Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, au "Parisien" le 22 septembre 2004, sur la situation de l'emploi et l'action gouvernementale en ce domaine.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - La France a recommencé timidement à créer des emplois au deuxième trimestre 2004 (+ 0,1 %). Pour vous, est-ce un vrai retournement de tendance ou un simple feu de paille ?
R - Après quatre ans de hausse presque continue du chômage, on assiste aujourd'hui à un véritable renversement de tendance. La croissance est en réalité revenue depuis neuf mois et on assiste à de nouvelles créations d'emplois dans le secteur marchand.
Q - Alors pourquoi le chômage n'a-t-il pas baissé depuis neuf mois, contrairement à ce qu'annonçait votre prédécesseur ?
R - Malgré la décélération de la croissance entre 2000 et 2003 - elle est passée de 3 % à quasiment 0 % - de nombreuses entreprises françaises ont préféré garder leur personnel afin de ne pas refaire l'erreur des licenciements massifs d'il y a quinze ans. Autrement dit, malgré la crise, elles ont préféré maintenir leurs effectifs de manière à conserver intactes leurs ressources humaines ; c'est pour cela qu'elles n'ont pas embauché sitôt le retour de la croissance et, au passage, qu'elles n'ont pas pleinement profité des assouplissements existants sur les 35 heures.
Q - Et aujourd'hui ?
R - La question est de savoir si les besoins industriels et de services à l'industrie ont une perspective de croissance telle que les entreprises lancent de vrais plans d'anticipation, de formation et de recrutement. Je suis persuadé que oui.
Q - Pourquoi ?
R - Les plans dits de sauvegarde économique ont baissé de 30 % et les plans d'annonce de recrutement sur les métiers où l'on est stratégiquement fort se développent vigoureusement. L'inversion de tendance est nette.
Q - Quels sont les secteurs porteurs en termes d'emploi ?
R - L'automobile notamment où, outre des embauches massives, l'apprentissage redémarre nettement. C'est un signe qui ne trompe pas : chez Peugeot, par exemple, l'effet est énorme. De même, des secteurs comme l'énergie, le traitement des déchets, l'aéronautique, la biotechnologie... recrutent fortement.
Q - Peut-être, mais pendant ce temps, les délocalisations se poursuivent !
R - C'est vrai, des mutations et des restructurations se poursuivent par ailleurs. Cela a même tendance à occulter certains aspects du redressement et inquiète une opinion qui a du mal à percevoir les véritables performances de notre pays. Le gouvernement va encore accentuer son effort sur les secteurs fragilisés. Le plan de cohésion sociale et le projet de loi de finances 2005 permettront de lutter plus efficacement contre les délocalisations et de favoriser les relocalisations.
Q - Dans quels secteurs ?
R - Je pense notamment aux secteurs à haute valeur ajoutée.
Q - Bref, vous êtes prêt à parier que le chômage va baisser significativement dans les mois qui viennent ?
R - Oui. Il est clair que la baisse du chômage est une tendance lourde et réelle. Il va vraiment reculer.
Q - De quel chômage parlez-vous ? Des statistiques de l'ANPE ou du chômage réel ?
R - En matière de chômage, il y a trois taux à prendre en compte. 1. Le taux de chômage de niveau 1 qui est la statistique de référence. 2. Le nombre d'érémistes : ils sont aujourd'hui 1,2 millions et une partie d'entre eux ne sont pas comptabilisés comme chômeurs. 3. Le taux d'emploi des jeunes, qui est de 26 %, un des plus bas d'Europe. Grâce au plan de cohésion sociale, au développement des emplois de service et au retour d'une croissance durable, j'attends des résultats très significatifs sur ces trois indices.
Q - Quel est votre objectif sur les emplois de service aux personnes ?
R - C'est le secteur où les gains d'emplois sont potentiellement les plus importants. Si nous étions au même niveau que nos principaux concurrents, notre chômage serait inférieur de moitié. Ce sera notre grand combat dans les trois à cinq ans qui viennent. Car ces emplois-là ne sont pas délocalisables.
Q - Comment comptez-vous développer concrètement les emplois de service ?
R - Nous avons engagé des consultations avec l'ensemble des prestataires concernés : PME, sociétés de service, associations... L'idée qui anime notre démarche est de revaloriser culturellement les emplois de service grâce notamment à une politique fiscale et sociale plus adaptée. L'une des pistes de travail est de revoir le niveau des charges pour ce type d'emplois.
Q - A combien chiffrez-vous les emplois qui ne trouvent pas durablement preneur ?
R - Dans les grandes branches d'activité, il y a environ trois cent mille emplois identifiés qui ne sont pas pourvus durablement. Mais on estime qu'il y en a probablement deux cent mille autres qui sont vacants, notamment dans les PME. La mise en place des maisons de l'emploi programmée par la loi de cohésion sociale devrait nous permettre de traiter efficacement ce problème très important.
Q - Disposerez-vous des moyens budgétaires nécessaires pour baisser les charges des emplois de service ?
R - J'ai obtenu une hausse très sensible des moyens pour la rénovation urbaine et 13 milliards d'euros pour le plan de cohésion sociale. Il s'agit d'investissements humains et matériels qui préparent l'avenir et, de fait, développent l'activité. Or, en développant l'activité, on lutte contre le chômage et on favorise la réduction des déficits.

(source http://www.u-m-p.org, le 24 septembre 2004)