Texte intégral
Q - Demain, c'est le 11 septembre, le troisième anniversaire de l'attentat tragique et marquant de New York ; l'Amérique est en état d'alerte nationale. Est-ce qu'on peut malheureusement reconnaître que le terrorisme ne cesse de progresser aujourd'hui, avec en plus la déclaration d'Al Zawahiri, l'un des chefs d'Al Qaïda ?
R - Nous sommes dans un monde dangereux, les menaces ne sont plus les mêmes qu'il y a vingt ou trente ans. Ces menaces sont diffuses, permanentes, cette insécurité est globale comme on l'a vu avec la tragédie de Washington et de New York il y a précisément trois ans. Je veux dire que la France et les autres pays européens restent résolus dans leur lutte contre le terrorisme. Mais il faut aussi être conscient que ce fléau qu'est le terrorisme, ne sera véritablement éradiqué qu'en s'attaquant aux problèmes dont il se nourrit : les crises régionales - je pense à l'Irak mais il y en a d'autres -, la prolifération des armes nucléaires, le crime organisé, la pauvreté, la misère. Voilà les fronts sur lesquels nous devons également agir afin d'appauvrir le terreau dont les terroristes se nourrissent.
Q - Et il faut s'habituer à l'idée que désormais, le terrorisme est une constante des relations entre Etats, tant qu'on n'a pas trouvé les solutions ?
R - Naturellement, c'est un sujet urgent, obligatoire et permanent de coopération internationale. Puisque je parlais de l'instabilité du monde, de ce monde dangereux dans lequel nous vivons, je voudrais faire observer une chose simple. Pourquoi notre continent, l'Union européenne, est-il l'un des rares pôles de stabilité, un pôle de civilisation ? Ce n'est pas par hasard. Nous allons parler de l'Europe. Je veux dire que la première raison de l'Europe, la première promesse faite il y a cinquante ans par quelques hommes politiques, qui étaient des hommes d'Etat, a été de construire entre nous, volontairement, démocratiquement, un espace de paix et de stabilité qui nous protège. Voilà la première promesse tenue et la première raison de l'existence de l'Union européenne. Et j'aimerais que dans le débat qui s'ouvre sur la Constitution européenne, on n'oublie pas cette promesse qui a été respectée.
Q - L'Irak : personne ne maîtrise plus une situation de chaos et de sang. Kofi Annan a lancé cette nuit un appel pour que soit préférée la politique à l'usage de la force en Irak. Est-ce que vous êtes d'accord ?
R - C'est la position constante de la France dans cette crise irakienne depuis le début : demander que l'on sorte de cette crise, de ce trou noir, et d'autres encore, dans le cadre du droit international et dans le cadre des Nations unies.
Q - N'y a-t-il pas d'initiatives à prendre ?
R - Les initiatives ont été prises. Il y a une résolution des Nations unies à laquelle nous avons travaillé - la résolution 1546 - qui permet, étape par étape, d'envisager une sortie politique, comme le recommande Kofi Annan. Nous souhaitons qu'on sorte de ces crises par le dialogue politique, par la concertation et dans le cadre du droit international. C'est la position constante qu'a affirmée Jacques Chirac depuis de très longues années.
Q - Avez-vous des nouvelles de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot ? Soyons prudents. Est-ce que vous avez perdu le contact, même indirect, avec les ravisseurs ?
R - Nous continuons à être totalement mobilisés, à Bagdad, avec des équipes très actives, avec une coordination à Amman que j'ai moi-même assurée pendant plusieurs jours, et dans toute la région. Nous restons mobilisés et notre ligne - permettez-moi de le dire clairement - reste celle de la confiance. Nous pensons possible une issue positive à cet enlèvement, mais une ligne de prudence et de discrétion est indispensable.
Q - Vous paraissez plus inquiet qu'il y a dix jours
R - Non, j'ai toujours été et prudent et vigilant, notamment dans les mots que j'utilise, parce que c'est la condition de la sécurité de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot.
Q - Est-ce que vous avez perdu le contact avec les ravisseurs ?
R - Je ne vais pas dire davantage sur le travail et les dialogues que nous avons noués, sauf pour ajouter que le président de la République et le gouvernement français ont été très sensibles et très touchés de la diversité et de l'unanimité des messages de sympathie et de soutien que nous avons reçus dans les pays arabes et musulmans.
Q - Vous avez beaucoup parlé avec les autorités religieuses de l'islam et avec la résistance irakienne. Est-ce que vous parlez en ce moment avec le gouvernement actuel de l'Irak et avec les Américains ?
R - Je ne vais pas aller davantage dans le détail des dialogues que nous avons noués.
Q - Est-ce que vous continuez à parler avec tout le monde, y compris avec eux ?
R - Je vous dis que pour la sécurité des deux journalistes qui sont deux de vos confrères, nous avons besoin de travailler comme nous l'avons toujours fait, de manière vigilante, précise, avec de la prudence et de la discrétion. C'est la condition de leur sécurité, et je vous remercie, je vous demande de le comprendre.
Q - J'avais très bien compris, mais simplement, pour les familles : sont-ils bien traités, sont-ils en vie ?
R - Nous avons des indications sérieuses, selon lesquelles ils sont en effet correctement traités et ils sont vivants. Voilà ce que je peux dire. Nous sommes naturellement, vous l'imaginez bien, en contact permanent avec les familles.
Q - Les familles le reconnaissent. Les combats de la région retardent-ils leur libération ?
R - Le contexte est très difficile, la situation à Bagdad et en Irak est très difficile.
Q - Maintenant, il y a l'angoisse qui monte en Italie à propos des jeunes Italiennes employées par des ONG enlevées à Bagdad en plein jour. Est-ce que chacun doit défendre ses otages ?
R - Naturellement, nous sommes solidaires, et la France a appris avec une très vive émotion cet enlèvement de Simona Torreta et Simona Pari qui travaillent dans une organisation humanitaire. C'est d'ailleurs pour moi l'occasion de saluer le travail très courageux de toutes ces organisations non gouvernementales en Irak et partout ailleurs.
Q - Etes-vous prêt à retourner en Irak s'il le faut ?
R - Je suis prêt à retourner dans la région, à Amman, où nous avons une cellule de coordination, aussi tôt et dès que ce sera nécessaire.
Q - L'Europe : beaucoup de bruit autour de la déclaration de Laurent Fabius.
R - Nous n'étions pas loin du projet européen quand j'ai parlé de la paix et de la stabilité. Encore une fois, ce n'est pas par hasard qu'en Europe, même si nous avons des problèmes, des difficultés, des angoisses quelquefois, nous sommes sur un des rares pôles de stabilité dans le monde.
Q - L'Europe, je sais que vous la portez personnellement en vous. Est-ce que vous interprétez la position de Laurent Fabius comme un "oui" conditionnel au traité, un "non" conditionnel ? Est-ce que vous pensez qu'il est sur le chemin du "non" ?
R - Je n'ai pas envie de faire de polémique avec M. Fabius et de faire l'exégèse de ses propos un peu alambiqués et compliqués ; même ses amis socialistes ne s'y retrouvent pas ce matin. Je veux dire qu'il a commis quatre erreurs hier soir. La première, c'est de parler de sujets, de problèmes qui intéressent les Français : l'emploi, les délocalisations ; ce sont des sujets sur lesquels Jacques Chirac est le plus en pointe - je peux en témoigner à la fois comme ministre aujourd'hui, comme commissaire européen hier - ; la lutte contre les délocalisations, l'harmonisation fiscale, la priorité de l'emploi sont des problèmes importants. Deuxièmement, il s'adresse au gouvernement français. Très bien, mais c'est davantage aux vingt-quatre autres gouvernements qu'il faut aussi parler, et notamment à certains gouvernements socialistes. Par exemple, sur l'harmonisation fiscale, nous avons fait des propositions très précises avec les Allemands sur l'impôt sur les sociétés. Qui nous bloque dès qu'on parle de fiscalité en Europe ?
Q - Vous dites à Laurent Fabius : parlez avec Blair et Schröder !
R - Oui, parlez avec Tony Blair et quelques-uns de vos autres amis socialistes davantage qu'en nous interpellant. Troisièmement, il pose des conditions ou demande des garanties. Aucune d'entre elles ne concerne directement le texte de la Constitution. Oui ou non, ce texte de la Constitution est-il un progrès pour l'Europe et pour la France ? En conscience, moi je réponds "oui".
Q - Et il a dit qu'il y avait des avancées sur le traité...
R - Eh bien, qu'il aille au bout de cette logique, qu'il ait le courage de choisir. Quand on veut être un homme d'Etat, on doit être capable de choisir sans tergiverser ou sans louvoyer.
Q - J'entends bien à travers vous la colère d'un Européen. Mais est-ce qu'il a tort quand il dit que votre gouvernement réduit le budget européen au moment où il faudrait l'augmenter ?
R - L'Union européenne va augmenter nécessairement son budget européen - nous sommes aujourd'hui vingt-cinq et non plus quinze - et mécaniquement, parce que le budget européen - Laurent Fabius l'a oublié -, est fabriqué en pourcentage de la croissance et du revenu européen qui va augmenter. Donc le budget européen va augmenter, et nous sommes les premiers à demander que dans ce budget, la priorité soit accordée dans les sept prochaines années, à l'emploi, aux Nouvelles Technologies, à l'éducation. J'ai l'impression qu'il ne suit pas très bien le travail qui est fait au niveau européen, pas seulement par la France mais par tous les autres.
Q - La quatrième erreur ?
R - La quatrième erreur, c'est que pour une Europe sociale, pour faire avancer l'Europe politique, il faut être capable de décider, il faut être capable de travailler ensemble. Et justement, cette Constitution apporte des règles du jeu, améliore le fonctionnement de l'Union européenne. Donc, pour aller dans le sens que souhaite Laurent Fabius, comme beaucoup d'autres, une Europe plus humaine, plus sociale, il faut pouvoir travailler. Cette Constitution, c'est un règlement de copropriété. Voilà les quatre erreurs de Laurent Fabius.
Q - Autrement dit, vous dites que sur le fond, il a tout faux...
R - Je pense qu'il est à côté du sujet, pour des raisons qu'il ne m'appartient pas de commenter.
Q - Autrement dit, vous ne craignez pas cette position du "non" qui pourrait faire bouger le Parti socialiste vers le "non" et aboutir à un échec du référendum ? Il y aura un référendum, il y aura un débat en France sur l'Europe ?
R - Le président de la République a décidé, et il a bien fait, d'ouvrir un grand débat. Les débats sur l'Europe ne sont pas si fréquents, et certains ont même le sentiment qu'on a construit, depuis cinquante ans, ce grand projet pour les citoyens mais sans eux. Donc Jacques Chirac a voulu lui-même proposer ce grand débat pour ouvrir davantage de démocratie en Europe, répondre aux inquiétudes - et il y en a - des Français, aux incompréhensions, faire que cette Europe soit moins technocratique, plus humaine, plus citoyenne. C'est le sens de l'action.
Q - Vous en avez parlé depuis hier soir avec le président de la République ?
R - Je parle avec le président de la République, de ce sujet et d'autres, très régulièrement.
Q - On reproche à Jacques Chirac de vouloir, avec le référendum, une victoire politique grâce à l'Europe. Est-ce qu'on ne rêve pas, de l'autre côté, à une défaite politique de Jacques Chirac à cause de l'Europe ? Vous êtes ministre d'un gouvernement, vous ne pouvez pas nier ce qui est en train de se passer, même sur le plan de la politique intérieure...
R - Je vais vous donner une preuve que ce n'est pas l'état d'esprit du président de la République. Et cette preuve, elle tient à ce qui s'est passé en 1992, lorsque François Mitterrand a lui-même décidé d'une grande consultation populaire sur un autre sujet important pour la France et pour l'Europe, qui était la monnaie unique. Nous avons eu un débat interne. Jacques Chirac, comme un homme d'Etat, a pris position pour le "oui", sans tergiverser. Moi-même, j'ai fait campagne pour le "oui". C'était François Mitterrand qui présidait la République française, et nous l'avons fait parce que c'était l'intérêt général de la France et de l'Europe.
Q - (...) Quand Laurent Fabius dit : on peut être inquiet parce qu'il y a un affaiblissement des grands Etats, dont la France aujourd'hui...
R - Il n'y a pas un affaiblissement des grands Etats, il y a une Europe qui compte vingt-cinq pays et non plus six ou neuf ou douze. Donc nous sommes plus nombreux. Voilà aussi pourquoi nous avons besoin de cette Constitution qui améliore le fonctionnement de l'Union européenne, qui contrairement à ce que disait Laurent Fabius hier soir, réduit le droit de veto qui est en effet une source d'impuissance collective. Nous avons besoin de cette Constitution pour travailler, pour faire avancer l'Europe sociale, pour avoir une politique de défense. J'ai beaucoup travaillé, sur cette Constitution, pour avoir une politique étrangère commune.
Q - Qu'est-ce que vous pensez du fait qu'il interpelle le président de la République, qu'il s'adresse directement à lui ? Est-ce que vous pensez qu'il a une autorité, une légitimité seul pour cette démarche ?
R - Je trouve normal qu'on demande au président de la République un certain nombre de choses. Il est le chef de l'Etat, il conduit la politique étrangère et la politique européenne. Mais Jacques Chirac n'a pas de leçon à recevoir s'agissant de l'Europe sociale, de la lutte pour l'emploi, de la lutte contre les délocalisations, de la lutte pour les services publics. Je peux témoigner, jour après jour, de l'action qui a été la sienne, de ses engagements, de ses demandes aux autres pays européens. Donc nous continuerons à mettre au coeur de notre action européenne, ces sujets qui intéressent les gens dans leur vie quotidienne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2004)
R - Nous sommes dans un monde dangereux, les menaces ne sont plus les mêmes qu'il y a vingt ou trente ans. Ces menaces sont diffuses, permanentes, cette insécurité est globale comme on l'a vu avec la tragédie de Washington et de New York il y a précisément trois ans. Je veux dire que la France et les autres pays européens restent résolus dans leur lutte contre le terrorisme. Mais il faut aussi être conscient que ce fléau qu'est le terrorisme, ne sera véritablement éradiqué qu'en s'attaquant aux problèmes dont il se nourrit : les crises régionales - je pense à l'Irak mais il y en a d'autres -, la prolifération des armes nucléaires, le crime organisé, la pauvreté, la misère. Voilà les fronts sur lesquels nous devons également agir afin d'appauvrir le terreau dont les terroristes se nourrissent.
Q - Et il faut s'habituer à l'idée que désormais, le terrorisme est une constante des relations entre Etats, tant qu'on n'a pas trouvé les solutions ?
R - Naturellement, c'est un sujet urgent, obligatoire et permanent de coopération internationale. Puisque je parlais de l'instabilité du monde, de ce monde dangereux dans lequel nous vivons, je voudrais faire observer une chose simple. Pourquoi notre continent, l'Union européenne, est-il l'un des rares pôles de stabilité, un pôle de civilisation ? Ce n'est pas par hasard. Nous allons parler de l'Europe. Je veux dire que la première raison de l'Europe, la première promesse faite il y a cinquante ans par quelques hommes politiques, qui étaient des hommes d'Etat, a été de construire entre nous, volontairement, démocratiquement, un espace de paix et de stabilité qui nous protège. Voilà la première promesse tenue et la première raison de l'existence de l'Union européenne. Et j'aimerais que dans le débat qui s'ouvre sur la Constitution européenne, on n'oublie pas cette promesse qui a été respectée.
Q - L'Irak : personne ne maîtrise plus une situation de chaos et de sang. Kofi Annan a lancé cette nuit un appel pour que soit préférée la politique à l'usage de la force en Irak. Est-ce que vous êtes d'accord ?
R - C'est la position constante de la France dans cette crise irakienne depuis le début : demander que l'on sorte de cette crise, de ce trou noir, et d'autres encore, dans le cadre du droit international et dans le cadre des Nations unies.
Q - N'y a-t-il pas d'initiatives à prendre ?
R - Les initiatives ont été prises. Il y a une résolution des Nations unies à laquelle nous avons travaillé - la résolution 1546 - qui permet, étape par étape, d'envisager une sortie politique, comme le recommande Kofi Annan. Nous souhaitons qu'on sorte de ces crises par le dialogue politique, par la concertation et dans le cadre du droit international. C'est la position constante qu'a affirmée Jacques Chirac depuis de très longues années.
Q - Avez-vous des nouvelles de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot ? Soyons prudents. Est-ce que vous avez perdu le contact, même indirect, avec les ravisseurs ?
R - Nous continuons à être totalement mobilisés, à Bagdad, avec des équipes très actives, avec une coordination à Amman que j'ai moi-même assurée pendant plusieurs jours, et dans toute la région. Nous restons mobilisés et notre ligne - permettez-moi de le dire clairement - reste celle de la confiance. Nous pensons possible une issue positive à cet enlèvement, mais une ligne de prudence et de discrétion est indispensable.
Q - Vous paraissez plus inquiet qu'il y a dix jours
R - Non, j'ai toujours été et prudent et vigilant, notamment dans les mots que j'utilise, parce que c'est la condition de la sécurité de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot.
Q - Est-ce que vous avez perdu le contact avec les ravisseurs ?
R - Je ne vais pas dire davantage sur le travail et les dialogues que nous avons noués, sauf pour ajouter que le président de la République et le gouvernement français ont été très sensibles et très touchés de la diversité et de l'unanimité des messages de sympathie et de soutien que nous avons reçus dans les pays arabes et musulmans.
Q - Vous avez beaucoup parlé avec les autorités religieuses de l'islam et avec la résistance irakienne. Est-ce que vous parlez en ce moment avec le gouvernement actuel de l'Irak et avec les Américains ?
R - Je ne vais pas aller davantage dans le détail des dialogues que nous avons noués.
Q - Est-ce que vous continuez à parler avec tout le monde, y compris avec eux ?
R - Je vous dis que pour la sécurité des deux journalistes qui sont deux de vos confrères, nous avons besoin de travailler comme nous l'avons toujours fait, de manière vigilante, précise, avec de la prudence et de la discrétion. C'est la condition de leur sécurité, et je vous remercie, je vous demande de le comprendre.
Q - J'avais très bien compris, mais simplement, pour les familles : sont-ils bien traités, sont-ils en vie ?
R - Nous avons des indications sérieuses, selon lesquelles ils sont en effet correctement traités et ils sont vivants. Voilà ce que je peux dire. Nous sommes naturellement, vous l'imaginez bien, en contact permanent avec les familles.
Q - Les familles le reconnaissent. Les combats de la région retardent-ils leur libération ?
R - Le contexte est très difficile, la situation à Bagdad et en Irak est très difficile.
Q - Maintenant, il y a l'angoisse qui monte en Italie à propos des jeunes Italiennes employées par des ONG enlevées à Bagdad en plein jour. Est-ce que chacun doit défendre ses otages ?
R - Naturellement, nous sommes solidaires, et la France a appris avec une très vive émotion cet enlèvement de Simona Torreta et Simona Pari qui travaillent dans une organisation humanitaire. C'est d'ailleurs pour moi l'occasion de saluer le travail très courageux de toutes ces organisations non gouvernementales en Irak et partout ailleurs.
Q - Etes-vous prêt à retourner en Irak s'il le faut ?
R - Je suis prêt à retourner dans la région, à Amman, où nous avons une cellule de coordination, aussi tôt et dès que ce sera nécessaire.
Q - L'Europe : beaucoup de bruit autour de la déclaration de Laurent Fabius.
R - Nous n'étions pas loin du projet européen quand j'ai parlé de la paix et de la stabilité. Encore une fois, ce n'est pas par hasard qu'en Europe, même si nous avons des problèmes, des difficultés, des angoisses quelquefois, nous sommes sur un des rares pôles de stabilité dans le monde.
Q - L'Europe, je sais que vous la portez personnellement en vous. Est-ce que vous interprétez la position de Laurent Fabius comme un "oui" conditionnel au traité, un "non" conditionnel ? Est-ce que vous pensez qu'il est sur le chemin du "non" ?
R - Je n'ai pas envie de faire de polémique avec M. Fabius et de faire l'exégèse de ses propos un peu alambiqués et compliqués ; même ses amis socialistes ne s'y retrouvent pas ce matin. Je veux dire qu'il a commis quatre erreurs hier soir. La première, c'est de parler de sujets, de problèmes qui intéressent les Français : l'emploi, les délocalisations ; ce sont des sujets sur lesquels Jacques Chirac est le plus en pointe - je peux en témoigner à la fois comme ministre aujourd'hui, comme commissaire européen hier - ; la lutte contre les délocalisations, l'harmonisation fiscale, la priorité de l'emploi sont des problèmes importants. Deuxièmement, il s'adresse au gouvernement français. Très bien, mais c'est davantage aux vingt-quatre autres gouvernements qu'il faut aussi parler, et notamment à certains gouvernements socialistes. Par exemple, sur l'harmonisation fiscale, nous avons fait des propositions très précises avec les Allemands sur l'impôt sur les sociétés. Qui nous bloque dès qu'on parle de fiscalité en Europe ?
Q - Vous dites à Laurent Fabius : parlez avec Blair et Schröder !
R - Oui, parlez avec Tony Blair et quelques-uns de vos autres amis socialistes davantage qu'en nous interpellant. Troisièmement, il pose des conditions ou demande des garanties. Aucune d'entre elles ne concerne directement le texte de la Constitution. Oui ou non, ce texte de la Constitution est-il un progrès pour l'Europe et pour la France ? En conscience, moi je réponds "oui".
Q - Et il a dit qu'il y avait des avancées sur le traité...
R - Eh bien, qu'il aille au bout de cette logique, qu'il ait le courage de choisir. Quand on veut être un homme d'Etat, on doit être capable de choisir sans tergiverser ou sans louvoyer.
Q - J'entends bien à travers vous la colère d'un Européen. Mais est-ce qu'il a tort quand il dit que votre gouvernement réduit le budget européen au moment où il faudrait l'augmenter ?
R - L'Union européenne va augmenter nécessairement son budget européen - nous sommes aujourd'hui vingt-cinq et non plus quinze - et mécaniquement, parce que le budget européen - Laurent Fabius l'a oublié -, est fabriqué en pourcentage de la croissance et du revenu européen qui va augmenter. Donc le budget européen va augmenter, et nous sommes les premiers à demander que dans ce budget, la priorité soit accordée dans les sept prochaines années, à l'emploi, aux Nouvelles Technologies, à l'éducation. J'ai l'impression qu'il ne suit pas très bien le travail qui est fait au niveau européen, pas seulement par la France mais par tous les autres.
Q - La quatrième erreur ?
R - La quatrième erreur, c'est que pour une Europe sociale, pour faire avancer l'Europe politique, il faut être capable de décider, il faut être capable de travailler ensemble. Et justement, cette Constitution apporte des règles du jeu, améliore le fonctionnement de l'Union européenne. Donc, pour aller dans le sens que souhaite Laurent Fabius, comme beaucoup d'autres, une Europe plus humaine, plus sociale, il faut pouvoir travailler. Cette Constitution, c'est un règlement de copropriété. Voilà les quatre erreurs de Laurent Fabius.
Q - Autrement dit, vous dites que sur le fond, il a tout faux...
R - Je pense qu'il est à côté du sujet, pour des raisons qu'il ne m'appartient pas de commenter.
Q - Autrement dit, vous ne craignez pas cette position du "non" qui pourrait faire bouger le Parti socialiste vers le "non" et aboutir à un échec du référendum ? Il y aura un référendum, il y aura un débat en France sur l'Europe ?
R - Le président de la République a décidé, et il a bien fait, d'ouvrir un grand débat. Les débats sur l'Europe ne sont pas si fréquents, et certains ont même le sentiment qu'on a construit, depuis cinquante ans, ce grand projet pour les citoyens mais sans eux. Donc Jacques Chirac a voulu lui-même proposer ce grand débat pour ouvrir davantage de démocratie en Europe, répondre aux inquiétudes - et il y en a - des Français, aux incompréhensions, faire que cette Europe soit moins technocratique, plus humaine, plus citoyenne. C'est le sens de l'action.
Q - Vous en avez parlé depuis hier soir avec le président de la République ?
R - Je parle avec le président de la République, de ce sujet et d'autres, très régulièrement.
Q - On reproche à Jacques Chirac de vouloir, avec le référendum, une victoire politique grâce à l'Europe. Est-ce qu'on ne rêve pas, de l'autre côté, à une défaite politique de Jacques Chirac à cause de l'Europe ? Vous êtes ministre d'un gouvernement, vous ne pouvez pas nier ce qui est en train de se passer, même sur le plan de la politique intérieure...
R - Je vais vous donner une preuve que ce n'est pas l'état d'esprit du président de la République. Et cette preuve, elle tient à ce qui s'est passé en 1992, lorsque François Mitterrand a lui-même décidé d'une grande consultation populaire sur un autre sujet important pour la France et pour l'Europe, qui était la monnaie unique. Nous avons eu un débat interne. Jacques Chirac, comme un homme d'Etat, a pris position pour le "oui", sans tergiverser. Moi-même, j'ai fait campagne pour le "oui". C'était François Mitterrand qui présidait la République française, et nous l'avons fait parce que c'était l'intérêt général de la France et de l'Europe.
Q - (...) Quand Laurent Fabius dit : on peut être inquiet parce qu'il y a un affaiblissement des grands Etats, dont la France aujourd'hui...
R - Il n'y a pas un affaiblissement des grands Etats, il y a une Europe qui compte vingt-cinq pays et non plus six ou neuf ou douze. Donc nous sommes plus nombreux. Voilà aussi pourquoi nous avons besoin de cette Constitution qui améliore le fonctionnement de l'Union européenne, qui contrairement à ce que disait Laurent Fabius hier soir, réduit le droit de veto qui est en effet une source d'impuissance collective. Nous avons besoin de cette Constitution pour travailler, pour faire avancer l'Europe sociale, pour avoir une politique de défense. J'ai beaucoup travaillé, sur cette Constitution, pour avoir une politique étrangère commune.
Q - Qu'est-ce que vous pensez du fait qu'il interpelle le président de la République, qu'il s'adresse directement à lui ? Est-ce que vous pensez qu'il a une autorité, une légitimité seul pour cette démarche ?
R - Je trouve normal qu'on demande au président de la République un certain nombre de choses. Il est le chef de l'Etat, il conduit la politique étrangère et la politique européenne. Mais Jacques Chirac n'a pas de leçon à recevoir s'agissant de l'Europe sociale, de la lutte pour l'emploi, de la lutte contre les délocalisations, de la lutte pour les services publics. Je peux témoigner, jour après jour, de l'action qui a été la sienne, de ses engagements, de ses demandes aux autres pays européens. Donc nous continuerons à mettre au coeur de notre action européenne, ces sujets qui intéressent les gens dans leur vie quotidienne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2004)