Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur France 2 le 12 novembre 2004, sur la situation en Côte d'Ivoire, les prévisions de croissance pour 2005, la réforme de l'école et les débats autour du référendum sur la Constitution européenne.

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Texte intégral

GILLES LECLERC - Monsieur le Premier ministre, bonsoir, merci d'avoir répondu à notre invitation. L'actualité est très chargée, je dirais même lourde, en particulier l'actualité internationale, mais cette actualité, évidemment, intéresse de très près nos concitoyens, je pense avant tout à ce qui se passe en ce moment en Côte d'Ivoire. Plusieurs avions français ont commencé à rapatrier des ressortissants français dès ce soir, dès cette nuit. A peu près 800 d'entre eux vont rentrer à Paris. Comment peut-on qualifier cette évacuation, évacuation rapatriement ? Il semble que sur le plan en tout cas du vocabulaire vous refusiez encore à qualifier ce qu'on appelle une évacuation.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - C'est un rapatriement volontaire. Nous avons organisé, sur l'aéroport d'Abidjan la sécurité pour permettre l'évacuation d'abord des blessés, ensuite des plus fragiles et ensuite des volontaires. Et nous avons pris nos dispositions pour que quatre avions aujourd'hui puissent au total, permettre à 1.300 personnes de pouvoir rentrer, et nous avons surtout mis en place un dispositif très important à Paris pour les accueillir, un dispositif social, un dispositif sanitaire, un dispositif juridique avec l'ensemble des fonctionnaires de l'Etat qui sont à leur disposition et aussi les bénévoles des organisations caritatives.
GILLES LECLERC - Il y a 14.000 Français en Côte d'Ivoire aujourd'hui, surtout d'ailleurs à Abidjan. Si tous, demain ou dans les jours qui viennent, souhaitaient rentrer, est-ce qu'on est capable de le faire, matériellement d'abord, et si oui suivant quel calendrier ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Mais bien sûr que si nous étions dans cette situation, nous pourrions faire face. Mais nous ne sommes pas dans cette situation et j'ai entendu tout à l'heure, le président GBAGBO prendre un engagement sur votre antenne, en disant, selon son expression, qu'il souhaitait vider la rue, qu'il mène donc un certain nombre d'initiatives pour qu'un certain nombre de manifestants rentrent chez eux et que la paix puisse à nouveau être dans les rues d'Abidjan, la meilleure garantie pour la sécurité de tous.
GILLES LECLERC - Vous croyez toujours le président GBAGBO quand il s'exprime ? Quand on lui pose la question : avez-vous une responsabilité sur le déclenchement des opérations, sur le cantonnement français, il dit...
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Nous l'appelons à ce qu'il tienne ses engagements. Et tout à l'heure il a dit quelque chose avec laquelle je ne peux point être d'accord. Quand il dit qu'il aurait fallu, après l'attaque contre les soldats français, engager une enquête, il faut qu'il sache : on ne tue pas les soldats français sans que la riposte soit immédiate...
GILLES LECLERC - Vous voulez dire par là, pardon vous interrompre, que la riposte a été adaptée alors que vous n'avez pas de preuves même s'il y a des présomptions.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - On ne tue pas des soldats français impunément, c'est clair, c'est net, c'est l'engagement qu'est le nôtre. Les soldats français qui sont morts, j'étais tout à l'heure à la cérémonie des Invalides, c'était particulièrement douloureux. Je pense aux familles, je pense aux jeunes enfants de ces militaires. Ces militaires sont morts, ils sont morts pour la France mais ils sont morts pour la Paix. Leur mission là-bas, c'est d'éviter la guerre civile. Ils sont sur le territoire pour protéger les rebelles du nord avec ceux qui, au sud, sont aujourd'hui, en situation d'agitation. Ils sont là pour la paix civile. Ils sont morts pour la paix ces soldats. Et que l'on sache qu'on ne peut pas, dans le monde, aujourd'hui, tuer des soldats français impunément.
GILLES LECLERC - Est-ce que Laurent GBAGBO, pour vous, encore ce soir, est un partenaire, et j'ajouterais un partenaire fiable ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Nous ne mettons pas en cause son pouvoir, notre objectif, en Côte d'Ivoire, n'est pas de déposer monsieur GBAGBO, notre objectif n'est pas d'avoir une action contre monsieur GBAGBO, notre objectif est, au nom de l'ONU, au nom des organisations internationales, avec le soutien de tous les chefs d'Etat qu'a pu recevoir le président Jacques CHIRAC, au nom de toutes ces forces internationales, nous défendons la paix civile, et nous luttons contre la guerre civile.
GILLES LECLERC - Autre dossier grave : les derniers jours de Yasser ARAFAT. Pour l'instant, officiellement le leader de l'OLP n'est pas décédé. Il semble qu'on ait assisté ces derniers jours, et encore aujourd'hui, à une gigantesque bataille, je dirais, de communications entre plusieurs intérêts divergents, les intérêts de la famille, de l'épouse de Yasser ARAFAT, des intérêts politiques de son entourage. Quel rôle a joué la France ? Certainement un rôle humanitaire, certes. Est-ce que la France a joué et joue encore un rôle politique ? Est-ce qu'elle a joué un rôle d'intermédiaire entre ces différents intérêts ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - La France a joué son rôle. Son rôle diplomatique, son rôle humanitaire mais la France n'entre pas dans ces jeux d'intérêts dont vous parlez. Moi, je vais vous dire, je souhaite qu'on respecte les dernières heures d'un homme qui s'avance vers la mort. Et je souhaite que ces circonstances servent davantage les artisans de la paix plutôt que les militants de la guerre. Que les artisans de la paix profitent de ces quelques heurs pour essayer de construire ce que le monde attend aujourd'hui, la paix au Proche-Orient.
GILLES LECLERC - On n'a jamais été complice malgré nous, d'un certain silence parce qu'il y avait des intérêts contradictoires et c'était compliqué pour la France ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Respectons un homme qui est en train de mourir et faisons en sorte que ces événements servent la paix.
GILLES LECLERC - Et est-ce que la France a joué un rôle, dernière question sur ce sujet, entre Israël et les Palestiniens, par exemple sur le lieu d'inhumation de la dépouille de Yasser ARAFAT ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - La France joue toujours un rôle pour la paix, nous sommes engagés avec nos partenaires européens pour la paix au Proche-Orient, ça nous paraît être une priorité pour l'équilibre du monde.
GILLES LECLERC - Evidemment, Monsieur le Premier ministre, une question encore sur nos confrères, toujours retenus en otages, Georges MALBRUNOT et Christian CHESNOT, ils en sont à leur quatre-vingt-troisième jour de captivité, quatre-vingt-trois jours, vous faites des réunions hebdomadaires, est-ce que ce soir vous pouvez nous donner encore une fois des nouvelles, je dirais, rassurantes ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Ecoutez, je suis forcément extrêmement prudent car nous avons des informations qui pourraient être considérées comme rassurantes sur leur état de santé. Mais par ailleurs, nous avons des informations sur la situation de guerre aujourd'hui en Irak, notamment dans ce triangle sunnite où nous pensons que se situent aujourd'hui les otages. Donc à chaque fois que je vois un tir, à chaque fois que je vois une bombe exploser dans ce quartier, je suis inquiet pour la santé, pour la vie de nos otages.
GILLES LECLERC - On a toujours un lien indirect avec eux ? Ils sont vivants ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Nous avons toujours des contacts, nous suivons au jour le jour très précisément leur situation, mais il va de soi que le chaos est tel aujourd'hui que je ne peux pas vous cacher mon inquiétude.
GILLES LECLERC - On passe à une autre actualité, moins lourde, moins grave Monsieur le Premier ministre mais elle intéresse évidemment bien sûr tous les Français, ces Français qui sont assez moroses on va dire, on va parler par exemple du chômage : il frôle toujours les 10 % de la population active. On parle et on annonce aux Français que la reprise est là, que la croissance va arriver et ils ne voient pas je dirais tout simplement la traduction quotidiennement sur le chômage en particulier. Qu'est-ce qu'on peut imaginer dans les semaines et les mois qui viennent ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Le chômage est très lié à la croissance. Quand je suis arrivé, la courbe de l'emploi s'effondrait. Nous avions une chute, une rupture de croissance, la croissance était de 4 %, elle a été divisée par deux en 2000 par rapport à 2001, par deux en 2002 par rapport à 2001, c'est-à-dire qu'on a eu une rupture brutale ? Et depuis, nous avons stabilisé le chômage et nous allons remonter.
GILLES LECLERC - A partir de quand ça va remonter ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je prends l'engagement devant vous aujourd'hui, et je prends cet engagement devant les Français : l'année 2005 sera l'année où le chômage baissera de manière significative et de manière durable pourquoi...
GILLES LECLERC De combien ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je pense, très sincèrement et très sérieusement, que les actions que nous avons mises en place, notamment je pense aux cinq programmes dont je peux vous dire quelques mots, que nous pouvons baisser le chômage, le nombre de chômeurs en France de 10 %. Je pense que nous sommes capables aujourd'hui de descendre sous la barre des 9 %, pourquoi et en faisant quoi ? D'abord...
GILLES LECLERC - Pardon de vous interrompre, est-ce qu'on peut donner un calendrier ? On passe sous les 9 % quand ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Au cours de l'année 2005. Aujourd'hui, nous sommes en stabilisation, la croissance est là, la croissance...
GILLES LECLERC - Toujours 2,5 pour 2005 ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Absolument. Je l'avais dit, la croissance est là et la croissance est là, en France, de manière supérieure à ce qu'elle est dans les autres pays de la zone euro, la France fait mieux, moi je prends assez de critiques...
GILLES LECLERC - Monsieur RAFFARIN, il y a deux paramètres que vous...
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Monsieur LECLERC, je vous arrête une seconde.
GILLES LECLERC - Je vous en prie.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je prends assez de critiques sur un certain nombre de difficultés, quand il y a des points de satisfaction, permettez-moi de les souligner avec bonne humeur quand même. Eh bien la France est en tête de l'Union européenne dans la zone euro pour la croissance, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous avons stabilisé le chômage et que, grâce à la création d'entreprise nous créons plus de 200.000 entreprises par an. Grâce au plan de Jean-Louis BORLOO sur la cohésion sociale, grâce au contrat d'avenir, grâce au contrat jeune sans charge, grâce à la relance de l'apprentissage, grâce, notamment, aux parcours personnalisés, il y a actuellement 300.000 offres d'emploi qui ne sont pas satisfaites. 300.000 offres d'emploi qui sont proposées par des entreprises et il n'y a personne pour occuper ces emplois. Nous allons mettre avec les Maisons de l'emploi, avec le dispositif qui est en train d'être discuté au Parlement un accompagnement personnalisé pour au moins atteindre 100.000 créations d'emploi pour des demandeurs d'emploi. Si j'ajoute à cela ce que nous faisons pour aider les RMI à s'insérer, l'ensemble du dispositif qui est aujourd'hui le nôtre, dans une période de croissance, doit nous permettre de créer les conditions d'une baisse de 10 % du nombre des chômeurs avant, je réponds à votre question, avant la fin de l'année 2005, c'est-à-dire dans un an.
GILLES LECLERC - Donc c'est un engagement personnel que vous prenez ce soir ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - C'est un engagement que je prends devant les Français, je m'engage au cours de l'année 2005, non pas sur des objectifs, mais sur des résultats. Je m'engage sur la baisse du chômage, je m'engage sur la réforme de l'école et je m'engage sur le pouvoir d'achat.
GILLES LECLERC - On va y venir dans un instant. Il y a tout de même deux paramètres que vous ne maîtrisez pas : la hausse du pétrole et la hausse de l'euro, ce soir, l'euro égale 1,3 dollar, ça c'est des données économiques qui, j'allais pas dire qui plombent la croissance mais enfin qui posent des problèmes.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Vous savez bien que, c'est vrai que ce sont deux sujets difficiles, mais ils ont aussi des effets contradictoires puisque vous savez qu'on paie le pétrole en dollars, donc quand le dollar baisse, le pétrole est moins cher. Mais la crise du dollar, l'effondrement du dollar est un vrai problème et je souhaite vraiment que la communauté internationale puisse tirer toutes les conséquences de la situation car le dollar est trop bas, cela ne correspond pas aujourd'hui à l'état des différentes économies. Mais je peux vous dire que nous sortons de deux ans et demi, nous sommes actuellement exactement à la mi-législatives, au mi-quinquennat. Nous avons connu une période où la croissance était né-ga-ti-ve, où nous étions en dessous de zéro en matière de croissance, c'est-à-dire qu'on perdait des emplois...
GILLES LECLERC- Ça va mieux, c'est ce que vous nous dites ce soir, ça va aller mieux ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - D'ores et déjà ça va mieux, on a créé vingt mille emplois dans le dernier trimestre, d'ores et déjà ça va mieux. Alors il y aura naturellement du temps nécessaire pour que globalement, dans tout le pays, on puisse ressentir, dans la vie quotidienne des Françaises et des Français, ces résultats. Il va falloir du temps, je sais bien que tout ça n'est pas un coup de baguette magique, je fais assez de terrain pour le savoir, mais je sais aussi que quand vous n'avez pas de croissance, vous n'avez pas d'emploi. Aujourd'hui on a la croissance et on aura les emplois.
GILLES LECLERC - Un mot, Monsieur le Premier ministre sur le pouvoir d'achat. Question précise, réponse brève et précise également : le gaz, finalement, c'est 3,8 % d'augmentation en 2005 ou pas ? J'ai vu, cet après-midi que la commission de régulation, qui doit donner un avis important, veut plus, alors la décision c'est quoi ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - La décision, je prendrai la proposition du ministre de l'Economie. J'ai dit clairement les choses.
GILLES LECLERC - Donc c'est à 3,8 ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - 3,8. L'électricité, c'est nous qui la produisons, c'est donc nous, Français, qui pouvons fixer le prix. Je n'ai pas voulu augmenter, je n'ai pas voulu augmenter ?
GILLES LECLERC - Il y a une situation de concurrence, le marché s'ouvre.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je n'ai pas voulu augmenter, pourquoi ? Parce qu'on n'augmente pas l'électricité en période de froid, pendant la période d'hiver. Le gaz, c'est différent. Le gaz, on importe cette matière et le prix du gaz, naturellement, il dépend du pétrole. Donc j'ai demandé le calcul économique au ministre des Finances, le ministres des Finances, Nicolas SARKOZY m'a dit : augmentation de +3,8 %, j'accepte donc cette analyse économique du ministre des Finances.
GILLES LECLERC - En direction des fonctionnaires, il y a en ce moment des discussions entre les syndicats de la fonction publique et leur ministre Renaud DUTREIL. Ils attendent manifestement un geste de la part du Gouvernement, est-ce que vous allez faire ce geste pour 2005 ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Nous organisons la discussion. La discussion est ouverte, elle porte sur les salaires mais elle porte aussi sur un grand nombre d'autres sujets, sur le mérite, sur les carrières, sur l'organisation, nous avons besoin d'une fonction publique qui a confiance en elle. Trop souvent on critique les fonctionnaires. On a besoin du service public dans notre public, ils doivent avoir leur place dans la société, la négociation est ouverte, Renaud DUTREIL la mène, nous verrons comment nous pourrons la conclure...
GILLES LECLERC - Une augmentation, un geste du Gouvernement n'est pas exclu ? Est-ce que vous le dites ce soir ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Vous savez, ce n'est pas quand on commence une négociation qu'on finit par la boucler en donnant dès le début la solution. Alors, que la solution soit issue des négociations et non pas un préalable aux négociations.
GILLES LECLERC - En dehors de l'emploi, vous nous dites ce soir ça va aller mieux, il n'y a pas un petit cadeau de Noël quand même pour les Français ce soir ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Parce que Noël c'est bientôt ? Si vous faites allusion à la prime de Noël...
GILLES LECLERC - J'y pensais.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je peux vous dire que j'ai décidé de reconduire la prime de Noël pour 1,5 millions de personnes qui vont pouvoir ainsi bénéficier de la solidarité nationale. Je crois que mon gouvernement a fait beaucoup pour les personnes les plus fragiles. Nous avons augmenté le SMIC, de l'équivalent d'un treizième mois c'est très important pour un million de personnes qui sont au SMIC horaire. Nous avons augmenté la prime pour l'emploi. Et là, nous permettons, grâce à la prime de Noël que nous allons mettre au niveau où elle était l'année dernière, c'est-à-dire à un niveau relativement important. Par exemple un ménage avec un enfant, si on compte cela en francs, cela fait de l'ordre de 2.000 francs.
GILLES LECLERC - Alors, à propos de ménage, ça intéresse évidemment les parents d'élèves, à propos de l'école, vous avez déclaré hier soir devant les étudiants d'HEC que la fin du lundi de Pentecôte chômé, vous l'avez donc annoncé officiellement, donc là c'est sûr, c'est une décision que vous avez prise, on va pas y revenir sauf exception quand même ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - C'est clair. Moi je ne fais pas la samba, j'écoute. Je ne recule pas, j'écoute. Je fais attention à ce que les uns et les autres disent. J'avance au rythme des autres. J'ai écouté les uns, les autres, et je décide. Et quand j'ai décidé, ça s'applique. C'est ce que nous avons fait pour le jour férié. N'oublions pas que le jour férié, c'est d'abord se souvenir de la canicule, se souvenir des moyens dont nous avons besoin, c'est la solidarité nationale pour les personnes âgées, pour les personnes handicapées...
GILLES LECLERC - Mais quand vous dites il pourrait y avoir des exceptions, ça concerne les collectivités locales, pardon...
JEAN-PIERRE RAFFARIN - C'est donc pour les personnes dépendantes. N'oublions pas pour quoi c'est fait, c'est pour dégager deux milliards d'euros par an. Cet effort on le fait par la fraternité nationale et c'est très important qu'on se mobilise tous pour ces moyens. Et donc, on va tous travailler une journée pour permettre de dégager ces deux milliards par an pour les personnes dépendantes. Et donc, il peut y avoir des exceptions, ces exceptions, elles existent déjà, c'est un décret de 1990 qui permet aux recteurs de tenir compte des traditions culturelles, sociales d'un territoire.
GILLES LECLERC - Vous savez que le lundi de Pentecôte, il y en a partout des fêtes en France. Toutes les collectivités locales, et je dirais, vous connaissez bien le terrain, ont des fêtes partout ce jour-là. Donc il y aura des exceptions partout...
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Il n'y aura pas d'exceptions partout. Il y a une règle générale, il y a ici ou là, des exceptions qui pourront tenir compte, comme c'était le cas déjà depuis 1990 où le recteur avait la possibilité de dégager quelques exceptions. Je ne souhaite pas qu'on multiplie les exceptions parce que je souhaite que ce jour-là s'exprime la solidarité nationale. Vous savez, la solidarité, tout le monde en parle, tout le monde dit ah il faut de la solidarité. Mais il y a un moment où il faut s'engager personnellement, donner un peu de son cur, donner un peu de son temps, donner un peu de soi-même, c'est la fraternité, c'est un peu au-dessus de la solidarité et la société française, elle en a besoin.
GILLES LECLERC - A propos toujours de l'école, il y a un grand chantier qui est devant vous et vous allez prendre des décisions, c'est la réforme de l'école. Vous avez dit les réformes difficiles, elles étaient plutôt derrière vous et que ça c'est donc une réforme, je dirais qui peut apporter quoi, du bonheur, or François FILLON votre ministre en charge dit que de toute façon ce ne sera pas la révolution. Vous allez annoncer quoi ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Il ne s'agit pas de révolution.
GILLES LECLERC - Non mais c'est quoi le changement ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Il s'agit d'une grande réforme. Nous faisons une grande réforme par an. Nous avons fait la réforme de la décentralisation, la réforme des retraites, la réforme de l'assurance maladie. Cette année, nous sommes engagés sur la réforme de l'éducation pourquoi ? Parce qu'il faut répondre au besoin de lutter contre l'échec scolaire. Nous avons un système éducatif qui a beaucoup de générosité, qui a beaucoup de talent, qui travaille, je crois, globalement, très efficacement, avec une communauté éducative mobilisée. Mais malgré tous ces efforts, il y a près de 80.000 jeunes qui sortent du système éducatif sans qualification.
GILLES LECLERC - Concrètement vous allez annoncer quoi demain ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Concrètement, oui mais tout est concret, mais vous savez, quand il s'agit d'éducation, il faut aussi prendre le temps de parler des choses avec précision. Il faut lutter contre l'échec scolaire et donc ne pas permettre à ce qu'un jeune sorte du système éducatif sans qualification. Premièrement, un certificat des savoirs fondamentaux, je veux que chaque jeune, qui sort du système éducatif puisse obtenir son certificat des savoirs fondamentaux c'est-à-dire lire, écrire, compter, s'exprimer dans une langue étrangère, pouvoir se servir de l'informatique, Voilà un premier certificat, c'est le socle dont monsieur THELOT a parlé dans son rapport. Je souhaite aussi que l'on puisse développer un parcours personnalisé, parce que ce socle, ces savoirs fondamentaux, il y a des gens qui ont des facilités, il y a des gens qui ont des difficultés, il faut un parcours personnalisé. Ceux qui ont des facilités, il faut leur permettre d'acquérir d'autres savoirs. Ceux qui ont des difficultés, il faut les accompagner pour leur permettre d'atteindre ce socle républicain, ce socle que tout Français doit pouvoir posséder parce que le savoir c'est une condition de la liberté. Donc, le socle, le parcours personnalisé, ensuite l'évaluation. Je souhaite qu'on puisse mieux évaluer pour mieux progresser. Et puis aussi l'orientation. Il y a quelque chose qui me choque beaucoup, c'est qu'un jeune qui sort de l'école à 16 ans sans qualification, on attend 17, 18 ans, 20 ans pour savoir qu'il a du talent manuel, qu'il a du talent musical, qu'il a du talent sportif. Chaque jeune a du talent. Il n'y a pas de jeune sans talent. Il faut que dans l'école, on aille chercher, quand on voit un jeune en difficulté, où est son talent. Je veux qu'on puisse reconnaître les talents des uns et des autres. C'est cette quatrième réforme, grâce à l'orientation, la reconnaissance des talents. Voilà une grande réforme ambitieuse qui va placer la France parmi les pays qui se mobilisent pour la société de la connaissance.
GILLES LECLERC - Il nous reste deux minutes, on va finir avec la politique, ça compte aussi. Vous parliez de talent, on peut dire qu'il y a un talent qui va quitter le Gouvernement dans quelques jours, c'est Nicolas SARKOZY qui va quitter Bercy. Vous allez le regretter en tant que ministre ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Bien sûr il a du talent.
GILLES LECLERC - Il aura été un bon ministre des Finances ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Il aura été un bon ministre, à l'Intérieur et aux Finances. Mais dans mon équipe j'ai beaucoup de talents, c'est pour ça que c'est pas toujours facile parce que j'ai des pur-sang, donc, il faut les écouter, ils se managent avec subtilité, mais Nicolas SARKOZY a apporté beaucoup je crois, oui.
GILLES LECLERC - Comment ça va fonctionner par la suite, avec un futur président de l'UMP qui sera puissant, a priori Nicolas SARKORZY, vous même le Premier ministre, Jacques CHIRAC, à trois ça fonctionne comment dans un quinquennat qui est un peu, qui est une nouveauté ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - En fait c'est quatre : le président de la République en haut, le Premier ministre, chef de la majorité, le groupe parlementaire qui est la majorité et le parti. Donc nous faisons un carré, je souhaite que ce soit un carré magique, un carré où l'on s'entend. Je crois qu'on va s'entendre parce qu'il faut l'union. Moi je suis un homme d'union, je fais en sorte que les gens puissent se parler les uns les autres. De temps en temps je dis il faudrait plus d'autorité, moi je ne suis pas pour l'autoritarisme, je suis pour la fermeté.
GILLES LECLERC - Vous savez qu'on vous reproche de ne pas en avoir assez d'autorité, y compris les ministres, y compris dans votre majorité, le président de l'Assemblée nationale...
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Les ministres, je vais vous dire...
GILLES LECLERC Y compris le président du groupe UMP, monsieur ACCOYER.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je vais vous dire. Un, je suis pour la fermeté, je ne suis pas pour l'autoritarisme, je souhaite faire travailler tout le monde ensemble. C'est très facile de bloquer, c'est très facile de faire en sorte que les gens s'opposent. Les querelles, les ambitions personnelles, notre histoire en est pleine, moi j'essaie d'éviter ça, j'essaie de faire en sorte que les gens se parlent. Quant à ceux qui critiquent, alors je vois bien, ici ou là, dans un journal...
GILLES LECLERC - Manque de lucidité...
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Mais je vais vous dire, je n'ai jamais vu un type rentrer dans mon bureau toc ! toc ! est-ce que je peux entrer ? Non, le Premier ministre, t'es pas bon, tu devrais changer, tu devrais partir. A chaque fois que j'en vois un, il me dit au contraire : " Tiens bon. " Vous voyez, donc je me méfie un peu de ce que j'entends...
GILLES LECLERC - Donc il y a plusieurs versions ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Oui, il y a plusieurs versions, c'est souvent anonyme hein, et je peux vous dire que s'il y a des gens qui sont mal à l'aise, j'accepterai leur démission, mais ils ne me l'ont pas dit et donc j'ai l'impression que c'est des rumeurs. Méfions-nous des rumeurs. Ce qui compte, c'est que la France va mieux, aujourd'hui, qu'elle était il y a deux ans et demi, que nous travaillons, que réforme après réforme nous faisons progresser la France, et que nous avons aujourd'hui un programme de travail pour toute la législature. Et je souhaite que cette équipe se rassemble pour atteindre nos objectifs.
GILLES LECLERC - Juste après le congrès de l'UMP, il va y avoir un remaniement. Il va falloir trouver un remplaçant à Nicolas SARKOZY. Hier, vous avez évoqué le nom de Thierry BRETON...
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je n'ai pas cité ce nom, c'est une erreur.
GILLES LECLERC - C'est une erreur, et donc vous ne pouvez pas nous annoncer ce soir qui sera le remplaçant de Nicolas SARKOZY mais quel sera son profil, chef d'entreprise ? Membre du Gouvernement ? Vous connaissez son nom ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Gilles LECLERC, je vous apprécie, mais c'est avec le président de la République que je discute de ces sujets, et je n'en ai pas encore débattu avec lui.
GILLES LECLERC - Juste une question importante qui concerne nos amis polynésiens. Est-ce qu'ils vont devoir revoter alors que la situation est extrêmement confuse et que le Conseil d'Etat va prendre dès la semaine prochaine, une décision ? Quand il y a une confusion comme ça, est-ce que le plus simple n'est pas tout simplement de donner la parole aux Polynésiens pour l'assemblée territoriale ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Je vais vous dire franchement, j'attends la position du Conseil d'Etat, que le droit s'exprime. Moi je ne suis pas pour qu'on décide par esprit partisan, je suis pas contre du tout, que le droit s'exprime, je n'ai pas une position crispée, d'ailleurs, vous le savez bien, je ne suis pas un homme crispé, je suis au contraire attentif aux positions des uns et des autres et je souhaite que la Polynésie se rassemble pour faire face à son avenir. Le Conseil d'Etat s'exprime, nous tirerons les conclusions de son expression.
GILLES LECLERC - Sur le référendum, grande question politique de l'année 2005, on voit un débat à gauche qui a au moins le mérite d'exister. A droite, qui va conduire la campagne ? C'est le président de la République, c'est vous Premier ministre ? C'est le président de l'UMP ? Alors qu'on sait qu'il y a des différences...
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Le référendum n'appartient à personne. Il s'agit de se mobiliser pour la France. je vois bien qu'à gauche on en fait un objectif pour le parti socialiste ? J'entends bien monsieur HOLLANDE dire attention il ne faut pas que le référendum soit un plébiscite mais à l'intérieur du parti socialiste on dit si on ne vote pas pour le oui, c'est l'avenir du parti qui est en cause. J'ai même entendu une présidente de région dire qu'elle ne ferait pas campagne si sa position n'était pas retenue. Je ne souhaite pas qu'on fasse du référendum une affaire partisane. Le référendum, c'est l'avenir de la France.
GILLES LECLERC - A propos, il y aura un financement pour les partis politiques, pour le débat, il semble que ce ne soit pas tranché ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - C'est au Parlement d'en décider et des discussions sont ouvertes, elles ne sont pas closes. Je voudrais vraiment vous dire que cet enjeu est très important. L'Europe s'est dotée d'une nouvelle géographie. Aujourd'hui l'Europe est continentale, il nous faut une nouvelle constitution. Je suis très favorable à cette constitution, donc je me battrai à ma place. Je ne souhaite pas être l'animateur de la campagne. Les uns et les autres doivent se mobiliser, mais c'est très important, nous allons enfin avoir une Europe politique. L'Europe était trop bureaucratique, trop technocratique, on va avoir un Parlement qui peut voter une motion de censure, sur la commission on va avoir un président de l'Union européenne qui va être élu pour deux ans et demi et peut-être cinq ans. On va avoir un ministre des Affaires étrangères, l'Europe, enfin, va avoir une vraie responsabilité politique et elle va pouvoir participer à la paix du monde. Je vais vous dire un point : moi je suis très inquiet sur la situation internationale. Je vois depuis que je suis Premier ministre des tensions dans le monde. Je pense que les pères fondateurs ont fait l'Europe pour la paix à l'intérieur de l'Europe, et notamment pour la paix entre l'Allemagne et la France. Je crois que notre génération, on doit faire l'Europe pour la paix, mais la paix dans le monde, pour que le monde s'organise...
GILLES LECLERC - Avec la Turquie ? Même si ce n'est pas tout de suite, parce que votre position n'a jamais été très claire...Jacques CHIRAC est pour, l'UMP est contre, et vous ? Oui ou non monsieur RAFFARIN ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - On ne répond par oui ou par non sur des sujets aussi compliqués que ça...
GILLES LECLERC - On peut avoir des convictions fortes.
JEAN-PIERRE RAFFARIN - J'ai une conviction très forte : la négociation ne veut pas dire automatiquement l'adhésion. La négociation, je ne suis pas opposé à ce qu'elle soit ouverte, mais la négociation, elle peut déboucher positivement sur l'adhésion, elle peut déboucher sur l'arrêt de rupture, elle peut aussi déboucher sur un lien particulier à inventer, un lien spécifique entre l'Union européenne et la Turquie. Ce qui est très important, c'est qu'on ne laisse pas le monde en désordre, qu'on ne laisse pas le monde s'organiser avec la seule grande puissance que sont les Etats-Unis. Les Etats-Unis c'est un pays allié, nous sommes favorables au développement du dialogue euro-atlantique, mais le monde a besoin de l'Europe, le monde a besoin de nos valeurs, et la France doit jouer son rôle dans cette organisation du monde grâce à l'Europe. C'est pour ça qu'il y a une urgence.
GILLES LECLERC - Merci infiniment Monsieur le Premier ministre, manifestement vous avez un ton passionné, donc, ça veut dire que vous resterez, que vous avez envie de rester longtemps à Matignon ?
JEAN-PIERRE RAFFARIN - Ben écoutez, Paul VALERY disait : " Je suis un honnête homme parce que je suis d'accord avec la plupart des décisions que je prends. "Je me sens honnête homme, je suis en paix avec ma conscience, donc je fais le travail que j'ai à faire et donc tant qu'on estimera que ce travail a de l'utilité, je le ferai, je le ferai avec détermination, avec fermeté, mais aussi avec la bonne humeur nécessaire pour le contact avec les Français.
GILLES LECLERC - Merci Jean-Pierre RAFFARIN.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 15 novembre 2004)