Lettre de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, adressée à M. Jacques Chirac, Président de la République, sur "l'exclusion du Front National" lors des consultations des responsables politiques sur l'avenir de l'Europe, Paris le 31 octobre 2003.

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Texte intégral

Monsieur le Président de la République,
Vous avez entamé une série de consultations des principaux responsables politiques sur l'avenir de l'Europe.
Vous avez reçu à ce titre, ou allez recevoir, des responsables de formations politiques qui obtiennent régulièrement aux élections des résultats trois fois, cinq fois, dix fois inférieurs aux résultats du Front National, dont je suis le président.
Or, vous ne m'avez pas convié et n'avez pas souhaité entendre le point de vue du Front National qui, dans ce domaine, aurait cependant beaucoup à dire. Il a en effet, sur les questions européennes comme sur bien d'autres, manifesté une prescience et porté des analyses que la réalité vérifie, ainsi que votre Premier Ministre, M. Raffarin, en fait chaque jour l'expérience, qu'il s'agisse des critères de convergence fixés par le traité de Maastricht, qui font obstacle à sa politique budgétaire, du veto bruxellois aux aides qu'il souhaiterait apporter au groupe Alstom, ou de l'impossibilité dans laquelle vous vous trouvez d'honorer votre solennel engagement de l'élection présidentielle : baisser la TVA sur les produits servis par les restaurateurs.
J'ignore à vrai dire les critères que vous avez trouvés pour justifier l'exclusion du Front National.
S'agit-il de la représentation parlementaire ? Mais ce " critère " manifesterait un mépris singulier à l'égard du Parlement européen, où le Front National est représenté depuis 1984 sans interruption. Osera-t-on aller jusqu'à dire qu'une formation qui s'exprime par l'intermédiaire de députés dans les enceintes européennes presque chaque jour depuis bientôt 20 ans, n'a pas qualité pour parler de l'Europe ?
Mettrez-vous en avant la scandaleuse éviction de la vie parlementaire française de dix millions de Français, si l'on compte les familles, dont nous représentons les souffrances et les espoirs, et qui ne disposent pas, c'est vrai, d'un seul député ni d'un seul sénateur pour se faire entendre dans ce que l'on ose encore appeler la représentation nationale ? Mais cette absence, qui ferait qualifier de république bananière tout autre pays que le nôtre, vous fait un devoir supplémentaire d'écouter les sans-voix. Car notre constitution, qui reconnaît dans son article 4 le concours que les partis politiques apportent à l'expression du suffrage ne subordonne pas leur légitimité au nombre de leurs députés ou de leurs sénateurs. Et si un critère numérique s'imposait, ce serait évidemment celui du nombre d'électeurs.
Cette exclusion que consacre votre attitude est déplaisante quand elle se fonde sur un discours qui est ouvertement celui de l'hostilité politique. Comme ce fut le cas lorsque vous avez refusé de débattre avec moi, contrairement à la règle, à l'usage, et au droit des Français à l'information, lors de la dernière élection présidentielle.
Elle est odieuse quand elle se fait sous couvert d'une consultation démocratique ouverte à l'opposition, dans le cadre de la fonction arbitrale qui devrait être celle du Chef de l'Etat. Car elle signifie clairement alors qu'il y a des Français à deux niveaux pour celui que la constitution fait cependant le gardien de l'unité nationale. C'est la raison pour laquelle je souhaite rendre publique cette correspondance.
Car quelle est la cause exacte de cette exclusion ? Est-ce parce que nous sommes hostiles à la politique d'immigration massive ? Est-ce notre condamnation sans appel de la corruption qu'ont pratiquée toutes les autres grandes formations politiques ? Est-ce notre revendication de transparence à l'égard de tous les groupes d'influence présents jusqu'aux plus hauts niveaux de la politique et de la finance ? Est-ce notre défense intransigeante des identités ou de la souveraineté nationale ? Est-ce votre crainte de voir les millions de Français victimes de l'insécurité sociale rejoindre nos rangs ? Que nous reprochez-vous exactement ?
Quoi qu'il en soit, l'Histoire retiendra qu'au moment où votre gouvernement s'efforçait d'obtenir que toutes les forces politiques soient représentées, non seulement au parlement mais au gouvernement de Côte d'Ivoire, y compris celles qui se sont opposées par les armes au gouvernement légal de ce pays, votre présidence opposait un déni absolu aux représentants qualifiés de millions de vos compatriotes.
Elle sera plus sévère à cet égard que vous ne le pensez.
Cela n'empêchera évidemment pas le Front National de défendre l'identité des patries et les souverainetés nationales contre les dérives de Bruxelles. Au contraire. L'exclusion dont il est l'objet manifeste bien qu'il n'a aucune connivence avec un système discrédité. Si votre attitude me navre, ce n'est donc pas parce qu'elle nuit à mon mouvement, c'est parce qu'elle porte atteinte à l'unité des Français et à votre haute fonction.
Je vous prie, Monsieur le Président de la République, d'agréer les sentiments de haute considération que je conserve pour celle-ci.
(source http://www.frontnational.com, le 6 novembre 2003)