Déclaration de M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, sur les nouveaux moyens mis en oeuvre pour l'aide au développement, notamment le projet de taxes internationales, Washington le 2 octobre 2004.

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Circonstance : Voyage de Xavier Darcos à Washington pour la session annuelle du FMI et de la Banque mondiale consacrée aux modalités et à l'efficacité de l'aide au développement, les 1er et 2 octobre 2004

Texte intégral

Le rapport sur "les modalités de l'aide au développement" offre une mise en perspective bienvenue des enseignements tirés de précédents rapports. Quelques mois avant le 5ème anniversaire du Sommet du Millénaire, il nous rappelle que l'harmonisation de l'aide, l'amélioration de la gouvernance, la mesure des résultats ont permis d'accroître significativement l'efficacité de l'aide. La France, en réponse aux conclusions du rapport de son examen par les pairs au Comité d'aide au développement de l'OCDE, s'attache à rendre son aide plus sélective, mieux harmonisée et plus cohérente avec les Objectifs du Millénaire. Il reste sans doute du chemin à parcourir et j'espère que le second Forum à Haut Niveau sur l'efficacité de l'aide que la France accueillera à Paris en mars prochain verra la communauté financière prendre des décisions concrètes et faire des progrès significatifs.
Sur le plan du financement en revanche, il reste beaucoup à faire. L'ampleur des besoins estimés par la Banque mondiale et les Nations unies pour atteindre les Objectifs du Millénaire - 50 milliards de dollars par an supplémentaires - est considérable. Nous sommes presque au tiers du parcours 2000-2015 et nous sommes déjà en retard, en Afrique tout particulièrement. De tous les continents, c'est le seul pour lequel ces objectifs restent hors de portée. Les conséquences du développement de la pauvreté dans le monde aujourd'hui - avec son corollaire de misère, de déstabilisation et de risques pour notre sécurité collective - et les conséquences de notre inaction, me paraissent plus graves que celles attachées aux mesures financières que nous pourrions prendre pour résoudre cette équation financière.
Certains ont proposé pour résoudre cette équation de réfléchir à des efforts supplémentaires en matière d'annulation de dette. Je me félicite de l'élan de générosité associé à ces démarches et j'en remercie leurs auteurs. Mais en toute honnêteté - et nous nous devons d'être francs entre nous - je me dois d'en relever leurs limites. Ces limites sont de plusieurs ordres. La première me paraît être qu'elles ne répondent pas à l'ampleur du problème : le service de la dette - que certains se proposent d'alléger - ne représente plus aujourd'hui, suite aux efforts réalisés dans le cadre de l'initiative PPTE, que 2 % du PIB des pays en développement, une charge somme toute modeste, alors que nous savons que les besoins nécessaires à l'atteinte des Objectifs du Millénaire nécessitent une mobilisation de ressources représentant l'équivalent de 20 % de leur PIB. Le compte n'y est donc pas. La seconde limite est que, si elles paraissent peu coûteuses à court terme, elles ponctionnent lourdement la capacité financière d'intervention des institutions financières internationales et mettent en danger à terme leur pérennité. Une banque qui renonce à demander le remboursement des prêts qu'elle a octroyés et qui se propose d'intervenir à l'avenir en octroyant des dons plutôt que des prêts, n'est plus une banque, mais une organisation caritative. Est-ce vraiment cela que nous voulons faire de ces outils que nous avons bâtis au cours des 60 dernières années et dont l'utilité est avérée puisqu'elle a contribué de manière spectaculaire à la réduction de la pauvreté en Inde et en Chine ?
Pour résoudre notre équation financière, la communauté internationale doit donc consacrer davantage de ressources au défi de la pauvreté. La France s'est pour sa part, engagée à apporter 0,5 % de son PIB à l'aide publique au développement en 2007 et à rejoindre dès 2012 le groupe d'États emmenés par les pays du Nord de l'Europe qui consacrent déjà 0,7 % de leur PIB au développement. Nous nous réjouissons que de nouveaux pays aient récemment annoncé leur intention de rejoindre ce mouvement et encourageons d'autres pays à faire de même. L'augmentation de l'effort budgétaire ne peut cependant être que progressive et les besoins de financement pour les Objectifs du Millénaire sont immédiats. C'est pourquoi il faut réfléchir sans tabous à des mécanismes innovants. Facilité financière internationale comme taxes internationales ne sont pas des dispositifs théoriques mais des solutions pragmatiques et complémentaires pour mobiliser des ressources additionnelles. Elles sont complémentaires par nature car si l'IFF peut permettre de mobiliser des ressources qui seront utilisées pour financer des plans d'investissements - et nous savons tous que le financement de l'investissement par l'emprunt est économiquement rationnel - les ressources mobilisées par les taxes globales permettront de couvrir les coûts de fonctionnement récurrents qui seront attachés aux investissements dans les infrastructures, la santé, l'éducation - et nous savons tous que le financement des coûts récurrents doit être assuré par l'impôt. Elles sont également complémentaires dans le temps car les financements mobilisés par les taxes globales viendront à point nommé après 2015 pour apporter un complément de ressources lorsqu'il s'agira de rembourser les emprunts émis par le dispositif IFF. Les taxes globales assureront une réelle additionnalité des ressources mobilisées et répondront ainsi aux questions que certains d'entre vous se posent sur l'évolution de l'aide publique au développement après 2015.
Le rapport remis au président de la République par le groupe qu'a présidé Jean-Pierre Landau comme les conclusions du groupe quadripartite composé du Brésil, du Chili, de l'Espagne et de la France ne proposent pas de créer une administration fiscale internationale. Ces rapports démontrent au contraire que ces taxes peuvent être mises en oeuvre de manière démocratique. Ils partent simplement du constat qu'avec 3 milliards de dollars par an garantis sur dix ans, on assure la scolarisation primaire de tous les enfants d'Afrique subsaharienne ; avec 2 milliards de dollars par an, on finance la recherche médicale sur le paludisme et le sida qui affectent les pays en développement. Une ressource stable et prévisible aurait donc un impact décisif sur les pays en développement. La création d'une telle contribution ne relève pas d'une chimère puisqu'un précédent existe déjà. Le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL ou OIPCF en anglais), consacré à l'indemnisation des victimes de marées noires, rassemble déjà 86 États, 90 en seront membres en 2005. Ce fonds a rassemblé au fil des années près d'un milliard de dollars de financement. Il a démontré la possibilité et l'intérêt d'un prélèvement obligatoire au niveau international.
Cette démarche a suscité un vif intérêt aux Nations unies lors du Sommet des chefs d'État réunis à l'invitation du président Lula : 110 pays ont apporté leur soutien à la déclaration finale. Un élan a indéniablement été créé. Le rapport qui nous est soumis aujourd'hui juge ces propositions techniquement faisables. Cette faisabilité technique nous a encore été confirmée ce matin même par le directeur général du FMI, Rodrigo de Rato, lors de son intervention au CMFI. Dont acte. Il faut maintenant approfondir le travail engagé dans le présent rapport sur les différentes options de taxes possibles, leurs avantages et inconvénients, leurs effets économiques. Mon souhait est que la Banque mondiale et le FMI s'attèlent concrètement aux études de faisabilité de ces différentes taxes et nous fasse rapport pour notre prochaine réunion, comme le projet de communiqué qui nous est soumis aujourd'hui le propose, ce dont je me félicite.
Taxes internationales et facilité financière internationale ne sont sans doute pas des solutions miracles pour les pays en développement ou pour les pays riches. Elles ne sont pas simples à mettre en oeuvre. Elles ont cependant le mérite de mettre à portée de volonté politique une solution pour atteindre les Objectifs du Millénaire. Les opinions publiques nous regardent attentivement.
D'aucuns seront certainement sceptiques à l'égard d'une proposition venant d'un pays souvent perçu comme naturellement favorable à l'impôt. Mais l'impôt n'est pas toujours l'ennemi de la rationalité économique. Vous en voulez une preuve ? Laissez-moi vous rappeler que c'est la France qui est à l'origine de la TVA, un dispositif dont la rationalité est reconnue par tous aujourd'hui, appliquée par une très grande majorité de pays dans le monde, et même préconisée par le FMI et la Banque mondiale dans les politiques qu'ils recommandent aux pays en développement. Je constate que nous avons omis de prélever des droits intellectuels pour l'utilisation de cette idée. Notez notre générosité
Les propositions que nous faisons aujourd'hui pour le financement du développement nous paraissent revêtir la même rationalité économique. Elles permettent de financer des besoins qui, somme toute, ne représentent que des montants modestes : à peine 1/1000ème de la richesse mondiale produite annuellement. Mais elles nous permettent d'assurer la crédibilité des engagements que nos chefs d'État ont pris lors du Sommet du Millénaire, puis à Monterrey : il en va de leur crédibilité devant les populations les plus pauvres du monde, mais aussi devant leurs propres opinions publiques. Nous vous demandons de faire avec nous un nouveau pari.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2004)