Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à France 2 le 7 septembre 2004, sur l'augmentation du SMIC, les aménagements des 35 heures et les heures supplémentaires, le coût du travail et les délocalisations, le service minimum et le droit de grève.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- F. Laborde : Avec J.-C. Mailly, nous allons parler de l'actualité sociale française. Elle est riche, parfois tendue, mais il y a peut-être une bonne nouvelle, vous allez nous le dire, dans cet horizon un peu chargé : J.-P. Raffarin a annoncé hier que la prime pour l'emploi serait augmentée de 4 %, c'est-à-dire, comme le Smic. Elle concerne 8,5 millions de Français ; cette prime pour l'emploi va aux salariés qui touchent les plus bas revenus. C'est une bonne disposition ?
R- J.-C. Mailly : Pour les salariés qui sont concernés, oui ; cela va faire 18 à 20 euros par an supplémentaire, ce n'est pas l'Amérique. Ceci étant, c'est le processus que l'on avait régulièrement critiqué, parce que cela permet aux employeurs aussi, pour ces salariés qui sont concernés, de dire : "On ne peut pas nous augmenter vos salaires, adressez-vous à l'Etat pour augmenter la prime pour l'emploi". C'est la mécanique qui est un peu perverse. Ceci étant, pour ceux qui vont les toucher, oui, c'est 20 euros de plus.
Q-20 euros de plus par an, en effet "ce n'est pas l'Amérique", plus une augmentation du Smic. Vous considérez que ces deux dispositions-là ne suffisent pas à créer une augmentation réelle des revenus et que c'est là où le bât blesse ?
R-Oui, il y a un problème de fond aujourd'hui qui nous remonte. Les salariés revendiquent des augmentations de pouvoir d'achat, notamment parce que les prix des courses augmentent, nonobstant, les accords
Q-Les accords Sarkozy- Grandes surfaces, tout cela ne marche pas ?
R-Ils ont dû se revoir, parce que cela ne marche pas bien et personne ne s'y retrouve. Quand on va faire les courses, personne ne s'y retrouve. Et il y a un autre élément qui intervient beaucoup en cette rentrée, c'est l'augmentation du prix des loyers depuis plusieurs mois, qui fait que, quand on compare le prix de son loyer et que l'on compare sa fiche de paye, on voit un décalage. Et donc, il faut cela. Mais c'est pour soutenir l'activité et l'emploi.
Q-Vous dites donc que le pouvoir d'achat des Français baisse ?
R-Le pouvoir d'achat des Français n'augmente pas, y compris quand il y a de la croissance qui revient. Regardez dans la fonction publique : l'Etat, pour le moment, n'a toujours pas ouvert les négociations ; et dans le secteur privé, il faut rouvrir les discussions dans les branches avec le patronat. Et il faut que dans les entreprises où il n'y a pas eu d'accord, il y ait des accord de salaires.
Q-Sur les 35 heures, le ministre a beaucoup consulté - il arrive au bout de ses consultations, il doit voir le Medef aujourd'hui. L'ensemble des syndicats dit qu'il ne faut pas toucher aux 35 heures mais qu'en même temps, il faut prévoir des aménagements. Jusqu'où peut-on aller dans ces aménagements ?
R- Les aménagements il y en a déjà un paquet, il y a déjà beaucoup d'assouplissements. M. Fillon, ministre du Travail, en 2003, a fait de nouveaux assouplissements
Q-Il a augmenté les heures supplémentaires
R-Oui. D'ailleurs les branches, le patronat au niveau national, ne les a guères utilisées, c'est qu'il n'y en a pas nécessité. Le problème de fond, c'est que les 35 heures ont été difficiles à mettre en place, les salariés les ont payées, à la fois par du gel ou de la modération salariale, et également par plus de flexibilité. Ce qui a d'ailleurs dégradé les conditions de travail. Et aujourd'hui, on veut les remettre en cause. Ce sont les perdre deux fois en quelque sorte. C'est cela qui n'est pas acceptable !
Q-Justement, pour ces salariés, ce sont en général les petits salariés qui ont été "pénalisés" par les 35 heures en raison du gel des salaires. Faut-il effectivement demander des heures supplémentaires mieux rémunérées s'ils le souhaitent ?
R-Les heures supplémentaires, cela existe ; elles ont augmenté de 5 % l'année dernière, en nombre En salaires c'est plus, c'est 25 % les premières heures supplémentaires Quand le patron a besoin de faire faire des heures supplémentaires, les salariés les font, ce n'est pas là qu'il y a un problème. Ce que veut le Gouvernement en fait, sollicité par patronat, c'est réduire et alléger le coût du travail, et c'est là que ce n'est pas acceptable. Si on paye moins les heures supplémentaires, ce sera aussi contre-productif sur l'emploi. Il y a donc deux effets pervers là-dedans.
Q-Vous dites, aujourd'hui, que vous pourriez dénoncer certains accords de branches sur la formation professionnelle ?
R- Oui, il y a un effet dominos avec l'affaire des 35 heures. Il y a eu un accord national l'année dernière - on a appelé cela "la formation tout au long de la vie" - signé par le patronat et tous les syndicats. On a accepté syndicalement que certains types de formations, certaines heures puissent être faites en-dehors du temps de travail. Si on l'a accepté, c'est parce qu'il y avait les 35 heures. Si demain les 35 heures sont remises en cause, cela remet en cause le déséquilibre qui avait été trouvé dans certains accords. Donc, c'est pour cela que l'on dit toujours : attention, sur les 35 heures on ne souhaite pas de nouveaux assouplissements et si le Gouvernement cède au patronat et fait de nouveaux assouplissements c'est la boîte de Pandore. Donc, on remet tout sur la table, mais on remettra également la flexibilité, bien entendu, en ce qui nous concerne, l'annualisation du temps de travail. D'ores et déjà, les 35 heures sont remises en cause, avec le lundi de Pentecôte par exemple.
Q-Justement, on sait que pour l'Education nationale, ce sera le lundi de Pentecôte qui sera le jour travaillé et non plus le jour férié, pour aider les personnes âgées, puisque c'était cela le dispositif. Cela ne vous surprend pas, c'était prévu ce lundi de Pentecôte ?
R-C'était prévu. On avait protesté, parce que cela veut dire qu'au titre de la solidarité, on demande aux salariés de travailler une journée de plus. Normalement, les 35 heures, cela fait 1.600 heures sur l'année, et là on va passer de 1.600 à 1.607 heures, c'est une journée gratuite. Les salariés vont perdre une journée de congé, ils n'auront pas un centime de plus. Parce contre, c'est pour aider la solidarité. Il y avait d'autres moyens de financement.
Q-N. Sarkozy dit qu'il se préoccupe beaucoup des délocalisations, dont beaucoup de chefs d'entreprise disent qu'elles sont directement liées aux 35 heures. Les pistes de travail, pour autant que l'on en sache, c'est effectivement réduire la taxe professionnelle, donner davantage d'heures supplémentaires et des crédits d'impôt. J'imagine que vous connaissez toutes ces mesures. Qu'en pensez-vous ?
R-On n'est pas "chauds" là-dessus et en plus, on ne pense pas que ce sera efficace. C'est toujours la même logique ! Cela pose d'ailleurs le problème de la construction européenne, parce qu'à partir du moment où certains pays, qui viennent d'entrer dans l'Union européenne - les dix qui sont rentrés à partir du 1er mai 2004 - n'ont pas eu d'argent de l'Europe, parce que l'on serre les boulons au niveau européen aux plans économique et national d'ailleurs, ils pratiquent ce qu'on appelle du "dumping fiscal" ou du "dumping social".
Q-C'est-à-dire qu'ils ont des coûts du travail beaucoup plus bas
R-Oui, mais on dit aussi aux entreprises : "Venez chez nous et vous aurez un impôt sur les sociétés égal à zéro". Cela s'appelle du "dumping". Et la réaction, c'est qu'en France ou en Allemagne, on va dire que pour que les entreprises ne partent pas, nous aussi on va réduire le coût du travail, nous aussi on va réduire le coût de l'impôt. C'est donc une logique qui est suicidaire. Nous pensons pour lutter contre les délocalisations - et cela avait évoqué par le Gouvernement mais on n'en entend plus parler aujourd'hui -, il faut contrôler de manière préciser les aides accordées aux entreprises
Q-C'est-à-dire, que toutes les entreprises qui ont reçu des aides, les rendent par exemple ?
R-Oui, avec un contrat
Q-Mais elles ne l'on jamais fait !
R-Justement, c'est ce que l'on appelle "les chasseurs de primes", qu'il y ait un contrat, qu'il y ait une aide accordée, que ce soit contrôlé. Et si l'entreprise ne respecte pas, elle rembourse.
Q-Discussions aussi en cours sur ce qu'on appelle, dans le langage courant, "le service minimum" et la garantie du service, notamment dans les transports. Il y a un accord possible là-dessus ou pas ?
R-M. de Robien nous consulte cette semaine. Ce que nous allons dire au ministre, c'est qu'au-delà des apparences, quand on nous parle de "service garanti", "continuité du service", si le Gouvernement veut prendre une disposition législative, c'est clair, c'est qu'il veut remettre en cause le droit de grève. Le service minimum à la SNCF, quand certains disent "il faudrait que le matin, quand il y a du monde, les trains circulent", il faut qu'il y ait 80 % des agents qui travaillent
Q-Mais peut-on avoir 80 % des agents qui travaillent entre 7h00 et 8h00, pour que les gens qui prennent le train puissent aller travailler ?
R-Cela veut dire en même temps que vous avez le droit de faire grève à condition que cela ne gêne personne. Comment voulez-vous que la grève soit efficace ?! On ne fait pas grève pour le plaisir, c'est parce qu'il y a un problème. On rappelle également qu'il y a cinq jours entre le dépôt d'un préavis de grève et la grève, cinq jours où normalement les directions devraient négocier. Elles ne le font quasiment jamais. Donc, la volonté des pouvoirs publics, c'est à la fois de remettre en cause le droit de grève en tant que tel, et puis il y a une deuxième chose derrière, il y a un effet ricochets : en France, on bénéficie constitutionnellement, et même si ce n'est pas utilisé tous les jours, bien entendu, d'un droit de grève qu'on appelle de "solidarité" ou "interprofessionnel". Cela n'existe pas obligatoirement dans d'autres pays. Vouloir remettre en cause le droit de grève dans les transports, c'est aussi incidemment vouloir remettre en cause ce deuxième aspect du droit de grève. Donc, là-dessus on n'est pas d'accord.
Q-Mais objectivement, cela pénalise les salariés qui ne sont pas forcément les salariés qui sont les plus nantis, ceux qui prennent les transports en commun pour aller travailler le matin !
R-Je crois que sur cette antenne, j'avais déjà expliqué une fois que quand il y a une grève à la SNCF, les TGV circulent plus que les trains de banlieue ; parce que faire rouler un TGV, c'est plus rentable que de faire rouler un train de banlieue. Cela veut dire que, y compris dans ce cas de figure-là, pour des raisons commerciales, ce sont les banlieusards qui sont [inaud.]
Q-C'est un choix de la SNCF, c'est ce que vous voulez dire ?
R-Mais bien sûr !
Q-France Télécom, grève aujourd'hui : la privatisation est effectivement insupportable ?
R-Oui, parce que l'on rentre dans une logiqueLà, c'est le service minimum, le service public minimum du côté de l'Etat. Que va-t-il se passer pour EDF-GDF demain ?
Q-Il y aura sans doute un nouveau patron déjà !
R-Oui, d'accord. Mais on ira vers une privatisation également. On ne peut plus être dans une République s'il n'y a pas de services publics. Les politiques doivent arrêter de dire qu'ils sont "attachés" aux valeurs républicaines au moment des élections, et privatiser le reste de l'année.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2004)