Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
C'est un réel plaisir pour moi d'être devant vous aujourd'hui à l'occasion de la clôture de ces 5èmes conférences stratégiques annuelles de l'IRIS. Cette satisfaction se double d'un intérêt particulier pour vos réflexions sur un thème, " morale et emploi de la force ", qui est aujourd'hui au coeur des enjeux internationaux de sécurité et de paix.
Le droit au fondement d'un comportement mesuré.
Lorsque la force est employée, notamment lors des conflits armés, seuls les fondements juridiques peuvent imposer aux acteurs un comportement maîtrisé. Les fondements purement moraux sont soumis aux appréciations nécessairement subjectives des uns et des autres, ils influent donc moins sur les actes réels puisqu'ils sont conçus très différemment par les protagonistes.
Certes, il est vrai que le droit, et singulièrement le droit des conflits armés, n'a pas complètement coupé les liens avec la morale : j'en veux pour preuve l'existence d'une clause qui figure dans bon nombre de conventions internationales. Son auteur, Frédéric de MARTENS, jurisconsulte estonien au service du Tsar de Russie, à la fin du XIXème siècle, l'a rédigée ainsi : " Les personnes civiles et les combattants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis, des principes de l'humanité et des exigences de la conscience publique ".
Le principe d'humanité fait incontestablement référence à la morale, puisqu'il est lié aux exigences de la conscience publique. Mais il est devenu par son incorporation aux obligations internationales autre chose qu'une simple exigence morale, qui n'aurait pas vocation par elle-même à gouverner l'action des militaires. La même constatation est possible pour ce qui est des droits de l'homme : tant la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 que les deux pactes adoptés par l'Organisation des Nations unies en 1966 contiennent des règles qui dépassent la simple perception morale susceptible de différer d'un continent à un autre.
Qu'il s'agisse du droit international humanitaire ou des droits de l'homme, l'idée poursuivie par les Nations et concrétisée par l'adoption de règles de droit est la même : l'exercice de la contrainte par les autorités publiques ne doit pas dépasser certaines limites. Il convient donc de les rendre les plus universelles possibles pour qu'elles soient respectées de façon comparable à travers le monde.
C'est cette exigence d'universalité qui entraîne tant de critiques et d'insatisfaction parce qu'elle ralentit l'adoption de normes plus élevées. C'est pourtant la voie du progrès réel et non illusoire.
L'illégitimité de la cruauté.
La légitimité morale paraît toujours faire la leçon au droit, le rappeler à des valeurs supérieures auxquelles il est censé souscrire, mais qui, pour cette raison même, ne sont ni juridiques, ni fiables.
Au contraire, c'est au nom de la légitimité d'un peuple, d'une caste ou d'un pouvoir que parfois, sous couvert d'un emploi moralement correct de la force, sont commis des actes de barbarie. Or la violence qui se transforme en cruauté nuit autant à son auteur qu'à la victime. Ses bénéfices supposés ont un caractère totalement fallacieux : au lieu d'apporter la sécurité attendue, la cruauté aboutit à une fragilisation de l'action de ses auteurs. En ignorant volontairement le principe d'humanité, ils perdent la prétendue légitimité qu'ils avançaient.
La cruauté systématique est toujours, tôt ou tard, néfaste pour celui qui l'incite ou en tout cas pour la collectivité qui l'assume. Elle n'est jamais inéluctable. Ce n'est que poussée par la haine politique, elle-même entretenue par la propagande, que la cruauté trouve un terreau favorable à son émergence collective.
La perpétration d'une cruauté systématique engendre en outre une spirale infernale. Elle ne peut aller qu'en s'élargissant et en contaminant tous les acteurs des conflits ou des crises, y compris ceux qui, initialement, auraient refusé de s'engager dans cette voie. Les cruautés commises par les Serbes de Bosnie en ex-Yougoslavie ont entraîné la perpétration de crimes de même nature de la part des Croates et des Musulmans bosniaques, même s'ils n'ont pas forcément atteint la même dimension. Ces violences font elles-mêmes écho aux traumatismes répétés que les peuples de ces contrées se sont mutuellement infligés : outre les événements dramatiques de 1914, les atrocités des Oustachis croates d'ANTE PAVELITCH, des Tchetniks serbes, ou encore des Comitadjis bulgares ou albanais, ont contribué à faire bégayer l'histoire.
La cruauté est forcément illégitime : elle ne vise pas seulement l'écrasement de l'adversaire à l'instant de la victoire, mais sa déconstruction absolue, en profanant de manière systématique les valeurs les plus sacrées des victimes. Le saccage des monuments du culte ou de sépultures nie leur mémoire, donc leur passé, l'anéantissement psychologique des hommes et le non-respect des femmes attentent à l'humanité elle-même.
En inscrivant ainsi l'ensemble d'un conflit dans un contexte d'inhumanité, les auteurs des actes en cause assombrissent à la fois l'horizon du vaincu, mais aussi - sans qu'ils s'en rendent bien compte - leur statut de vainqueur. Leur démarche fondamentalement nihiliste éteint tout espoir : les traumatismes qu'ils créent rendent leur victoire fugace et trompeuse. Seul le respect de règles de droit est de nature à permettre d'éviter que se produisent de tels phénomènes dans la conduite des opérations militaires.
L'éthique plutôt que la morale.
Pourtant, il est nécessaire que les militaires fassent appel à des considérations non-juridiques pour définir et mettre en oeuvre, dans l'emploi de la force, un comportement mesuré. Mais ces considérations relèvent du domaine de l'éthique, plutôt que de celui de la morale.
La morale est connaissance a priori du bien et du mal. Elle revêt un caractère absolu, en principe indépendant des circonstances. Pour sa part, l'éthique ne relève pas de l'ordre de la connaissance : elle détermine des règles de comportement dans le domaine de l'action. Ces règles sont capitales dans les situations de plus en plus complexes qui caractérisent le déroulement des conflits modernes auxquels nous devons faire face. En effet, l'éthique définit en quelque sorte le juste comportement à la croisée de différentes normes morales, qui, face à une situation donnée, peuvent entrer en contradiction voire en conflit.
La référence à l'éthique ne doit pas obscurcir la perception des exigences de l'analyse juridique, mais, au contraire, les éclairer lorsque cela est nécessaire. Ainsi, le comportement des militaires dans l'emploi de la force est étroitement guidé par les règles d'engagement forgés par les autorités politiques nationales et les instances onusiennes. Ces consignes militaires intègrent, sous la forme simple d'autorisations ou d'interdictions, le mandat politique donné à une force, ainsi que les règles juridiques qui lui sont applicables dans le cadre d'un plan d'opérations donné.
Comment déterminer des règles d'engagement et de comportement qui permettent à la fois de remplir la mission, d'économiser hommes et moyens, et de respecter le principe juridique de mesure dans l'action ? Dans son célèbre manuel sur le rôle social de l'officier, le maréchal Lyautey évoque l'action d'un officier de l'infanterie de marine qui s'était fait une loi absolue d'épargner et de pacifier la population d'une région insurgée de Madagascar. " Je le revois, dit-il, abordant un village hostile et, malgré les coups de fusil de l'ennemi, déployant toute son autorité à empêcher qu'un seul coup ne partît de nos rangs, et y réussissant ". Et le maréchal de conclure : " ce qu'il faut souhaiter, c'est que de tels actes puissent être qualifiés d'actions d'éclat dans l'armée de demain ".
Bien sûr, cet exemple n'est pas forcément transposable à l'identique pour les théâtres extérieurs contemporains. Notre conception du combat a profondément évolué, ainsi que les technologies et l'information des populations civiles. Autant de facteurs qui entraînent une nouvelle appréciation du principe d'économie des forces et des moyens. Pourtant, la leçon de Lyautey, qui montre l'avantage de la retenue sur la tentation d'une action surdimensionnée, reste plus que jamais valable.
La soumission de la force au droit
J'en viens maintenant à un autre constat, évident de prime abord, mais qu'il convient de rappeler : c'est à la soumission de la force au droit que l'on reconnaît une démocratie. En démocratie, les législateurs et les gouvernants déterminent les règles applicables à l'emploi de la force, en accord avec les principes fondamentaux de notre droit. Bannissant l'arbitraire, les armées des Etats démocratiques s'imposent de respecter, dans leur organisation comme dans leur fonctionnement, le droit qu'elles ont la charge de faire respecter. Elles assoient ainsi l'autorité sur une réelle légitimité.
Le commandement assume une responsabilité générale en la matière. Il doit s'assurer que les membres des forces armées connaissent leurs droits et appliquent les obligations qui en sont le corollaire. De ce point de vue, le respect du droit des conflits armés constitue une garantie d'efficacité dans l'accomplissement des missions. Il valorise le comportement des combattants, tout en renforçant leur sens de la discipline. Il facilite la gestion des sorties de crise et le retour à la paix, à l'heure où chaque intervention extérieure rend ces questions primordiales. Il doit aussi être développé par des mesures de confiance, de surveillance et de contrôle.
C'est pourquoi j'ai pris, tout récemment, une directive demandant aux états-majors, directions et services de mon ministère, de renforcer la diffusion de ce droit, essentiel au sein des forces armées. C'est aussi pourquoi la France est favorable à la mise en oeuvre d'instruments internationaux comme le code de conduite relatif aux aspects politico-militaires de la sécurité, adopté à Budapest le 3 décembre 1994 par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
* *
Pour conclure, je tiens à marquer, ici devant vous, mon attachement à trois principes fondamentaux :
- un principe de confiance, d'abord, car les règles du droit sous-tendent l'ensemble de la doctrine militaire française et sont prises en compte à tous les échelons de la hiérarchie militaire. Le développement équilibré de ces règles et leur bonne application constituent des objectifs importants pour l'ensemble des Etats respectueux de leurs engagements internationaux. La France y contribue largement. L'exemplarité du comportement de nos forces armées en la matière permet aussi que ces règles, parfois ignorées ou transgressées, soient mieux appliquées partout dans le monde ;
- un principe de réalisme, ensuite, car le respect du droit s'inscrit dans les préoccupations de forces armées disciplinées et organisées. Même si ces règles peuvent paraître parfois complexes ou ambiguës, leur mise en oeuvre repose sur l'application des valeurs qui sont celles des Etats démocratiques, qui viennent les éclairer. Cette mise en oeuvre appelle aussi le recours aux facultés de jugement et de bon sens qui orientent le militaire pour l'ensemble de son action ;
- un principe de persévérance, enfin, car le droit ne saurait constituer un simple référentiel théorique, mais il doit avoir sa place dans l'état d'esprit qui anime l'ensemble de l'institution militaire et chacune de ses composantes. L'engagement dans cette voie des plus hautes autorités du ministère de la Défense doit donc être relayé en permanence, à chaque niveau de la hiérarchie, de façon que tout militaire puisse sentir qu'en s'investissant dans la connaissance de ces règles, il adhère à l'un des fondements de notre société.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 26 mai 2000)
C'est un réel plaisir pour moi d'être devant vous aujourd'hui à l'occasion de la clôture de ces 5èmes conférences stratégiques annuelles de l'IRIS. Cette satisfaction se double d'un intérêt particulier pour vos réflexions sur un thème, " morale et emploi de la force ", qui est aujourd'hui au coeur des enjeux internationaux de sécurité et de paix.
Le droit au fondement d'un comportement mesuré.
Lorsque la force est employée, notamment lors des conflits armés, seuls les fondements juridiques peuvent imposer aux acteurs un comportement maîtrisé. Les fondements purement moraux sont soumis aux appréciations nécessairement subjectives des uns et des autres, ils influent donc moins sur les actes réels puisqu'ils sont conçus très différemment par les protagonistes.
Certes, il est vrai que le droit, et singulièrement le droit des conflits armés, n'a pas complètement coupé les liens avec la morale : j'en veux pour preuve l'existence d'une clause qui figure dans bon nombre de conventions internationales. Son auteur, Frédéric de MARTENS, jurisconsulte estonien au service du Tsar de Russie, à la fin du XIXème siècle, l'a rédigée ainsi : " Les personnes civiles et les combattants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis, des principes de l'humanité et des exigences de la conscience publique ".
Le principe d'humanité fait incontestablement référence à la morale, puisqu'il est lié aux exigences de la conscience publique. Mais il est devenu par son incorporation aux obligations internationales autre chose qu'une simple exigence morale, qui n'aurait pas vocation par elle-même à gouverner l'action des militaires. La même constatation est possible pour ce qui est des droits de l'homme : tant la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 que les deux pactes adoptés par l'Organisation des Nations unies en 1966 contiennent des règles qui dépassent la simple perception morale susceptible de différer d'un continent à un autre.
Qu'il s'agisse du droit international humanitaire ou des droits de l'homme, l'idée poursuivie par les Nations et concrétisée par l'adoption de règles de droit est la même : l'exercice de la contrainte par les autorités publiques ne doit pas dépasser certaines limites. Il convient donc de les rendre les plus universelles possibles pour qu'elles soient respectées de façon comparable à travers le monde.
C'est cette exigence d'universalité qui entraîne tant de critiques et d'insatisfaction parce qu'elle ralentit l'adoption de normes plus élevées. C'est pourtant la voie du progrès réel et non illusoire.
L'illégitimité de la cruauté.
La légitimité morale paraît toujours faire la leçon au droit, le rappeler à des valeurs supérieures auxquelles il est censé souscrire, mais qui, pour cette raison même, ne sont ni juridiques, ni fiables.
Au contraire, c'est au nom de la légitimité d'un peuple, d'une caste ou d'un pouvoir que parfois, sous couvert d'un emploi moralement correct de la force, sont commis des actes de barbarie. Or la violence qui se transforme en cruauté nuit autant à son auteur qu'à la victime. Ses bénéfices supposés ont un caractère totalement fallacieux : au lieu d'apporter la sécurité attendue, la cruauté aboutit à une fragilisation de l'action de ses auteurs. En ignorant volontairement le principe d'humanité, ils perdent la prétendue légitimité qu'ils avançaient.
La cruauté systématique est toujours, tôt ou tard, néfaste pour celui qui l'incite ou en tout cas pour la collectivité qui l'assume. Elle n'est jamais inéluctable. Ce n'est que poussée par la haine politique, elle-même entretenue par la propagande, que la cruauté trouve un terreau favorable à son émergence collective.
La perpétration d'une cruauté systématique engendre en outre une spirale infernale. Elle ne peut aller qu'en s'élargissant et en contaminant tous les acteurs des conflits ou des crises, y compris ceux qui, initialement, auraient refusé de s'engager dans cette voie. Les cruautés commises par les Serbes de Bosnie en ex-Yougoslavie ont entraîné la perpétration de crimes de même nature de la part des Croates et des Musulmans bosniaques, même s'ils n'ont pas forcément atteint la même dimension. Ces violences font elles-mêmes écho aux traumatismes répétés que les peuples de ces contrées se sont mutuellement infligés : outre les événements dramatiques de 1914, les atrocités des Oustachis croates d'ANTE PAVELITCH, des Tchetniks serbes, ou encore des Comitadjis bulgares ou albanais, ont contribué à faire bégayer l'histoire.
La cruauté est forcément illégitime : elle ne vise pas seulement l'écrasement de l'adversaire à l'instant de la victoire, mais sa déconstruction absolue, en profanant de manière systématique les valeurs les plus sacrées des victimes. Le saccage des monuments du culte ou de sépultures nie leur mémoire, donc leur passé, l'anéantissement psychologique des hommes et le non-respect des femmes attentent à l'humanité elle-même.
En inscrivant ainsi l'ensemble d'un conflit dans un contexte d'inhumanité, les auteurs des actes en cause assombrissent à la fois l'horizon du vaincu, mais aussi - sans qu'ils s'en rendent bien compte - leur statut de vainqueur. Leur démarche fondamentalement nihiliste éteint tout espoir : les traumatismes qu'ils créent rendent leur victoire fugace et trompeuse. Seul le respect de règles de droit est de nature à permettre d'éviter que se produisent de tels phénomènes dans la conduite des opérations militaires.
L'éthique plutôt que la morale.
Pourtant, il est nécessaire que les militaires fassent appel à des considérations non-juridiques pour définir et mettre en oeuvre, dans l'emploi de la force, un comportement mesuré. Mais ces considérations relèvent du domaine de l'éthique, plutôt que de celui de la morale.
La morale est connaissance a priori du bien et du mal. Elle revêt un caractère absolu, en principe indépendant des circonstances. Pour sa part, l'éthique ne relève pas de l'ordre de la connaissance : elle détermine des règles de comportement dans le domaine de l'action. Ces règles sont capitales dans les situations de plus en plus complexes qui caractérisent le déroulement des conflits modernes auxquels nous devons faire face. En effet, l'éthique définit en quelque sorte le juste comportement à la croisée de différentes normes morales, qui, face à une situation donnée, peuvent entrer en contradiction voire en conflit.
La référence à l'éthique ne doit pas obscurcir la perception des exigences de l'analyse juridique, mais, au contraire, les éclairer lorsque cela est nécessaire. Ainsi, le comportement des militaires dans l'emploi de la force est étroitement guidé par les règles d'engagement forgés par les autorités politiques nationales et les instances onusiennes. Ces consignes militaires intègrent, sous la forme simple d'autorisations ou d'interdictions, le mandat politique donné à une force, ainsi que les règles juridiques qui lui sont applicables dans le cadre d'un plan d'opérations donné.
Comment déterminer des règles d'engagement et de comportement qui permettent à la fois de remplir la mission, d'économiser hommes et moyens, et de respecter le principe juridique de mesure dans l'action ? Dans son célèbre manuel sur le rôle social de l'officier, le maréchal Lyautey évoque l'action d'un officier de l'infanterie de marine qui s'était fait une loi absolue d'épargner et de pacifier la population d'une région insurgée de Madagascar. " Je le revois, dit-il, abordant un village hostile et, malgré les coups de fusil de l'ennemi, déployant toute son autorité à empêcher qu'un seul coup ne partît de nos rangs, et y réussissant ". Et le maréchal de conclure : " ce qu'il faut souhaiter, c'est que de tels actes puissent être qualifiés d'actions d'éclat dans l'armée de demain ".
Bien sûr, cet exemple n'est pas forcément transposable à l'identique pour les théâtres extérieurs contemporains. Notre conception du combat a profondément évolué, ainsi que les technologies et l'information des populations civiles. Autant de facteurs qui entraînent une nouvelle appréciation du principe d'économie des forces et des moyens. Pourtant, la leçon de Lyautey, qui montre l'avantage de la retenue sur la tentation d'une action surdimensionnée, reste plus que jamais valable.
La soumission de la force au droit
J'en viens maintenant à un autre constat, évident de prime abord, mais qu'il convient de rappeler : c'est à la soumission de la force au droit que l'on reconnaît une démocratie. En démocratie, les législateurs et les gouvernants déterminent les règles applicables à l'emploi de la force, en accord avec les principes fondamentaux de notre droit. Bannissant l'arbitraire, les armées des Etats démocratiques s'imposent de respecter, dans leur organisation comme dans leur fonctionnement, le droit qu'elles ont la charge de faire respecter. Elles assoient ainsi l'autorité sur une réelle légitimité.
Le commandement assume une responsabilité générale en la matière. Il doit s'assurer que les membres des forces armées connaissent leurs droits et appliquent les obligations qui en sont le corollaire. De ce point de vue, le respect du droit des conflits armés constitue une garantie d'efficacité dans l'accomplissement des missions. Il valorise le comportement des combattants, tout en renforçant leur sens de la discipline. Il facilite la gestion des sorties de crise et le retour à la paix, à l'heure où chaque intervention extérieure rend ces questions primordiales. Il doit aussi être développé par des mesures de confiance, de surveillance et de contrôle.
C'est pourquoi j'ai pris, tout récemment, une directive demandant aux états-majors, directions et services de mon ministère, de renforcer la diffusion de ce droit, essentiel au sein des forces armées. C'est aussi pourquoi la France est favorable à la mise en oeuvre d'instruments internationaux comme le code de conduite relatif aux aspects politico-militaires de la sécurité, adopté à Budapest le 3 décembre 1994 par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
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Pour conclure, je tiens à marquer, ici devant vous, mon attachement à trois principes fondamentaux :
- un principe de confiance, d'abord, car les règles du droit sous-tendent l'ensemble de la doctrine militaire française et sont prises en compte à tous les échelons de la hiérarchie militaire. Le développement équilibré de ces règles et leur bonne application constituent des objectifs importants pour l'ensemble des Etats respectueux de leurs engagements internationaux. La France y contribue largement. L'exemplarité du comportement de nos forces armées en la matière permet aussi que ces règles, parfois ignorées ou transgressées, soient mieux appliquées partout dans le monde ;
- un principe de réalisme, ensuite, car le respect du droit s'inscrit dans les préoccupations de forces armées disciplinées et organisées. Même si ces règles peuvent paraître parfois complexes ou ambiguës, leur mise en oeuvre repose sur l'application des valeurs qui sont celles des Etats démocratiques, qui viennent les éclairer. Cette mise en oeuvre appelle aussi le recours aux facultés de jugement et de bon sens qui orientent le militaire pour l'ensemble de son action ;
- un principe de persévérance, enfin, car le droit ne saurait constituer un simple référentiel théorique, mais il doit avoir sa place dans l'état d'esprit qui anime l'ensemble de l'institution militaire et chacune de ses composantes. L'engagement dans cette voie des plus hautes autorités du ministère de la Défense doit donc être relayé en permanence, à chaque niveau de la hiérarchie, de façon que tout militaire puisse sentir qu'en s'investissant dans la connaissance de ces règles, il adhère à l'un des fondements de notre société.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 26 mai 2000)