Article de M. Jacques Voisin, président de la CFTC, dans "La Tribune" du 6 septembre 2004, sur l'aménagement des 35 heures, la cohésion sociale et le dossier des négociations sur les bas salaires.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Tribune

Texte intégral

La torpeur estivale s'est révélée encore une fois propice aux " innovations " sociales de mauvais goût. Après Bosch, Doux ou Seb, à qui le tour ? Décideurs et patrons, les uns et les autres sont bardés bien sûr de raisonnements économiques apparemment bétons. La France serait malade de ses 35 heures. Le nombre d'heures de travail est tout à coup redevenu la mesure de la productivité nationale, comme au bon vieux temps du taylorisme. Un brin passéiste, ce raisonnement tenu par nos chantres de la modernité, non ?
Et pourtant, dans les entreprises, comment faire fi des immenses compensations apportées aux 35 heures : allègements de charge bien sûr, mais aussi flexibilité à outrance et freinage des salaires. Comment croire que l'heure de travail supplémentaire sans compensation salariale, prévue dans l'accord de Bosch, est en elle-même la clé permettant de renoncer à une délocalisation ? Est-ce vraiment sérieux ?
Les résultats des entreprises françaises en termes de dividendes et de bénéfices montrent plutôt qu'elles ont su s'adapter et tirer parti de la situation légale française. Et selon les chiffres de l'agence française pour les investissements nationaux, la France est le pays à avoir attiré le plus d'implantations étrangères en 2003. Pour l'attrait des investissements, l'hexagone est placé au quatrième rang des dix pays les plus industrialisés. Par ailleurs, si on veut aborder le débat complexe autour de la productivité, alors faisons-le de façon sérieuse. Et l'on verra bien que d'autres facteurs que la durée du travail entrent en ligne de compte, comme le déploiement des NTIC par exemple, moins important chez nous qu'outre-Atlantique.
Au-delà du débat de fond, il y a la forme : la manière dont on aborde aujourd'hui ces questions par des procédés qui tiennent du chantage et du marchandage. La négociation contrainte dans l'entreprise, le rapport de force complètement déséquilibré n'apportent pas de réponse satisfaisante. Alors, que faut-il faire ? Sûrement pas ce que demande Ernest-Antoine Seillière, à savoir que les 35 heures ne soient plus qu'une règle supplétive, qui s'appliquerait à défaut d'accord de branche ou d'entreprise fixant une autre durée. Cela, c'est l'esprit de la loi sur le dialogue social promulguée par François Fillon au début de cette année. Nous l'avions alors dénoncée comme une " folie douce ". C'était trop peu dire. En réalité, cette loi est une folie tout court. On l'a bien vu avec les récents avatars de Perrier et on n'a sûrement pas tout vu. Dans un contexte de transformation de l'économie où le rapport des forces joue en faveur du capital, permettre aux accords d'entreprise de déroger aux conventions collectives et au Code du travail est la porte ouverte à tous les chantages. Cela risque de provoquer une désorganisation sociale profonde, et à terme une radicalisation des comportements et un durcissement du climat social contraire à la cohésion sociale que le président de la République appelle de ses vux. Peur des uns et domination brutale des autres : ce n'est certainement pas sur de telles bases que peut s'ériger une croissance durable.
La CFTC, elle, a clairement choisi son camp : la cohésion sociale lui paraît une priorité nationale. C'est pourquoi, concernant le débat si mal relancé des 35 heures, nous ne croyons qu'en une chose : un dialogue social équilibré. Si dans certains secteurs, la relance de l'économie mondiale et la perspective prochaine du rétrécissement de la population active paraissent l'imposer, les outils sont à la disposition des branches qui souhaiteraient renégocier sur le temps de travail : c'est la loi Fillon de 2002. Une trentaine de branches seulement s'en sont saisi. Rien n'empêche les autres de leur emboîter le pas, à condition que les salariés bénéficient de contreparties équilibrées, notamment salariales. On ne peut " accompagner " le changement que s'il profite à tous. Aujourd'hui, un certain nombre de salariés souhaite travailler plus pour gagner plus, notamment dans le commerce. Mais n'est-ce pas parce que leur salaire, qui plafonne depuis des années, est notoirement insuffisant ? C'est pourquoi, si l'on veut consolider la croissance, les branches doivent rouvrir le dossier des négociations salariales, à commencer par les bas salaires, avant même celui des 35 heures.
Voilà ce que nous avons dit, ces jours-ci, à Gérard Larcher. Il faut faire taire les " maîtres chanteurs " qui minent le retour de la confiance dans notre pays. C'est le rôle de l'Etat arbitre et garant du bien commun, que d'instaurer un tel dialogue social. C'est à cette condition que les Français, qui répondent à la panne de dialogue social par l'absentéisme aux urnes, pourront de nouveau, un jour, croire au courage en politique.
(source http://www.cftc.fr, le 8 septembre 2004)