Texte intégral
Q - L'invasion de l'Irak a-t-elle modifié le sens du concept de puissance ?
R - Nous ne pensons pas que la puissance militaire seule, apporte davantage de sécurité. En témoigne la situation au Moyen-Orient. C'est d'une stratégie politique globale définie par la communauté internationale dont on a besoin. Il y a aujourd'hui une opportunité unique car de plus en plus de pays dans le monde sont démocratiques ou aspirent à la démocratie.
Q - L'Irak a-t-il changé les rapports de pouvoir en Europe même ?
R - Les Européens ont pris conscience de l'impérieuse nécessité de l'unité européenne et d'une position forte sur la scène internationale. De là est venue une nouvelle impulsion pour aller de l'avant vers une défense européenne unifiée. Il y a une prise de conscience croissante quant à la nécessité pour l'Europe d'assumer la responsabilité de sa propre sécurité. Les récentes interventions en Macédoine et en Afrique centrale ont montré la détermination de l'Europe. L'histoire de l'Europe faite de violence, de guerres et de tragédies, nous a mis en mesure de tirer des leçons pour le présent. Le pouvoir ne peut être fort que quand il est légitime et lorsqu'il sert le peuple ou des causes supérieures. Le risque aujourd'hui - qui fait peur à nos amis américains - est qu'un pays qui compte uniquement sur sa propre puissance rassemble contre lui toutes les forces d'opposition, de frustration et de ressentiment. La France est un ami et un allié des Etats-Unis. Et dans ces moments difficiles, en raison de nos liens, la France dit aux Américains ce qu'elle estime être juste et bon.
Q - Le pouvoir est-il en train de changer d'une façon qui n'a pas été encore comprise ?
R - Nous, Français, nous sommes très conscients du traumatisme causé aux Etats-Unis par le 11 septembre. Les Etats-Unis ont alors pris conscience que la puissance s'accompagne de vulnérabilité. Nous pensons que, face à cette vulnérabilité, l'usage traditionnel de la force ne marche pas. La nature du pouvoir est en train de changer. Elle doit être cohérente avec les aspirations des peuples. Au début de cette année, les peuples ont manifesté autour des thèmes de la guerre et de la paix, de la justice et du développement inégal. Nous devons tenir compte de cette préoccupation.
Q - Quand vous parlez d'un "monde multipolaire", à quels pôles pensez-vous ?
R - Sur ce concept, il y a des malentendus chez certains membres de l'administration américaine. Ils ont à l'esprit l'Europe de la fin du 19ème siècle et le Concert des Nations dans lequel la rivalité était permanente. Mais pour nous, la multipolarité n'a rien à voir avec l'idée de s'opposer à la puissance américaine. La multipolarité est déjà une réalité qu'il s'agisse de l'Europe ou de la Chine, du Mercosur en Amérique du Sud ou encore de l'Afrique.
Si nous développons tranquillement des liens entre ces différentes régions, nous aurons la prospérité, la sécurité et la stabilité. Il ne s'agit pas de rivalité ni de concurrence. Il s'agit de complémentarité entre ces pôles. Il est plus facile de coordonner cinq, six ou sept pôles que de coordonner deux cents pays. Si le Moyen-Orient pouvait s'organiser, les fondements du développement et de la paix seraient alors établis. C'est la meilleure réponse que nous puissions apporter au fondamentalisme religieux. Dans le même esprit, l'Europe est un pôle de stabilité car nous sommes engagés dans la construction de l'Union européenne qui comprendra bientôt 25 puis 30 pays. Ce n'est pas en permettant à la loi de la jungle de se répandre sur la planète que nous construirons un nouvel ordre mondial. J'ai souvent dit aux néo-conservateurs américains qu'il ne fallait pas se comporter comme si les Américains venaient de Mars et les Européens de Vénus. Nous avons tous une contribution à apporter à la paix et à la stabilité dans le monde.
Q - L'administration Bush dit qu'il est vain que les pays qui adhèrent sincèrement aux valeurs occidentales contestent l'exercice du pouvoir américain. Est-ce juste ?
R - La France a vécu la décolonisation de l'Afrique sub-saharienne et du Maghreb. Nous avons expérimenté des situations dans lesquelles la sensibilité et l'identité des peuples étaient en jeu, et nous en avons tiré nos propres leçons, parfois dans des circonstances très douloureuses. Forte de cette expérience, la France veut travailler avec les Etats-Unis et les aider car nous partageons des valeurs communes et un destin commun.
Q - Quelles leçons offre la situation actuelle en Irak en ce qui concerne l'exercice du pouvoir ?
R - La grande leçon de l'Irak est que la communauté internationale devrait rester unie. En outre, si on veut être efficace, on a besoin d'être légitime. Ensuite, le pire serait que cette crise conduise les Etats Unis à une nouvelle période d'isolationnisme. Les Etats-Unis doivent assumer leurs responsabilités dans le monde et ils doivent le faire en tant que membre d'une équipe. C'est la meilleure façon de favoriser l'unité de la communauté internationale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 décembre 2003)
R - Nous ne pensons pas que la puissance militaire seule, apporte davantage de sécurité. En témoigne la situation au Moyen-Orient. C'est d'une stratégie politique globale définie par la communauté internationale dont on a besoin. Il y a aujourd'hui une opportunité unique car de plus en plus de pays dans le monde sont démocratiques ou aspirent à la démocratie.
Q - L'Irak a-t-il changé les rapports de pouvoir en Europe même ?
R - Les Européens ont pris conscience de l'impérieuse nécessité de l'unité européenne et d'une position forte sur la scène internationale. De là est venue une nouvelle impulsion pour aller de l'avant vers une défense européenne unifiée. Il y a une prise de conscience croissante quant à la nécessité pour l'Europe d'assumer la responsabilité de sa propre sécurité. Les récentes interventions en Macédoine et en Afrique centrale ont montré la détermination de l'Europe. L'histoire de l'Europe faite de violence, de guerres et de tragédies, nous a mis en mesure de tirer des leçons pour le présent. Le pouvoir ne peut être fort que quand il est légitime et lorsqu'il sert le peuple ou des causes supérieures. Le risque aujourd'hui - qui fait peur à nos amis américains - est qu'un pays qui compte uniquement sur sa propre puissance rassemble contre lui toutes les forces d'opposition, de frustration et de ressentiment. La France est un ami et un allié des Etats-Unis. Et dans ces moments difficiles, en raison de nos liens, la France dit aux Américains ce qu'elle estime être juste et bon.
Q - Le pouvoir est-il en train de changer d'une façon qui n'a pas été encore comprise ?
R - Nous, Français, nous sommes très conscients du traumatisme causé aux Etats-Unis par le 11 septembre. Les Etats-Unis ont alors pris conscience que la puissance s'accompagne de vulnérabilité. Nous pensons que, face à cette vulnérabilité, l'usage traditionnel de la force ne marche pas. La nature du pouvoir est en train de changer. Elle doit être cohérente avec les aspirations des peuples. Au début de cette année, les peuples ont manifesté autour des thèmes de la guerre et de la paix, de la justice et du développement inégal. Nous devons tenir compte de cette préoccupation.
Q - Quand vous parlez d'un "monde multipolaire", à quels pôles pensez-vous ?
R - Sur ce concept, il y a des malentendus chez certains membres de l'administration américaine. Ils ont à l'esprit l'Europe de la fin du 19ème siècle et le Concert des Nations dans lequel la rivalité était permanente. Mais pour nous, la multipolarité n'a rien à voir avec l'idée de s'opposer à la puissance américaine. La multipolarité est déjà une réalité qu'il s'agisse de l'Europe ou de la Chine, du Mercosur en Amérique du Sud ou encore de l'Afrique.
Si nous développons tranquillement des liens entre ces différentes régions, nous aurons la prospérité, la sécurité et la stabilité. Il ne s'agit pas de rivalité ni de concurrence. Il s'agit de complémentarité entre ces pôles. Il est plus facile de coordonner cinq, six ou sept pôles que de coordonner deux cents pays. Si le Moyen-Orient pouvait s'organiser, les fondements du développement et de la paix seraient alors établis. C'est la meilleure réponse que nous puissions apporter au fondamentalisme religieux. Dans le même esprit, l'Europe est un pôle de stabilité car nous sommes engagés dans la construction de l'Union européenne qui comprendra bientôt 25 puis 30 pays. Ce n'est pas en permettant à la loi de la jungle de se répandre sur la planète que nous construirons un nouvel ordre mondial. J'ai souvent dit aux néo-conservateurs américains qu'il ne fallait pas se comporter comme si les Américains venaient de Mars et les Européens de Vénus. Nous avons tous une contribution à apporter à la paix et à la stabilité dans le monde.
Q - L'administration Bush dit qu'il est vain que les pays qui adhèrent sincèrement aux valeurs occidentales contestent l'exercice du pouvoir américain. Est-ce juste ?
R - La France a vécu la décolonisation de l'Afrique sub-saharienne et du Maghreb. Nous avons expérimenté des situations dans lesquelles la sensibilité et l'identité des peuples étaient en jeu, et nous en avons tiré nos propres leçons, parfois dans des circonstances très douloureuses. Forte de cette expérience, la France veut travailler avec les Etats-Unis et les aider car nous partageons des valeurs communes et un destin commun.
Q - Quelles leçons offre la situation actuelle en Irak en ce qui concerne l'exercice du pouvoir ?
R - La grande leçon de l'Irak est que la communauté internationale devrait rester unie. En outre, si on veut être efficace, on a besoin d'être légitime. Ensuite, le pire serait que cette crise conduise les Etats Unis à une nouvelle période d'isolationnisme. Les Etats-Unis doivent assumer leurs responsabilités dans le monde et ils doivent le faire en tant que membre d'une équipe. C'est la meilleure façon de favoriser l'unité de la communauté internationale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 décembre 2003)