Texte intégral
Q - Tous les mois, il y a une séance de questions réservée à l'Europe, le premier mercredi du mois, et si je vous ai invité, c'est qu'en ce début d'année 2004, on a le sentiment un peu partout, que l'on retrouve une famille d'eurosceptiques. Ressentez-vous cela aussi ?
R - Nous sommes effectivement à un tournant. L'Europe est en passe de connaître sa mutation la plus importante depuis l'origine. Elle s'apprête à faire un saut qualitatif devant lequel un certain nombre d'Etats hésitent. C'est la raison pour laquelle la Conférence intergouvernementale qui devait en décembre dernier adopter la Constitution n'est pas parvenue à ses fins et a dû interrompre ses travaux. Mais je ne pense pas que nous soyons face à une montée de l'euroscepticisme. Au contraire, je puis vous dire que je parcours la France de long en large, et notamment dans les facultés, les écoles, les lycées. Je rencontre beaucoup de jeunes et je sens qu'il y a une forte attente d'Europe, mais d'une Europe peut-être un peu plus proche de nous.
Q - Il y a quelque chose qui rassure et inquiète à la fois, c'est l'euro. Il se porte très bien, conséquence : le dollar ne se porte pas très bien. C'est un avantage et c'est un inconvénient car les entreprises disent que pour l'exportation, ce n'est pas bon
R - Il faut raison garder. Lorsque l'euro a été créé, son taux de change vis-à-vis du dollar, bien qu'un peu inférieur, était comparable à celui d'aujourd'hui. Lorsqu'il s'est déprécié par rapport au dollar, beaucoup de voix se sont fait entendre pour dire que c'était une catastrophe car nous allions devoir payer une facture pétrolière très élevée. Maintenant cette facture est minorée, compte tenu du différentiel en sens inverse par rapport au dollar. Nos importations sont moins chères. Par ailleurs, notre sécurité est que plus des deux tiers du commerce que fait la France avec d'autres pays est un commerce intra-communautaire. On n'a jamais eu dans l'histoire des taux d'intérêt aussi bas. Je crois que les avantages dépassent amplement les inconvénients. Il faut donc se réjouir de ce que l'euro ait été inventé et finalement mis en circulation.
Q - Avez-vous le sentiment, car il y a quelques années les Etats-Unis regardaient l'Europe d'un oeil assez inquiet. Aujourd'hui, est-ce que cette inquiétude persiste ou est-ce que les choses changent ou est-ce que l'Europe s'affirme par rapport aux Etats-Unis ?
R - L'Europe s'affirme tout court. Il n'est pas question de s'affirmer contre un partenaire. Il est simplement question que l'Europe passe à une vitesse supérieure et acquière une beaucoup plus forte identité politique. C'est la raison pour laquelle les deux grands chantiers qui ont été ouverts il y a quelques années et qui ont permis des progrès très substantiels depuis un an, sont ceux de la politique étrangère et de la défense. L'Europe a un devoir, c'est d'assurer la sécurité de ses concitoyens et pour que cette sécurité soit assurée en Europe, il faut aussi que l'Europe assume toutes ses responsabilités pour régler et prévenir les crises qui peuvent éclater ici ou là dans le monde.
Q - On parle souvent des directives européennes qui sont annoncées, votées, décidées. Par exemple pour le drame de Charm El Cheikh : il y a une directive européenne à propos des avions dangereux. Il y a d'autres directives pour les bateaux pollueurs dont on a beaucoup parlé. Alors pourquoi ces directives sont-elles oubliées ou en parle-t-on au moment des drames seulement ?
R - Ces directives posent deux problèmes : d'une part, elles doivent être transposées dans notre droit national, dans notre législation. C'est un de mes grands soucis que de voir la France transposer correctement toutes ces directives. Je vais présenter une communication en Conseil des ministres à la fin du mois de janvier pour que soit accéléré le rythme de transposition et donc d'application en France des directives. Par ailleurs, il y a des directives qui ont été transposées et qui sont appliquées mais sans pouvoir identifier un cas précis, il peut y avoir des circonstances particulières. En ce qui concerne la sécurité maritime, nous avons adopté des textes et je puis vous dire qu'aujourd'hui ces textes sont appliqués car nous éloignons les navires dangereux. Nous avons un plan que nous appliquons d'élimination des navires à simple coque qui transportent des matières dangereuses, en particulier du pétrole et des matières chimiques. Finalement ces directives sont efficaces. Mais il y a parfois des circonstances particulières indépendamment de l'application des directives comme ce drame épouvantable de l'accident de l'avion à Charm El Cheikh.
Q - Pour en revenir à l'Assemblée nationale, qui a accepté que dix nouveaux membres rejoignent l'union européenne, sur tous les bancs, les trois quarts de l'Assemblée nationale, donc c'est très bien mais d'un autre côté on entend aussi que l'Europe c'est bien, mais que l'Europe sociale, il faut y regarder à deux fois, par exemple lorsqu'on parle de l'emploi. Il y a l'emploi en France - on dit qu'il y a beaucoup de chômeurs - mais cette Europe qui arrive va peut-être aggraver la situation car certains chefs d'entreprises sont tentés d'aller voir dans d'autres pays européens où la main-d'oeuvre est meilleure marché qu'en France, alors n'y a-t-il pas une concurrence déloyale ?
R - Je voudrais rectifier légèrement ce que vous venez de dire. C'est à l'unanimité moins une voix que l'Assemblée nationale, puis le Sénat, ont voté en faveur de la ratification du traité de l'élargissement. Il y a eu effectivement quelques abstentions mais pas de vote contre, à une exception près. Les craintes en matière d'emplois aujourd'hui sont justifiées parce que notre système social qui est à un niveau élevé, ne permet plus dans le même temps de supporter une croissance aussi génératrice d'emplois que nous le souhaiterions. C'est la raison pour laquelle la France a demandé et obtenu que l'emploi soit en tête des priorités de la présidence irlandaise, qui a commencé le 1er janvier de cette année. Au Conseil européen des chefs d'Etats et gouvernement de mars prochain, le thème de l'emploi va être traité lors d'un sommet social. C'est nouveau. Nous le voulions, nous le souhaitions étant conscients qu'il y a un fort besoin pour l'Europe de retrouver ces emplois, notamment dans notre pays et d'autres comme l'Allemagne. Pour ce qui est de l'élargissement, c'est une chance pour l'économie et donc pour l'emploi. Les dix pays entrants ont certes un poids économique très limité, à peine 5 % du PIB européen, à peu près le PIB des Pays-Bas. Mais ce sont de nouveaux marchés qui s'offrent à nos entreprises françaises qui y sont particulièrement présentes : cela crée de l'emploi et de la richesse pour nous car en tant qu'investisseurs, nous tirons profit de ces localisations. Ce qui est beaucoup plus inquiétant, ce sont les nouveaux équilibres économiques mondiaux, qui se dessinent avec la montée en puissance de la Chine - un marché d'un milliard 300 millions d'habitants - et l'Inde, un marché d'un milliard d'habitants où les emplois se développent de façon accélérée. Or, nos investisseurs y sont de plus en plus présents car la main d'oeuvre y est de qualité et est beaucoup moins chère que chez nous. Nous souhaitons tirer profit de la période que nous traversons pour renforcer l'Europe, l'économie de l'Europe, les localisations en Europe, à l'Ouest mais aussi à l'Est. L'Europe doit être un pôle non seulement démographique, mais aussi économique suffisamment puissant pour faire face à cette compétition internationale.
Q - Dans quel état d'esprit le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin attaque-t-il cette année 2004 ?
R - Nous sommes heureux. Nous avons ouvert courageusement d'importants chantiers. Je pense à celui des retraites. Nous sommes heureux de la tâche accomplie car il était indispensable pour nos concitoyens de permettre que soit financé notre système de pension sur le long terme. Maintenant, nous avons face à nous une grande année européenne. Ce sera aussi une grande année de réformes pour que notre pays puisse tirer avantage de la reprise de la croissance qui se profile à l'horizon. Ce sera donc une bonne cuvée européenne et une bonne cuvée française.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 janvier 2004)
R - Nous sommes effectivement à un tournant. L'Europe est en passe de connaître sa mutation la plus importante depuis l'origine. Elle s'apprête à faire un saut qualitatif devant lequel un certain nombre d'Etats hésitent. C'est la raison pour laquelle la Conférence intergouvernementale qui devait en décembre dernier adopter la Constitution n'est pas parvenue à ses fins et a dû interrompre ses travaux. Mais je ne pense pas que nous soyons face à une montée de l'euroscepticisme. Au contraire, je puis vous dire que je parcours la France de long en large, et notamment dans les facultés, les écoles, les lycées. Je rencontre beaucoup de jeunes et je sens qu'il y a une forte attente d'Europe, mais d'une Europe peut-être un peu plus proche de nous.
Q - Il y a quelque chose qui rassure et inquiète à la fois, c'est l'euro. Il se porte très bien, conséquence : le dollar ne se porte pas très bien. C'est un avantage et c'est un inconvénient car les entreprises disent que pour l'exportation, ce n'est pas bon
R - Il faut raison garder. Lorsque l'euro a été créé, son taux de change vis-à-vis du dollar, bien qu'un peu inférieur, était comparable à celui d'aujourd'hui. Lorsqu'il s'est déprécié par rapport au dollar, beaucoup de voix se sont fait entendre pour dire que c'était une catastrophe car nous allions devoir payer une facture pétrolière très élevée. Maintenant cette facture est minorée, compte tenu du différentiel en sens inverse par rapport au dollar. Nos importations sont moins chères. Par ailleurs, notre sécurité est que plus des deux tiers du commerce que fait la France avec d'autres pays est un commerce intra-communautaire. On n'a jamais eu dans l'histoire des taux d'intérêt aussi bas. Je crois que les avantages dépassent amplement les inconvénients. Il faut donc se réjouir de ce que l'euro ait été inventé et finalement mis en circulation.
Q - Avez-vous le sentiment, car il y a quelques années les Etats-Unis regardaient l'Europe d'un oeil assez inquiet. Aujourd'hui, est-ce que cette inquiétude persiste ou est-ce que les choses changent ou est-ce que l'Europe s'affirme par rapport aux Etats-Unis ?
R - L'Europe s'affirme tout court. Il n'est pas question de s'affirmer contre un partenaire. Il est simplement question que l'Europe passe à une vitesse supérieure et acquière une beaucoup plus forte identité politique. C'est la raison pour laquelle les deux grands chantiers qui ont été ouverts il y a quelques années et qui ont permis des progrès très substantiels depuis un an, sont ceux de la politique étrangère et de la défense. L'Europe a un devoir, c'est d'assurer la sécurité de ses concitoyens et pour que cette sécurité soit assurée en Europe, il faut aussi que l'Europe assume toutes ses responsabilités pour régler et prévenir les crises qui peuvent éclater ici ou là dans le monde.
Q - On parle souvent des directives européennes qui sont annoncées, votées, décidées. Par exemple pour le drame de Charm El Cheikh : il y a une directive européenne à propos des avions dangereux. Il y a d'autres directives pour les bateaux pollueurs dont on a beaucoup parlé. Alors pourquoi ces directives sont-elles oubliées ou en parle-t-on au moment des drames seulement ?
R - Ces directives posent deux problèmes : d'une part, elles doivent être transposées dans notre droit national, dans notre législation. C'est un de mes grands soucis que de voir la France transposer correctement toutes ces directives. Je vais présenter une communication en Conseil des ministres à la fin du mois de janvier pour que soit accéléré le rythme de transposition et donc d'application en France des directives. Par ailleurs, il y a des directives qui ont été transposées et qui sont appliquées mais sans pouvoir identifier un cas précis, il peut y avoir des circonstances particulières. En ce qui concerne la sécurité maritime, nous avons adopté des textes et je puis vous dire qu'aujourd'hui ces textes sont appliqués car nous éloignons les navires dangereux. Nous avons un plan que nous appliquons d'élimination des navires à simple coque qui transportent des matières dangereuses, en particulier du pétrole et des matières chimiques. Finalement ces directives sont efficaces. Mais il y a parfois des circonstances particulières indépendamment de l'application des directives comme ce drame épouvantable de l'accident de l'avion à Charm El Cheikh.
Q - Pour en revenir à l'Assemblée nationale, qui a accepté que dix nouveaux membres rejoignent l'union européenne, sur tous les bancs, les trois quarts de l'Assemblée nationale, donc c'est très bien mais d'un autre côté on entend aussi que l'Europe c'est bien, mais que l'Europe sociale, il faut y regarder à deux fois, par exemple lorsqu'on parle de l'emploi. Il y a l'emploi en France - on dit qu'il y a beaucoup de chômeurs - mais cette Europe qui arrive va peut-être aggraver la situation car certains chefs d'entreprises sont tentés d'aller voir dans d'autres pays européens où la main-d'oeuvre est meilleure marché qu'en France, alors n'y a-t-il pas une concurrence déloyale ?
R - Je voudrais rectifier légèrement ce que vous venez de dire. C'est à l'unanimité moins une voix que l'Assemblée nationale, puis le Sénat, ont voté en faveur de la ratification du traité de l'élargissement. Il y a eu effectivement quelques abstentions mais pas de vote contre, à une exception près. Les craintes en matière d'emplois aujourd'hui sont justifiées parce que notre système social qui est à un niveau élevé, ne permet plus dans le même temps de supporter une croissance aussi génératrice d'emplois que nous le souhaiterions. C'est la raison pour laquelle la France a demandé et obtenu que l'emploi soit en tête des priorités de la présidence irlandaise, qui a commencé le 1er janvier de cette année. Au Conseil européen des chefs d'Etats et gouvernement de mars prochain, le thème de l'emploi va être traité lors d'un sommet social. C'est nouveau. Nous le voulions, nous le souhaitions étant conscients qu'il y a un fort besoin pour l'Europe de retrouver ces emplois, notamment dans notre pays et d'autres comme l'Allemagne. Pour ce qui est de l'élargissement, c'est une chance pour l'économie et donc pour l'emploi. Les dix pays entrants ont certes un poids économique très limité, à peine 5 % du PIB européen, à peu près le PIB des Pays-Bas. Mais ce sont de nouveaux marchés qui s'offrent à nos entreprises françaises qui y sont particulièrement présentes : cela crée de l'emploi et de la richesse pour nous car en tant qu'investisseurs, nous tirons profit de ces localisations. Ce qui est beaucoup plus inquiétant, ce sont les nouveaux équilibres économiques mondiaux, qui se dessinent avec la montée en puissance de la Chine - un marché d'un milliard 300 millions d'habitants - et l'Inde, un marché d'un milliard d'habitants où les emplois se développent de façon accélérée. Or, nos investisseurs y sont de plus en plus présents car la main d'oeuvre y est de qualité et est beaucoup moins chère que chez nous. Nous souhaitons tirer profit de la période que nous traversons pour renforcer l'Europe, l'économie de l'Europe, les localisations en Europe, à l'Ouest mais aussi à l'Est. L'Europe doit être un pôle non seulement démographique, mais aussi économique suffisamment puissant pour faire face à cette compétition internationale.
Q - Dans quel état d'esprit le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin attaque-t-il cette année 2004 ?
R - Nous sommes heureux. Nous avons ouvert courageusement d'importants chantiers. Je pense à celui des retraites. Nous sommes heureux de la tâche accomplie car il était indispensable pour nos concitoyens de permettre que soit financé notre système de pension sur le long terme. Maintenant, nous avons face à nous une grande année européenne. Ce sera aussi une grande année de réformes pour que notre pays puisse tirer avantage de la reprise de la croissance qui se profile à l'horizon. Ce sera donc une bonne cuvée européenne et une bonne cuvée française.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 janvier 2004)