Déclaration de M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, sur les effets des rayonnements ionisants sur la santé et le rôle de l'UNSCEAR dans ce domaine, Paris le 15 juin 2004.

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Circonstance : Ouverture du colloque de l'UNSCEAR 2003-2006 à Paris le 15 juin 2004

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de pouvoir m'associer à cette journée de présentation et de discussion des travaux menés au sein du Comité scientifique des nations unies sur les effets des rayonnements ionisants, l'UNSCEAR. Tout d'abord, je voudrais saluer et remercier les membres de la délégation française de l'UNSCEAR, qui ont pris l'initiative d'organiser et d'animer ce colloque, afin d'expliquer leur travail et d'y impliquer plus activement l'ensemble de la communauté scientifique française.
Les trois sessions qui structurent cette journée abordent des questions qui sont au coeur des préoccupations actuelles du ministère de la recherche, que ce soit dans le cadre du Plan Cancer ou au travers des activités de recherche conduites par les organismes publics et les industriels, dans le cadre de la loi Bataille relative aux modes de gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue.
La place de l'énergie nucléaire et des technologies, notamment médicales, qui font appel aux rayonnements ionisants est importante dans notre société. Cette place ne me semble pas devoir être remise en cause dans les prochaines décennies, si l'on considère en particulier l'énorme enjeu de la limitation des énergies fossiles et de leur impact sur le réchauffement climatique. Les résultats récents du programme européen Epica confirme une nouvelle fois que les teneurs actuelles en gaz à effet de serre atteignent leur plus haut niveau depuis 440 000 ans ! Je tiens à souligner ici la présence active de la France, avec le CNRS et le CEA, dans ces superbes études en sciences du climat.
La France aussi a été au premier rang de ce qu'il faut bien considérer comme l'une des plus grandes aventures scientifiques que l'homme ait jamais tentée et réussie : la découverte de l'atome, de sa structure, de ses propriétés nucléaires et de leurs applications. Partout dans le monde, les noms de Becquerel, de Pierre et de Marie Curie, d'Irène et de Fréderic Joliot-Curie sont connus et honorés pour leur apport à la connaissance scientifique.
Très tôt, moins de 4 années après la découverte de la radioactivité naturelle, les effets sur la santé des rayonnements ionisants ont cependant été observés, puis étudiés scientifiquement. Au début du siècle dernier, nombre de médecins, de chimistes et de physiciens ont payé de leur vie, souvent en connaissance de cause, leur enthousiasme pour cette découverte fascinante, mais encore mal maîtrisée.
Dès 1928, les bénéfices d'un partage international de ce savoir nouveau et des précautions qui devaient l'entourer sont apparus : la Commission Internationale de Protection Radiologique, la CIPR, était ainsi créée. Elle oeuvre encore aujourd'hui pour proposer des normes et des standards méthodologiques qui sont ensuite repris dans la plupart des pays.
L'UNSCEAR, quant à lui, est né en1955, 10 ans après l'explosion d'Hiroshima, en en pleine escalade des armements nucléaires, pour lesquels de nombreux tirs se poursuivent à l'air libre. La conscience aiguë d'un risque pour la santé de l'homme et pour son environnement pousse alors les Nations Unies à créer ce comité scientifique international, l'UNSCEAR, qui regroupe des délégués des pays ayant développé l'arme nucléaire et aussi de pays non alignés. Ce nouveau comité a une vocation essentiellement scientifique : il traite, d'une part, de l'exposition aux rayonnements naturels et artificiels du public et des travailleurs et, d'autre part, des risques que ces rayonnements présentent pour l'environnement et la santé des générations présentes et futures.
Presque cinquante ans plus tard, ce rôle essentiel de l'UNSCEAR est plus que jamais d'actualité. Même si l'humanité s'est assagie, espérons durablement, et a appris à mieux maîtriser les technologies nucléaires, son devoir de vigilance reste entier face à des risques dont quelques événements accidentels ont démontré la réalité.
Répertorier, valider puis synthétiser les publications scientifiques sur l'exposition et les effets biologiques et sanitaires des rayonnements ionisant, telle est la tâche immense et toujours renouvelée de l'UNSCEAR ! Cette veille scientifique permanente est précieuse, parce qu'elle apporte, sans doute de la seule manière durablement acceptable, des réponses à nos inquiétudes, elles aussi sans cesse renouvelées, sur les risques liés aux technologies qui utilisent ou produisent des rayonnements.
Le travail considérable de l'UNSCEAR, qui se concrétise sous la forme de riches et volumineux rapports, est la base scientifique sur laquelle la CIPR peut émettre des recommandations en matière de radioprotection et sur laquelle s'appuie ensuite la mise en oeuvre opérationnelle de la gestion des risques. Ce lien dynamique essentiel entre gestion du risque et production scientifique doit être sans cesse maintenu, pour ne pas céder à une conception frileuse et figée du principe de précaution.
Le corpus documentaire produit par l'UNSCEAR doit aussi être valorisé pour mieux informer les médias et le grand public, dont les représentations en matière de radiations ionisantes sont encore souvent imprécises. Mais le chemin est encore très long. Par exemple, la notion de contamination radioactive n'est pas bien comprise et souvent assimilée à la contamination par un agent infectieux. Nos concitoyens sont aussi particulièrement alertés par l'augmentation de la fréquence de certains cancers, même si la relation de causalité avec les radiations ionisantes n'est pas démontrée. Je tiens donc à souligner ici l'importante contribution de l'UNSCEAR qui élabore chaque année l'inventaire des études épidémiologiques, organe par organe, afin de disposer d'une base scientifique validée et partagée.
La meilleure valorisation, en termes de diffusion vers le public, de cet énorme travail, rejoint ma volonté de développer une politique plus active d'information et de culture scientifique. Mais les radiations ionisantes et les risques qui leurs sont associés, nous touchons à un domaine où la pédagogie est particulièrement ardue.
Ardue tout d'abord, parce que l'histoire du vingtième siècle a marqué durablement les consciences quant à la sévérité de certains dangers. Ardue aussi, parce que les mécanismes de nombreux effets constatés reposent sur le hasard et que l'expression des risques associés est par nature probabiliste. Ce mode de présentation est encore difficile à faire accepter par le public, mais aussi par les administrations ou les politiques.
Aux questions que l'on pose à notre communauté scientifique sur les effets sanitaires des rayonnements, nous ne pouvons pas toujours répondre " blanc ou noir ". C'est ainsi que se construit l'un de grands principes de la radioprotection, celui de la justification : toute dose inutile doit être proscrite, non pas parce qu'elle est dangereuse, mais parce que nous ne disposons pas d'instrument de mesure assez fin pour affirmer qu'il n'y a pas d'effet, notamment à long terme.
La poursuite du développement des technologies utilisant ou produisant des rayonnements ionisants passe nécessairement par une meilleure compréhension de ces concepts par nos concitoyens. Nous ne pouvons nous satisfaire d'une société dans laquelle une majorité serait jugée incapable de comprendre, et devrait déléguer sans jugement sa confiance à une minorité savante.
En tant que ministre chargé de la recherche, je suis par conséquent très attaché à ce que la France fasse connaître les résultats des recherches qu'elle mène sur les sujets abordés au sein de l'UNSCEAR. Mais je souhaite également que les membres de la délégation française puissent s'approprier les commentaires et les avis de la communauté scientifique nationale, afin de les transcrire dans les documents discutés et afin de veiller à la visibilité de ces points de vue dans les rapports finaux. C'est bien l'objet du colloque d'aujourd'hui !
Avec les membres de la délégation, notre objectif est d'obtenir une position forte et cohérente de la France en 2006, à la fin du cycle en cours. Je souhaite vivement que ce colloque initie un élargissement de la consultation de la communauté scientifique. Ce processus, exploitant pleinement les vertus de la multidisciplinarité et de la confrontation scientifique, doit déjà aboutir à des contributions plus riches et plus incisives lors de la prochaine session de l'UNSCEAR, à Vienne en mai 2005.
J'attacherai donc la plus grande attention aux résultats et aux perspectives qu'ouvrira ce colloque. Je suis convaincu de l'apport décisif de la science dans le domaine difficile de l'estimation des risques. J'ai une totale confiance dans la compétence de nos équipes de recherche pour enrichir les futurs débats.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite donc une bonne et fructueuse journée d'échanges scientifiques !

(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 25 juin 2004)