Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, dans "Lutte Ouvrière" les 8, 15, 22, 29 octobre 2004, sur l'aggravation du chômage, sur le développement économique de la Chine, sur les mesures gouvernementales favorisant les licenciements, sur les relations Israël-Palestine.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

8 octobre 2004
Nous pouvons cesser de subir
Malgré la "reprise économique" dont se vantent les ministres, les derniers chiffres du chômage sont là: 2,2% de hausse du chômage en un an. 2,4 millions de chômeurs officiellement recensés, pas loin d'un travailleur sur dix. Et ces chiffres ne tiennent pas compte de ceux qui ont été rayés des listes ou qui, découragés, ne pointent plus. Et ni les intérimaires, ni les autres catégories de travailleurs précaires ne sont considérés comme chômeurs.
Rien d'étonnant que le chiffre des RMIstes explose et que 1,6 million de personnes soient obligées de vivre, si l'on peut dire, avec 400 euros par mois!
L'aggravation du chômage concerne tous les travailleurs, car ils sont tous des chômeurs en puissance. Il n'y a pas une semaine sans annonce d'un plan de licenciements de la part des grosses entreprises, y compris parmi les plus puissantes et les plus riches, sans parler des innombrables entreprises petites et moyennes qui licencient discrètement.
Le patronat, responsable de ces licenciements et du chômage, en profite pour faire pression sur les conditions et l'intensité du travail ou sur la discipline. Il n'y a pas qu'à Auchan qu'on licencie pour un oui pour un non: dans le cas d'Auchan, plusieurs caissières mises à la porte après dix ou quinze ans de travail, simplement pour avoir utilisé pour quelques euros de bons de réduction distribués aux clients.
Le grand patronat en profite surtout pour peser sur les salaires, qui subissent, de plus, des prélèvements en croissance. Et pendant que le pouvoir d'achat des travailleurs baisse, les profits des grosses entreprises augmentent dans des proportions extravagantes: 68% de profits en plus pour les plus grandes des plus grandes entreprises, entraînant un accroissement parallèle des revenus des actionnaires. La bourgeoisie capitaliste vit littéralement de l'appauvrissement général du monde ouvrier. Appauvrissement soutenu par le gouvernement, qui non seulement contribue aux profits capitalistes avec des subventions de toute sorte, mais participe à la démolition des conditions d'existence des travailleurs en s'attaquant aux retraites, à l'assurance-maladie ou en diminuant l'emploi dans les secteurs encore publics.
Devant un public de patrons, Sarkozy s'est vanté des succès du gouvernement. La réforme de l'assurance-maladie, disait-il, avance sans provoquer une seule manifestation; l'EDF est en train d'être privatisée sans une seule journée de grève. Ces gens-là sont fiers de la réussite de leurs attaques contre le monde du travail. Mais, dans la vantardise même d'un Sarkozy, il y a en filigrane une crainte: celle d'une réaction du monde du travail.
Eh bien oui, c'est à cette réaction qu'il faut se préparer. Il n'y a pas d'autre moyen d'arrêter les mesures antiouvrières du patronat et du gouvernement, d'arrêter la baisse des salaires réels et les licenciements, qu'un soulèvement du monde du travail.
Cette année, les confédérations syndicales n'ont rien proposé à la rentrée, pas même une manifestation ou une journée d'action d'ensemble. Cela ne suffirait certes pas à faire reculer le patronat et le gouvernement, mais montrerait au moins que les travailleurs refusent les coups et que ceux d'en face ont tort de penser qu'ils peuvent continuer impunément.
Les initiatives catégorielles dans le désordre et préparées sans conviction, comme celle de la métallurgie, sont un pis-aller, car tous les travailleurs subissent les mêmes attaques et c'est ensemble qu'ils peuvent prendre conscience de leur force. Il faut cependant que cette journée, comme d'autres, soit un succès. C'est la seule façon de faire pression sur les confédérations, afin qu'elles cessent d'en appeler à la "politique de concertation", ce qui, dans les conditions actuelles, signifie se coucher devant le patronat.
La voie de la lutte est peut-être difficile, mais il n'y a pas d'autre voie si l'on ne veut pas qu'ils nous enfoncent tous, travailleurs en activité, au chômage ou retraités, dans la pauvreté.
(source http://www.lutte-ouvriere.org, le 8 octobre 2004)
15 octobre 2004
Leur argent les intéresse
Chirac, en visite officielle en Chine, est content. Les hommes d'affaires et les patrons de grandes entreprises qui l'accompagnent aussi. Alstom, Airbus, Dassault, Alcatel ou Suez auraient déjà décroché pour plus de quatre milliards d'euros de contrats supplémentaires.
On disait, au temps de la IVe République, que les présidents de la République ne servaient qu'à inaugurer les chrysanthèmes. Depuis, la profession est devenue plus variée et Chirac, lui, excelle apparemment dans le rôle du représentant de commerce des grandes entreprises françaises.
Le marché chinois les intéresse. On décrit ce pays le plus peuplé du monde, avec ses 1,3 milliard d'habitants, comme un pays en plein essor économique. Et de multiplier les reportages sur les quartiers ultra-modernes de Shangaï ou de Pékin, où poussent tours et édifices ultra-modernes à la place de vieux quartiers que l'on démolit en en chassant les habitants loin vers la périphérie. Et de citer des taux de progression de la production à faire fantasmer les capitalistes de chez nous.
L'enrichissement qui en résulte n'améliore le niveau de vie que d'une petite fraction de la population chinoise. Un sur vingt ou un sur dix au mieux peuvent espérer accéder à un niveau de vie occidental, s'acheter une voiture, s'équiper de tous ces biens de consommation que les industriels français voudraient bien leur vendre.
Mais un Chinois sur vingt, cela représente autant que toute la population de la France. Et comme diraient nos représentants commerciaux, à l'exemple de cette publicité d'une grande banque il y a quelques années: "leur argent nous intéresse".
La pauvreté de l'immense majorité des habitants de la Chine n'a jamais rebuté les hommes d'affaires occidentaux.
Rappelons qu'il y a un plus d'un siècle et demi, en 1840, l'Angleterre a envoyé les canonnières pour obliger l'empereur chinois d'alors à ouvrir les portes de son pays à ce commerce très particulier qu'était celui de l'opium. On a appelé cela la guerre de l'opium et c'est par cet acte de violence des dealers occidentaux qu'ont débuté les relations commerciales entre la Chine et l'Occident.
Aujourd'hui, c'est la Chine elle-même qui ouvre toutes grandes ses portes car l'intégration croissante dans le monde capitaliste permet à sa classe dirigeante de s'enrichir beaucoup et vite. Mais l'enrichissement d'une minorité repose sur l'immense misère de la majorité. Et l'"essor" économique accélère les inégalités.
Des millions de paysans sont chassés par la misère vers les grandes villes, où ils offrent une main- d'oeuvre bon marché aux nouveaux riches chinois... et aux capitalistes occidentaux.
Les reportages ont montré une de ces entreprises françaises ultra-modernes dans lesquelles travaillent des ouvrières payées 25 fois moins qu'en Occident. Et elles se déclaraient heureuses car pour les autres, c'est pire.
Aussi, bien que les dirigeants de la Chine se disent "communistes", ce pays plaît à nos grands patrons. Interrogé à la radio, le patron de Schneider, présent aux côtés de Chirac, se montrait fort compréhensif pour le manque de démocratie en Chine car, disait-il en substance, il faut d'abord assurer le développement. Qu'importent en somme les libertés puisque celle de faire des affaires existe et que celle d'exploiter est garantie par un État fort.
Les travailleurs de Chine et les travailleurs de France n'ont rien à attendre ni de ce genre de voyage ni de cet essor chinois qui est exclusivement celui d'une classe riche.
Ce qu'on peut espérer cependant, c'est que, avec les chantiers qui se multiplient, les nouvelles usines qui poussent, tout cela renforcera le prolétariat chinois, mal payé, exploité, qui saura rappeler son existence à tous ceux qui, en Chine même ou en Occident, s'enrichissent sur son dos.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 14 octobre 2004)
Le chômage augmente et le gouvernement facilite la tâche aux licencieurs !
22 octobre 2004
Après avoir annoncé un projet de loi sur les restructurations qui, entre autres, autorisait les entreprises à licencier "pour raison de compétitivité" même si leurs profits étaient florissants, Raffarin a annoncé qu'il retirait cela de son projet. De la part du gouvernement, c'est devenu une méthode: il annonce une série de mesures antiouvrières puis, devant les réactions, il en abandonne une ou deux. Mais restent les autres.
Cette fois, il reste qu'à un travailleur qui refuse une baisse de salaire, une déqualification ou une mutation, son patron pourra dire: "C'est ça ou la porte." Cela se passe déjà comme cela aujourd'hui mais, dans l'avenir, le patron n'aura même pas besoin de parler, c'est la loi qui parlera pour lui.
Ce projet de loi est destiné à faciliter les licenciements en allégeant encore le peu d'obstacles administratifs qui n'ont en fait jamais empêché un patron de licencier mais qui rendaient la procédure un peu plus longue. Cette préoccupation du gouvernement est d'autant plus choquante sur le fond que le chômage s'aggrave et que les licenciements se multiplient.
Le Medef fait mine de se fâcher contre le gouvernement parce qu'il n'a pas obtempéré au doigt et à l'oeil à ses exigences, comme envers un serviteur qui n'a pas fait à 100% son travail. Pour le patronat, les gouvernements sont là pour traduire en mesures légales et appliquer ce qui va dans le sens des intérêts du grand patronat, tous les gouvernements.
A-t-on vu, au cours des trente dernières années, un seul gouvernement interdire un plan de licenciements, alors que le chômage s'est littéralement envolé? A-t-on vu un seul gouvernement contraindre une grande entreprise qui dégageait du profit à utiliser ne serait-ce qu'une partie de ce profit pour maintenir les emplois, quitte à répartir le travail entre tous? Non, on n'a pas vu cela une seule fois!
Entre les intérêts des grandes entreprises, c'est-à-dire ceux de leurs patrons et de leurs grands actionnaires, et les intérêts de l'ensemble de la société, aucun gouvernement n'a jamais hésité: c'est toujours les intérêts du grand patronat qui passent avant.
Tout ce qu'on peut en conclure, c'est qu'il ne faut pas compter sur un gouvernement, quel qu'il soit, pour protéger les travailleurs contre les licenciements et la société contre le chômage. Dans un contexte de montée du chômage, l'interdiction des licenciements collectifs est pourtant une exigence qui correspond aux intérêts de l'écrasante majorité de la société. Mais seules les luttes collectives pourront l'imposer.
Devant l'abandon par Raffarin d'une petite partie de son projet de réforme antiouvrière, il s'est trouvé des centrales syndicales pour "s'en féliciter" ou pour "s'en réjouir". Ainsi donc, il y a des syndicats pour qui, si le gouvernement promet dix coups de fouet et, finalement, n'en donne que neuf, c'est un bienfait pour les travailleurs. Autant dire que ce n'est pas sur ce genre de politique ni sur ces dirigeants syndicaux que les travailleurs peuvent compter pour préparer leurs luttes futures. Les chefs syndicaux capables de tenir ce langage ne sont pas les défenseurs des travailleurs face au patronat, mais des porte-parole du patronat parmi les travailleurs. Quand ils réduisent leurs exigences à la seule "négociation", ils annoncent clairement au grand patronat et au gouvernement: "Faites toutes les saloperies que vous voulez vis-à-vis des travailleurs, du moment que vous nous conviez à les contresigner..."
Avec le contreseing de certains chefs syndicalistes ou sans cela, le gouvernement pourra sans doute faire passer son projet de loi, comme il en a déjà fait passer bien d'autres. Mais s'il le fait, il ne l'emportera pas au paradis car, lorsque le mécontentement ouvrier explosera, ce n'est certainement pas un article de loi qui l'arrêtera!
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 21 octobre 2004)
29 octobre 2004
Israël-Palestine : Palabres au Parlement et terrorisme d'État
Pendant des semaines, il ne s'est pas passé un jour sans que la télévision montre des images de maisons démolies, de femmes, d'hommes et d'enfants tués en Palestine par l'armée israélienne. Sous la dénomination cynique de "Jour de pénitence", l'armée israélienne a mené une opération militaire avec des chars d'assaut et des hélicoptères contre Gaza, cette étroite bande de terre où s'entassent un million de Palestiniens vivant dans une misère effroyable.
Le prétexte de l'opération était de mettre fin aux lancements de roquettes à partir de Gaza vers le territoire israélien. Mais, à en juger par les dizaines et les dizaines de morts civils, chaque jour, parmi lesquels des enfants se rendant à l'école, il s'agissait surtout d'infliger une punition collective à toute une population.
Le gouvernement d'extrême droite de Sharon ne fait même plus mine de discuter avec les dirigeants de l'"Autorité palestinienne", une caricature d'État installée sur un territoire exigu, pauvre et morcelé. Son objectif est d'engager un processus unilatéral en séparant les populations israélienne et palestinienne. L'expression la plus barbare de cette séparation est le mur que l'État d'Israël est en train d'ériger autour des morceaux du territoire palestinien.
C'est une politique abjecte qui enferme la population palestinienne dans un véritable camp de concentration. Les entreprises et les capitaux se trouvant en territoire israélien, la survie des habitants des terres laissées aux Palestiniens dépend entièrement de la possibilité de chercher du travail de l'autre côté du mur. Mais les autorités israéliennes peuvent à leur gré ouvrir ou refermer les points de passage.
Artisan de cette politique de séparation, Sharon veut en même temps préserver à l'intérieur des territoires palestiniens l'installation de colons israéliens, armés jusqu'aux dents et s'assurant un niveau de vie à l'occidentale au milieu de la misère générale. Il juge cependant plus prudent de retirer ces colons de la bande de Gaza car défendre quelque 8000 colons au milieu d'une population exaspérée d'un million d'habitants est une tâche insurmontable.
Il s'est trouvé cependant des politiciens plus à droite que lui, qui exploitent la colère des colons refusant de rendre la moindre terre prise aux Palestiniens. Privé au Parlement du soutien d'une partie des politiciens de son propre camp, Sharon en a trouvé sans doute du côté de la gauche travailliste, qui montrera par-là que sa politique ne diffère pas tellement de celle de l'homme de droite au pouvoir.
Les deux peuples auraient intérêt à cohabiter fraternellement sur une terre qui, pour être petite, leur permettrait d'y vivre à condition justement qu'ils y vivent en égaux, et pas l'un sous la domination de l'autre, et que les masses palestiniennes ne soient pas condamnées à la misère. Mais les dirigeants des deux côtés mènent des politiques qui s'opposent à cette perspective. Les dirigeants d'Israël surtout, responsables de l'oppression du peuple palestinien. Et le terrorisme d'État d'Israël alimente le terrorisme individuel d'organisations palestiniennes qui aggrave encore la coupure entre les deux peuples.
La principale victime de ces politiques est le peuple palestinien. Mais le peuple d'Israël en est aussi victime car il paie, lui aussi, le prix du sang dans les attentats terroristes. Et, tout compte fait, la vie des geôliers n'est pas une vie enviable.
La situation inextricable qui perdure en Palestine n'est pas seulement due aux politiques des dirigeants locaux, mais autant et plus aux grandes puissances impérialistes. Pour contrôler le Moyen-Orient, riche en pétrole, elles ont toujours cherché à dresser les peuples les uns contre les autres.
Alors ce qui se passe là-bas nous concerne. L'image que nous renvoient les maisons éventrées de la bande de Gaza et les corps des victimes du dernier bombardement ou du dernier attentat-suicide est celle d'une société barbare, basée sur l'exploitation, mais aussi sur l'oppression et la violence. La nôtre.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 28 octobre 2004)