Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale et membre du comité politique de l'UMP, à France Inter le 28 septembre 2004, sur les journalistes français, otages en Irak, le débat sur la Constitution européenne et sur l'examen du budget par l'Assemblée nationale.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- Le "débat d'idées" que N. Sarkozy, probable futur président de l'UMP, propose à son parti ne serait-il, aux yeux de certains parlementaires du mouvement parmi les plus éminents, qu'un faux débat ? Ainsi, à Argenteuil, où se tenait hier le séminaire du groupe UMP de l'Assemblée nationale, J.-L. Debré, président de l'Assemblée nationale, n'a-t-il pas ménagé le ministre de l'Economie et des Finances, usant de cette liberté de parole qu'il a aussi plusieurs fois utilisée à l'encontre du Premier ministre ? (...) Avant de venir peut être aux enjeux de l'évolution de l'UMP, restons un instant sur le terrain européen. (...) D'abord, un commentaire peut-être sur la libération des deux jeunes italiennes. Il y a quelques jours, dans ce même studio, F. Bayrou disait que cette question est une question européenne, que si des otages devaient être libérés, ce serait une joie pour l'Europe entière et qu'aussi longtemps qu'ils sont retenus, ce doit être une mobilisation entière de l'Europe. Est-ce qu'en effet, vous voyez les choses comme ça ?
R- Oui, c'est une obsession pour nous tous. On ne peut pas accepter, on ne peut pas admettre, on ne peut pas tolérer longtemps que deux journalistes, deux hommes soient injustement retenus et privés de liberté. Je me réjouis très profondément que les deux italiennes aient été libérées, et j'espère de tout mon cur que ceux qui détiennent les deux journalistes et leur chauffeur, entendront la voix unanime de la France. Car il faut bien voir dans cette affaire, que nous nous sommes tous rassemblés, tous rassemblés pour dire "libérez les". Ils ont fait leur métier, ils font leur métier. Et par conséquent, il faut pas s'en servir comme ces otages. Donc j'attends, j'espère, je crois et Europe, chez tous ceux qui aiment la liberté.
Q- Mais ce peut être un facteur d'intégration européenne ? Là, je m'adresse à l'ancien ministre de l'Intérieur que vous êtes. Quand on est confronté à des questions aussi graves, est-ce que l'Europe sait aujourd'hui y réfléchir de façon collective, y apporter des réponses collectives, ou chacun y va t-il un peu de son côté ?
R- Je souhaite que face à cela, il y ait une réponse, il y ait une réflexion collective et que cela aboutisse à une attitude collective. Pour l'instant, je ne suis pas sûr que ce soit le cas, mais oui, il faut progresser. Il faut que l'Europe ait une attitude unanime face à la liberté et face à ceux qui privent les hommes de liberté.
Q- Quant au débat sur la Constitution européenne, y voyez-vous un vrai débat de fond, c'est-à-dire au fond quel choix de société, quel type d'Europe voulons-nous ? Ou y voyez-vous des intérêts personnels, des stratégies politiciennes ?
R- Non, d'abord je suis content qu'on débatte de l'Europe, car si il y a un débat aujourd'hui qui doit nous interpeller, c'est le débat européen. On ne peut pas laisser se construire l'Europe dans l'indifférence. Elle nous concerne tous, elle concerne notre législation, elle concerne notre vie quotidienne. Première réflexion. Deuxième réflexion, la Constitution européenne est un progrès modeste, qu'il ne faut pas accabler de tous les péchés. Elle doit, à mon avis, être un élément de la construction de l'Europe politique que nous souhaitons depuis longtemps. Un élément modeste, mais les grandes uvres se construisent modestement. Troisièmement, ce débat et cette construction doivent être l'occasion de dire à nos compatriotes : "Attention à l'euro fatalisme". Jadis, l'Europe c'était la passion, la passion de ceux qui étaient contre, la passion de ceux qui étaient pour. On s'affrontait entre le fédéraliste et ceux qui ne l'étaient pas. Aujourd'hui, il y a un détachement et il y a un scepticisme à l'égard de l'Europe, parce que nous avons été incapables d'avoir une attitude unanime vis-à-vis des grands problèmes du monde, vis-à-vis de l'Irak. Et par conséquent, aujourd'hui, différentes catégories sociales sont sceptiques, parce que l'Europe a été incapable d'avoir une attitude unanime face aux délocalisations et face à la mondialisation. L'Europe politique que nous allons construire doit justement pallier ces défauts. Alors, nous devons rentrer dans ce débat, nous devons convaincre les uns et les autres, que c'est essentiel pour la France. Qu'aujourd'hui, penser que la France doit se replier sur elle-même et ne pas regarder les autres, est une erreur. Et ne polluons pas ce débat européen, ce grand débat européen avec d'autres problèmes, légitimes, mais qui n'ont rien à voir avec : approuvons-nous, oui ou non, le traité constitutionnel ; et si nous ne l'approuvons pas, allons-nous assumer la responsabilité de ce "non" ?
Q- Alors maintenant, votre liberté de parole puisque décidément...
R- Vous avez vu, elle était totale, là !
Q- Mais parlons de vous, parlons de l'UMP parce que tout de même...
R- Je n aime pas beaucoup qu'on parle de moi !
Q- Vous arrivez à Argenteuil et vous dites que "l'UMP n'attend pas qu'on privilégie les privilégiés". Alors, évidemment, on pense au budget 2005, on pense à N. Sarkozy... Vous n'avez pas fait dans la dentelle, hier !
R- Il est normal qu'une grande formation comme l'UMP ait une liberté totale de parole. En tous cas, je la revendique et je revendique le droit de dire ce que je crois. Je crois en un certain nombre de choses, notamment quant à l'élaboration du budget. Je suis député, le budget va être examiné par l'Assemblée nationale. Nous ne sommes pas des "machines à voter" - j'ai entendu cette expression. On nous incite à discuter, à débattre. Parfait, tant mieux ! Et je ne vous pas pourquoi on me reprocherait de discuter, de débattre. Alors qu'est-ce que je souhaite...
Q- Juste une chose, parce que les mots, surtout là, à cet endroit hier, ont un sens particulier. N. Sarkozy prône le débat d'idées et vous, vous dites que ce débat d'idées est un faux débat d'idées, toujours relativement au budget d'ailleurs, sur les enjeux du budget 2005. Ce n'est pas indifférent de dire à N. Sarkozy que c'est un "faux débat d'idées"...
R- D'abord, permettez-moi de dire que j'essaye de débattre sur des idées, sur des politiques et non pas pour ou contre des hommes. Vraiment, je ne voudrais pas me situer sur ce terrain-là. J'ai pour N. Sarkozy, pour J.-P. Raffarin et pour beaucoup d'autres, beaucoup d'amitié et de considération. Et donc je ne situe pas mon débat pour ou contre untel, ou pour ou contre l'ambition d'untel. Je crois que le débat budgétaire dans la démocratie parlementaire est le grand moment, le grand moment où on va choisir d'une politique, où on va donner à sa politique une lisibilité et une crédibilité. Et par conséquent, on ne peut pas donner des privilèges aux privilégiés, on doit avoir un budget équilibré. Je crois qu'il est essentiel de mieux s'interroger, de plus s'interroger sur l'utilité collective de la dépense publique. Alors, on dit qu'il faut pas dépenser ! Oui, naturellement, il ne faut pas dépenser, mais derrière le budget, il y a la France, il y a les Français, il y a l'avenir de la France et il y a l'avenir des Français. Et par conséquent, ayons une interrogation positive, en tous cas profonde, sur l'utilité collective de la dépense publique, parce que l'avenir de la France passe par des crédits pour l'Education nationale, passe par un effort essentiel pour permettre l'emploi, pour la formation, passe par la culture. Si on croit, et moi je crois en une certaine idée de la France, à un rayonnement culturel de la France, alors il faut avoir, dans le domaine de la culture, une politique extrêmement dynamique et donc considérer que la dépense dans le domaine culturel n'est pas une dépense stérile. Il faut enfin dépenser de l'argent dans le domaine de l'énergie, de la recherche de l'énergie. Donc oui il y a une interrogation, oui on doit débattre et puis, permettez-moi de vous dire aussi arrêtons de nous enfermer dans "vous êtes libéral, vous êtes social". C'est un faux débat. Il faut être équilibré, il faut permettre au travail d être valorisé, mais il faut permettre aussi à ceux qui sont en difficulté, de bénéficier de la solidarité nationale.
Q- Mais ce point d'équilibre auquel vous aspirez, (...) c'est le passage en force quand même, ils sont pas si nombreux ceux qui comme vous, disent de temps en temps au Premier ministre, "Ecoutez, là, je ne vois pas le monde comme vous", ou qui interpellez, comme vous venez de le faire sur le budget 2005, le ministre de l'Economie. Il y a quoi ? Il y a une ligne politique, il y a une différence Debré que vous voulez faire entendre décidément maintenant ?
R- Non, il n'y a pas une différence qui m'est personnelle...
Q- On vous a jamais vu dans Paris-Match ?
R- Non, mais j' aime beaucoup Paris-Match et j'aime beaucoup voir les uns et les autres avec, comme on dit chez moi, leur maman leur grand-maman ! Mais attendez, la politique, ce n'est pas ça ! Pour moi, la politique, ce n'est pas le spectacle ! La politique c'est essayer d'avoir, si on pouvait dans ce pays réhabiliter le débat politique, qu'on ne s'intéresse pas à l'illusoire, qu'on arrête ce spectacle et qu'on aille au fond des problèmes. Et le budget est l'occasion de ce débat fondamental. Donnons une leçon aux autres, donnons une leçon à ceux qui ne se complaisent dans la politique que par des querelles de clan et montrons que dans l'UMP, avec les différentes composantes, grâce à Sarkozy, grâce à Raffarin, grâce à Pierre, Paul, Jacques, peu importe, nous débattons. Et une fois que nous aurons débattu, on arrêtera une position. Ce sera une position collective et il n y aura pas besoin de gendarme pour faire respecter cette position collective, parce que nous
aurons débattu.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 septembre 2004)