Texte intégral
(Déclaration de Michel Barnier lors d'une conférence de presse conjointe avec son altesse Cheikh Bin Jassem Al Thani, à Doha le 1er septembre 2004) :
Merci beaucoup Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs merci de votre présence et de votre attention. De mon côté, je suis très heureux, malgré les circonstances très graves et exceptionnelles qui ont justifié ma venue aujourd'hui ici, de cette occasion d'une première rencontre avec Hamad Bin Jassem, mon collègue ministre des Affaires étrangères et que j'ai d'ailleurs prévu de recevoir à Paris le 17 septembre prochain.
Comme le ministre l'a dit, les relations entre le Qatar et la France sont exceptionnelles, anciennes, très fortes sur le plan politique, sur le plan personnel et sur le plan économique aussi, et ce témoignage, je souhaite le dire ce soir, au cours de l'audience que m'accordera Son Altesse le Prince héritier Cheikh Tamim.
J'aurai à cette occasion, et je m'en félicite, à transmettre un message personnel et très amical du président de la République française, Jacques Chirac, à l'intention de Son Altesse l'Emir Cheikh Hamad.
Nous sommes dans des circonstances très graves, particulières, encore une fois à l'occasion de cette journée pour moi, et c'est l'occasion de vous dire, Monsieur le Ministre, ainsi qu'à toutes les autorités du Qatar et plus généralement aux autorités politiques et religieuses, aux grandes consciences de l'Islam qui se sont exprimées depuis quelques jours, combien mon pays est touché et ému par les témoignages de solidarité comme le vôtre, très nombreux et très spontanés, dans des circonstances particulières. Et nous sommes très sensibles à ces témoignages qui prouvent l'amitié qu'on porte ici et que les peuples portent à la France.
Nous appelons nous aussi à la libération de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot, ainsi d'ailleurs qu'à la libération de leur chauffeur, Mohamed Al Joundi. Ces deux journalistes français connaissent bien cette région, je peux en témoigner et je l'ai encore constaté à Amman. Ils sont attachés au monde arabe. Et c'est toujours ce qu'ils ont écrit et dit dans leur travail de journaliste. Ils sont attachés à dire la réalité de la vie et des difficultés du peuple irakien.
Comme tous les témoignages de solidarité qui sont apportés, comme celui d'aujourd'hui, je dis simplement que ceux qui s'expriment, autorité politique, autorité religieuse, savent ce qu'est la France et ce qu'elle fait, notamment quelle est notre politique traditionnelle, ancienne et que nous continuerons en faveur de la dignité et de la souveraineté de tous les peuples dans le monde entier et dans cette région en particulier.
L'écho en France de ces événements est très important et vous devez bien comprendre ce qui se passe dans notre pays. Nous avons la même incompréhension devant cet enlèvement parce que nous ne comprenons pas les raisons qui ont été avancées. La France a une histoire qui est liée, notamment depuis très longtemps à son organisation et à sa Constitution. La réalité, la vérité de la République française, c'est que tous les citoyens qui vivent dans notre pays ont une liberté de conscience, de culte et de religion. Ce qui est très important, dans les jours passés, c'est que les Français musulmans ont dit la même chose que ce que je dis, ont exprimé leur appel à la libération de ces deux journalistes. Parce que la France, ils l'ont dit, notamment les jeunes Français musulmans, est un pays où la liberté de conscience, de religion est protégée, où chaque citoyen a la même liberté et la même protection.
Q - Quel est le point de la situation, cet après-midi, des deux otages français en Irak ? Quel est l'intérêt de votre visite au Qatar et pensez-vous que vos amis qatariens peuvent aider dans cette affaire et comment ?
R - La première raison de ma venue à Doha est liée aux relations anciennes et traditionnelles que nous avons avec le Qatar et au fait que le pays où je suis pour quelques heures est un pays important et respecté dans cette région.
Le témoignage de solidarité qu'a exprimé le ministre est important pour nous. Comme vous le savez, c'est la deuxième raison de ma visite, j'aurai l'occasion de me rendre, tout à l'heure, au siège, ici à Doha, de la chaîne Al Jazira.
Tous ceux qui, comme cela a été le cas, se sont exprimés, parce que c'est leur conviction, pour appeler à la libération de nos compatriotes, tous ceux-là participent à un mouvement qui, je crois, est très important et très utile dans les heures où nous nous trouvons.
De la même façon, j'ai été très attentif et sensible à l'appel qui a été lancé par Cheikh Al Qardaoui que j'ai rencontré lundi matin au Caire et qui avec d'autres grandes consciences de l'Islam a expliqué ce qui est au coeur de cette grande religion : le respect de la personne humaine, de la vie humaine et la tolérance.
Nous appelons à la libération de nos deux compatriotes et de leur chauffeur. Très franchement, nous suivons la situation de minute en minute, d'heure en heure, en espérant que le respect de la vie humaine et de la raison l'emporteront. Nous prenons tous les contacts nécessaires. Nous avons une équipe renforcée à Bagdad, avec notamment la présence sur place du précédent Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, mon représentant spécial, M. Colin de Verdière, qui noue tous les contacts utiles, comme je le fais moi-même dans les pays de la région, pour favoriser une issue heureuse et la libération de nos compatriotes.
Q - Quel type de soutien comptez-vous obtenir de l'Etat du Qatar dans cette affaire ? Etes-vous optimiste quant à la libération de nos deux confrères, Christian Chesnot et Georges Malbrunot ?
R - Le ministre a dit lui-même dans quel esprit il a lancé l'appel à la libération au nom de son gouvernement. Cet appel qu'il a confirmé aujourd'hui, renforce, s'ajoute, accompagne beaucoup d'appels qui vont dans le même sens. Et encore une fois je veux dire, comme ministre des Affaires étrangères, que tous ces appels ici aujourd'hui, hier, dans beaucoup d'autres capitales, dans beaucoup de mouvements qui constituent certaines des plus grandes voix, des plus grandes consciences de l'Islam, au-delà du côté des dirigeants politiques, tout cela nous touche profondément. Nous savons que tout ce qui est dit, ce ne sont pas seulement des sentiments officiels, ce ne sont pas seulement les sentiments des dirigeants politico-religieux. Cela représente un sentiment populaire ; voilà ce que j'ai ressenti personnellement depuis trois jours. C'est que les peuples, les citoyens, les hommes et les femmes qui vivent dans les pays arabes et musulmans considèrent que cet enlèvement et cette détention sont incompréhensibles. Voilà ce que j'ai ressenti et c'est cela qui nous touche beaucoup. Je peux vous dire que je vous donne le sentiment non seulement des dirigeants mais aussi du peuple français qui était très ému et très reconnaissant de ces témoignages.
Pour le reste, nous sommes dans des heures très graves, très importantes et je ne veux pas faire d'autres commentaires sinon de dire que j'ai confiance, que tous ces appels à la raison, tous ces appels au respect de la vie humaine, qui sont au coeur - comme des voix beaucoup plus qualifiées que la mienne l'ont rappelé -, au coeur de ce qu'est cette religion de l'Islam, tous ces appels seront entendus. Voilà ce que je peux dire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec la chaine qatarienne "Al Jazira", à Doha le 1er septembre 2004) :
Q - Quel est le résultat de votre tournée dans le monde arabe pour libérer les deux journalistes français ?
R - Il s'agit non seulement de deux journalistes français, Christian Chesnot et Georges Malbrunot mais aussi de leur chauffeur, donc trois hommes. Ce sont deux journalistes français qui connaissent bien le monde arabe et cette région et qui ont un attachement sincère pour le peuple irakien. Ils l'ont écrit, ils l'ont prouvé comme journalistes. Ils ont disparu depuis 13 jours. Et depuis quelques jours cette situation s'est aggravée car il y a un ultimatum et nous avons donc décidé de porter plusieurs messages dans cette région pour ceux qui détiennent une part de responsabilité. Voilà ce que je fais, comme ministre des Affaires étrangères, depuis quatre jours, et ce que nous faisons aussi à Paris avec l'ensemble de notre société, notamment avec les Français musulmans, qui s'expriment dans le même sens et unanimement. Et ce que je peux simplement dire en pensant à ces trois hommes et en pensant à nos compatriotes, dans ce moment grave où nous sommes, c'est que j'ai sincèrement l'espoir que la raison va l'emporter et que les appels qui ont été lancés, au-delà des hommes politiques de cette région, par les plus grandes consciences de l'islam, les appels au respect de la vie humaine l'emporteront.
Q - Monsieur le Ministre, quel est exactement l'état actuel de votre parcours ? Avez-vous vraiment un espoir pour pouvoir résoudre ce problème dramatique ?
R - Je garde l'espoir encore une fois que la raison et que les appels qui ont été lancés, je pense à celui du Cheikh Al Qardaoui que j'ai rencontré au Caire, vont être entendus. Je l'espère de tout coeur. Quant au résultat, vous le voyez et vous l'entendez y compris sur votre chaîne, qui s'en fait l'écho très objectivement, ce sont des appels d'un peu partout dans cette région, dans l'ensemble des pays arabes et musulmans, de toutes sensibilités et de tous horizons, qui s'expriment dans le même sens et qui expliquent, comme nous le faisons nous-mêmes, ce qu'est la France et ce que fait la France. Ils expriment ce qu'est la France et notre société diverse et totalement solidaire dans cette épreuve, et ce que fait la France depuis très longtemps dans cette région et en particulier dans le Proche et le Moyen-Orient, en Irak ou en Palestine pour la dignité, pour la liberté et pour la souveraineté des peuples. C'est notre politique constante et c'est l'occasion pour nous de le redire. Et pour moi franchement, je suis très touché, je le dis comme ministre français, comme le président Chirac est touché en ce moment, par cette unanimité de toutes les personnalités du monde arabe et musulman qui s'expriment dans ce sens pour dire leur incompréhension devant cet enlèvement.
Q - Avez-vous été surpris par cette unanimité du monde arabe : les gouvernements, l'opinion publique, les journalistes ?
R - Non je ne suis pas surpris par cette unanimité, mais tout de même surpris par la rapidité et l'ampleur de ces témoignages. C'est une des raisons pour lesquelles je suis à Doha aujourd'hui, au-delà des contacts que j'ai eus avec ce pays ami qu'est le Qatar. Nous avons depuis longtemps des relations excellentes avec le Qatar. C'est un pays important et respecté dans cette région. L'une des raisons pour lesquelles je suis venu à Doha c'était vous, c'est parce que vous êtes là et que votre chaîne, qui vit au rythme des émotions, des préoccupations, des angoisses, des espoirs de tous les peuples de cette région, cette chaîne s'est fait largement l'écho de tous ces témoignages de solidarité à l'égard de la France et des journalistes, et vous-même avez pris exceptionnellement position parce qu'il s'agit de deux de vos confrères. Je suis venu aussi pour vous le dire et pour exprimer un témoignage de reconnaissance. Vous savez mieux que moi ce que représente le métier de journaliste. Ces deux journalistes-là, nous les connaissons. Ce soir, je retourne à Amman, là où ils vivent, où ils ont beaucoup d'amis. Ce sont de vrais professionnels, qui ont toujours été objectifs, qui ont toujours dit quelles étaient les difficultés du peuple irakien et leurs souffrances. En pensant à eux, au travail qu'ils font, je pense à beaucoup de journalistes, de toutes nationalités, qui connaissent le danger de leur métier. Il y a un autre journaliste français qui a disparu depuis un an en Irak, Fredéric Nerac. Un autre journaliste est mort peu avant la guerre, Patrick Bourrat. Je pense aussi à lui et à beaucoup d'autres qui connaissent le danger de votre métier.
Q - Monsieur le Ministre, les ravisseurs demandent à la France ce que va faire la France sur le port du voile. Après toute cette campagne où beaucoup de musulmans et d'arabes, y compris les radicaux, ont pris part. Allez-vous revoir cette loi ?
R - Il n'y a pas une loi en France sur les signes musulmans, il y a une loi qui date d'ailleurs du début du XXème siècle, qui garantit la neutralité d'un certain nombre de lieux publics, où ceux qui travaillent dans ces lieux ou qui y séjournent doivent respecter l'impartialité de l'Etat et donc s'abstenir de porter des signes religieux, mais cela vaut pour toutes les religions qui sont traitées de manière totalement égale et impartiale. Il suffit de venir en France où vous avez des représentants d'Al Jazira, de voir les rues où il y a des milliers et des milliers de femmes qui portent le voile librement. La République française, c'est cela aussi que je veux expliquer, a pour identité, fierté et honneur, depuis qu'elle existe, de garantir la liberté et la protection de tous ses citoyens. Nous avons dans cette société très diverse aujourd'hui cinq millions de musulmans qui vivent en France et qui peuvent pratiquer leur religion librement, qui ont cette garantie et cette protection de pouvoir exprimer leur foi et vivre leur culte librement comme toutes les autres religions. Cela est la réalité et la vérité de la société française, c'est cela notre République. Nous avons des lois, nous souhaitons simplement qu'on puisse respecter notre identité, notre souveraineté comme nous souhaitons que tous les peuples soient souverains et maîtres de leur destin.
Q - Mais en pleine crise, demain jeudi doit prendre effet cette loi sur le port du foulard lors de la rentrée scolaire. Est-ce que vous pensez que cette loi sera appliquée malgré tout ?
R - Cette loi, qui est une loi de la République, sera appliquée avec intelligence, le ministre de l'Education l'a dit. Elle s'applique à toutes les religions dans certains lieux très précis pour préserver la neutralité et l'impartialité des ces lieux publics pour ceux qui y séjournent ou y travaillent en permanence. Donc je peux dire que cette loi sera appliquée avec intelligence.
Q - Monsieur le Ministre qu'entendez-vous par "manière intelligente" ?
R - Elle sera appliquée avec le souci des hommes et des femmes du respect de la personne humaine mais en même temps en demandant à chacun dans notre pays de respecter la loi qui s'applique à tout le monde. Cette République française qui est issue de la Révolution, est la patrie des Droits de l'Homme. Cette République apporte une garantie à tous ceux qui vivent en France, la même protection pour chacun et la même liberté de culte et de conscience. Voilà ce qui est important. Vous savez que je ne suis pas le seul à le dire parce que je suis ministre. Ceux qui nous écoutent pourraient dire : c'est un ministre français qui nous dit ce qui l'arrange. Non, les millions de Français musulmans disent la même chose. Probablement demain à Bagdad, les représentants du Conseil français du culte musulman viendront le dire avec leurs mots. Ils ont tous prié, depuis plusieurs jours, et j'espère que leurs prières seront entendues, pour la libération de nos deux compatriotes. Et donc je ne suis pas le seul à le dire, je ne suis pas le seul à exprimer ce qu'est la réalité, la vérité de notre société française dans notre République qui garantit la même protection pour toutes les religions.
Q - Monsieur le Ministre, si ces ravisseurs tuent les deux journalistes français, n'en déplaise à Dieu, quelles seront les relations entre la France et le monde arabo-musulman et surtout les musulmans français ?
R - Je ne veux pas croire qu'il y ait une telle issue. Je ne veux pas croire que ces hommes, qui ont une telle responsabilité dans le sort de nos deux compatriotes et de leur chauffeur, puissent ne pas entendre les appels qu'ils écoutent et qui leur arrivent de tous les côtés ; les plus hautes voix de l'Islam qui leur disent qu'au coeur de cette grande religion, il y a le respect de la personne humaine, de la vie humaine et de la tolérance ; et en même temps, les appels que je suis venu lancer ici et qui font écho à de nombreuses prises de position de dirigeants de toutes sensibilités, pour dire ce qu'est la France, ce qu'est notre société, comment on vit chez nous librement sa foi et sa religion et ce que la France fait traditionnellement dans cette région. La France, je le répète, a depuis très longtemps une politique constante et le président de la République y tient beaucoup. C'est cette politique qui veut préserver et s'attacher à la liberté, à la dignité et à la souveraineté des peuples. C'est vrai pour la Palestine, c'est vrai pour l'Irak et c'est vrai pour tous les peuples et tous les pays de cette région.
Q - Pour les problèmes de ces deux journalistes français, le Secrétaire général de votre ministère est actuellement en Irak. Quels sont concrètement les fruits de ses démarches ?
R - J'ai en effet demandé à mon représentant spécial, le précédent Secrétaire général du ministère que j'anime, le ministère des Affaires étrangères à Paris, de venir sur place. Il est parti en même temps que moi. Je suis allé au Caire dans la nuit de dimanche à lundi pour renforcer l'équipe de notre ambassade à Bagdad et nouer tous les dialogues nécessaires avec l'ensemble des responsables, notamment religieux ; vous l'avez vu et certains se sont exprimés hier depuis Bagdad. Nous avons été très attentifs à leurs messages. C'est d'ailleurs pour moi l'occasion de dire notre gratitude à tous ceux qui, en Irak, d'une manière ou d'une autre par ce qu'ils disent ou ce qu'ils font, contribuent à une issue favorable, à la libération de nos deux compatriotes.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez noué des contacts dans ce sens avec les forces de la coalition en Irak, les forces internationales ?
R - Il n'y a pas vraiment eu de contacts avec la force multinationale. Je pense, comme c'est normal s'agissant d'un très haut fonctionnaire d'un ministère comme le ministère des Affaires étrangères, nouer des contacts avec les autorités du gouvernement irakien mais nous prenons tous les contacts et nous nouerons tous les dialogues qui peuvent être utiles pour faire comprendre encore une fois ce qu'est la France, ce qu'elle fait, pour exprimer l'incompréhension générale et unanime de notre pays face à cet enlèvement et pour que la raison, encore une fois et comme je l'ai dit plusieurs fois, se place au coeur de cette religion qu'est l'Islam, pour que le respect de la personne humaine l'emporte.
Q - Monsieur le Ministre, en considérant ce qui se passe en Irak, quelle est votre analyse de l'avenir de l'Irak ?
R - L'Irak est un très grand pays et a un grand peuple. Il y a une nouvelle étape qui se déroule devant nous, et la raison pour laquelle, par exemple, nous avons récemment rétabli des relations diplomatiques c'est que nous voulons coopérer pour que le peuple irakien vive dans de meilleures conditions, pour qu'il ait un espoir de démocratie, de sécurité, un espoir de développement économique notamment pour les jeunes Irakiens et que tout cela se passe sous la direction des Irakiens. Le vrai sens de la politique que la France a toujours suivie depuis le début dans cette crise, dans cette guerre au début et aujourd'hui dans cette situation difficile, c'est que l'Irak doit être gouverné par des Irakiens et que, ici en Irak, comme dans d'autres situations, nous travaillons, nous nous battons pour la pleine souveraineté et l'indépendance du peuple irakien.
Q - Quelle est votre conception de la façon dont on peut résoudre le problème irakien ?
R - Il y a un long processus qui est engagé et je crois que la clé ou l'étape importante de ce processus est qu'il y ait des élections, à condition qu'elles soient préparées avec tous ceux qui ont une responsabilité au sein du peuple irakien, les différentes communautés, les différentes forces politiques. Donc c'est cela que nous observons et c'est ce mouvement de respect des forces et des communautés irakiennes pour que l'Irak maîtrise son propre destin, voilà ce que nous voulons encourager. Voilà ce qui justifie notre coopération qui est d'abord dirigée vers le peuple et vers les citoyens irakiens.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez, jusqu'à présent, visité certaines capitales arabes. Vous êtes actuellement au Qatar. Quelle est la nature de ces entretiens avec les dirigeants du monde arabe et les particularités de votre étape qatarienne ?
R - J'ai naturellement eu l'occasion de rencontrer le ministre des Affaires étrangères. J'aurai, tout à l'heure, une audience avec le Prince héritier. Je transmettrai à toutes les autorités du Qatar un message du président de la République française. Nos deux pays ont des relations très anciennes, je crois pouvoir dire excellentes. Le Qatar est un pays respecté qui compte dans cette région. Il y a une longue tradition d'amitié avec la France et nous avons beaucoup de raisons culturelles, politiques et de coopération économique qui justifient cette relation bilatérale. Et, très franchement, je suis très heureux d'avoir rencontré auprès du ministre des Affaires étrangères cet élan de solidarité qu'à son tour il a apporté à notre pays dans cette épreuve difficile.
Q - Merci Monsieur le Ministre. Retournons au problème des otages. Avez-vous un message à transmettre par l'intermédiaire d'Al Jazira et qui pourra peut-être aider à résoudre cette crise ?
R - Oui, j'ai un message et je connais l'importance de cette chaîne où je me trouve, qui porte, relaye, et vit au rythme des émotions, des inquiétudes des peuples musulmans et arabes depuis qu'elle existe. J'ai un message d'abord de remerciements pour tous ceux qui en Irak ont compris cet enjeu et nous aident, qu'il s'agisse des communautés, des personnalités religieuses et civiles, des groupes qui d'une manière ou d'une autre nous aident à favoriser cette libération. Et puis j'ai un message plus direct pour ceux qui ont une part de responsabilité dans la détention de nos deux compatriotes et de leur chauffeur. Je pense qu'ils doivent entendre ce qui se dit de tous les côtés et je ne suis pas le seul à le dire en tant que ministre français, mais qui est porté et qui est dit dans tous les pays musulmans, par des gens de très grande autorité, notamment les plus grandes voix et les plus grandes consciences de l'Islam, des gens de toutes sensibilités et de tout bord qui disent la même chose. Regardez ce qu'est la France, regardez comment ce pays ami respecte la liberté de conscience et de religion pour tous ceux qui vivent en France et en particulier pour les cinq millions de Français musulmans ou de musulmans vivant en France ; et puis regardez aussi ce que fait la France dans cette région, comment depuis toujours elle est solidaire des peuples pour leur indépendance, pour leur dignité et pour la justice. J'espère que ces appels très nombreux pour le respect de la vie humaine, pour la tolérance qui est au coeur du message de cette grande religion qu'est l'Islam, cet appel à la raison porté par beaucoup de gens sera entendu.
Q - Nous n'avons pas parlé des réactions dans le cas où peut-être les journalistes seraient tués, quelles seraient les réactions en France de l'extrême-droite et surtout du Front national ?
R - Je ne peux pas imaginer une autre issue qu'une issue positive et que ces appels à la raison, au respect de la vie humaine soient entendus par ceux qui détiennent nos deux compatriotes. Je ne peux pas imaginer une autre issue.
Merci infiniment.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 septembre 2004)
Merci beaucoup Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs merci de votre présence et de votre attention. De mon côté, je suis très heureux, malgré les circonstances très graves et exceptionnelles qui ont justifié ma venue aujourd'hui ici, de cette occasion d'une première rencontre avec Hamad Bin Jassem, mon collègue ministre des Affaires étrangères et que j'ai d'ailleurs prévu de recevoir à Paris le 17 septembre prochain.
Comme le ministre l'a dit, les relations entre le Qatar et la France sont exceptionnelles, anciennes, très fortes sur le plan politique, sur le plan personnel et sur le plan économique aussi, et ce témoignage, je souhaite le dire ce soir, au cours de l'audience que m'accordera Son Altesse le Prince héritier Cheikh Tamim.
J'aurai à cette occasion, et je m'en félicite, à transmettre un message personnel et très amical du président de la République française, Jacques Chirac, à l'intention de Son Altesse l'Emir Cheikh Hamad.
Nous sommes dans des circonstances très graves, particulières, encore une fois à l'occasion de cette journée pour moi, et c'est l'occasion de vous dire, Monsieur le Ministre, ainsi qu'à toutes les autorités du Qatar et plus généralement aux autorités politiques et religieuses, aux grandes consciences de l'Islam qui se sont exprimées depuis quelques jours, combien mon pays est touché et ému par les témoignages de solidarité comme le vôtre, très nombreux et très spontanés, dans des circonstances particulières. Et nous sommes très sensibles à ces témoignages qui prouvent l'amitié qu'on porte ici et que les peuples portent à la France.
Nous appelons nous aussi à la libération de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot, ainsi d'ailleurs qu'à la libération de leur chauffeur, Mohamed Al Joundi. Ces deux journalistes français connaissent bien cette région, je peux en témoigner et je l'ai encore constaté à Amman. Ils sont attachés au monde arabe. Et c'est toujours ce qu'ils ont écrit et dit dans leur travail de journaliste. Ils sont attachés à dire la réalité de la vie et des difficultés du peuple irakien.
Comme tous les témoignages de solidarité qui sont apportés, comme celui d'aujourd'hui, je dis simplement que ceux qui s'expriment, autorité politique, autorité religieuse, savent ce qu'est la France et ce qu'elle fait, notamment quelle est notre politique traditionnelle, ancienne et que nous continuerons en faveur de la dignité et de la souveraineté de tous les peuples dans le monde entier et dans cette région en particulier.
L'écho en France de ces événements est très important et vous devez bien comprendre ce qui se passe dans notre pays. Nous avons la même incompréhension devant cet enlèvement parce que nous ne comprenons pas les raisons qui ont été avancées. La France a une histoire qui est liée, notamment depuis très longtemps à son organisation et à sa Constitution. La réalité, la vérité de la République française, c'est que tous les citoyens qui vivent dans notre pays ont une liberté de conscience, de culte et de religion. Ce qui est très important, dans les jours passés, c'est que les Français musulmans ont dit la même chose que ce que je dis, ont exprimé leur appel à la libération de ces deux journalistes. Parce que la France, ils l'ont dit, notamment les jeunes Français musulmans, est un pays où la liberté de conscience, de religion est protégée, où chaque citoyen a la même liberté et la même protection.
Q - Quel est le point de la situation, cet après-midi, des deux otages français en Irak ? Quel est l'intérêt de votre visite au Qatar et pensez-vous que vos amis qatariens peuvent aider dans cette affaire et comment ?
R - La première raison de ma venue à Doha est liée aux relations anciennes et traditionnelles que nous avons avec le Qatar et au fait que le pays où je suis pour quelques heures est un pays important et respecté dans cette région.
Le témoignage de solidarité qu'a exprimé le ministre est important pour nous. Comme vous le savez, c'est la deuxième raison de ma visite, j'aurai l'occasion de me rendre, tout à l'heure, au siège, ici à Doha, de la chaîne Al Jazira.
Tous ceux qui, comme cela a été le cas, se sont exprimés, parce que c'est leur conviction, pour appeler à la libération de nos compatriotes, tous ceux-là participent à un mouvement qui, je crois, est très important et très utile dans les heures où nous nous trouvons.
De la même façon, j'ai été très attentif et sensible à l'appel qui a été lancé par Cheikh Al Qardaoui que j'ai rencontré lundi matin au Caire et qui avec d'autres grandes consciences de l'Islam a expliqué ce qui est au coeur de cette grande religion : le respect de la personne humaine, de la vie humaine et la tolérance.
Nous appelons à la libération de nos deux compatriotes et de leur chauffeur. Très franchement, nous suivons la situation de minute en minute, d'heure en heure, en espérant que le respect de la vie humaine et de la raison l'emporteront. Nous prenons tous les contacts nécessaires. Nous avons une équipe renforcée à Bagdad, avec notamment la présence sur place du précédent Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, mon représentant spécial, M. Colin de Verdière, qui noue tous les contacts utiles, comme je le fais moi-même dans les pays de la région, pour favoriser une issue heureuse et la libération de nos compatriotes.
Q - Quel type de soutien comptez-vous obtenir de l'Etat du Qatar dans cette affaire ? Etes-vous optimiste quant à la libération de nos deux confrères, Christian Chesnot et Georges Malbrunot ?
R - Le ministre a dit lui-même dans quel esprit il a lancé l'appel à la libération au nom de son gouvernement. Cet appel qu'il a confirmé aujourd'hui, renforce, s'ajoute, accompagne beaucoup d'appels qui vont dans le même sens. Et encore une fois je veux dire, comme ministre des Affaires étrangères, que tous ces appels ici aujourd'hui, hier, dans beaucoup d'autres capitales, dans beaucoup de mouvements qui constituent certaines des plus grandes voix, des plus grandes consciences de l'Islam, au-delà du côté des dirigeants politiques, tout cela nous touche profondément. Nous savons que tout ce qui est dit, ce ne sont pas seulement des sentiments officiels, ce ne sont pas seulement les sentiments des dirigeants politico-religieux. Cela représente un sentiment populaire ; voilà ce que j'ai ressenti personnellement depuis trois jours. C'est que les peuples, les citoyens, les hommes et les femmes qui vivent dans les pays arabes et musulmans considèrent que cet enlèvement et cette détention sont incompréhensibles. Voilà ce que j'ai ressenti et c'est cela qui nous touche beaucoup. Je peux vous dire que je vous donne le sentiment non seulement des dirigeants mais aussi du peuple français qui était très ému et très reconnaissant de ces témoignages.
Pour le reste, nous sommes dans des heures très graves, très importantes et je ne veux pas faire d'autres commentaires sinon de dire que j'ai confiance, que tous ces appels à la raison, tous ces appels au respect de la vie humaine, qui sont au coeur - comme des voix beaucoup plus qualifiées que la mienne l'ont rappelé -, au coeur de ce qu'est cette religion de l'Islam, tous ces appels seront entendus. Voilà ce que je peux dire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec la chaine qatarienne "Al Jazira", à Doha le 1er septembre 2004) :
Q - Quel est le résultat de votre tournée dans le monde arabe pour libérer les deux journalistes français ?
R - Il s'agit non seulement de deux journalistes français, Christian Chesnot et Georges Malbrunot mais aussi de leur chauffeur, donc trois hommes. Ce sont deux journalistes français qui connaissent bien le monde arabe et cette région et qui ont un attachement sincère pour le peuple irakien. Ils l'ont écrit, ils l'ont prouvé comme journalistes. Ils ont disparu depuis 13 jours. Et depuis quelques jours cette situation s'est aggravée car il y a un ultimatum et nous avons donc décidé de porter plusieurs messages dans cette région pour ceux qui détiennent une part de responsabilité. Voilà ce que je fais, comme ministre des Affaires étrangères, depuis quatre jours, et ce que nous faisons aussi à Paris avec l'ensemble de notre société, notamment avec les Français musulmans, qui s'expriment dans le même sens et unanimement. Et ce que je peux simplement dire en pensant à ces trois hommes et en pensant à nos compatriotes, dans ce moment grave où nous sommes, c'est que j'ai sincèrement l'espoir que la raison va l'emporter et que les appels qui ont été lancés, au-delà des hommes politiques de cette région, par les plus grandes consciences de l'islam, les appels au respect de la vie humaine l'emporteront.
Q - Monsieur le Ministre, quel est exactement l'état actuel de votre parcours ? Avez-vous vraiment un espoir pour pouvoir résoudre ce problème dramatique ?
R - Je garde l'espoir encore une fois que la raison et que les appels qui ont été lancés, je pense à celui du Cheikh Al Qardaoui que j'ai rencontré au Caire, vont être entendus. Je l'espère de tout coeur. Quant au résultat, vous le voyez et vous l'entendez y compris sur votre chaîne, qui s'en fait l'écho très objectivement, ce sont des appels d'un peu partout dans cette région, dans l'ensemble des pays arabes et musulmans, de toutes sensibilités et de tous horizons, qui s'expriment dans le même sens et qui expliquent, comme nous le faisons nous-mêmes, ce qu'est la France et ce que fait la France. Ils expriment ce qu'est la France et notre société diverse et totalement solidaire dans cette épreuve, et ce que fait la France depuis très longtemps dans cette région et en particulier dans le Proche et le Moyen-Orient, en Irak ou en Palestine pour la dignité, pour la liberté et pour la souveraineté des peuples. C'est notre politique constante et c'est l'occasion pour nous de le redire. Et pour moi franchement, je suis très touché, je le dis comme ministre français, comme le président Chirac est touché en ce moment, par cette unanimité de toutes les personnalités du monde arabe et musulman qui s'expriment dans ce sens pour dire leur incompréhension devant cet enlèvement.
Q - Avez-vous été surpris par cette unanimité du monde arabe : les gouvernements, l'opinion publique, les journalistes ?
R - Non je ne suis pas surpris par cette unanimité, mais tout de même surpris par la rapidité et l'ampleur de ces témoignages. C'est une des raisons pour lesquelles je suis à Doha aujourd'hui, au-delà des contacts que j'ai eus avec ce pays ami qu'est le Qatar. Nous avons depuis longtemps des relations excellentes avec le Qatar. C'est un pays important et respecté dans cette région. L'une des raisons pour lesquelles je suis venu à Doha c'était vous, c'est parce que vous êtes là et que votre chaîne, qui vit au rythme des émotions, des préoccupations, des angoisses, des espoirs de tous les peuples de cette région, cette chaîne s'est fait largement l'écho de tous ces témoignages de solidarité à l'égard de la France et des journalistes, et vous-même avez pris exceptionnellement position parce qu'il s'agit de deux de vos confrères. Je suis venu aussi pour vous le dire et pour exprimer un témoignage de reconnaissance. Vous savez mieux que moi ce que représente le métier de journaliste. Ces deux journalistes-là, nous les connaissons. Ce soir, je retourne à Amman, là où ils vivent, où ils ont beaucoup d'amis. Ce sont de vrais professionnels, qui ont toujours été objectifs, qui ont toujours dit quelles étaient les difficultés du peuple irakien et leurs souffrances. En pensant à eux, au travail qu'ils font, je pense à beaucoup de journalistes, de toutes nationalités, qui connaissent le danger de leur métier. Il y a un autre journaliste français qui a disparu depuis un an en Irak, Fredéric Nerac. Un autre journaliste est mort peu avant la guerre, Patrick Bourrat. Je pense aussi à lui et à beaucoup d'autres qui connaissent le danger de votre métier.
Q - Monsieur le Ministre, les ravisseurs demandent à la France ce que va faire la France sur le port du voile. Après toute cette campagne où beaucoup de musulmans et d'arabes, y compris les radicaux, ont pris part. Allez-vous revoir cette loi ?
R - Il n'y a pas une loi en France sur les signes musulmans, il y a une loi qui date d'ailleurs du début du XXème siècle, qui garantit la neutralité d'un certain nombre de lieux publics, où ceux qui travaillent dans ces lieux ou qui y séjournent doivent respecter l'impartialité de l'Etat et donc s'abstenir de porter des signes religieux, mais cela vaut pour toutes les religions qui sont traitées de manière totalement égale et impartiale. Il suffit de venir en France où vous avez des représentants d'Al Jazira, de voir les rues où il y a des milliers et des milliers de femmes qui portent le voile librement. La République française, c'est cela aussi que je veux expliquer, a pour identité, fierté et honneur, depuis qu'elle existe, de garantir la liberté et la protection de tous ses citoyens. Nous avons dans cette société très diverse aujourd'hui cinq millions de musulmans qui vivent en France et qui peuvent pratiquer leur religion librement, qui ont cette garantie et cette protection de pouvoir exprimer leur foi et vivre leur culte librement comme toutes les autres religions. Cela est la réalité et la vérité de la société française, c'est cela notre République. Nous avons des lois, nous souhaitons simplement qu'on puisse respecter notre identité, notre souveraineté comme nous souhaitons que tous les peuples soient souverains et maîtres de leur destin.
Q - Mais en pleine crise, demain jeudi doit prendre effet cette loi sur le port du foulard lors de la rentrée scolaire. Est-ce que vous pensez que cette loi sera appliquée malgré tout ?
R - Cette loi, qui est une loi de la République, sera appliquée avec intelligence, le ministre de l'Education l'a dit. Elle s'applique à toutes les religions dans certains lieux très précis pour préserver la neutralité et l'impartialité des ces lieux publics pour ceux qui y séjournent ou y travaillent en permanence. Donc je peux dire que cette loi sera appliquée avec intelligence.
Q - Monsieur le Ministre qu'entendez-vous par "manière intelligente" ?
R - Elle sera appliquée avec le souci des hommes et des femmes du respect de la personne humaine mais en même temps en demandant à chacun dans notre pays de respecter la loi qui s'applique à tout le monde. Cette République française qui est issue de la Révolution, est la patrie des Droits de l'Homme. Cette République apporte une garantie à tous ceux qui vivent en France, la même protection pour chacun et la même liberté de culte et de conscience. Voilà ce qui est important. Vous savez que je ne suis pas le seul à le dire parce que je suis ministre. Ceux qui nous écoutent pourraient dire : c'est un ministre français qui nous dit ce qui l'arrange. Non, les millions de Français musulmans disent la même chose. Probablement demain à Bagdad, les représentants du Conseil français du culte musulman viendront le dire avec leurs mots. Ils ont tous prié, depuis plusieurs jours, et j'espère que leurs prières seront entendues, pour la libération de nos deux compatriotes. Et donc je ne suis pas le seul à le dire, je ne suis pas le seul à exprimer ce qu'est la réalité, la vérité de notre société française dans notre République qui garantit la même protection pour toutes les religions.
Q - Monsieur le Ministre, si ces ravisseurs tuent les deux journalistes français, n'en déplaise à Dieu, quelles seront les relations entre la France et le monde arabo-musulman et surtout les musulmans français ?
R - Je ne veux pas croire qu'il y ait une telle issue. Je ne veux pas croire que ces hommes, qui ont une telle responsabilité dans le sort de nos deux compatriotes et de leur chauffeur, puissent ne pas entendre les appels qu'ils écoutent et qui leur arrivent de tous les côtés ; les plus hautes voix de l'Islam qui leur disent qu'au coeur de cette grande religion, il y a le respect de la personne humaine, de la vie humaine et de la tolérance ; et en même temps, les appels que je suis venu lancer ici et qui font écho à de nombreuses prises de position de dirigeants de toutes sensibilités, pour dire ce qu'est la France, ce qu'est notre société, comment on vit chez nous librement sa foi et sa religion et ce que la France fait traditionnellement dans cette région. La France, je le répète, a depuis très longtemps une politique constante et le président de la République y tient beaucoup. C'est cette politique qui veut préserver et s'attacher à la liberté, à la dignité et à la souveraineté des peuples. C'est vrai pour la Palestine, c'est vrai pour l'Irak et c'est vrai pour tous les peuples et tous les pays de cette région.
Q - Pour les problèmes de ces deux journalistes français, le Secrétaire général de votre ministère est actuellement en Irak. Quels sont concrètement les fruits de ses démarches ?
R - J'ai en effet demandé à mon représentant spécial, le précédent Secrétaire général du ministère que j'anime, le ministère des Affaires étrangères à Paris, de venir sur place. Il est parti en même temps que moi. Je suis allé au Caire dans la nuit de dimanche à lundi pour renforcer l'équipe de notre ambassade à Bagdad et nouer tous les dialogues nécessaires avec l'ensemble des responsables, notamment religieux ; vous l'avez vu et certains se sont exprimés hier depuis Bagdad. Nous avons été très attentifs à leurs messages. C'est d'ailleurs pour moi l'occasion de dire notre gratitude à tous ceux qui, en Irak, d'une manière ou d'une autre par ce qu'ils disent ou ce qu'ils font, contribuent à une issue favorable, à la libération de nos deux compatriotes.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez noué des contacts dans ce sens avec les forces de la coalition en Irak, les forces internationales ?
R - Il n'y a pas vraiment eu de contacts avec la force multinationale. Je pense, comme c'est normal s'agissant d'un très haut fonctionnaire d'un ministère comme le ministère des Affaires étrangères, nouer des contacts avec les autorités du gouvernement irakien mais nous prenons tous les contacts et nous nouerons tous les dialogues qui peuvent être utiles pour faire comprendre encore une fois ce qu'est la France, ce qu'elle fait, pour exprimer l'incompréhension générale et unanime de notre pays face à cet enlèvement et pour que la raison, encore une fois et comme je l'ai dit plusieurs fois, se place au coeur de cette religion qu'est l'Islam, pour que le respect de la personne humaine l'emporte.
Q - Monsieur le Ministre, en considérant ce qui se passe en Irak, quelle est votre analyse de l'avenir de l'Irak ?
R - L'Irak est un très grand pays et a un grand peuple. Il y a une nouvelle étape qui se déroule devant nous, et la raison pour laquelle, par exemple, nous avons récemment rétabli des relations diplomatiques c'est que nous voulons coopérer pour que le peuple irakien vive dans de meilleures conditions, pour qu'il ait un espoir de démocratie, de sécurité, un espoir de développement économique notamment pour les jeunes Irakiens et que tout cela se passe sous la direction des Irakiens. Le vrai sens de la politique que la France a toujours suivie depuis le début dans cette crise, dans cette guerre au début et aujourd'hui dans cette situation difficile, c'est que l'Irak doit être gouverné par des Irakiens et que, ici en Irak, comme dans d'autres situations, nous travaillons, nous nous battons pour la pleine souveraineté et l'indépendance du peuple irakien.
Q - Quelle est votre conception de la façon dont on peut résoudre le problème irakien ?
R - Il y a un long processus qui est engagé et je crois que la clé ou l'étape importante de ce processus est qu'il y ait des élections, à condition qu'elles soient préparées avec tous ceux qui ont une responsabilité au sein du peuple irakien, les différentes communautés, les différentes forces politiques. Donc c'est cela que nous observons et c'est ce mouvement de respect des forces et des communautés irakiennes pour que l'Irak maîtrise son propre destin, voilà ce que nous voulons encourager. Voilà ce qui justifie notre coopération qui est d'abord dirigée vers le peuple et vers les citoyens irakiens.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez, jusqu'à présent, visité certaines capitales arabes. Vous êtes actuellement au Qatar. Quelle est la nature de ces entretiens avec les dirigeants du monde arabe et les particularités de votre étape qatarienne ?
R - J'ai naturellement eu l'occasion de rencontrer le ministre des Affaires étrangères. J'aurai, tout à l'heure, une audience avec le Prince héritier. Je transmettrai à toutes les autorités du Qatar un message du président de la République française. Nos deux pays ont des relations très anciennes, je crois pouvoir dire excellentes. Le Qatar est un pays respecté qui compte dans cette région. Il y a une longue tradition d'amitié avec la France et nous avons beaucoup de raisons culturelles, politiques et de coopération économique qui justifient cette relation bilatérale. Et, très franchement, je suis très heureux d'avoir rencontré auprès du ministre des Affaires étrangères cet élan de solidarité qu'à son tour il a apporté à notre pays dans cette épreuve difficile.
Q - Merci Monsieur le Ministre. Retournons au problème des otages. Avez-vous un message à transmettre par l'intermédiaire d'Al Jazira et qui pourra peut-être aider à résoudre cette crise ?
R - Oui, j'ai un message et je connais l'importance de cette chaîne où je me trouve, qui porte, relaye, et vit au rythme des émotions, des inquiétudes des peuples musulmans et arabes depuis qu'elle existe. J'ai un message d'abord de remerciements pour tous ceux qui en Irak ont compris cet enjeu et nous aident, qu'il s'agisse des communautés, des personnalités religieuses et civiles, des groupes qui d'une manière ou d'une autre nous aident à favoriser cette libération. Et puis j'ai un message plus direct pour ceux qui ont une part de responsabilité dans la détention de nos deux compatriotes et de leur chauffeur. Je pense qu'ils doivent entendre ce qui se dit de tous les côtés et je ne suis pas le seul à le dire en tant que ministre français, mais qui est porté et qui est dit dans tous les pays musulmans, par des gens de très grande autorité, notamment les plus grandes voix et les plus grandes consciences de l'Islam, des gens de toutes sensibilités et de tout bord qui disent la même chose. Regardez ce qu'est la France, regardez comment ce pays ami respecte la liberté de conscience et de religion pour tous ceux qui vivent en France et en particulier pour les cinq millions de Français musulmans ou de musulmans vivant en France ; et puis regardez aussi ce que fait la France dans cette région, comment depuis toujours elle est solidaire des peuples pour leur indépendance, pour leur dignité et pour la justice. J'espère que ces appels très nombreux pour le respect de la vie humaine, pour la tolérance qui est au coeur du message de cette grande religion qu'est l'Islam, cet appel à la raison porté par beaucoup de gens sera entendu.
Q - Nous n'avons pas parlé des réactions dans le cas où peut-être les journalistes seraient tués, quelles seraient les réactions en France de l'extrême-droite et surtout du Front national ?
R - Je ne peux pas imaginer une autre issue qu'une issue positive et que ces appels à la raison, au respect de la vie humaine soient entendus par ceux qui détiennent nos deux compatriotes. Je ne peux pas imaginer une autre issue.
Merci infiniment.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 septembre 2004)