Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à LCI le 7 septembre 2004, sur le plan de cohésion sociale, le droit de grève et le service minimum, les aménagements des 35 heures et les heures supplémentaires.

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Texte intégral

Q- P.-L. Séguillon : Un Premier ministre qui annonce une revalorisation de la prime pour l'emploi de 4 %, mesure créée par la gauche, c'est un Premier ministre très social ?
R- B. Thibault : Je crois qu'il en faudrait beaucoup plus pour que le Premier ministre apparaisse enfin avec une volonté de se pencher réellement sur les problèmes sociaux. Je remarque dans cette rentrée - toutes les enquêtes le confirment - qu'une très grande majorité de Français ne fait pas confiance au Gouvernement de M. Raffarin pour résoudre les problèmes économiques et sociaux en cette rentrée.
Q- Vous applaudissez cette revalorisation de la prime pour l'emploi ?
R- Il est évident que pour ceux qui touchent cette prime pour l'emploi, ils ne pourront que se satisfaire qu'elle augmente légèrement. Cela n'enlève rien au fait que le problème récurrent de notre pays, ce sur quoi le Gouvernement, comme les directions d'entreprises devraient travailler, c'est la question de l'emploi. Nous demeurons le pays européen au taux d'activité parmi les plus faibles.
Q- Le plan de cohésion sociale de M. Borloo, ce ne sont pas des mesures pour l'emploi ?
R- Le plan de cohésion sociale a été commenté dernièrement par des assemblées, comme le Conseil économique et social, les organisations syndicales. Le principe même de ce plan, le fait que le Gouvernement doive concevoir un plan de cohésion sociale, pour combler l'absence de cohésion sociale que génère le reste de sa politique, montre bien le retard pris dans ce domaine. Il demeure que ce plan, très imparfait, va nécessiter beaucoup de temps avant de commencer à être mis en uvre, et cela représente un sérieux décalage avec ce que nous vivons dans les entreprises, où l'actualité est à la délocalisation, au chantage à l'emploi, dans de nombreux secteurs de l'activité.
Q- De fait, les forces syndicales ne sont-elles pas réduites aujourd'hui à des grèves d'arrière-garde, comme par exemple ce qui se passe à France Télécom où la privatisation était inscrite dans les faits - vous le savez bien ? Donc la grève que font les organisations syndicales aujourd'hui, à France Télécom, n'empêchera de poursuivre le processus
R- Dès lors que l'on considère que toute action est vouée à l'échec, on pourrait avoir tendance à se résigner, à ne rien faire. Je crois que l'une des caractéristiques, c'est effectivement que les organisations syndicales, au plan national, sont trop spectatrices de la situation. Si le Medef s'estime en capacité, avec des marges de manuvre, de peser quotidiennement sur le débat politique, les raisonnements économiques, c'est aussi qu'il fait le constat d'organisations syndicales de salariés trop passives, trop dispersées, trop affaiblies, et c'est d'ailleurs un sujet sur lequel nous allons essayer de travailler, parce que cela nous préoccupe beaucoup, dans la mesure où le Gouvernement est en train d'étudier, non pas une remise en cause frontale des 35 heures, [mais] toute une palette qui, moi, m'inquiète beaucoup plus, de remises en cause d'un certain nombre de droits sociaux qui sont prévus dans le droit du travail, s'agissant des heures supplémentaires, de nouvelles flexibilités en réglementation du travail.
Q- Vous avez rencontré G. Larcher, ministre des Relations du travail. Est-ce qu'il vous a fait, sur ce sujet des aménagements des 35 heures, des propositions très concrètes ? Est-ce qu'il vous a dit quelles étaient très concrètement les intentions du Gouvernement ?
R- Absolument pas. Il nous a simplement énoncé les pistes sur lesquelles le Gouvernement réfléchissait et qui touchent, sur ce point sur lequel je veux insister, pas simplement la durée du temps de travail, les 35 heures Je rappelle au passage que plus de 4 millions de salariés n'ont pas les 35 heures. J'entends dire que les 35 heures plomberaient l'économie française. Vous-même, dans la rubrique que vous consacriez tout à l'heure, avez fait cette globalité. Plus de 4 millions de salariés, notamment ceux des petites entreprises, n'ont pas les 35 heures. Ce sur quoi travaille le Gouvernement, c'est une remise en cause du droit social beaucoup plus drastique : les conventions collectives, la nature du contrat de travail, la possibilité pour les salariés de faire droit devant les tribunaux vis-à-vis d'un employeur qui n'aurait pas respecté ses obligations. Bref, ce qui m'inquiète, c'est une remise à plat assez considérable, profonde, de l'ensemble de la législation sociale.
Q- Quelle est votre stratégie dans cette discussion avec le Gouvernement - discussion ou consultation, je ne sais pas ce qu'il faut utiliser comme terme ? Est-ce que c'est de dire que vous refusez aujourd'hui toute nouvelle adaptation de cette loi des 35 heures et que vous allez agir en conséquence ?
R- Nous agirons en conséquence en fonction des situations.
Q- "Agir en conséquence", est-ce que cela veut dire que vous allez organiser avec vos partenaires des autres organisations syndicales, un vaste mouvement de mobilisation ?
R- D'une part, il faudrait que nous soyons d'accord sur nos opinions, et je viens de vous indiquer que parmi les caractéristiques de cette rentrée, j'estimais que les organisations syndicales étaient beaucoup trop dispersées au regard des enjeux et de nos responsabilités.
Q- Dispersées ou divisées ?
R- Dispersées, divisées.
Q- Et notamment vous, avec la CFDT ?
R- Pas seulement. L'ensemble du paysage syndical est trop dispersé. Chacune des organisations est plutôt préoccupée, en cette rentrée, de défendre son propre étendard. Nous sommes les uns et les autres avec un nombre de forces organisées dans les entreprises trop faibles, chacun doit en convenir. Et en plus, nous créons les conditions pour que nous défendions chacun notre propre direction. C'est une réalité française qui pèse aujourd'hui encore une fois, et sur laquelle nous allons travailler.
Q- Est-ce que cela signifie aujourd'hui que vous lancez en quelque sorte un appel à Force ouvrière, un appel à vos partenaires de la CFDT ?
R- Je l'ai déjà fait par le passé. Nous avons déjà pris des initiatives par le passé, elles n'ont pas toutes été, loin s'en faut malheureusement, suivies de succès. [] Il faut que les salariés français prennent conscience que cette dispersion et cette division syndicale est préjudiciable à leur situation. Nous sommes l'un des seuls pays européens aujourd'hui, où nous avons les débats de même nature que ceux qui existent dans d'autres pays - nous ne sommes pas les seuls à discuter : du droit applicable aux chômeurs en Allemagne, de la politique salariale en Italie. Les Pays-Bas, comme l'Autriche l'année dernière, un des pays où l'on prépare une grève nationale ; cela n'a pas été le cas depuis des décennies. On voit bien que les débats sociaux ne laissent pas sans réaction les organisations syndicales nationales, et la France serait le pays où il faudrait se résigner à une remise en cause frontale de la législation sociale ? Non, je crois que cette situation est urgente et nécessiterait d'autres concertations et, pourquoi pas, d'autres constructions syndicales unitaires.
Q- Sur le service minimum, ou en tout cas les adaptations que veut proposer G. de Robien, le ministre des Transports, est-ce que là aussi, vous avez le sentiment d'une remise en cause des droits des salariés, est-ce que vous êtes prêt à discuter ou
pas ?
R- Voilà encore un exemple où toutes les organisations syndicales, en l'occurrence
Q- Ne sont pas sur la même longueur d'ondes
R- Ce n'est pas ce que j'ai retenu. Je crois que toutes les organisations syndicales, d'une manière ou d'une autre, ont dit qu'il n'était pas utile aujourd'hui de repasser par la voie législative, sauf à vouloir encadrer, limiter davantage l'exercice du droit de grève dans le secteur des transports. Je rappelle que c'est un droit de grève qui est déjà encadré et qui ne peut s'exercer que sous couvert de certaines conditions. Je ne peux pas m'empêcher de penser que si le Gouvernement décide - nous avons prévenu à notre manière que s'il faisait ce choix, il prenait des risques, il programmait lui-même l'horizon d'un conflit. Si le Gouvernement faisait le choix d'un nouveau débat législatif sur ce point, cela ne pourrait s'expliquer que dans la même phase où il prétend revenir sur toute une série de dispositions concernant le droit des salariés dans notre pays, et nous ne manquerons pas d'expliquer que de notre point de vue, loin d'être des défenseurs du service public, ce Gouvernement est en train de vouloir nous priver de moyens d'expression, la grève étant un de ceux-là, et bien sûr pas le seul.
Q- Dans un livre qui vient d'être publié, intitulé "EDF : scandale français", les auteurs, deux journalistes, écrivent : "Des millions d'euros officiellement destinés aux loisirs des électriciens et des gaziers, transitent chaque année par le comité d'entreprise, par la caisse centrale d'activité sociale, pour atterrir finalement dans les caisses du syndicat CGT et d'entreprises proches du PC." Est-ce que vous allez poursuivre, pour diffamation, ces deux journalistes ?
R- Il n'y a rien de très nouveau dans ce livre qui va paraître. C'est une démarche, me semble-t-il, qui est destinée à peser sur un certain nombre de procédures qui sont en cours. La justice a été saisie d'un certain nombre de critiques, d'alertes. Nous répondrons à ces procédures, mais nous ne répondrons pas à un certain nombre d'articles qui, je crois, ont d'abord pour finalité de jeter le discrédit sur notre organisation.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2004)