Texte intégral
J.-M. Aphatie-. Vous avez longtemps bénéficié d'une sorte de monopole de la contestation du capitalisme et aujourd'hui, vous semblez concurrencée, peut-être même un peu dépassée, par O. Besancenot et J. Bové. Est-ce que vous êtes passée de mode ?
- "Oh, écoutez, je ne sais pas si j'ai jamais été à la mode."
Si, vous avez été à la mode, je le confirme !
- "J'ai toujours été minoritaire de toute façon. Mais je ne me sens pas du tout, du tout en concurrence avec O. Besancenot."
On entend beaucoup J. Bové cet été, par exemple...
- "Attendez, je vous réponds d'abord sur O. Besancenot. Vous savez bien qu'on est en train d'entamer des négociations pour présenter des listes communes aux élections régionales et aux élections européennes. Notre première rencontre est aujourd'hui d'ailleurs. Donc, il n'est pas question de concurrence, il est question de trouver au contraire un programme politique qui nous permette de nous présenter ensemble."
J. Bové, c'est un concurrent ?
- "Non, je crois que J. Bové ne se bat pas exactement sur le même terrain que nous. J'ai lu dans un grand journal du soir récemment, qu'il pensait que la révolution était dépassée, qu'il fallait faire des révoltes, mais que ce n'était pas exactement justement les mêmes positions que moi-même là-dessus, sur ce problème de renverser le capitalisme et de transformer complètement l'économie pour faire un monde vivable. Lui est peut-être pour essayer d'arranger certaines choses, mais il ne se prétend pas un révolutionnaire communiste comme moi."
Mais il a une vraie popularité. Il touche beaucoup de gens. Est-ce qu'il les détourne du vrai combat politique, d'après vous ?
- "Je crois que les gens ne se laissent pas détourner et que, comme tout un chacun, les travailleurs, les chômeurs ne voient sans doute pas la même chose, lorsque J. Bové parle des OGM ou que je parle de l'interdiction des licenciements ou de la réquisition des entreprises qui licencient et qui font des profits. Donc je crois qu'on est sur des terrains différents, même si bien sûr, on peut se retrouver ensemble dans certaines manifestations, à défendre les mêmes choses. Mais ça c'est vrai vis-à-vis de nombreuses associations aujourd'hui qu'on peut retrouver dans la rue aux côtés des militants trotskistes."
Vous rencontrez cet après-midi O. Besancenot et les dirigeants de la Ligue communiste révolutionnaire. Le but est de parvenir à un accord aux élections européennes et régionales de l'année prochaine. Vous êtes proche de l'accord ? Vous êtes loin de l'accord ?
- "Je crois que l'accord est en très bonne voie puisqu'on a déjà eu, depuis fin juin, un échange épistolaire, des lettres qui ont fait des allers et retours et, aujourd'hui, on s'engage dans des choses plus concrètes, plus précises : qu'est-ce qui va figurer dans la profession de foi ? Comment on va organiser cette campagne ?"
Ah ! Vous en êtes déjà là ? Donc, cet après-midi ou ce soir, on pourrait avoir un accord ?
- "Non, je ne pense pas qu'en une seule réunion, on va avoir l'accord... Mais je pense qu'il est en bonne voie effectivement. Du reste, si vous vous en souvenez, en 1999, malgré les divergences que nous avons entre les deux organisations, on a tout à fait pu réussir un accord politique pour se présenter en commun aux élections européennes."
Mais pour les élections régionales en revanche, c'était plus compliqué... Cette fois, ça vous parait plus facile ?
- "Cette fois, cela nous parait plus simple, oui."
Vous serez tête de liste aux élections régionales d'Ile-de-France ?
- "Ecoutez, pour l'instant, et là vous me prenez un peu de court..."
C'est la règle du jeu ?
- "C'est quand même la moindre des politesses d'attendre qu'on ait discuté de tout ça avec nos partenaires de la LCR, avant de décider qui est tête de liste et où !"
C'est presque "oui", mais c'est pas tout à fait "oui" ?
- "Je serai bien sûr dans la course de ces élections, ça, c'est sûr."
Certains disent que vous jouez aujourd'hui auprès de la gauche, en gelant un capital de voix, le rôle handicapant pour la gauche que l'extrême droite a joué pendant longtemps avec la droite. Vous seriez "l'assurance-vie" de l'actuelle majorité, disent par exemple les socialistes. Qu'est-ce que vous répondez à ce type d'attaques ?
- "Il faut que les socialistes s'habituent à ce qu'il y ait des partis politiques qui ne défendent pas les mêmes idées qu'eux et qui avancent justement des solutions par rapport à toutes les attaques aujourd'hui du Gouvernement. D'abord, protéger les travailleurs du chômage. Et effectivement, l'interdiction des licenciements que nous allons défendre de nouveau dans cette campagne me parait importante, alors que les plans sociaux ne cessent de continuer. Vous savez, face à un gouvernement qui est comme un chauffard qui renverse tout sur son passage - tout et tout le monde : les retraités, les vieillards, les enseignants - et qui attaque très fort le monde du travail, je crois que c'est nécessaire que, dans ces élections, il y ait la présence de l'extrême gauche."
Mais quand on vous dit que vous empêchez la gauche de revenir au pouvoir, qu'est-ce que vous répondez ?
- "Le Parti socialiste, s'il souhaite revenir au pouvoir, ce n'est pas en ayant à mon avis une radicalité de façade aujourd'hui, mais c'est en faisant l'analyse, et en disant à la population, en expliquant pourquoi entre deux élections, il a perdu quatre millions de voix, tout au moins avec ses alliés Verts et PC. Qu'est-ce qu'il n'a pas fait pendant cinq ans, qui fait qu'il ait perdu ces voix ? Sur quoi aujourd'hui s'engage-t-il à ne plus refaire ce qu'il a fait dans le passé ? Comment il s'engage sur quelque chose ? C'est ça le problème du Parti socialiste, vis-à-vis de l'appauvrissement du monde du travail, vis-à-vis de ces menaces de licenciements. Voilà le problème du Parti socialiste aujourd'hui. Ce n'est pas le problème de l'extrême gauche. L'extrême gauche est présente dans les élections depuis des années, et si elle a fait des voix, en particulier dans le milieu salarié, eh bien, c'est justement parce que le Parti socialiste a détruit un certain nombre d'illusions que les travailleurs avaient en lui. Il ne faut pas oublier que depuis 1981, il a été, sur 22 ans, 15 ans au gouvernement, et qu'il a bien préparé le terrain pour une politique de droite, qu'on appelle "de réformes", et qui est une agression contre les droits et les acquis du monde du travail."
Est-ce que vous soutenez les efforts du Gouvernement pour sauver Alstom ?
"En ce qui concerne Alstom, il s'agit surtout bien sûr - on le sait - d'aider les banques qui sont derrière Alstom..."
Est-ce que vous soutenez le Gouvernement dans cette tentative ?
- "Je pense que ce Gouvernement a su résister sur la chasse, à l'Union européenne ; il a su résister, en particulier sur le déficit... Alors qu'il résiste à la Commission européenne..."
Est-ce que vous le soutenez dans cette démarche ? Est-ce que vous pensez que l'entrée du Gouvernement au capital d'Alstom est une bonne chose ou pas ?
- "Je pense que l'étatisation partielle d'Alstom n'est pas une mauvaise chose pour moi, surtout si Alstom se mettait à fabriquer des choses qui soient utiles à la population. Il y a bien des TER en province qui auraient besoin de remplacer leur matériel. Il y aurait du travail possible..."
Le soutien d'A. Laguiller au Gouvernement sur un dossier, ce n'est pas mal !
- "Ce n'est pas un soutien au Gouvernement. Vous savez, ce Gouvernement nous a plutôt habitués à privatiser, comme les gouvernements précédents. Alors, quand on parle d'étatisation, ce n'est pas la révolutionnaire que je suis qui va être contre !"
Vous êtes, vous l'avez dit, candidate aux élections régionales. Vous souhaitez aussi renouveler votre mandat européen en juin prochain ?
- "Oui, les deux mandats m'intéressent à différents titres."
Vous aurez 64 ans, donc la retraite à 60 ans, c'est pour les autres, hein ?!
- "Vous me dites ça à moi, mais enfin, vous devriez le dire à beaucoup d'hommes politiques !"
On peut le dire à beaucoup de gens ! A. Laguiller ne veut pas de retraite, c'était sur RTL ce matin !
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 septembre 2003)