Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur la liberté de la presse, la liberté d'expression et d'opinion, la photographie de presse et le journalisme de guerre, Perpignan le 2 septembre 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Festival "Visa pour l'image" à Perpignan le 2 septembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Sénateur-Maire,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis de Perpignan et du Festival,
Ce soir, nos pensées se tournent d'abord vers Christian Chesnot et Georges Malbrunot, qui paient en ce moment même d'un prix très fort celui de leur liberté, exercice de leur mission de journaliste ; la liberté qui leur est si chère et qui nous est tous si chère, parce que c'est une valeur fondamentale en laquelle nous croyons, comme nous croyons en ce devoir d'informer qui est le moteur de leur passion pour leur métier.
Nos pensées vont vers les membres de leurs familles et leurs proches si durement éprouvés par l'insoutenable attente de ces derniers jours, d'autant que cette attente se prolonge, avec l'incertitude, l'inquiétude, mais aussi l'espoir d'un dénouement heureux de cette insupportable attente.
L'espoir et la confiance. L'extrême prudence aussi. Et c'est avec beaucoup de prudence que nous avons tout lieu de croire, et nous espérons tous que Christian Chesnot et Georges Malbrunot sont en vie et qu'ils seront bientôt libres, que ceux qui leur ont ôté leur liberté la leur rende. Grâce à la mobilisation générale des pouvoirs publics, sous l'autorité du Président de la République, l'unité nationale et internationale qui continue à se manifester et dont nous espérons tous qu'elle aura raison des forces de la nuit.
C'est donc à Christian Chesnot et Georges Malbrunot, et c'est à la liberté que je veux dédier cette cérémonie.
La liberté de la presse peut paraître aller de soi aujourd'hui, dans notre République, tant elle est inséparable de la liberté d'opinion et d'expression qui est au fondement de la démocratie et qui demeure, avec le droit à la vie, le plus précieux des droits universels de l'homme, Benjamin Constant disait : "le droit des droits".
Puisse ce festival, malgré cette actualité et en raison même de cette actualité être une fête de la liberté, de la liberté défendue, de la liberté menacée, de la liberté - nous l'espérons tous -bientôt retrouvée, fragile conquête dont nous mesurons le prix !
Tous ici, photographes, professionnels de l'information et de la communication, responsables politiques, citoyens, nous sommes comptables de cette liberté dans vos uvres, dans nos actions, dans nos vies.
C'est grâce à votre présence, journalistes, reporters et photographes, sur les terrains les plus dangereux, que nous mesurons à quel point, dans le monde actuel, les images sont au cur des tensions, des confrontations, des haines, mais aussi des chemins de la paix et de la liberté, cette liberté du regard qui est au fond le "passeport" des photographes, de tous ceux qui ont reçu un visa pour l'image.
Car dans un monde dominé par le flux des images télévisées, l'image fixe, la photographie, prend une importance nouvelle pour nous permettre de porter un regard plus précis et plus juste sur le monde.
Face au déferlement des images, l'un des plus grands risques est sans doute celui de l'oubli. Or l'image fixe reste gravée dans notre mémoire collective.
Sans doute parce qu'elle fige cet "instant décisif" dont parlait Henri Cartier-Bresson, "l'il du XXe siècle" - selon l'expression de Willy Ronis, votre invité de marque cette année - ce très grand pionnier du journalisme et de la photographie, disparu il y a un mois et qui a tant fait, avec Robert Capa notamment, pour que le photographe soit considéré comme un journaliste à part entière.
La force de ces Rencontres est non seulement de présenter librement à un public toujours plus nombreux une extraordinaire diversité d'uvres et de talents qui sont autant de témoignages du monde, dans toute sa lumière, dans toute sa diversité, dans son immense part d'ombre, avec toute sa violence, avec toute sa cruauté.
Chacun de ces regards, chacun de ces témoignages, nous propose, selon l'expression de Charles Harbutt, " d'authentiques expériences du monde ". Et j'ajouterais, de chocs, de confrontations, de coups de poing portés à notre bonne ou à notre mauvaise conscience, d'émotions et d'appels à la réflexion et à l'action.
Mais au-delà de ces regards croisés, vous organisez ici des débats ouverts à tous, où les meilleurs experts, historiens, sociologues, spécialistes de l'image, interviennent sur la place de la photographie dans l'univers médiatique où nous vivons, ainsi que sur les questions techniques et déontologiques qui ne cessent de se poser à vous.
Je tiens à rendre hommage à cette extraordinaire richesse qui fait de Perpignan un lieu et un moment unique, un peu comme Cannes pour le cinéma. Mais ici, ce n'est pas le spectacle qui est au centre de tout mais l'information.
Et cette année, si fortement marquée par la guerre en Irak, vos réflexions portent principalement sur les bouleversements induits par la photo numérique et son corollaire, les photos prises sur des téléphones portables, et transmises aussitôt sur Internet dans le monde entier par des "amateurs" ou des auteurs que souvent, l'on ne peut pas identifier. Cette année, pour la première fois, vous montrez ici ces clichés de prisonniers irakiens torturés qui ont la une de toute la presse. Je pense aussi à cette photo de l'exposition "One shot" où l'on voit un Palestinien en train de prendre avec son téléphone portable la photo de l'un de ses compatriotes mort au combat.
Ces photos nous font prendre ou reprendre à chacun conscience du rôle et du pouvoir des images. De nos responsabilités aussi.
On ressort différents de Perpignan. Il n'est pas une des photographies exposées ici qui ne nous interroge, nous provoque, nous encourage aussi à regarder et à agir dans ce monde.
Je tenais à vous le dire et à vous en remercier, Monsieur le Sénateur-Maire, Cher Jean-Paul Alduy, qui soutenez ce festival depuis le début, cher Jean-François Leroy, qui en êtes, depuis que vous l'avez créé avec Roger Thérond, plus que l'animateur, l'âme.
Je tenais à le dire à tous les lauréats que vous distinguez, aux talents les plus confirmés, les plus reconnus, comme aux jeunes talents à qui vous donnez un grand coup de pouce.
Je tiens à vous féliciter et je souhaite une très longue vie à ce festival si nécessaire dans le monde d'aujourd'hui.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 6 septembre 2004)