Tribune de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, parue dans "Le Point" du 28 octobre 2004, sur le travail et l'emploi et les objectifs des réformes menées par le gouvernement, intitulée "L'arrogance est une impuissance".

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Média : Le Point

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Je lis régulièrement des propos définitifs et pourtant répétitifs. Il y a une tentation adolescente chez certains commentateurs: ils ont peut-être gardé de leur formation la nostalgie de la dissertation plutôt que le sens de l'action. Ainsi, le mythe du grand soir perdure et l'excès touche à l'insignifiance. L'arrogance est une impuissance.
Pourquoi vouloir ignorer les soubresauts de notre histoire où se mêlent conflits et avancées? Pourquoi vouloir toujours penser en noir et blanc au temps de la "pensée complexe" ? Pourquoi renoncer à surmonter les paradoxes de la réalité française, une société d'antagonismes qui aime le consensus ? Décidément, "quand les gens intelligents se mêlent de ne point comprendre, ils y réussissent mieux que les sots".
Le point commun de beaucoup de donneurs de leçons est d'ignorer la réalité du pays. Cela conduit d'ailleurs certains à faire le contraire de ce qu'ils disent. J'ai rencontré récemment quelques grands patrons, issus de l'administration, qui, ayant joué le jeu de la loi contre le contrat, regrettent aujourd'hui le contrat et critiquent la loi.
Certains martèlent: il suffit de démanteler l'Etat et de détricoter le Code du travail. D'autres affirment: il suffit de faire grandir l'Etat à tout prix et d'assister davantage encore les individus. Sortons de ces postures suffisantes. Entrons dans la réalité.
Depuis trente ans, le grand défi auquel est confronté notre pays reste celui du travail et de l'emploi. Tous mes prédécesseurs ont essayé, aucun n'a réussi dans la durée. Après pourtant quatre années de croissance, le dernier d'entre eux n'a pu surmonter une cinquième année avec reprise du chômage.
Aujourd'hui, après trente mois d'action, la croissance française est supérieure à celle de la zone euro et le chômage est stabilisé. Nous sommes en ligne avec l'un des engagements du président de la République qui me tient très à cur, celui de créer un million d'entreprises pendant le quinquennat.
Pour enrichir la croissance en emplois, nous multiplions les initiatives, dont le plan de cohésion sociale est la principale. Je revendique ici les décisions que je viens de prendre pour que l'emploi ne soit plus soumis au carcan adopté par la précédente majorité sous la pression des communistes, en 2001.
Après l'échec des négociations entre les partenaires sociaux, j'ai choisi la voie juste, celle qui sécurise les procédures de mutation indispensable aux entreprises, celle aussi qui développe les modalités de reclassement pour les salariés, notamment ceux des PME.
Cette voie nous permettra d'accroître le niveau global de l'emploi en facilitant des évolutions économiques qui seront mieux anticipées et qui seront réalisées avec une meilleure prise en considération des situations personnelles. Un tel choix ne peut satisfaire tout le monde. Le recul serait de revenir à la loi de 2001. La "bêtise" serait d'accorder une revanche aux uns sur les autres. Chacun doit savoir faire une partie du chemin. La réforme ne peut être qu'un partage.
Je suis réformiste comme d'autres sont socialistes. Je le resterai. Depuis que je suis chef du gouvernement, j'ai construit une méthode de la réforme: - D'abord, déterminer les priorités et fixer le calendrier. Depuis deux ans et demi, le gouvernement a informé les Françaises et les Français des différents rendez-vous de la réforme: la sécurité, les retraites, l'assurance- maladie... Pour 2005, j'ai annoncé les termes du contrat que je propose au pays: l'école, l'emploi et le pouvoir l d'achat.
Ensuite, prendre le temps du "diagnostic partagé". Grâce au Conseil d'orientation des retraites (COR), au Haut-Conseil de l'assurance-maladie ou à la commission Thélot, la: pensée a nourri l'action.
Le débat permet de prendre les décisions qui respectent l'esprit de justice. En France, l'équité est le véritable levier de la réforme. C'est le sens de décisions telles que le droit à la retraite anticipée pour les carrières longues ou le droit à une complémentaire santé pour les personnes à faibles ressources.
Enfin, décider sur l'ensemble de la réforme avec trois objectifs: éviter le blocage, privilégier l'intérêt général et résister aux critiques fondées sur les seuls intérêts particuliers.
Nous devons à cette méthode un système de retraites pérennisé pour les trente ans à venir, un régime de l'assurance-maladie sauvé de la faillite, une baisse des impôts, un plan en faveur des personnes dépendantes, une politique de sécurité et de défense, un plan de cohésion sociale, une décentralisation, levier de la réforme de l'Etat, une modernisation de nos entreprises et de notre politique de l'énergie...
Dans la seconde partie de la législature, nous tiendrons bon le cap des réformes. Je lis que je n'aurais le choix qu'entre le sursaut et le sursis. C'est oublier le service, le service de la France, le service de toute la France.
Homme politique, je connais la précarité de ce service. Je le sais critiquable, je le crois respectable.

(Source http://www.u-m-p.org, le 29 octobre 2004)