Texte intégral
Peut-on réguler les seules dépenses ambulatoires et ne pas toucher à l'hospitalisation publique ?
Le discours officiel reprend sempiternellement le thème : "les dépenses hospitalières publiques sont maîtrisées, seules les dépenses de la médecine ambulatoire et des hôpitaux privés continuent encore à déraper". Ce n'est pas exact, et si l'on veut pouvoir réclamer, comme je le fais, plus de moyens pour certaines activités hospitalières, il faut parallèlement avoir une gestion intelligente des moyens hospitaliers. Aussi je crois qu'il convient de débattre publiquement et d'instaurer des nouveaux mécanismes de régulation du système de soins pour que l'État, et notamment le Parlement, soit au coeur des analyses et des décisions concernant les dépenses de santé, y compris hospitalières.
Au-delà,il faut entrer dans une appréhension plus sanitaire et moins administrative du système de soins ; à l'heure actuelle, hôpital public et médecine de ville sont gérés par des organismes différents et dépendent d'enveloppes budgétaires différentes, alors qu'évidemment toute décision dans un de ces deux domaines a automatiquement des effets sur l'autre ; c'est cette dichotomie qui constitue le principal obstacle au développement des réseaux de soins, alors qu'un des problèmes majeurs de notre système de santé, et une de ses causes principales de dérapage financier, est, justement, son absence de coordination. Il faudra non seulement, comme Jean-Pierre Chevènement l'a dit dans sa campagne électorale, transformer les Agences Régionales de l'Hospitalisation en Agences Régionales de Santé intégrant les URCAM, mais, au-delà, au niveau national, aller vers un budget unique de la Santé et une définition précise des rôles du Ministère de la Santé et de l' Assurance-Maladie.
Peut-on encore croire à une régulation portant sur moins de 20 % des dépenses de santé ?
Je vous laisse la responsabilité du mot "croire", qui ne correspond pas à ma conception laïque de la façon de gouverner, et je me contenterai d'observer ce qui se passe ailleurs... notamment en Suède, au Canada, ou encore au Japon. Le Japon (qui a une population plus âgée que la nôtre), a de meilleurs indicateurs de santé et notamment d'espérance de vie, et utilise plus largement que nous les nouvelles techniques (4 fois plus d'appareils de RMN par rapport à la population). Parallèlement, il consacre 30 % de moins que nous de son PIB à son système de soins, qui n'est pourtant pas déficitaire. Une régulation est donc possible. D'autant qu'il n'y a pas de fatalité à toute augmentation des dépenses de santé. Le facteur du vieillissement de la population et celui du développement des nouvelles techniques médicales ne sont pas les seules origines du dérapage des dépenses de soins. Le mode d'organisation du système en est une cause majeure, ainsi que les situations acquises de nombreux hiérarques médicaux...
Pensez-vous qu'une véritable réforme de l'Assurance Maladie n'aura pas lieu ?
Je crois qu'après les déboires du plan Juppé, personne ne se hasardera pour longtemps à un "grand soir de l' Assurance-Maladie", mais le danger n'est pas là. Le danger actuel est celui d'une réforme subie et non voulue à la suite d'un pourrissement progressif par inaction, volontaire ou pas.
C'est malheureusement dans ce cas de figure que nous nous trouvons : face à un déficit abyssal prévisionnel de 30 milliards d' Euros à la fin de 2004, jamais atteint en France ni dans aucun pays au monde, que fait le Gouvernement ? Il nomme une Commission pour porter un diagnostic sur l' Assurance-Maladie, comme l'avait fait Elisabeth Guigou il y a deux ans avec la "Commission des quatre sages"... Tout le monde sait pourtant pertinemment que tous les rapports existent, les diagnostics sont connus, et les remèdes ne dépendent que de décisions politiques.
Le gouvernement organise ainsi sciemment le dépôt de bilan du système, et crée les conditions d'une privatisation - partielle et progressive, bien entendu - qu'il nous présentera alors comme inévitable alors qu'elle ne l'est pas aujourd'hui.
Or les assurés les plus modestes seront les premiers à faire les frais de cette privatisation. Mais les médecins aussi : que ceux qui sont fascinés par les revenus de leurs confrères des Etats-Unis n'oublient pas que ceux-ci ne sont dus qu'à la plus faible densité médicale américaine (280 pour 100000 habitants, contre 335 en France), et non à la générosité des compagnies d' assurances privées...
Les médecins doivent donc comprendre, dans leur propre intérêt et dans celui du système de soins tout entier, qu'il n'est plus possible, en 2003, de rester accrochés aux principes de la charte de la médecine libérale énoncés en 1927 : liberté totale d'installation, liberté totale de prescription, liberté totale des honoraires, refus d'immixtion d'un tiers dans la relation médecin-malade, comme si la médecine n'avait pas changé depuis 73 ans. Ces principes ne sont plus compatibles avec l'évolution technique de la médecine, et je compte sur ceux qui en sont plus conscients que d'autres pour le faire comprendre à leurs confrères.
Pensez vous que la médecine ambulatoire de spécialités a encore un avenir en France ou que l'on s'oriente vers une médecine de spécialités ne s'exerçant que dans les établissements d'hospitalisation ?
Non, les tendances sont contradictoires en la matière. Certains poussent au contraire à la libéralisation tous azimuts. Il faut réfléchir collectivement aux spécialités qui doivent relever de l'hôpital public, et à celles qui peuvent avantageusement être transférées à la médecine libérale, par un processus très encadré.
Il faut donc en premier lieu réfléchir à une bonne articulation entre médecine de ville et hôpitaux, et savoir éviter le manichéisme. Les techniques imposent des investissements importants, des coûts de fonctionnement importants, des amortissements, mais aussi des gains de productivité médicale et des baisses des coûts des appareils lorsqu'ils sont produits en grande série, une adaptation permanente des médecins aux évolutions techniques, la définition de référentiels médicaux de stratégies diagnostiques et thérapeutiques optimales, etc. Ceci ne peut se faire que par une concertation permanente entre professionnels et pouvoirs publics. Ainsi, un bon exemple de ce que devraient être les méthodes de travail entre professionnels et pouvoirs publics me semble être la manière dont a été réalisée la "classification commune des actes médicaux" (CCAM) : à la fois exhaustive et explicite, elle a été élaborée par une structure paritaire impliquant l'État, l'Assurance maladie et les sociétés savantes, et elle permettra de prendre en compte tous les problèmes que je viens d'énumérer et qui ne l'étaient pas jusqu'à présent, pour aboutir à une plus juste rémunération des spécialistes. C'est par des méthodes de travail de cette nature que l'on mettra sur pied des structures satisfaisantes pour tous, et des modalités de rémunération plus justes.
Ainsi strictement encadrées sur le plan du contenu médical et du coût imputable aux patients comme à l'assurance maladie, des transferts de certaines spécialités de l'hôpital vers la médecine libérale sont acceptables, et peuvent représenter des économies appréciables. On peut mentionner à cet égard la dermatologie ou la rhumatologie par exemple.
Mais a contrario, il faut parallèlement rappeler l'importance d'une structure hospitalière publique complète, cohérente, bien dotée, et performante, et ne pas prétexter de ses dysfonctionnements pour, à l'inverse du mouvement indiqué par votre question, "privatiser" celles des spécialités qui sont nécessaires à un service hospitalier de qualité. C'est aussi une menace contre laquelle il faut être vigilant.
Georges Sarre est maire du XIe arrondissement de Paris et porte-parole du MRC.
(Source http://www.mrc-france.org, le 22 octobre 2003)
Le discours officiel reprend sempiternellement le thème : "les dépenses hospitalières publiques sont maîtrisées, seules les dépenses de la médecine ambulatoire et des hôpitaux privés continuent encore à déraper". Ce n'est pas exact, et si l'on veut pouvoir réclamer, comme je le fais, plus de moyens pour certaines activités hospitalières, il faut parallèlement avoir une gestion intelligente des moyens hospitaliers. Aussi je crois qu'il convient de débattre publiquement et d'instaurer des nouveaux mécanismes de régulation du système de soins pour que l'État, et notamment le Parlement, soit au coeur des analyses et des décisions concernant les dépenses de santé, y compris hospitalières.
Au-delà,il faut entrer dans une appréhension plus sanitaire et moins administrative du système de soins ; à l'heure actuelle, hôpital public et médecine de ville sont gérés par des organismes différents et dépendent d'enveloppes budgétaires différentes, alors qu'évidemment toute décision dans un de ces deux domaines a automatiquement des effets sur l'autre ; c'est cette dichotomie qui constitue le principal obstacle au développement des réseaux de soins, alors qu'un des problèmes majeurs de notre système de santé, et une de ses causes principales de dérapage financier, est, justement, son absence de coordination. Il faudra non seulement, comme Jean-Pierre Chevènement l'a dit dans sa campagne électorale, transformer les Agences Régionales de l'Hospitalisation en Agences Régionales de Santé intégrant les URCAM, mais, au-delà, au niveau national, aller vers un budget unique de la Santé et une définition précise des rôles du Ministère de la Santé et de l' Assurance-Maladie.
Peut-on encore croire à une régulation portant sur moins de 20 % des dépenses de santé ?
Je vous laisse la responsabilité du mot "croire", qui ne correspond pas à ma conception laïque de la façon de gouverner, et je me contenterai d'observer ce qui se passe ailleurs... notamment en Suède, au Canada, ou encore au Japon. Le Japon (qui a une population plus âgée que la nôtre), a de meilleurs indicateurs de santé et notamment d'espérance de vie, et utilise plus largement que nous les nouvelles techniques (4 fois plus d'appareils de RMN par rapport à la population). Parallèlement, il consacre 30 % de moins que nous de son PIB à son système de soins, qui n'est pourtant pas déficitaire. Une régulation est donc possible. D'autant qu'il n'y a pas de fatalité à toute augmentation des dépenses de santé. Le facteur du vieillissement de la population et celui du développement des nouvelles techniques médicales ne sont pas les seules origines du dérapage des dépenses de soins. Le mode d'organisation du système en est une cause majeure, ainsi que les situations acquises de nombreux hiérarques médicaux...
Pensez-vous qu'une véritable réforme de l'Assurance Maladie n'aura pas lieu ?
Je crois qu'après les déboires du plan Juppé, personne ne se hasardera pour longtemps à un "grand soir de l' Assurance-Maladie", mais le danger n'est pas là. Le danger actuel est celui d'une réforme subie et non voulue à la suite d'un pourrissement progressif par inaction, volontaire ou pas.
C'est malheureusement dans ce cas de figure que nous nous trouvons : face à un déficit abyssal prévisionnel de 30 milliards d' Euros à la fin de 2004, jamais atteint en France ni dans aucun pays au monde, que fait le Gouvernement ? Il nomme une Commission pour porter un diagnostic sur l' Assurance-Maladie, comme l'avait fait Elisabeth Guigou il y a deux ans avec la "Commission des quatre sages"... Tout le monde sait pourtant pertinemment que tous les rapports existent, les diagnostics sont connus, et les remèdes ne dépendent que de décisions politiques.
Le gouvernement organise ainsi sciemment le dépôt de bilan du système, et crée les conditions d'une privatisation - partielle et progressive, bien entendu - qu'il nous présentera alors comme inévitable alors qu'elle ne l'est pas aujourd'hui.
Or les assurés les plus modestes seront les premiers à faire les frais de cette privatisation. Mais les médecins aussi : que ceux qui sont fascinés par les revenus de leurs confrères des Etats-Unis n'oublient pas que ceux-ci ne sont dus qu'à la plus faible densité médicale américaine (280 pour 100000 habitants, contre 335 en France), et non à la générosité des compagnies d' assurances privées...
Les médecins doivent donc comprendre, dans leur propre intérêt et dans celui du système de soins tout entier, qu'il n'est plus possible, en 2003, de rester accrochés aux principes de la charte de la médecine libérale énoncés en 1927 : liberté totale d'installation, liberté totale de prescription, liberté totale des honoraires, refus d'immixtion d'un tiers dans la relation médecin-malade, comme si la médecine n'avait pas changé depuis 73 ans. Ces principes ne sont plus compatibles avec l'évolution technique de la médecine, et je compte sur ceux qui en sont plus conscients que d'autres pour le faire comprendre à leurs confrères.
Pensez vous que la médecine ambulatoire de spécialités a encore un avenir en France ou que l'on s'oriente vers une médecine de spécialités ne s'exerçant que dans les établissements d'hospitalisation ?
Non, les tendances sont contradictoires en la matière. Certains poussent au contraire à la libéralisation tous azimuts. Il faut réfléchir collectivement aux spécialités qui doivent relever de l'hôpital public, et à celles qui peuvent avantageusement être transférées à la médecine libérale, par un processus très encadré.
Il faut donc en premier lieu réfléchir à une bonne articulation entre médecine de ville et hôpitaux, et savoir éviter le manichéisme. Les techniques imposent des investissements importants, des coûts de fonctionnement importants, des amortissements, mais aussi des gains de productivité médicale et des baisses des coûts des appareils lorsqu'ils sont produits en grande série, une adaptation permanente des médecins aux évolutions techniques, la définition de référentiels médicaux de stratégies diagnostiques et thérapeutiques optimales, etc. Ceci ne peut se faire que par une concertation permanente entre professionnels et pouvoirs publics. Ainsi, un bon exemple de ce que devraient être les méthodes de travail entre professionnels et pouvoirs publics me semble être la manière dont a été réalisée la "classification commune des actes médicaux" (CCAM) : à la fois exhaustive et explicite, elle a été élaborée par une structure paritaire impliquant l'État, l'Assurance maladie et les sociétés savantes, et elle permettra de prendre en compte tous les problèmes que je viens d'énumérer et qui ne l'étaient pas jusqu'à présent, pour aboutir à une plus juste rémunération des spécialistes. C'est par des méthodes de travail de cette nature que l'on mettra sur pied des structures satisfaisantes pour tous, et des modalités de rémunération plus justes.
Ainsi strictement encadrées sur le plan du contenu médical et du coût imputable aux patients comme à l'assurance maladie, des transferts de certaines spécialités de l'hôpital vers la médecine libérale sont acceptables, et peuvent représenter des économies appréciables. On peut mentionner à cet égard la dermatologie ou la rhumatologie par exemple.
Mais a contrario, il faut parallèlement rappeler l'importance d'une structure hospitalière publique complète, cohérente, bien dotée, et performante, et ne pas prétexter de ses dysfonctionnements pour, à l'inverse du mouvement indiqué par votre question, "privatiser" celles des spécialités qui sont nécessaires à un service hospitalier de qualité. C'est aussi une menace contre laquelle il faut être vigilant.
Georges Sarre est maire du XIe arrondissement de Paris et porte-parole du MRC.
(Source http://www.mrc-france.org, le 22 octobre 2003)