaux bénéficiaires, en seraient particulièrement pénalisés.
4- Par ailleurs, l'équilibre financier, qui est une condition de l'agrément, n'est pas assuré.
La quasi-totalité des excédents prévisionnels (75 milliards de francs sur 2000-2003) serait consacrée à des baisses de cotisations (71 milliards de francs sur la même période). Dans ces conditions, même en utilisant les fonds de réserve accumulés ces dernières années, il ne serait pas possible d'assurer le financement du PARE, la couverture chômage et les autres dispositions prévues dans la convention.
Il n'est pas non plus possible d'opérer la clarification des relations financières entre l'Etat et l'UNEDIC. Or les efforts des contribuables, et notamment les 30 milliards de francs décidés en 1993 pour éviter la faillite du régime d'assurance chômage, ne peuvent rester à sens unique, d'autant que certaines dépenses, aujourd'hui financées par la solidarité nationale, relèvent clairement de l'assurance chômage. Les cinq organisations syndicales représentatives avaient d'ailleurs elles-mêmes demandé, dans un communiqué commun du 25 octobre 1999, que les "négociations pour le renouvellement de la convention d'assurance chômage [] intègrent la nécessaire clarification des relations financières entre le régime d'assurance chômage et l'Etat".
5- Au surplus, il apparaît que la convention ne peut juridiquement faire l'objet ni d'un agrément total, ni même d'un agrément partiel.
La convention contient des dispositions non conformes à la législation en vigueur, notamment, -comme indiqué d'ailleurs à l'article 5 de la convention- celles relatives au PARE ou à la participation du régime d'assurance chômage au financement d'aides au retour à l'emploi.
Le seul fait que la convention comporte des clauses illégales fait obstacle à un agrément de l'ensemble de la convention, quand bien même il est prévu que ces clauses n'entreront en vigueur que "sous réserve de l'adoption à cet effet de modifications législatives et réglementaires ( article 5, §3 )". Ce point a été expressément tranché par la décision du 22 décembre 1995 de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat (Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs). Ainsi, dans cette affaire jugée par le Conseil d'Etat le 22 décembre 1995, alors même que les parties signataires avaient elles-mêmes précisé que les dispositions illégales n'entreraient en vigueur que sous réserve des mesures législatives nécessaires, l'arrêté d'approbation a été annulé dans sa totalité, les clauses litigieuses étant indivisibles du reste de la convention.
En l'occurrence, l'ensemble des clauses illégales de la convention du 1er juillet 2000 sont elles-mêmes indivisibles du reste de la convention car elles sont au cur de la démarche des parties signataires. L'article 1er de la convention stipule en effet que dans le nouveau dispositif national interprofessionnel d'assurance chômage "indemnisation et aide au retour à l'emploi sont liées, chaque salarié privé d'emploi étant, à cet égard, engagé dans un plan d'aide au retour à l'emploi". Au demeurant, la convention constitue la mise en uvre des engagements souscrits dans le protocole du 14 juin 2000, celui-ci figurant d'ailleurs explicitement au nombre des visas de la convention. Or ce protocole affirme, par son article 17, le "caractère indissociable" de ses dispositions et, par son article 16, le fait qu'en l'absence des modifications législatives et réglementaires, il "sera considéré comme nul de plein droit".
Un agrément partiel ne pourrait donc avoir pour effet que de dénaturer l'accord conclu entre les parties, qui forme sur le fond un tout indivisible. Dans ces conditions, et dès lors que les clauses litigieuses sont indivisibles du reste de la convention, le ministre compétent a l'obligation de refuser d'agréer une convention comportant des clauses illégales.
La convention du 1er juillet 2000 ne permet pas la réalisation des objectifs affichés, comprend des dispositions contradictoires avec ces objectifs ou comportant des risques pour les chômeurs, fixe de façon unilatérale les rôles respectifs de l'ANPE et des ASSEDIC, et présente un schéma de financement qui n'est pas équilibré.
Toutes ces raisons conduisent le gouvernement à ne pas pouvoir agréer ce texte.
Pour autant, nous pouvons partager les mêmes objectifs, et les ressources financières disponibles sont suffisamment importantes pour les atteindre.
Un accord pourrait ainsi être trouvé permettant simultanément d'améliorer la couverture chômage, de développer l'accompagnement personnalisé des chômeurs tout en garantissant l'égalité des chances d'accès à la formation et à l'emploi, de clarifier les relations financières entre l'Etat et l'UNEDIC et de baisser les cotisations des employeurs et des salariés.
Aussi, le gouvernement, attaché à la gestion paritaire du régime d'assurance chômage et au rôle majeur des partenaires sociaux dans la définition des règles de son fonctionnement, considère qu'une reprise des négociations est souhaitable. Cette démarche relève des partenaires sociaux. Le gouvernement appelle chacun à ses responsabilités.
Le gouvernement reste bien évidemment à la disposition des organisations patronales et syndicales - si elles le souhaitent - pour accompagner l'avancée de ces discussions. Il espère ainsi que pourront être trouvés, dans les délais les plus brefs possibles, les termes d'une nouvelle convention équilibrée et attendue par les chômeurs.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre considération distinguée.
Laurent FABIUS
Martine AUBRY
Monsieur Ernest-Antoine SEILLIERE
Président du MEDEF
31 avenue Pierre 1er de Serbie
75016 PARIS