Interviews de M. Jean-Luc Cazettes, président de la CFE CGC à Radio Classique et dans "Le Parisien" le 30 août 2004 et dans "Métro" le 9 septembre, sur la réduction du temps de travail et les délocalisations, la durée légale du travail et les avantages fiscaux aux entreprises.

Prononcé le

Média : Le Parisien - Métro - Radio Classique

Texte intégral

Le Parisien le 30 août 2004
Valérie Hacot : Quelle est votre perception du climat social ?
Jean-Luc Cazettes : Ce qui prévaut à l'heure actuelle, c'est un sentiment diffus d'inquiétude et d'insécurité sociale. Pour autant, on n'a pas, non plus, l'impression qu'un conflit de grande ampleur se profile à l'horizon. Cette grogne se cristallise essentiellement sur la question des rémunérations. La plupart des salariés estiment ne pas être justement récompensés pour leur travail : il y a là un vrai problème. Je pense donc que les salaires seront une des thématiques principales de la rentrée, au même titre que les 35 heures.
VH : Mais les revendications salariales ne sont-elles pas un classique de chaque rentrée ?
JLC : C'est wai, mais cela s'accroît d'année en année. Les salariés estiment que leur charge de travail est de plus en plus importante, d'autant qu'avec les 35 heures, ils ont également dû taire des sacrifices en acceptant des gels de salaire pendant trois ans. De surcroît, les écarts n'ont jamais été aussi importants entre ceux qui sont bien rémunérés et les autres. Une infime minorité voit son pouvoir d'achat progresser. L'écrasante masse de la classe moyenne fait du surplace. Et il y a de plus en plus de personnes qui ne subsistent que grâce aux systèmes d'assistance, la redistribution ne fonctionne pas bien et, cela, les gens le ressentent fortement.
VH : Vous, que proposez-vous ?
JLC : Il faudrait engager de véritables négociations dans les branches professionnelles pour relever les salaires. Nous sommes évidemment prêts à le faire. Reste à savoir si le patronat est partant...
VH : Vous avez évoqué les 35 heures qui ont obligé beaucoup de salariés, dites-vous, à "trois ans de sacrifices". Faut-il les remettre carrément en cause ?
JLC : Nous ne sommes pas hostiles à certains aménagements, mais nous ne voulons pas d'un marché de dupes pour les salariés. 11 faut qu'il y ait un encadrement dans les négociations, et que ces dernières se déroulent au niveau des branches professionnelles. Et il faut, à l'arrivée, que les salariés soient gagnants : non seulement ils devront pouvoir être en mesure de prendre eux-mêmes la décision de revenir, s'ils le souhaitent, sur les 35 heures, mais on doit aussi leur garantir des contreparties.
Propos recueillis par Valérie Hacot

(source http://www.cfecgc.org, le 31 août 2004)
Radio Classique
Le 30/08/2004
Gilles Moreau : Journal que nous ouvrons à la page " rentrée sociale ", rentrée dominée par le dossier des 35 heures. Donc on en reparle depuis ce matin au ministère des Affaires Sociales où les consultations ont repris. Programme chargé pour Gérard Larcher, le ministre délégué aux relations du travail, dont les rendez-vous se succèdent. Vous avez été reçu par Gérard Larcher : qu'avez-vous dit au ministre, au nom des cadres ?
Jean-Luc Cazettes : On lui a demandé une meilleure sécurisation des accords pour éviter ce qu'on a vu se produire tout au long de cet été avec Bosch, avec Seb, avec Doux, parce que ça finit par instaurer un climat d'inquiétude chez les salariés et y compris chez les cadres, ce qui est forcément néfaste pour la croissance et l'emploi. Et puis on lui a fait remarquer que le débat sur les 35 heures est un peu surréaliste dans la mesure où on se les ait payées très largement, les 35 heures, parce qu'il y a eu des gains de productivité, il y a eu l'annualisation, il y a eu la flexibilité. Il y a eu le blocage des rémunérations pendant deux ou trois ans ; il y a eu pour les cadres, le passage au forfait / jour avec la suppression de la durée maximum du travail. Enfin on a payé relativement cher les 35 heures. Si maintenant on vient nous dire : "eh bien tout ce que vous avez payé c'est bien mais en plus on vous supprime l'équivalent des jours de RTT et autres", je crains que ça ne soit considéré comme un marché de dupes.
GM : Alors vous parlez de sécurisation qui n'est pas incompatible toutefois avec un assouplissement ; vous laissez la porte ouverte toutefois.
JLC : Tout à fait ; on peut toujours envisager des assouplissements, à condition que ça soit volontaire de la part des salariés, parce que le schéma : "plus de travail, plus d'argent" à la limite ça peut intéresser un certain nombre de gens. Mais il faut que ça soit volontaire de la part des salariés, donc qu'on ne puisse pas l'imposer malgré le souhait et l'avis des gens. Et puis à partir de là, de voir comment on peut mettre en place cette sécurité, cette sécurisation au niveau des accords de branches, des contrôles des branches, ou de la loi, ou de l'interprofessionnel, beaucoup de systèmes peuvent être envisagés.
GM : Ernest-Antoine Seillière a durci le ton ce matin estimant que le gouvernement n'avait en quelque sorte rien fait pour l'entreprise depuis que Monsieur Raffarin est à Matignon. Est-ce que c'est aussi votre sentiment, à vous qui représentez aussi les entreprises ?
JLC : Oui, mais tout ce qui est excessif est insignifiant. Je crois que les attaques de Monsieur Seilliere ne deviennent plus crédibles compte tenu de l'attitude qui a été celle du gouvernement des derniers mois. Ce n'est pas plus crédible que le fait de vouloir dire maintenant qu'il fallait que les négociations se fassent entre les salariés, individuellement, et le chef d'entreprise. Tout le monde sait que dans ce cadre-là il y a plus d'équilibre, de rapports de force et que donc on aboutit forcément à des contrats léonins.
(source http://www.cfecgc.org, le 10 septembre 2004)
Métro le 9 septembre 2004
Alexandre Zalewski : Les exemples de chantage aux délocalisations ont fait resurgir la question du temps de travail. Pensez-vous qu'il faille revenir sur la durée légale du travail ?
Jean-Luc Cazettes : Je pense qu'il s'agit d'un très mauvais débat. C'est un sujet qui n'intéresse personne, et surtout pas les entreprises : il faut savoir qu'en contrepartie des 35 heures, les entreprises ont obtenu l'annualisation du temps de travail, une plus grande flexibilité, et le blocage des rémunérations pendant deux ou trois ans. Au final, la mise en place des 35 heures a permis d'améliorer considérablement la productivité. Le salarié français est donc aujourd'hui le plus productif du monde industrialisé. Si on revient sur les 35 heures, on doit également revenir sur ces avantages, et aucune entreprise n'est prête à le faire. J'en veux pour preuve les assouplissements introduits par François Fillon, qui n'ont bénéficié qu'à 22 branches sur 217 ! C'est un pur combat idéologique des ultra-libéraux, qui veulent terrasser les 35 heures comme Saint-Georges avait terrassé le dragon.
AZ : Quelle est la position du gouvernement ?
JLC : Je ne pense pas que le gouvernement soit prêt à faire de grandes concessions. Le problème qui se pose concerne principalement les "très petites entreprises" (TPE), puisque les dispositions transitoires se terminent au 31 décembre 2005.Quant à l'idée d'offrir la possibilité aux salariés de travailler plus pour gagner plus, nous n'y sommes pas foncièrement opposés, à la condition qu'il y ait un cadre contraignant : il faut absolument une garantie collective qui laisse le libre-choix à l'intéressé. C'est d'autant plus important qu'en l'état actuel de la législation, un salarié ne peut pas refuser une heure supplémentaire.
AZ : Comment conserver les emplois sur notre territoire ? En accordant des avantages fiscaux ?
JLC : Je ne crois pas trop aux avantages fiscaux ou autres subventions, qui ne représentent qu'une solution temporaire. Nous sommes dans une société théoriquement capitaliste. Les patrons voudraient privatiser les capitaux et socialiser le risque ! L'État doit subventionner, les collectivités doivent aider à l'implantation, mais l'entreprise garde tous les bénéfices ! Ce n'est pas très sérieux. Même s'il est impossible de lutter contre certains pays, où les salaires sont quarante fois moins importants qu'en France, je pense qu'il faut arriver à baisser le coût du travail, afin de rendre nos produits compétitifs à l'exportation. La CFE-CGC propose de supprimer les cotisations maladies des employeurs et des salariés, et de les remplacer par une cotisation sur la consommation. Cela permettrait de faire baisser d'environ 20 % le coût du travail. Une telle mesure a également le mérite de taxer les produits importés, tout étant conforme avec Bruxelles. On peut également imaginer de taxer aussi bien la consommation que l'épargne, donc de taxer le revenu des ménages de manière plus équitable. C'est d'ailleurs ce qui se fait au Danemark depuis de nombreuses années.
AZ : Globalement, que pensez-vous du plan de cohésion sociale ?
JLC : Le plan de Jean-Louis Borloo contient de très bonnes choses. Je pense en particulier à tout ce qui doit être mis en uvre pour l'insertion des jeunes. Il contient également des annonces, qui manquent manifestement de financement, ainsi que d'autres choses qui nous paraissent réellement inquiétantes. Je pense en particulier au volet consacré à la simplification du code du travail, qui se base sur le rapport de Virville et qui introduit le CDD longue durée. Alors qu'il existe un réel problème sur l'emploi des seniors, le CDD longue durée est un outil qui va permettre aux entreprises de payer moins cher les employés de plus de 45 ans, en multipliant les CDD en fin de carrière. Sur certains point, c'est véritablement de la cohésion sociale au profit du Medef ! Un autre exemple : les mesures pour le retour à l'emploi. Un chômeur est censé accepter un emploi qui correspond à ses compétences. Pour un employé payé au SMIC, les incidences seront minimes. Pour un ingénieur, ou un cadre moyen, les implications sont plus pernicieuses, puisqu'ils seront obligés d'accepter des emplois moins qualifiés... et moins rémunérés.
Propos recueillis par Alexandre Zalewski
(source http://www.cfecgc.org, le 10 septembre 2004)